Réveil ft. Bambi

Le temps lui échappe parfois. Et Bambi oublie tout ce qu'il a prévu. Objet de ses occupations cette fois ? Rien de particulier : seulement l'envie irrépressible de faire une sieste. Ça lui prend parfois. Blâmez la saison, l'électricité intermittente, le froid qui s'immisce entre les murs. C'est même pas la faute d'un livre. Il était fatigué et c'est tout.

Le premier coup à la porte le tire douloureusement de son sommeil. Les paupières collées aux globes oculaires, le peu de lumière qui reste passant à travers la fenêtre l'agresse. Ses muscles lui font mal. Il voudrait juste se rendormir. Mais son cerveau se met en marche – lentement. Et ça lui revient, soudainement, qu'il ne devait pas passer sa soirée seul aujourd'hui.

Aussi vite qu'il le peut il se lève. Une couverture encore sur les épaules et qui traîne derrière lui. Attention de ne pas prendre ses pieds dans les livres au sol. Il s'approche de la porte, les coups résonnent encore.

Et Rage qui parle à Woolf.

La porte s'ouvre sur un Bambi encore à moitié endormi, mais qui fait un effort pour être présent – les cheveux n'importe comment, les yeux à peine ouverts. Il s'essaie à une remarque moqueuse :

« J'ai entendu ça. »

Désirée, il aurait pu trouver mieux. Mais ce n'est pas pour ses qualités littéraires qu'il apprécie Rage. Appuyé contre le cadre de la porte, il le gracie d'un sourire fatigué, mais content, quand même, de le voir là. Son regard descend, s'attarde sur les chiots qui se retrouvent.

« Je vois que Woolf a aussi de la compagnie. »

Adorable portrait qu'ils font. Le libraire s'attendrit une seconde avant de revenir à son invité. La main émerge de la couverture, l'invite à la prendre.

« Ça devrait les tenir occupés. Viens, entre. Et verrouille derrière toi. »

« Laisse-les là. On sera tranquilles. »

Dans ses yeux brumeux de sommeil, un éclat entendu. Bambi sait pourquoi il est ici et son invitation est encore de mise – il faut seulement lui laisser le temps de se réveiller. Toujours enveloppé dans son drap, il ouvre le chemin parmi les livres jusqu'à l'arrière-boutique, tandis que l'autre s'empresse de se mettre plus à l'aise. Il retient un rire en l'entendant claudiquer derrière lui. Rage est plus impatient qu'il ne l'attendait. Il s'apprête à faire un commentaire lorsqu'il sent tout à coup le poids de son corps contre lui.

Sur le lit ils tombent dans un rire.

Et quel rire c'est. Bambi a du mal à se contenir, alors qu'il tente de libérer au moins ses mains de son emprise. Avec le drap, aucun doute qu'il ressemble à un burrito écrasé sous son poids, entre ses bras.

« Noel… Tu m'étouffes. »

Il finit par ressortir une main gantée qu'il loge dans la nuque de l'autre. Le rire se calme peu à peu, et tout tendresse qu'il est, Bambi soulève sa tête pour embrasser ses lèvres. Ça ne dure qu'une seconde, à peine. Il repose sa tête contre l'oreille. La main libre se déplace dans le haut de son dos tandis qu'il le regarde, moqueur.

« Regarde-toi un peu. Est-ce que je t'ai manqué tant que ça ? »

Où es-tu Noel ? Bambi n'est pas si aveugle que ça. Depuis tout ce temps, il connait les tensions sous ta peau – l'électricité qui passe au bout de ses doigts – tes humeurs, tes présences, tes absences. Surtout tes absences. Car toi et lui n'avez jamais été vraiment là un pour l'autre. Vous répondiez à un appel pour oublier, impérativement, fuir vous saviez exactement quoi. Et ça vous arrangeait.

Ça vous plait.

Alors Bambi le sent à la pression de tes lèvres sur les siennes que quelque chose est différent. Elle est là, cette envie de fuite. Il ne l'avait pas rencontrée encore. Mais il l'accueille, ses doigts perdus dans tes cheveux, ses yeux perdus dans les tiens quand l'écart le lui permet.

« Quand c'est demandé si poliment… »

À ta demande, il sourit de toutes ses dents, complice. Sa jambe glisse contre ta hanche, et il utilise le changement de poids pour se retrouver au-dessus. Le drap est abandonné dans le mouvement, dévoilant ses épaules et son torse nu. Et de là-haut, il en profite pour te regarder, vraiment te regarder. Ses doigts parcourent ta mâchoire, le creux de tes joues – tracent des lignes invisibles sur tes traits. Ils évitent ce front, ces sourcils plissés, de peur d'y attirer ton attention alors qu'il te veut, tout pour lui.

La main descend dans ton cou alors qu'il se penche pour ponctuer de baisers la route qu'il trace. L'autre ennuyée glisse sous ton chandail, rejoint ton torse et s'arrête au diaphragme, attentive à ton souffle. Et quelques secondes, Bambi arrête tout, écoute. La respiration qui monte entre eux, la chaleur qui le parcourt. Ses yeux alourdis de désir – peut-être encore les vapeurs de la sieste qu'il n'a pas pu finir – cherchent ton regard, cherchent à lire en toi comme dans un livre ouvert.

« Dis-moi ce que tu veux, Noel. »