1Tu habites à Arcadia Bay ou tu étais juste de passage ? De passage, en plein déménagement ; ils avaient pris la route le matin même et traversaient l'Oregon depuis Portland pour rejoindre la Californie.
Ses parents avaient déclaré que longer la côte rendrait le voyage plus intéressant.
En début d'après-midi, ils s'étaient dit que faire un arrêt à Arcadia Bay pour souffler quelques minutes était une bonne idée.
Finalement, Monsieur et Madame Strömberg avaient décidé que laisser le petit Dylan dormir dans la voiture était la meilleure chose à faire pour qu'il reste sage le reste du trajet, tandis qu'ils iraient marcher un peu sur cette plage qu'ils trouvaient fort charmante, avant de reprendre la route.
2Tu faisais quoi avant la tempête ? Des vidéos sur youtube. Il avait une chaîne où il montrait ses top 1 sur Fortnite, et faisait du commentary. Il faisait aussi des vidéos sur roblox, minecraft, et quelques jeux mobiles ; ses montages étaient très amateurs, à base de comic sans ms, de musique dub-step et de mauvaises incrustations. Il n'était clairement pas connu et n'avait pas énormément d'abonnés, mais le peu qu'il avait était un noyau solide. C'était une véritable passion, et ça lui manque terriblement.
Oh, il allait à l'école aussi ; mais là-bas, on ne lui apprenait pas à faire du montage et à attirer les abonnés ! Ses notes n'étaient pas terribles, mais ses parents le laissaient faire, un peu laxistes.
3Quels dégâts a-t-elle fait dans ta vie ? Elle lui a offert le statut de "miraculé", après être débarqué de nulle part, sans aucune égratignure, deux mois après la tempête.
Au début, elle lui a enlevé ses souvenirs également. Mais juste au début. Aussi déclarait-il "je suis personne" quand on lui posait des questions ; un peu cruellement, certains adultes songeaient à en faire son nouveau surnom.
Et puis, après deux semaines à errer sans trop savoir grand chose, à se raccrocher désespérément aux mains des adultes qui l'avaient pris sous leurs ailes, c'est son nom qui lui est revenu.
Il n'a rien dit à personne.
Deux nouvelles semaines plus tard, c'est le jour de la tempête qui lui est revenu ; et soudainement, il a enchaîné les caprices les nuits suivantes, refusant de dormir seul.
Là encore, personne n'a su pourquoi.
Encore deux semaines, et tout le reste s'est imbriqué dans son esprit, les dernières pièces qui lui manquaient pour se souvenir.
"Je suis Personne" continue-t-il de dire aux adultes, dans l'espoir malheureux qu'on continue de lui tenir la main ;
et la crainte sourde qu'on le rejette si la vérité venait à éclater.
4Que faisais-tu lorsque la Tempête a frappé ? Tendrement assoupi contre le cuir de la banquette, bavant sur la ceinture de sécurité enroulée autour de lui. Ce sont les tremblements de l'engin et les cris des gens qui l'ont réveillé, un peu étouffés par l'habitacle,.
Lorsque la tornade a frappé, Dylan était enfermé dans la voiture de ses parents, seul et persuadé qu'ils l'avaient abandonné là pour mieux s'enfuir sans lui.
5Tu quitterais tout pour retrouver ta vie d'avant ? [ X ] NON ( [ X ] OUI )
Pourquoi quitterait-il une vie d'aventures telle que la sienne ? À Blackwell Castle, il a un tas de copains et une identité floue, comme une ardoise vierge qu'il peut couvrir de dessins. Mais surtout, il a des adultes qui le surveillent, une famille qui le regarde plus que ses parents ne semblent l'avoir fait de leur vivant.
Oui, il a développé une rancune tenace ; mais la vérité, s'il osait lui faire face, c'est que le présent est chaotique, l'avenir incertain, et qu'il donnerait tout ce qu'il a de plus cher pour qu'on lui rende la stabilité d'un quotidien enveloppé dans les bras froids et désinvoltes de sa maman.
6Pourquoi et comment as-tu rejoint les Knights ? Il ne sait pas trop ; c'est encore la seule partie floue de son esprit, alors que tout le reste lui est revenu aujourd'hui.
Lorsque Dylan a rouvert les yeux, il était dans sa voiture calcinée, dépourvu du moindre de ses souvenirs ; ses plaies, s'il en avait eu, étaient toutes refermées.
Il a erré dans la ville détruite, complètement perdu et paniqué, avant que des adultes ne le trouvent et le remettent aux chevaliers. Cela faisait deux mois que la tempête avait eu lieu, et Dylan n'a encore aucune idée de ce qu'il lui est arrivé pendant cette période.
La seule chose dont il est encore sûr, c'est que le visage d'Arthur lui est de plus en plus familier.
7De quelles activités es-tu en charge ? Aucune, ci ce n'est celle d'être un bon garçon bien sage ; il a quelques difficultés à remplir cette tâche cependant.
8Comment se passe ton intégration au sein du groupe ? Un peu trop bien. Dylan sait faire plaisir, sait combler les autres, charmer les gens et se faire des amis. Il réconforte les plus petits, taquine les plus grands, participe aux activités, accepte d'apporter son aide quand on le lui demande.
Mais Dylan prend trop de place.
Il demande trop d'attention, il épuise les adultes et les autres enfants, à coups de mauvaises blagues, de bêtises en tout genre, d'escapades, d'objets cassés, de cris et de larmes ;
Dylan refuse purement et simplement qu'on se détourne de lui, ne serait-ce qu'une seconde.
9Que penses-tu des autres groupes qui s'organisent ? Il a des opinions très tranchées et un peu candides sur chaque groupe ; Dylan a du mal à ne pas voir la situation actuelle au travers d'un filtre un peu distordu par les jeux vidéos. Ainsi, il se visualise dans le camps des gentils Chevaliers qui doivent vaincre les ennemis (Pirates, ombres...) ; il a tendance à considérer les Greens et les Vagabonds comme des PNJs, et leur parle parfois en conséquence.
Monsieur et Madame Strömberg ne sont pas de mauvais parents ; ils sont juste distraits.
Quand ils ont le nez dans un email, ils ne voient pas la dernière fresque de Dylan sur le mur de sa chambre, faites avec ses nouveaux crayolas. Quand ils ont l'oreille collée au téléphone, ils n'entendent pas les gros mots qu'il aboie dans son micro, ou les tirs de mitraillette de son nouveau jeu ; ils n'ont pas non plus remarqué le pegi 18 en rouge sur la jaquette.
Dylan se dit, du haut de ses neuf ans, qu'il aime bien cette liberté ; il peut faire ce qu'il veut, on ne le regarde pas.
Mais quand il est fatigué de ne voir que leurs dos, il ne sait plus quoi inventer comme bêtise pour qu'on se tourne vers lui ; alors, il pleure.
Dans ces moments là, Monsieur et Madame Strömberg se penchent machinalement vers lui, claquent un baiser rapide sur ses joues, et leurs regards semblent se perdre sur une to-do list où on y aurait écrit "donner la dose d'amour quotidienne à l'enfant".
Dylan ne leur en veut pas, au début ; c'est compliqué d'être un adulte, il faut savoir faire des concessions. En bon prince, il leur
pardonne.
Un jour, pourtant, il y a quand même l'oubli de trop ; de ceux qui vous effritent un peu le coeur quand vous avez dix ans.
Il est sur le parvis de l'école et la maîtresse prend son ton dur au téléphone, celui qu'elle lui réserve en général, lorsqu'il n'a pas fait ses devoirs. Il ne les fait pas souvent, personne ne vérifie chez lui.
Il est dix-huit heures trente quand il reconnait la voiture noire de sa mère se garer en vitesse sur le parking. Elle en sort paniquée, se confond en excuses, auprès de lui comme de la maîtresse ;
pardon mon chéri, ça le console qu'elle l'appelle ainsi.
Lorsqu'elle lui prend la main, Dylan oublie un peu son chagrin dans le contact de sa peau contre la sienne. Dans la voiture, elle lui promet de lui acheter
un nouveau skin, tu sais, dans le jeu que t'aimes bien là. Alors, il n'y pense plus, à cette petite crevasse qui lui enfonce douloureusement la poitrine.
Monsieur et Madame Strömberg ne sont pas de mauvais parents ; mais Dylan se demande parfois s'il est à la hauteur, dans son rôle d'enfant.
Il s'était déjà demandé une fois, dans la cruelle intimité de son esprit rendu sévère par la douleur, s'ils seraient capable de déménager sans lui. Il avait fait un caprice quand on le lui avait annoncé (
papa est muté en Californie, c'est pour le travail mon chéri, tu comprends), hurlant qu'il ne voulait pas se séparer de ses copains, pleurant comme il n'avait jamais pleuré.
Si tu continues de faire l'enfant, on part sans toi ! qu'on lui avait dit, et il avait alors senti quelque chose se craqueler bruyamment en lui ; il avait du arrêter de pleurer pour tendre l'oreille, comprendre qu'est-ce qui pouvait bien faire un remue ménage pareil dans son thorax. Ses parents en avaient profité pour le tirer dans la voiture ; et il avait continué de chouiner, en silence cette fois, pour
ne pas faire l'enfant.
Alors quand Dylan ouvre les yeux cette fois là, le sommeil perturbé par un tumulte dans la ville, et qu'il voit les sièges vides de ses parents, la panique l'envahit aussi vite qu'une eau froide et vicieuse.
Il doit se frotter les yeux pour bien se réveiller, pour s'assurer qu'il ne fait pas un mauvais rêve, mais là, dehors, il la voit.
Monstrueuse et implacable.
Dylan tire sur la poignée et constate avec détresse qu'il est piégé, et qu'elle se rapproche ; il tape sur les vitres, crie de toutes ses forces, se débat avec sa ceinture impossible à défaire, encombrée par trop de bagages et de cartons trop lourds.
Et l'engin qui s'agite,
au rythme de ses émois tremblants
Tout va si vite. Des débris qu'il n'identifie pas s'écrasent contre les portières, il ne veut pas regarder dehors, mais il entend tout : le cri du vent, le tapage de la pluie sur le capot qui se soulève, le cognement contre les portières, et par-dessus tout, ses propres sanglots.
Enfin, au beau milieu de sa terreur, il se demande : où sont papa et maman ?
Si tu continues de faire l'enfant, on part sans toi !Son coeur lui tombe dans la poitrine
dans un grand fracas de verre brisé.
C'est la vitre qui lui explose sur la joue, qui crache ses débris sa peau tailladée ; il n'a pas le temps de penser à la douleur quand le vertige l'avale tout entier. Emporté par les rafales de son chagrin et les bourrasques du cyclone, il vient loger sa tête entre ses genoux pour ne pas asphyxier.
La portière qui s'ouvre enfin,
puis qui s'arrache et vole au loin.
Il ne veut pas subir le même sort, il est violemment muselé par sa ceinture, et ça lui fait si mal, mais il tient bon, les doigts enfoncés dans le siège avant à s'en arracher les ongles.
Des objets lui percutent le visage à plusieurs reprises ; quand il entrouvre les yeux, il aperçoit les gouttelettes vermeilles qui dégoulinent entre ses doigts.
La voiture, happée par le vent vorace, échoue contre des murs ou contre le sols quelques secondes avant de reprendre sa course dans les airs. Ca semble durer des heures, des jours, à sentir son corps tournoyer, son coeur qui veut s'échapper en passant par sa gorge.
Il est évanoui lorsque le carnage cesse enfin ; il a un cadavre d'oiseau logé dans les mains.
Le monde est penché sur le côté quand il rouvre enfin les yeux, englouti par une fumée noire ; c'est le capot qui crache ses viscères dans ses derniers instants. Un feu a déjà commencé à dévorer son abri, et il reste là sans bouger, retenu par la ceinture tenace qui l'empêche de s'écraser au sol.
Il ne veut pas que les flammes l'avalent
Mais il est trop sonné pour sentir son corps
(sinon, peut-être réaliserait-il à quel point il est disloqué comme un pantin brisé)
Il ne distingue plus rien d'autre que des voix qui s'agitent à distance, et dans une dernière tentative d'ouvrir les yeux pour chercher ses parents, Dylan ne voit qu'une dame qui n'est pas sa mère, mais qui le regarde de très près avant de tendre la main.
Et puis, plus rien.
S'il continue de faire l'enfant,
on partira sans lui.
Des témoins diront avoir vu deux adultes blonds courir avec désespoir vers le parking, les pieds pataugeant dans le sable, avant que le vent ne lève une vague aussi haute qu'une maison derrière eux.
On retrouvera, deux semaines plus tard, un couple de cadavres défigurés s'étant échoués sur la plage après avoir été recrachés par la mer.
Personne ne les identifiera jamais.