Garance s’était éveillée avec la radio de son minivan, pestant avant même d’ouvrir les yeux contre quelques maudits pirates à l'humour douteux d’avoir trafiqué l’appareil pour la tirer trop tôt de son sommeil. Mais quand elle ouvrit les yeux et esquissa un geste pour éteindre le foutu engin, sa main s’immobilisa en l’air quand ses yeux encore plein de brume endormie se posèrent sur la silhouette assise au milieu du véhicule à moitié désossé. Peut-être que Garance ne s’était pas vraiment réveillée, tous comptes faits.
Elle aurait pu croire à son propre reflet, mais connaissait trop bien les infimes détails de sa figure pour ne pas se tromper ; un fin grain de beauté sous l’œil droit, des lèvres un peu plus pleines étirée en une moue boudeuse que Garance n’aurait jamais esquissé, et un visage plus doux que le sien n’avait jamais été. À ses yeux, Dahlia avait toujours été bien plus jolie qu’elle.
« Je t’ai connue plus matinale. »
La surprise laissa vite place à la résignation et Garance s’assit sur son lit improvisé pour faire face à sa jumelle qui semblait telle qu’elle était depuis la dernière fois que leurs regards s’étaient croisés. Peut-être s’était-elle convaincue d’être en plein rêve lucide, mais elle ne s’imagina qu’une seule seconde avoir affaire à une Dahlia de sang et de chaire ; elle accueillit néanmoins l’illusion à bras ouverts, à peine amère.
« Si un jour on m’avait dit que tu finirais par dormir dans une voiture comme une clocharde, bizarrement ça m’aurait pas surpris, fit-elle, toujours aussi acerbe. — Dahlia je t’emmerde, répondit Garance avec les mains dans ce langage si particulier qu’elles avaient inventé pour communiquer, rien que toutes les deux. »
Ne pas avoir besoin de papier ni de stylo pour s’exprimer avait quelque chose de reposant, même pour s’insulter comme elles l’avaient toujours fait.
« Où est-ce que tu es ? — Dans ta poubelle, de toute évidence. — Tu sais de quoi je parle. — …Je ne sais pas, Garance. »
Garance poussa un soupir ; interroger ses propres hallucinations n’avait pas de sens puisqu’elles ne pouvaient rien lui apprendre qu’elle ne savait pas déjà. Un silence entre elles, pendant quelques secondes rythmées par la musique –mais elles n’avaient pas l’impression de perdre du temps, le silence avait toujours fait partie de leurs échanges. Le regard posé sur sa sœur, Garance écouta d’une oreille distraite les paroles de la chanson et un ricanement narquois siffla entre ses dents.
« Too good to be true, mon cul. — Tu m’ôtes les mots de la bouche –sourire narquois de Dahlia qui semblait avoir trouvé là un excellent jeu de mot à user contre sa muette de sœur. — Rigole doucement où je te fais tomber de ton fauteuil. — Classique Garance, ça. »
Elle souffla un rire doux par le nez en se faisant la réalisation, stupide de simplicité, que tout ça lui manquait ; ces petites habitudes avec sa jumelle, cette façon qu’elles avaient de pouvoir se comprendre sans rien se dire, ces échanges hauts en couleurs qui se passaient de toute sensibilité parce qu’elles se savaient trop bien l’une et l’autre –tu ne peux pas me blesser même si tu me poignardes le cœur. La chanson devait bientôt toucher sa fin et Garance se leva alors. En deux pas, elle avala la distance qui la séparait de sa jumelle et glissa dans ses longs cheveux bruns une main à la fois tendre et sévère –un bon résumé de leur sororie– pour lui faire relever la tête vers elle. Elle déposa un baiser sur son front avant de se redresser un peu pour mieux lui faire face.
« Je vais te retrouver, Dahlia. Et je vais te casser la gueule pour m’avoir fait perdre mon temps. — C’est ça, répondit-elle avec un sourire narquois, en tapotant sa joue une fois, deux fois, comme on flatte le crâne d’un chien après un tour réussit. Avant la Saint-Glinglin de préférence, si c’est pas trop demandé. »
Garance n’eut pour réponse qu’un sourire à mi-chemin entre la moquerie et l’amour sincère –il n’y avait qu’avec sa jumelle qu’elle se sentait vraiment battre un cœur– et lorsque le silence se fit enfin dans l’habitacle, il suffit d’un battement de cil pour que Dahlia ne s’efface. Sa disparition soudaine, et pourtant attendue, laissa à Garance un goût amer sur le palais, et une détermination nouvelle au fond des yeux. Je vais te retrouver.
code - misha
until then ❥ (solo - 22.04)
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
