Le silence résonne en écho.
Dans les murs de l’église où même les faibles rayons du soleil n’arrivent pas à redonner chaud.
Comme chaque matin, c’est ici que Janvi commence la journée. À regarder le soleil qui se lève au travers des vitraux, la végétation qui a élu domicile, les bancs vides et ses mains parsemées de cicatrices brûlées. Comme chaque matin, c’est ici que Janvi prie, sans savoir à quel dieu s’adresser, pour espérer se nettoyer de son passé. À tenter de se remémorer le passé laissé en morceaux, se rappeler de tout le mal qu’elle a fait pour mieux le laver.
Et puis, dans le silence, d’un coup—
D’un coup.
La musique résonne en écho.
Elle a sursauté, Janvi. Elle a cherché la source de la musique, a tenté de savoir d’où ça venait, et puis—
Et puis elle se retourne et—
Papa.
Papa.
Papa.
Celui qu’elle a laissé (abandonné) au Canada (parce que maman lui a ordonné ; parce que maman ne lui a pas laissé le choix).
La musique résonne en écho.
Papa.
Papa.
Papa.
Elle n’a pas oublié ton visage mais elle ne se souvient pas de ta voix. Pardon, ça fait si longtemps et tu sais, elle a oublié tant de souvenirs et de morceaux de sa vie, mais elle se souvient des hivers flous passés avec toi.
Papa pourquoi tu ne parles pas ? Dis papa— pourquoi lorsque vos regards se croisent, tu ne lui dis pas qu’elle t’a manqué ou que ça fait longtemps ou qu’elle a bien grandi Janvi ou qu’elle est toujours la plus belle fille de la terre ou que son sourire lui va bien ; pourquoi tu ne lui dis pas ?
Parce que tu ne le penses pas ?
Tu ne l’aimes pas ?
Pourquoi tu ne dis rien papa ?
Tu sais, elle est perdue, sans toi.
Tu lui en veux d’être partie ? Elle ne voulait pas, Janvi, c’est maman qui l’a forcé, elle ne voulait pas, promis…
Pourtant, elle se jette quand même dans tes bras. Rigolant plus qu’elle n’inspire, si fort qu’elle étouffe vite, qu’elle doit te lâcher pour espérer respirer. Tu lui as manqué. Tu lui as tant manqué.
Plus que tout, plus que n’importe quoi.
Tu sais, il ne vaut rien, cet autre homme que maman a épousé après toi. Tu sais, maman non plus, elle ne vaut plus rien, il n’y a que toi qui comptes et qui as toujours compté. Il n’y a que toi qu’elle arrive à considérer comme sa famille, pour de vrai.
Il n’y a que toi qui la complimentait.
Qui lui montrait qu’elle était aimée.
Tes main, elle les attrape et elle tourne avec toi au milieu de l’église ensoleillée. (Papa, elle ne devrait pas rire si fort dans une église, ça ne se fait pas, tu sais. Papa, tu es comme dans ses souvenirs arrachés et disloqués, tu n’as pas changé.)
Son rire résonne en écho.
Elle danse danse danse danse avec toi jusqu’à perdre le souffle, jusqu’à suffoquer.
Jusqu’à devoir s’arrêter.
Jusqu’à juste garder tes mains dans les siennes et te regarder.
Janvi, elle a juste pris le temps de respirer. «
Tu sais… je fais n’importe quoi depuis qu’on est parti, » (pendant une seconde, honteuse, elle a baissé les yeux. Mais elle sait que toi, tu ne l’as jamais jugé. Elle sait que toi, tu vas lui pardonner). «
J’ai fait des choses… des choses pas très gentilles. Pas du tout, même. Tu sais, j’ai même été en garde à vue à cause de ça. J’ai été trop loin. »
Elle secoue la tête, Janvi.
Papa, tu lui touches l’épaule, tu bouges tes mains, et— et— et— ça lui rappelle quelque chose mais Janvi n’arrive pas à s’en souvenir et elle pense juste que tu veux de nouveau danser mais elle est si essoufflée laisse-lui un peu de répit…
Est-ce que tu es déçu, papa ? «
Mais je… je voulais juste avoir ma place, quelque part. J’ai fait les mauvais choix. Mais mes amies, je crois qu’à un moment, elles m’aimaient vraiment mais je suis pas sûre. J’m’en souviens pas trop. Il y a plus personne qui m’aimait depuis que maman et toi, vous avez divorcé et qu’on a déménagé. » Est-ce que tu l’aimes toujours, papa ? «
De toute façon, elle non plus elle m’aimait pas et beau-papa non plus, tu sais il y a que toi qui m’as aimé… » (Est-ce qu’elle devrait te dire, tout ce qu’il a fait, tout ce qu’elle a fait ? Toute la douleur qu’elle a ressenti, loin de toi, comment d’elle ils se sont occupés ? Est-ce que tu te mettrais en colère papa, si elle te le disait ? Est-ce que tu l’aurais protégée ?) «
Je voulais revenir te voir, promis, ou même t’envoyer des messages ou des lettres mais maman, elle m’en empêchait. Elle disait que t’étais un monstre mais c’est pas vrai. »
C’est pas vrai.
C’est pas vrai.
Elle est en sûre, certaine, que ce n’est pas vrai.
Ce n’est pas toi le monstre, tu ne l'as jamais été.
La musique résonne en écho.
«
Pardon je fais n’importe quoi quand t’es pas là. Pourtant ça avait l’air amusant quand elles m’en parlaient je me rendais pas compte… enfin, si, je savais que c’était pas bien mais je voulais pas… je voulais pas finir comme les autres du lycée… » (elle ne voulait pas finir seule triste écrasée au milieu des brimades, elle ne voulait pas finir comme celles qu’elle harcelait). «
Mais tout ça c’est fini maintenant ! J’ai changé et je change toujours et je serai quelqu’un de bien, comme tu me l’as toujours voulu ! Tu sais c’est marrant, ils m’appellent Nugget maintenant… »
Les dernières notes résonnent en écho.
Papa, il tapote encore son épaule, et il a esquissé un sourire.
Il montre sa main, ne garde que le pouce, l’index et le petit doigt levé— et Janvi elle a un rire. Papa, tu sais, la musique qui résonne, elle n’a rien d’un morceau de métal, loin de là.
Alors elle avait pris ta main, et puis d’un coup, c’est le sérieux qui est venu dans la voix.
«
Dis papa… pourquoi tu as trompé maman ? »
Il n’y a que le silence qui lui a répondu—
—parce que d’un coup, tu n’es plus là, tu as disparu.
Tu as emporté avec toi les notes de musiques et le calme dans le cœur. Tu as emporté avec toi les derniers souvenirs, les rires et tu as laissé les trop nombreuses peurs. Tu as tout ramené au Canada ? Toi aussi, tu es parti, comme elle, il y a tant d’années, papa ?
C’est une façon de te venger ?
(Est-ce que c’était vraiment avec toi, ici, qu’elle a dansé ?)
Le silence résonne en écho.
Et puis—
sans même s’en rendre compte,
Janvi elle a
pleuré.
(Parce qu’elle s’est rappelée—
—papa, le silence t'a toujours habité.)
