rumor has it [ft. Nemo]

rumor has it

L'accident avait été bête.
Sept heures du matin, une poutre à relever, un clair manque de café – de motivation – ou des deux. Des gros bras auraient relevé le défi sans le moindre problème, sûrement, mais c'étaient ceux qui s'étaient levés aux aurores qui avaient voulu s'en charger (parce que ça bouchait le passage, ça emmerdait tout le monde, ça allait prendre trente secondes à tout casser, allez, on le fait).

Sûr que si un superviseur était passé par là, le problème aurait été moindre.
Mais les initiatives de ce genre naissaient rarement en présence d'un chef.

Et si les regards souriaient habituellement en voyant le mètre cinquante-cinq de Moth se porter volontaire pour les tâches ingrates de ce genre, cette fois-ci il n'en fut rien (on avait besoin de gens, on ne regarderait pas qui) ; d'autant que, malgré son endurance qui pêchait un peu, elle avait depuis le temps pu faire ses preuves en soulèvement de caisses et de matériaux en tous genres.

Enfin, ça n'avait pas bien tourné.
Le manque de repos et de coordination des lève-tôt – qui étaient pourtant au nombre de cinq, en comptant l'électricienne – avait résulté en une malencontreuse chute de poutre. Elle pouvait au moins se targuer de n'avoir rien eu ; ce n'était évidemment pas le cas de ses compères.
Il fallut lutter, un peu, pour pousser les gaillards qui avaient bien d'autres choses à foutre ! à se rendre à l'infirmerie ; et, évidemment, en y pénétrant, la tâche lui incomba de faire le descriptif.

« Bonjour... ? »
Un sourire malhabile sur le visage, comme pour se faire pardonner d'une offense, Moth fut soulagée d'y découvrir l'infirmier, le vrai, l'unique (le seul avec qui elle avait échangé plus de deux mots).

« J'espère que ça va, amorça-t-elle, un peu plus confiante. Je ramène un peu de boulot... des petits blessés, disons. »
Des petits blessés qui joueraient avec des clous rouillés en riant au nez du tétanos ; qui râlaient déjà, pour certains, au sujet du temps perdu ; et qui, pour d'autre, cherchaient une issue de secours.
La journée commençait donc très bien.

Résumé:

Depuis la tempête, les nuits sont longues, même sans fin. Des cauchemars, des cris, des visions, des souvenirs qui se mélangent sur la ligne discontinue du temps. Quand ce ne sont pas les supplications des enfants, c’est le corps sans vie de ta Maman. Quand ce n’est pas la sensation du vent et ses fracas, c’est le regard de Papa. Quand ce n’est pas le sang sur tes vêtements, ce sont les mensonges de Jonathan.

Le sommeil s’en est allé, tu n’es pas sûre qu’il te reviendra. Car beaucoup de gens te quittent et tu avais la prétention de pouvoir les retrouver en rêve. Mais cette fantaisie a trop duré et l’horreur nocturne prend bien trop de plaisir à ruiner ton plaisir coupable. Et chaque minutes que tu passes éveillé, tu réalises que, peut-être, tu ne mérites que l’abandon. Pas un assez bon fils, pas un assez bon amant, pas un assez bon médecin, tout ce que tu touches finit par s’effriter en même temps que ton masque de perfection. Alors tu pleures, dans ton coeur, tu pleures si fort en espérant que quelque part, ça soulage un peu ta peine. Et peut-être qu’un jour, quelqu’un parviendra à sécher tes larmes.

((Tu te sens seul))

« Nemo ? »

Une voix écorchée te ramène sur Terre, la petite goutte d’eau salée qui s’est nichée au coin de tes yeux finit écrasée contre ton index. Tu t’es assoupi, juste un instant. Mais ils n’ont pas disparu, les trois-quatre malchanceux aux nez coulants. Encore une fois, Nemertea semble avoir disparu, tu t’es retrouvé seul à devoir gérer les malades qui ont toussé toute la nuit. Tu te lèves de ton siège pour prendre la température de la jeune agricultrice, un œil passant également sur les couchettes d’un enfant et d’un professeur. La fièvre est encore présente, bien que diminuée. La bouche couverte par un masque chirurgical, tu fais les aller-retours entre tes trois patients, priant pour que l’épidémie de rhume ne se propage pas trop dans le territoire. Tu te souviens encore de ton premier printemps chez les Greens, de tous les allergiques qui inondaient le cabinet et tu refusais de revivre ça. ((Dégoûtant))

Mais voilà, le répis ne semble pas t’être accordé, le grincement de la porte annonce de nouveaux invités. Tu t’empresses de les accueillir, ou plutôt, de les tenir éloignés. « Bonjour, Moth, quelle surprise ! ». Tu ne la voyais pas souvent, la demoiselle, dans ton infirmerie. Tu réponds à son sourire par un autre dissimulé, lumineux et chaleureux, tout pour cacher les fracas de ta terrible nuit. « Faites attention, nous avons des patients contagieux dans la pièce, donc restez éloignés ... ». Ta phrase perd en intensité quand tu découvres les quatre compères derrière elle, tu crois presque sentir ton visage se décomposer derrière ton masque. Pourtant, quand tu le retires, c’est une mine radieuse que tu affiches, invitant les malheureux à s’installer. « Oh, quelle charmante attention … ». Tu reconnais les visages des habitués qui fuient ton regard réprobateur. « … Et si tu me donnais la raison de votre visite pendant que je t’ausculte ? Tu n’as pas l’air blessé, ça devrait aller vite mais on est jamais trop prudent. ». Surtout que si tu commençais par les autres, tu risquais de perdre trop vite ta patience.

Recap:

rumor has it

Pour être tout à fait honnête, Moth ne se sentait plus aussi souvent gênée qu'auparavant.
Embarrassée, quand on la taquinait, ça oui, bien sûr ; c'était probablement l'un des jeux préférés des collègues (et d'un certain nombre de personnes à Arcadia), d'ailleurs, de se foutre d'elle en observant ses réactions. (On l'avait un peu trop envoyée chercher de 'machines à visser les clous' ou de 'perceuses centrifuge', attendant impatiemment son retour, ses joues rouges, et sa mine mi-déconfite, mi-assassine.)

Mais gênée ? Non. Elle respectait les règles, mais elle ne se gênait pas. Il n'y avait bien que les supérieurs pour l'intimider ; ou les enfants qui la pensaient constipée ; avec la majorité des autres, lorsqu'elle avait besoin d'un service, elle le demandait.
Pourtant, l'épaule désormais collée contre un mur de l'infirmerie (sa troupe s'étant poussée sur les conseils du médecin), l'électricienne se sentait toute petite, comme lorsque, enfant, elle devait patienter en salle d'attente sans faire de bruit.

« Ah, le timing est assez mauvais du coup ! »
A accueil chaleureux, réponse chaleureuse ; mais la blague servait surtout, en cet instant, à masquer la pointe de honte à laquelle elle n'était plus habituée. Venir encombrer une infirmerie déjà occupée s'ajouterait à la liste des situations qui la désemparaient.
Pinçant ses lèvres après une longue inspiration, la jeune femme s'avança, les mains croisées derrière le dos – on aurait presque dit qu'il s'agissait pour elle d'un passage au tableau.

« Alors, erm, il y avait une poutre en plein milieu du chantier... »
(Elle sentait bien que les autres allaient se marrer – pour autant, elle s'assit, cherchant de quoi les rendre un peu plus crédibles.)

« On voulait la déplacer, elle gênait le passage, et euh, eh bien, on l'a lâchée. Je n'ai vraiment rien, s'empressa-t-elle d'ajouter, comme pour se dédouaner, mais pour eux... disons qu'elle était un peu lourde et qu'elle n'a pas très bien atterri... ? »
Elle aurait pu en dire plus – lui avouer qu'aucun d'entre eux n'avait voulu lui dire s'il s'était cogné la tête – ou que la poutre était en bois, et logeait quelques échardes – mais l'important, à cet instant, c'était de ne pas s'humilier encore plus. Les détails, Nemo les verrait avec les vrais irresponsables.

Résumé: