(end) raconte moi une histoire ϟ bambi (fb)

Cette fois-ci sera la bonne. Cette fois-ci, il pourra tenir entre ses mains un précieux ouvrage. Juste quelques pages. Des mots et des phrases pour qu’il s’envole plus loin. Au-delà de cette ville, au-delà de cette barrière invisible. Un semblant de normalité retrouvée. Il obtiendra ce petit quelque chose si précieux, il en est persuadé. Il le faut.

Ou alors… Ou alors, il devra trouver un autre moyen. Peut-être que quelqu’un chez les Pirates pourrait lui voler… Non non non. Il vient simplement de les rejoindre, c’est trop tôt pour demander un tel service. Et puis voler… voler c’est mal n’est-ce pas ? Mais qu’est-ce qui est bien ou mal dans ce monde qui a perdu tout sens de la réalité ? Que voilà d’interrogations auxquelles Ecstasy n’a aucune réponse. Il veut simplement acquérir un livre. Juste un seul. Peut-être deux… Mais un ce sera déjà bien.

Donc le voilà face à son destin. Face à cette librairie de fortune. Prêt à affronter le terrible gardien de cette bibliothèque improvisée : Bambi. Bambi qui n’a rien d’un faon terrorisé. La pauvre créature apeurée, ce serait plutôt lui, Ecstasy, qui tremblerait presque comme une feuille à l’idée d’essuyer un nouveau refus… Mais cette fois-ci, il ne vient pas les mains vides. Non, cette fois, il est un Pirate. Et un Pirate ne doit pas se laisser abattre pour si peu.

Et il pousse la porte brinquebalante pour enfin entrer et marcher vers son destin. Il avance timidement, un discret sourire de politesse sur les lèvres, le regard un peu fuyant. Il ne sait pas trop comment se comporter face au libraire. Non pas que celui-ci soit véritablement méchant mais il ne parvient pas à deviner ce que cachent ses mots mielleux couplés à ses refus catégoriques de lui rendre service. Alors il est bien obligé de se rabattre sur ce qu’il sait mieux faire : lancer un regard gêné, les yeux remplis de douceur, se pincer la lèvre, s’éclaircir doucement la gorge.

« Bonjour… »

Sa voix est frêle. Plus qu’il ne le voudrait. Ses joues rougissent un peu.

« Je… Je reviens pour le livre. N’importe lequel. Je pourrais payer cette fois… Enfin je crois. »

Se souvient-il au moins de lui ? Il l’ignore. Bambi ne doit pas être de ceux qui regardaient les futilités de sa famille. S’abaisser à ça, cela ne ressemble pas à l’intellectuel qui transparaît lorsque l’on observe la prestance de cet homme. Alors a-t-il au moins retenu son visage des dernières fois où il est passé ici…

« Les Pirates ont des choses à offrir. »

Et voilà qui est dit. Comme un cheveu sur la soupe. Comme énoncé quelque chose qui lui est dû alors qu’il n’en est rien. Ecstasy est loin d’être un Pirate, il est simplement sur une chaise éjectable, en période d’essai, une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Mais ne peut-il pas au moins donner le change simplement pour quelques instants ?

Pas un bonjour, pas un sourire pour l’accueillir. Il regrette presque déjà d’être rentré dans la librairie. Mais c’est si important. Il en a besoin. Juste pour s’évader un peu. Ca vaut bien d’affronter quelques difficultés…à croire qu’il n’y en a pas déjà suffisamment à cause de cette tempête qui a tout ravagé. Mais ce n’est pas comme si l’Homme était connu pour sa solidarité à toute épreuve. Bien au contraire. En attestentt ces factions créées aux divergences les plus opposées. Et les Pirates sont certainement de ceux qui en jouent le plus. Appuyer sur les différences, les attiser et semer la zizanie pour le bon plaisir d’une minorité. Pas étonnant que Bambi soit si dubitatif devant la nouvelle de son adhésion à un tel groupe.

Et finalement le voilà le sourire, le pire de tous. Celui qui juge, qui se moque. Et qui plante au pilori Ecstasy, incapable de savoir quoi répliquer.

Il baisse les yeux honteux. Réfléchit un instant. Fronce les sourcils parce qu’il ne veut pas abandonner si facilement. Et relève le visage vers celui qui ne lui facilite pas la tâche.

« Je sais pas trop… De l’alcool, des cigarettes, de… » de la drogue, mais ça, il préfère finalement ne pas s’y attarder parce qu’il craint un jugement encore plus dur « Dis-moi ton prix, et je suis sûr que je pourrais le payer. »

Oui voilà. Bien plus simple comme ça. Même si c’est prendre le risque de voir Bambi lui imposer l’inatteignable. Mais après tout, le libraire est comme tout le monde… il est dans le besoin. Ici, plus personne ne vit dans l’opulence. A un moment ou un autre, il faut bien se tourner vers quelqu’un pour obtenir un bien précieux, n’importe lequel, Ecstasy est prêt à y mettre les bouchées doubles.

« Et si tu n’as besoin de rien… disons que le jour où ça change, je te serais redevable. Les Pirates auront toujours quelque chose à offrir. »

Mais sa parole n’a peut-être pas autant de valeur...

Il s’avance alors encore un peu. Sa main se pose doucement sur le comptoir, se crispe. C’est sa dernière chance, il le sent bien. Et ses yeux se fixent dans ceux de Bambi, parce qu’il espère sincèrement pouvoir le convaincre, lui faire comprendre qu’il est prêt à tout.

« Un seul livre, un seul. S’il te plaît. »

Pour lequel il est prêt à verser une fortune. De toute façon, a-t-il un jour connu la valeur d’un livre ? Jamais… Comment cela pourrait-il être autrement lui à qui tout s’offrait sans qu’il ne se pose de questions ?

Ecstasy a cette terrible impression de n’être qu’une petite souris. Une petite souris entre les pattes d’un chat. Un chat qui joue, qui s’amuse, qui fait durer l’attente d’une mort certaine. Lente agonie vers un destin funeste. Sa gorge est serrée, il déglutit difficilement. Et tout ça pour quoi ? Pour un livre… Un foutu livre. Et il aimerait crier. Exprimer sa rage d’une telle injustice. Demander des comptes à ce libraire à qui il n’a rien fait. Parce qu’il ne lui a rien fait n’est-ce pas ?

Mais il se contente de serrer les poings. Parce qu’il n’a jamais su se rebeller. Condamné à courber l’échine depuis toujours, à emprunter le chemin qu’on lui trace. C’est juste un peu plus flou désormais et la lumière qui le guidait est plus faible. Mais son existence est toujours vouée à se plier aux exigences des autres.

« T-tous les livres que je veux ? »

Il veut l’entendre répéter. Etre sûr que ce ne sont pas des paroles en l’air. Car il connait bien cela Ecstasy, les mots qu’on prononce et dont on ne se rend pas compte de leur valeur. Alors il a besoin de s’assurer que cette fois-ci, il touche au but, et mieux encore. Avoir un accès illimitée à la librairie de Bambi serait un petit miracle, il veut y croire dur comme fer.

« Je… hum… »

Il hésite. Parce qu’il doute sur ce qu’il doit dire. Lui en voudrait-on de prendre ainsi les devants alors qu’il vient seulement d’arriver chez les Pirates ? Mais justement… n’est-ce pas là un véritable comportement de Pirate ?!

« J’ai accès à quelque chose de…nouveau. »

Il laisse sa phrase un suspens, juge la réaction de Bambi alors qu’il lève timidement les yeux vers lui. Il se pince les lèvres, regarde un instant ailleurs.

« Un truc que seuls les plus aisés pourront s’offrir. Un… une drogue. Mais rien de dangereux ! Mais quelque chose qui… qui redonne espoir. Pour ça qu’on l’appelle Hope. »

Il doute un peu de son argumentation. Ca semble faible. Creux. En quoi Bambi pourrait-il être intéressé par une telle drogue ? Pour la revendre peut-être ? Mais ça vaut le coup d’essayer… Ecstasy est l’un des rares à bénéficier d’un tel accès, sa qualité de chimiste a finalement des avantages et il sait aussi que c’est dans ce but précis que Bones l’a approché : écouler Hope à travers Arcadia Bay. User de son image pour se faire. Mais son image face à Bambi, elle lui paraît bien inutile et il ne peut se contenter que de quelques paroles pour le faire céder.

« Ca t’intéresse… ? »

Elle est là la lueur d’espoir. Enfin. Ces petits signes qui montrent à Ecstasy qu’il touche à son but. Qu’il peut presque effleurer du bout des doigts ce qu'il est venu chercher. Ca la regonfle de fierté et de confiance. Ca y est, il n’est plus sans intérêt. Le voilà son ticket doré, celui qui lui ouvrira toutes les portes. Le voilà l’avantage d’être un Pirate. Et tant pis si on a un peu l’impression de ne pas être dans le bon camp, car ici-bas, il ne sert plus à rien d’être doté de bonté, c’est la loi du plus fort… Et Bones lui a justement fait don d’un peu de cette puissance.

Alors il se redresse, reprend de l’espace. S’approprie un peu plus la position qui est la sienne. Il se laisse à croire qu’il peut enfin exister aux yeux de Bambi. Et un sourire discret et soulagé s’est glissé au coin des lèvres. Rien qui crie à la victoire, mais seulement de quoi montrer qu’il se sent reprendre pied. Avant que cela ne se transforme en un véritable éclat de joie sur son visage. Il a réussi.

« Un livre. Ca me va. N’importe lequel ? »

Il trépigne d’impatience, ne sait même pas ce qu’il va choisir. Il pourrait très bien attraper un livre en chinois, qu’un volumineux dictionnaire. Tant qu’il peut faire tourner les pages.

« Je te promets qu’on prend toutes les précautions… On ne veut pas faire du mal aux gens, au contraire. On sait déjà à quel point c’est difficile ici, alors c’est juste pour… pour donner la force de continuer. »

C’est en tout cas ce qu’il doit vendre Ecstasy. Mais parfois (souvent même), il est parcouru de doutes. Parce qu’il sait qu’une drogue joue toujours un double-jeu, il le sait mieux que quiconque. Alors pourquoi ? Pourquoi s’obstiner ? Pourquoi avoir pris ce chemin dangereux ? Pour se sentir vivant. Pour Bones aussi. Et puis… Et puis il ne sait plus. Il sait juste qu’il est là maintenant et qu’il n’y a plus de retour en arrière possible. Et désormais que des portes s’entre-ouvrent grâce à ça, il veut simplement s’y engouffrer.

« Je reviendrais rapidement, promis. Pour te tenir au courant, pour te dire quand ce sera bon… Ou si tu veux pas que je vienne ici, tu peux… tu peux venir à la décharge pour me demander directement. C’est comme tu veux. »

La victoire est là. A portée de main. Plus que quelques secondes avant que ses doigts ne puissent effleurer la couverture d’un livre, fassent tourner délicatement les pages, qu’il en inspire chaque odeur et qu’il fasse les contours de chaque mot. Ecstasy va pouvoir obtenir ce qu’il a tenté vainement d’acquérir depuis des semaines. Il a réussi à convaincre Bambi de son utilité. Et il lui sauterait bien au cou pour le remercier, pour avoir enfin cédé.

Mais il ne voit rien de la tempête qui gronde, de la colère qu’il a provoqué. Comment aurait-il pu deviner qu’il ferait ainsi bouillir la rage dans les veines du libraire ? Si on ne lui explique pas…comment peut-il comprendre ?

Il sursaute alors, effrayé par la violence de cette main qui vient de tout briser en claquant ainsi sur le comptoir. Son visage se décompose d’incompréhension et de crainte. Son regard se perd dans les traits durs de Bambi. Il se sent à nouveau fébrile. Qu’a-t-il dit ? Qu’a-t-il fait ? Et l’injustice s’abat encore sur lui. C’en est trop. Ses poings se serrent. Et il retient tant bien que mal les larmes qui lui piquent le bord des yeux. Et il se fait alors une étrange promesse… de ne jamais tendre la main à cet homme qui le maltraite sans raison. Il se promet d’être un Pirate, un vrai, celui sans état d’âme.

Mais avant cela, il doit fuir. S’échapper d’ici. Car avant d’être celui qu’il aimerait devenir, il est avant tout ce garçon effrayé par la colère froide du libraire. Et il fait un premier pas en arrière peu assuré, avant de se retourner, inquiet de voir ses jambes se défiler sous lui. Mais elles le portent tout de même. Tremblantes certes, mais elles le guident jusqu’à la sortie, d’un pas pressé et affolé. Et son regard dévie un instant sur la petite étagère proche de la sortie. Là où trônent fièrement quelques bouquins. Et sans réfléchir, d’un geste aussi assuré qu’il l’espère l’être, ses mains se tendent et se serrent sur deux d’entre eux qu’il prend soin de coller tout aussi rapidement sur sa poitrine. Et il se précipite dehors. Apeuré par la folie d’un tel geste.

Il avait dit un, il en aura pris deux pour la peine. Voilà ce qu’il se dit alors qu’il coure dans la rue. Tant pis pour lui, tant pis pour ce satané Bambi. Ecstasy ne lui a pourtant jamais rien fait, toujours poli, toujours respectueux, tentant vainement de trouver le meilleur compromis. Et il court, court, à s’en perdre haleine, voulant s’éloignant à tout prix du Diable. Tout en se demandant sincèrement s’il n’a pas commis l’irréparable…