Habibi ⇄ La Mer.

Bonjour, vous !

J'ai toujours rêvé de jeter une lettre à la mer. Il y a quelque chose d'excitant et de romantique dans le geste de confier la réception de cette lettre au destin. Vous ne trouvez pas ?

Depuis deux ans, les choses ont bien changé. Les drames se sont succédés, plus déstabilisant les uns que les autres. Ils nous ont séparé, nous ont divisé, nous ont détruit. Et peut être qu'aujourd'hui, vous n'arrivez plus à vous souvenir de celui ou celle que vous étiez avant tout ça. Et c'est ok. La vie est faite de changement, et vous aussi.

Je n'ai jamais pu visiter cette ville, à peine suis-je arrivée qu'elle partait en fumée. Est-ce votre cas ? Vous avez peut être appris à marcher dans les rues ensoleillés, les genoux écorchés et le regard insouciant ? Ou peut être l'avez vous rencontré au début de l'adolescence, un changement parmi tant d'autres, le bouleversement d'entre deux âges ? Ou alors, Arcadia Bay représentait être pour vous un nouveau départ, un commence, un chapitre inconnu ? Je suis curieuse.

Il y a quelque chose de très romantique dans le fait de se voir attribuer un surnom. Une manière d'effacer le passé, tout en reliant ses cendres à l'avenir. Une identité secrète, une renaissance peut être ? Comment le votre a-t-il été décidé ? Dites moi tout.

Si vous vous sentez seul, abandonné, délaissé, peiné, n'hésitez pas à m'écrire.
Je vous répondrai.


En espérant avoir rendu votre journée un peu meilleure,

Bonjour,

Votre lettre a été retrouvée sur les bords de la plage, au milieu des coquilles vides, abandonnées. Elles sont semblables à toutes les petites habitations aujourd’hui hélas délabrées. Attendez-vous que je remplisse un monde où rien ne semble plus exister ? Attendez-vous que je remplisse votre coquille de mots discrets ? D’étranges secrets ? Pour taire cet éternel été ?

Le romantisme est souvent envié par les cœurs, mais plus tard, il rejoindra les larmes, l’eau salé de la mer comme n’importe quel grain de sable qui s’est laissé emporté.

Les choses changent, toujours en constante évolution. Nous sommes aujourd’hui peut-être tous des amphibiens avec deux vies, nous avons subit les transformations. Nous avons une vie avant la tempête où nous vivions dans l’eau. Puis nous avons découvert cette dernière et nos poumons sont apparus pour nous permettre enfin de respirer, dans cette nouvelle réalité. Peut-on réellement être triste de ce qu’on était ? Ne sommes nous pas toujours la meilleure version de nous même, peu importe la période, le temps qu’il fait ?

Mon rapport à cette citée n’est qu’un double jeu. Je l’ai aimée, comme je l’ai détestée. Elle est un bourreau, comme elle a été une liberté. Peu importe ce que l’on voit, il suffit de changer d’orientation pour foutre le feu à sa raison. Arcadia est tout et rien à la fois. J’y suis depuis toujours. En l'ayant déjà quittée.

Et bien… Il se pourrait que j’ai un nouveau pseudonyme à porter. Quelque chose de folklorique, d’un peu décalé. De délicat et d’à la fois si loin, si froid. Quelque chose qui semble immortel et dans lequel on peut se noyer, quelque chose de brillant quand on regarde les reflets. Je suis maintenant la mer avec laquelle vous conversez. N’hésitez pas à noyer vos mots dans mes doux reflets, je suis prêt à déverser mes vagues sur l’ennui que la ville peut apporter.

Bonjour vous

J'étais si heureuse de recevoir une réponse à ma lettre ! Et quelle fut ma surprise en découvrant qu'en jetant une bouteille à la mer, c'est La Mer en personne qui m'a répondu ! D'où vous vient ce surnom ? Peut être êtes vous bon.ne naugeur.euse ? Ou est-ce ma lettre qui vous a inspiré pour un nouveau pseudonyme ?

La mer me rappelle des souvenirs. J'ai toujours aimé la contempler. En découvrant qu'Arcadia avait les pieds dans l'eau, j'ai eu peur de m'y attacher trop longtemps et de ne plus pouvoir la quitter. C'est un peu ce genre de relation que vous décrivez, je crois. Je peux aimer autant que détester les choses qui me séduisent et m'emprisonnent. Il faut croire que ni cette ville, ni moi n'avons eu le choix ici.

Je vous offre cette bague en gage de cette nouvelle amitié que je me tarde de lier avec vous. C'est un petit coquillage que j'ai trouvé le jour de l'envoie de ma première lettre. Si elle ne vous va pas, vous pourrez toujours l'accrocher à une chaine ?

J'aime créer des bijoux. C'est une façon pour moi de communiquer mes sentiments, en particulier quand ils sont difficiles à formuler. La barrière de la langue est souvent frustrante et j'ai parfois l'impression que les gens ne me comprennent pas. Créer des bijoux me rassure et me permets de donner un peu de moi aux autres, sans forcément me consumer. Avez-vous une activité qui vous fait vous sentir entière et en même temps connecté aux autres ? Quelque chose qui vous rend heureux.se et nostalgique à la fois ?

La tristesse est un sentiment souvent détesté, même diabolisé. C'est bien dommage car elle a accompagné tant d'artistes dans leurs chefs d'oeuvres. Sans elle, le bonheur n'aurait pas le même goût. Sans elle, nous ne pourrions pas être la meilleure version de nous même, finalement. Êtes vous triste aujourd'hui, La Mer ?

Au plaisir de vous écrire,
Prenez soin de vous.

PS : Désolé pour les paillettes ! Au moins, ça fera briller le papier

Bonjour, je suis de retour.

Votre plaisir est partagé.
J’aime me laisser dériver le long des récifs. Et rien n’est vraiment décisif. J’aime nager en eaux troubles, me laisser transformer par les mouvements de la houle. Je suis métamorphe, ou peut-être un peu savant.

Habibi est-il une caractéristique actuelle ? Un nom porté avant ? Comptez vous le garder comme un trophée où seriez vous prêt.e à le changer au gré du vent ?

La mer est un danger tout en étant une attraction surpeuplée. Elle est si visitée, elle attise les touriste mais conserve tellement de petits secrets. J’aime ces dualités, j’aime les choses irrégulières car elles sont plus proches de la beauté. Souvent on trouve de la beauté dans la symétrie, mais ce sont les petits détails, les défauts qui font toute l’excentricité, qui rendent unique chaque objet

Nous n’avons jamais le choix, du moins, on n’a jamais l’impression de l’avoir quand il s’impose.  Je me dis qu’il faut se laisser aller, mais les émotions surviennent brutalement pour tout noyer, à moins que ça soit une forme secrète d’impulsivité.

On a tous quelque chose qui nous fait vibrer, mais en même temps… Ce n’est jamais assez. La passion est rude, intense, mais ne dure jamais assez. La vie simplement me permet de vivre tout ça je crois.

Je ne suis pas triste, ni même joyeux. La palette d’émotions est tellement immense que parfois il est impossible de mettre une couleur à la fois, il faut en mélanger diverse pour arriver à trouver la bonne teinte. Il se peut même que la couleur recherchée soit impossible à trouver, les nuances sont tellement subtiles quand il s’agit d’émotions… Et vous, Habibi ? Comment vous sentez vous aujourd’hui ? Quelle est votre couleur ?

Chère La Mer,

حبيبي . Habibi. Chéri. C’est la personne aimé, c’est l’inconnu charmant, charmé, c’est l’amour au bout des cils, c’est la chaleur au bout des doigts, dans chacune de mes caresses. Je donne de l’amour, encore, encore, et encore, car mon cœur déborde et dégouline. Je ne sais faire que ça. Aimer.

Aujourd’hui, j’ai des papillons dans le ventre, de petits essaims imaginaires au creux de mes côtes, c’est à peine si je touche le sol du bout de mes orteils. Dîtes moi, La Mer, vous avez déjà été amoureuse ? C’est un sentiment que trop redoute, craigne, boude, regrette, déchire comme un vulgaire lettre trempée de larmes sèches. Mais je n’y peux rien, mon surnom ne vient pas de loin.

Je tombe amoureuse dix fois, cent fois, mille fois par jour, vous savez ? Je tombe amoureuse d’un regard, d’un mot, d’une présence, d’une pensée parfois. Il me suffit d’un rien, mon cœur est assez grand pour toutes les âmes qui s’y perdent. J’aime cette fille qui partage ma chambre. J’aime ces inconnu.e.s qui croisent ma route, par hasard. Même vous, je vous aime. Et même si tomber en amour signifie sauter d’un précipice, je me fiche que la chute soit interminable. Je veux simplement continuer à tomber.

Je me sens couleur pastel, couleur aquarelle, des pigments noyés dans des gouttes d’eau claire, elles s’étalent sur mes joues et mon corps, elles me consument autant qu’elles me réconfortent. Toutes les teintes, elles sont toutes si belles pour que je n’en choisisse qu’une. Les sentiments humains ne sont-ils pas qu’un hasardeux mélange de toutes ces nuances ?

Vous savez, je crois au Destin. Les choses n’arrivent jamais par hasard et il y a toujours du bon même dans le mauvais. La preuve, sans cette tempête, sans cette lettre, je ne vous aurais jamais rencontré. Oh, La Mer, vous me rendez curieuse. Parfois, j’imagine votre visage dans les ondulations des coquillages. J’imagine votre voix dans le bruit apaisant des vagues de fin d’été. J’imagine votre odeur dans le souvenirs de parfums éloignés. Oh, La Mer. Je me demande bien à quoi vous ressemblez.

La Mer, laissez moi tomber amoureuse de votre regard autant que votre plume, un jour, quand l’envie vous prendra.

Cher.e Habibi,

L’amour est un sentiment complexe que j’ai du mal à envisager, non pas que je ne le ressente jamais, mais il est dangereux d’aimer quand on est la mer. Les femmes ou les hommes qui veulent me dompter y gagnent un goût amer. Ils finissent par se noyer sous leurs larmes salées, ou sur leurs navires finissent attirés par la dangerosité d’une tempête, ou de rochers.

Il y a bien quelques personnes qui me courtisent, qui vogue dans mon sillage. Ils ne sont pas aussi nombreux que les coquillages que l’on peut trouver sur la plage… Aujourd’hui, je ne sais pas si j’aime, si je me consume de tels sentiments. Je n’aime pas coller de mots sur ce que je ressens vraiment, je préfère les ressentir profondément, ou jouer avec de faux-semblants.

Comment pouvez-vous partager une passion avec une personne que vous ne connaissez pas ? Je pourrais être n’importe qui, cachée à l’horizon… Là où on ne me voit pas.

Je me sens rouge corail. Dans quelques minutes, je changerai, lunatique, j’aurai une autre trouvaille. D’une certaine manière je suis d’accord, d’une autre j’aime bien me parer de plusieurs teintes et de les changer quand change la luminosité, quand mes émotions s’adaptent brutalement à la réalité. Je n’aime pas les étiquettes, elles flottent, déteintes sur le haut de ma tête.

Je crois au chaos. Le chaos annonce la renaissance, il est source de vie. Je ne cherche pas à mettre de l’ordre dans l’art, je me laisse aller, toujours vaguant et voguant au hasard. Je me pare toujours un peu plus d’aléatoire. J’aime penser, j’aime imaginer des codes, et peut-être votre réaction quand vous me trouverez… Si votre destinée vous le permet, quand j’aurai l’envie d’arrêter ce jeu qui ne m’ennuie. Je ne suis pas pressée de le terminer aujourd’hui…

Un jour, peut-être, je vous dirai que vous êtes ma sirène.
Vous continuerez à tomber du précipice, de là-haut,
Vous me charmerez de vos chants, de vos mots d'amour, afin que je me laisse dévorer par le sel de mes propres eaux ,
Pour l’instant, de la mer je reste mon propre souverain, ma propre reine.