Elle s’ennuie, Nugget.
À regarder cet avion en débris.
Les morceaux qui s’éparpillent et la promesse d’un rêve brisé— il ne volera plus jamais, cet avion. Elle ne sait pas pourquoi tu t’entêtes à vouloir le réparer. Il ne volera plus jamais, cet avion, et si c’était le cas, crois-tu qu’il passerait au travers du mur qui nous enferme tous ?
Elle te trouve idiot, Icare.
Trop proche de ce soleil qui va te griller les ailes.
Si idiot que tu lui as demandé à elle de surveiller ton avion si précieux.
Alors que toute la vie pourrait passer sous ses yeux qu’elle ne le remarquerait même pas, trop plongée dans ses pensées, dans ses scénarios, dans ses interrogations. Elle fixe un point invisible en t’attendant, Nugget, on croirait qu’elle observe cet avion qu’elle surveille mais elle ne voit pas devant elle. Trop coincée dans l’imagination trop fertile.
Elle a ramené son sac avec les livres qu’elle avait trouvé en
novembre mars, avec son journal intime qu’elle devait parcourir une énième fois (comme si la solution allait s’y écrire comme par magie). Elle a ramené son sac avec tout pour ne pas s’ennuyer.
Mais Nugget préfère se perdre dans ses pensées jusqu’à s’y plonger, jusqu’à s’oublier.
Oublier tout autour d’elle.
Simple fille assise droite comme un piquet.
Elle ne t’avait presque pas entendu arriver et quand tu es apparu dans son champ de vision, elle était prête à partir comme d’habitude. Mais tu l’as retenue
avec l’impression d’un
il faut qu’on parle qui résonne en Nugget comme une mauvaise nouvelle.
(Elle se demande si tu as remarqué qu’elle ne surveillait pas vraiment ton avion et que tu souhaites la
virer, mais elle joue si bien la comédie, pas vrai ?)
Tu vois, Icare aux ailes de cire et au visage brûlé car il a volé trop près du soleil, tu ne lui inspires pas confiance.
Pas du tout.
Alors elle ne te crois pas quand tu la remercies. Elle se contente de hausser les épaules.
Alors elle se sent si mal à l’aise quand tu joues avec ton couteau. Et que tu lui poses une question.
Nugget, elle se dit—
qu’il y a
deux
issues
à ses pieds.
Soit elle te dit
non et ça s’arrête ici.
Soit elle te dit oui et ton couteau se retrouve dans sa gorge.
Alors, petite Nugget, elle prend son air offusqué.
(Le même qu’elle prenait quand on l’accusait d’être trop blessante dans ses mots au lycée.)
«
Hein ? J’traîne pas avec les pirates moi, » c’est à moitié la vérité— elle les évite mais elle reste parfois avec quelques exceptions de pirates qui ne sont pas aussi repoussants que les autres…
Elle croise les bras, comme une fille sûre d’elle qui n’a pas peur de toi.
(Range ton couteau s’il te plaît.)
«
Et ça me dit rien… j’connais pas grand-monde mais encore moins chez les pirates, » de ses jours qui s’écoulent doucement, elle a l’impression que de connaître la poste tant elle reste terrée là-bas. «
Pourquoi ? »
Elle hésite avant d’ajouter :
«
Y’a un souci avec… avec ce BM ? »
Peut-être que c’est la curiosité.
Ou peut-être que c’est l’envie de vouloir protéger ses deux initiales que, malgré ce qu'elle t'a répondu, elle connait très bien.