paradis artificiel || feat. Acid

PARADIS ARTIFICIEL

La boule à facette accrochée hasardeusement au plafond tourne, tourne et tourne. Les milliers de petites lumières qu'elle projette dans l'habitacle brillent comme si c'était des strass, à défaut d'être des diamants. Le soir n'est jamais calme et silencieux, par ici. Il écoute les hurlements des fous, Trickster ; les mains en l'air, comme s'il pouvait attraper la lumière. Ils résonnent encore plus fort quand le soleil se couche.

Ils résonnent presque aussi fort que les coups qu'on porte tout à coup contre la taule du Defender. Il ne sait que trop bien qui c'est, Trick. Y a qu'un abruti qui a cette manière de frapper. Alors, il quitte sa montagne de couvertures pour entrouvrir une fenêtre et y passer la tête.

« Woh woh woh ! Non mais ça va aller ? Tu t'es cru chez ta mère, Acid ? »

Un coup d’œil rapide pour aviser de l'état du parasite. Meh.

« Laisse ton pauv' cul de ravagé là où il est, j't'ouvre. »

Il a déjà troqué les plateformes contre les chaussons à fourrure, Trick'. Il ouvre une des portières qu'il n'a pas condamnée et se traîne nonchalamment hors de la caisse. La compagnie ne le dérange pas, plutôt même l'inverse ; mais plutôt finir chauve que de l'avouer. Une main appuyée sur sa hanche, pour simuler un agacement profond, l'autre qui tient la portière ouverte. Il fait signe de s'amener à l'autre.

« Tu connais la chanson, mon chat : si tu vomis, je te mets la tête dedans... Rien de personnel. Tu peux monter tout seul ou t'as besoin qu'on te pousse ?»

Acid vacille, trébuche, le cœur au bord des lèvres. Le vomi au bord des lèvres aussi et surtout, c'est ce genre de soirées horrible où il abusé de tout ce qu'il pouvait abuser. Parce que parfois la vie est chiante. Et que l’apocalypse, ça va cinq minutes mais il aimerait bien gerber dans des chiottes propres un peu que sur une voiture rouillée.

Il essuie ses lèvres dégueulasse d'un revers de manche appliqué et traine son corps gourd vers chez Trickster, parce que Tricks, il a peut être pas des chiottes propres mais il a une boule à facettes et elle est grave belle. Acid trouve qu'elle détend quand il est dans le mal. Et puis, même que des fois, il raconte sa vie et ça, ça n'a pas de prix.

Il trébuche et se cogne sur la carrosserie. Du mouvement à l'intérieur et le figure ébouriffée du lieutenant qui passe par la fenêtre. Acid lève le pouce et tire la langue.

- Ma mère est morte et puis elle vivait même pas dans une voiture d'abord et elle avait des plus jolis chaussons que toi avec moins de fourrure et plus de chaussure parce qu'en fait peut être que c'était pas des chaussons ...

Il marmonne dans sa barbe et titube jusque dans la voiture, tout seul comme un grand. On distingue même une étincelle de fierté dans ses yeux vitreux. Il s'affale sur la banquette, ses cheveux noirs en bataille formant une tâche sombre autour de son visage étrangement pâle.

- Tranquille mec, j'ai vomi juste avant sur une autre voiture. Normalement c'était pas la tienne mais faudra vérifier demain matin.

Il ricane, ravi. En réalité, il savait parfaitement que ce n'était pas la voiture de Tricks mais si lui en doutait, alors c'était drôle.

- Mec, j'ai envie de pleurer et de dégueuler à la fois, c'pas ouf comme sensation. Tu penses que c'est parce que j'ai coupé ma vodka à l'eau ?

PARADIS ARTIFICIEL

L’air presque dubitatif, Trickster observe le squatteur se hisser dans le tout-terrain et s’affaler comme un bienheureux. C’est toujours fort distrayant, de le voir fournir un effort presque surhumain pour venir crasher dans sa voiture ; un genre de bébé poussin sous acides qui rentre au nid. Ca lui arrache un sourire à Trick, de toute façon il est pas sûr que l’autre puisse encore distinguer grand-chose.

« Ughh… Garde tes fluides pour toi, mon lapin. Vu ta tête, c’est sûrement corrosif encore, ma caisse a vraiment pas besoin de ça. »

Il dit probablement vrai à… 80 % ? Trick’ l’aurait sûrement déjà repéré à l’odeur si c’était faux, de toute façon. Mais on est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise par ici. Haussant les épaules comme s’il demandait au ciel de lui venir en aide, il se décide à remonter, sans oublier de claquer la portière derrière lui pour emmerder son voisinage.

Les paroles de l’autre lui font afficher une mine dégoûtée. Faut être vraiment tombé bien bas pour se résoudre à ce genre de mélange… Même pour de l’argent, il est pas certain de boire un truc pareil, Tricks’. Il vient se poser à côté de lui, et dépose un plaid en polaire bleue sur son corps affalé ; comme pour le border.

« Chaque jour j’suis un peu plus étonné que t’aies pas encore cané, mon chat. Pourquoi est-ce que t’as bu un truc comme ça, espèce d’abruti ? Tu savais pertinemment que ce serait dégueulasse ! »

Il lui pince doucement le nez, Tricks’. Il se retient presque de lui dire qu’il le lui a volé ; obligé que ça marcherait.

« Dure soirée, hein ? »

C’est à son tour de ricaner comme une hyène. Il se tord pour attraper un paquet en plastique balancé sous la banquette, avant d’en sortir une lingette et de la tendre au naufrager du soir.

« Passe-toi un coup sur la bouche avec ça, j’te sens d’ici et ça me donne envie d’te cogner… Tu peux pleurer sur mon épaule s’tu veux, j’sais que t’es pas une tafiole. Enfin, pas trop.»

Ce qui est amusant avec Tricks c'est qu'eu delà de ses airs de bad bitch, de pétasse finie, de connasse arrogante, au delà de sa hache tranchante et ses mots acérés, il est attentionné.

À sa manière évidemment mais il est là. Il y a de la tendresse dans sa rudesse et au fond de son gouffre alcoolisé, Acid se sent bien. Comme à la maison, la maison, celle qu'on a jamais eue et qu'on rêve depuis toujours.

Finalement, au lieu de nous envoyer dans le chaos le plus total, et si la Tempête n'avait pas offert aux chiens errants un toit, une maison. Acid grogne, il n'aime pas cette espèce de sentimentalisme absurde qui vient coincer son cœur nauséeux. Puis, un sourire doux émerge sur ses lèvres gercées, la chaleur du plaid le réconforte. Ouais, comme à la maison.

- Qui ne tente rien n'a rien. J'me suis dit, y'a un gars, pour savoir que la coke, fallait la mettre dans le nez, il a forcément essayé ailleurs avant tu vois. Et il en a conclut que ça passait mieux par le nez. L'apprentissage par l'expérience, ça s'appelle l'empirisme tu sais ça ?

Il marmonne, mais étrangement, ce qu'il dit est plus que censé, et on s'étonnerait presque d'entendre de tels mots dans sa bouche. On oublie trop souvent qu'Acid est loin d'être idiot, il a simplement compris que tout était plus simple quand on l'était, que tout nous était pardonné. La remarque sur les narines a l'air de plaire à Tricks puisqu'il s'empare des siennes. Acid agite vaguement la main d'un air menaçant.

- Rend moi mon nez bâtard là, j'en ai besoin, je veux pas empirismer la coke !

Il se redresse en ricanant, joignant son rire à celui de son ami, de son lieutenant, de son hôte. Il attrape l'eau et la lingette et se débarbouille rapidement, tentant - en vain - de retrouver un aspect plus humain. Moins déchet.

Il s'affale sur le siège, et vire ses chaussures cliquetantes d'un coup de pied habitué. Il pose sa tête sur l'épaule de Trickster - c'était si gentiment proposé - et farfouille dans la poche de son sweat pour en sortir pochon et tabac.

Tout en roulant son affaire d'un air distrait, il se marre encore.

- C'pas parce que j'me prends un max de bites dans le cul qu'il faut en profiter pour m'insulter. Et puis d'abord, j'pleure pas. Pause, sourire goguenard. Sauf quand c'est trop bon.

Il a moins envie de vomir, toujours un peu de pleurer mais ça, ça se dit pas. Alors il se contente de ricaner, calé contre Trickster en roulant un joint beacoup trop long pour une seule personne normalement constituée.