(nc-16) ❝ bottoms up. (bambi)

Il observe du coin de l’œil les négociations qui se déroulent sur l'une des rares tables encore debout des nébuleuses – les types, contrairement à tous les enseignements stéréotypés des œuvres de fiction, n'ont rien de louche dans leurs apparats. Ils sont monsieur et malade tout le monde, pas plus décharnés que lui, pas plus nerveux – il a fini par s'y faire, à l'idée que les criminels des temps modernes se fondent dans la masse ; et ça lui rappelle un peu paris, et melvin (son dealer de l'époque),
plutôt propre sur lui, au début, gosse de bonne famille qui avait étudié dans le privé et baigné dans l'aisance toute sa vie, c'est quand il avait touché à sa propre came que ç'avait mal tourné et qu'il n'avait plus ressemblé à rien d'autre qu'un cadavre ambulant qu'on avait mis à la porte de son héritage – et on était presque saisi de pitié à vouloir lui tirer une balle entre les deux yeux pour mettre un terme à ses souffrances.
Mais il s'était buté tout seul, dans l'ombre d'une soirée qu'on n'avait pas voulu interrompre – la dose de trop et personne n'avait bronché.
le temps que quelqu'un d'un peu plus sensé réagisse, c'était déjà terminé ; la soirée s'était arrêtée là, grise et qui puait la mort.

on s'agite, on se lève, on se serre la main puis on s'éclipse – le pirate adresse un signe de tête à diesel, et diesel opine en réponse avant que la porte de se referme dans son dos.

deux secondes, il souffle à Bambi au comptoir, en s'empressant d'aller fermer la porte pour de bon ce soir – l'heure déjà passée depuis une vingtaine de minutes, mais il a eu sa méthadone aujourd'hui, alors il pouvait bien les laisser traîner.
la moindre des choses, quand on décide de marchander dans les marchés sales.

il revient, contourne le comptoir et pose à coté de son compère la bouteille entamée du jour – vodka corsée et la moitié reste encore à vider.

alors, maintenant que nous ne sommes plus que toi et moi, je te propose de rendre ce tête à tête d'autant plus... intense, si tu permets.

Il remplace les verres par les shooters et en remplit quatre dans la foulée – deux pour chaque – et s'installe sur le tabouret un rien bancal à côté d'Eli.

J'te propose de célébrer la nuit à venir... parce qu'elle sera courte, très courte, et c'est une promesse.

Trinquer,
bottoms up
et la brûlure qui s'écoule dans la gorge,

Diesel connaît –
un peu trop bien, et ça
et ça, ça n'a toujours pas changé.

le rire est clair et franc – c'est qu'on commence par les grandes armes, c'est l'habitude gagnée qui n'est pas très louable
c'est que l'éthanol ça fait longtemps qu'il en faut trop pour m'anesthésier c'est que de m'en être trop amouraché de l'ivresse elle m'a fui
alors on a instauré de nouveaux rituels – s'enfiler quelques shooters avant de redescendre en cadence ça en fait partie c'est pour espérer se mettre bien avant que gagne l'ennui
(même si pour ça c'est sur toi qu'il faut compter bambi)

et tu demandes tu veux ma mort
et si ce soir c'était pas toi si j'étais un peu plus gris je t'aurais répondu
je t'aurais dit sans faiblir non la mienne mais pas ce soir pas ce soir
(ce soir ça va ce soir t'es là)

le rire, encore, on s'agite sur son siège un peu bancal pour y trouver un semblant de confort et on oublie qu'avant c'était mieux qu'avant ici c'était plus beau
(ce soir ça va ce soir t'es là
on se le répète à l'intérieur comme une litanie
ce soir ça va ce soir t'es là
histoire qu'on finisse par croire qu'à deux le monde se suffit)

panem circenses... t'étais pas si loin, mais j't'avoue ce soir je préfère ta version, vinum circenses ça m'paraît bien.

et même si mon cœur français balance
mon âme empoisonnée, elle, a très vite choisi ce qui comptait
(les vignes plutôt que la farine et faut bien l'avouer)

j'dois bien avoir un jeu de cartes ou deux-trois dés qui traînent par là, je souffle en m'inclinant d'un rien vers toi – c'est comme une provocation, une incitation à un peu plus
(ce n'est pas tout à fait à ces jeux-là que tu pensais, pas vrai ?)

et puis on se redresse – on souffle le chaud puis le froid, on reprend le fil des idées claires et on sourit un peu badin comme l'air de rien
(on s'enfile le deuxième shooter après un sourcil qui se hausse pour inviter à l'imitation)

ça marche bien, la librairie ?

on reprend sur les banalités pour faire genre poudre aux yeux poudre au cœur et on verra bien, la voix se pose mais les regards s'appuient
comme entendus ils en disent trop long pour que ce soit innocent
(si tu veux jouer lance les dés)

à toi de viser mon eli, à toi de tirer mon bambi

(et que le sort en soit jeté)

je repousse les shooters vides, les rassemble sur le bord du comptoir comme en rempart à la bouteille dont il reste encore tant à s'enivrer – mais plus tard, plus tard ça va,
parce que bambi t'es là et t'es solaire, t'es assez – t'es bien assez pour que je ne pense pas tout de suite à me mettre la tête à l'envers, avec toi eli j'aime bien les idées claires (mais pas trop, pas trop, j'aime bien le trouble de l'ivresse qui rappelle un peu le flou des rêves
ça rend nos scènes un peu irréelles, encore un peu plus douces,
j'aime bien, mais ça va
ça va, avec toi ça attendra).

Sérieux ? sourcil haussé comme un second point d'interrogation. On tuerait des après-midis entiers rien qu'avec deux dés et un morceau de papier.

le paquet de cartes abîmé retrouvé, et les rôles s'inversent – je te regarde prendre ma place et je croise les bras sur le comptoir, menton reposé sur le poignet, je t'observe mélanger et étirer le jeu sur le marbre rayé.
c'est marrant, j'admet – je me prête au jeu bambi, si c'est tout ce qu'il faut pour t'arracher encore des sourires
tes sourires comme un rempart aux sortilèges des désastres
pourvu qu'ils ne s'effacent pas.

Ouais. Dans une fête foraine quand j'étais ado, pour s'filer des frissons avec des potes. Mais j'te rassure Eli on s'y croirait presque.

On laisse couler les doigt, frôler les cartes comme si l'on suivait vraiment son intuition – comme si l'on croyait vraiment à toutes ces conneries, comme si on attendait un signe ou que les cartes nous parlent.

Ok, je pose une question pour t'aiguiller : qu'est-ce qui nous attend cette nuit ?

Le ton on l'a baissé – le rictus on l'a étiré. Le regard d'eli accroché et le silence équivoque, et puis je pose de nouveau les yeux sur les cartes et en retire trois au hasard (le centre et chaque extrémité).

Quatre de trèfle, un de pique, roi de cœur.

Vends-moi du rêve, Bambirma. je suis toute ouïe pour t'entendre conter notre fortune.

tout pourvu que ce soit moins gris que la réalité – fais-moi voir des mirages colorés, rappelle-moi les soirées d'été qu'on prolongeait, les fermetures qui nous faisaient traîner,
fais-moi miroiter des avenirs qui ressemblent à nos passés,
des pages blanches plus belles que celles qu'on a déjà encrées.

le menton toujours posé sur mes bras j'écoute, le sourire aux lèvres, tes divagations, tes prophéties, qui sait, on n'est pas à l'abri. mes yeux glissent – sur les cartes, comme pour les déchiffrer, puis sur tes mains, remontent le long de tes bras jusqu'à ton visage. tes traits familiers, empreints d'une tendresse, d'une bienveillance dont on croirait manquer dans ce monde en ruines – paisible, même au milieu des ravages.

j'aime bien quand tu fais semblant, eli,
j'aime bien quand tu refais le monde avec moi, bambi,
j'aime bien quand on s'enivre et qu'on oublie, j'aime bien comme avec toi c'est plus facile à chaque fois,
d'être romeo plutôt que diesel, comme c'est facile d'oublier les ruines, comme c'est facile de croire que les étoiles au plafond sont toujours intactes tant qu'on n'a pas l'audace de lever les yeux

y'a peut-être encore du bon dans cette vie, je songe tandis que tu marques une hésitation et que mon sourire s'étire – rictus vaguement espiègle, comme l'impression de saisir ce qui te fait douter.
au bord de tes lèvres l'audace des mots prononcés mais tu manques de courage quand tes yeux s'esquivent, eli, et je sais pas si tu réalises ce que ça provoque, je ne sais pas si tu réalises que tes points d'interrogation c'est dans ma tête qu'ils s'alignent maintenant
comme pour me moquer, comme pour me dire
t'oseras jamais.

soupir fébrile, presque inaudible et je me redresse,
il sait exactement ce qui l'attend,

je me penche au dessus du comptoir, perché sur les barres de fer entre les pieds bancals du tabouret, mes doigts glissent sur ta joue,
je m'incline et mes lèvres se posent
juste
au bord
des tiennes.

et donc ? je murmure, la voix ténue, mes doigts qui coulent jusque dans ton cou, s'emmêlent distraitement à l'une des mèches de tes cheveux, l'air de rien. qu'est-ce qui nous attend, si l'on n'écoute pas les cartes ?

mon souffle contre tes lèvres, la distance ridicule, le rire étouffé,
vaine mascarade un peu risible, tout à la fois une invitation qu'on n'impose pas tout à fait,

il s'agit surtout de n'être jamais celui qui cède le premier.

le rire, ténu, s'étouffe contre tes lèvres – sourire contre sourire, je demeure immobile, frémis de tes doigts cendrés (je réaliserai, plus tard, plus tard, quand mes idées marcheront de nouveau droit) qui courent sur ma peau, m'humecte les lèvres et déglutis, les yeux clos et je ne les rouvre que lorsque tu t'écartes.
il y a dans tes yeux des ivresses que je déchiffre sans peine, des idées qui s'emmêlent et les miennes qui s'alignent – viens,
viens on fait semblant,
viens qu'on se mente
encore un peu.

il serait insensé, alors... – souffle alcoolisé. d'oser offenser les étoiles...

je m'écarte tout à fait, quitte l'équilibre précaire du tabouret pour contourner le comptoir, reprendre ma place, reprendre mes droits,
mais je te frôle à peine, ramène vers nous les verres que je remplis une dernière fois – mon corps entre le tien et le plan de travail, on s'effleure mais sans tout à fait se toucher.

au courroux des astres.

à nos désastres.

brûlure familière, tintement des verres sur le comptoir,
comme en écho les heurts de mes bracelets quand mes mains s'accrochent au tissu de tes vêtements pour t'attirer plus près,
bassin contre bassin souffle contre souffle
baiser échoué au creux de tes lèvres et mes dents pour y laisser leur trace quand je m'éloigne, morsures légères qui courent sur la peau fine de ta gorge, mes mains déjà sous ton haut et qui remontent en caresses pressées cherchent les frissons les soupirs les extases traîtres
te faire trembler tu sais bambi je connais par cœur les élans pour s'oublier les fracas des peau contre peau ton goût je l'apprendrai bientôt les esquisses de tes doigts leurs chemins mille fois tracés
le murmure qui meurt sur tes lèvres le premier de tous les autres j'ai toute la nuit pour que tu m'inspires eli.

j'ai un semblant de matelas en état, dans la réserve...

les pas qui s'emmêlent et ton dos contre le mur mon corps mes mains partout contre le tien goûter à ta langue l'arrière-goût d'une vodka tiédie par les inspirations déjà fiévreuses.

ou on peut rester là...

les récits seront les mêmes, la mécanique pas si différente – qu'on s'emmène loin et qu'on s'y perde entre deux vertiges.

quoiqu'il en soit... – l'empreinte à peine laissée sur la clavicule, morsure d'amour pour imprimer cette nuit tu m'appartiens. tu fais bien de moi ce que tu veux...

tant qu'on s'y oublie un peu.

Seconde de stupeur, le rire est un murmure qui s'égare contre la peau, la réponse une morsure à peine pressante contre la clavicule – les yeux mi-clos les mains en frôler et des frissons dans tous les os.

Ça s'appelle une mutinerie, ça, Eli...

Encore faudrait-il savoir Bambi – qui est roi et qui est fou, qui tremble debout et qui règne à genoux ; et tu sais Bambi tu sais propose et je dispose bouche contre bouche les idées s'éparpillent et l'empressement doucement se suspend,
le souffle s'apaise mais les idées défilent, les mains moins affolées prennent le temps sous les tissus d'écrire du bout des doigts des récits savoureux de dessiner des cartes des rivages lointains – interrogent les contrées sur lesquelles on pourrait bien s'échouer,
toi, moi, et le reste en sourdine, le monde rendu muet, quelques heures, une soirée, ou toute la nuit si ça te plaît
(si tu veux bien rester).

La seconde fébrile dissipée je laisse glisser la chemise aux boutons décrochés, l'abandonne à la poussière du plancher dévoile les encrages entremêlés de mes bras sans laisser le temps de s'y attarder – pour ne pas deviner les rebords déchiquetés les plaies marquées les reliefs des haines qu'on s'inflige à soi-même depuis la dernière décennie,
ce soir ça compte pas Bambi,
ce soir y'a que toi, si tu veux bien, si ça te suffit
(que moi je ne sois là qu'à moitié).

Je m'écarte – d'un rien d'un souffle pour inspirer et dégager ces tissus qui dérangent ces étoffes qui emprisonnent, et puis mes lèvres sur tes épaules nues mes ongles sans s'accrocher sur ta peau un autre murmure qui s'égare quand ce sont les yeux qui se perdent et dévorent.

T'es magnifique...

Les lèvres qui s'échouent encore le baiser pour te faire taire ne dis rien, ne dis rien je t'en prie, les silences ça me va, j'ai pas envie d'entendre
des choses auxquelles je ne croirai pas.

Les doigts sur ta ceinture les boutons cèdent et je m'amuse à peine avec l'élastique des dernières barrières comme une provocation mais je m'écarte cherche tes yeux me fend d'un rire – et c'est plus simple avec toi Eli,
de rendre les choses douces et un peu moins brûlantes,
c'est plus facile avec toi Eli,
va savoir pourquoi.

Désolé de te décevoir... on va être obligés de bouger, j'ai ce qu'il faut mais que dans la pièce d'à-côté...

L'étreinte retient les baisers invitent on pourrait s'oublier et se dire qu'on s'en fout,
mais je m'écarte entremêle les doigts pour emprisonner les caresses qui s'éparpillent.

Tu tiens encore debout ?

Le rire léger la provocation audible – une promesse filigranée,
plus pour longtemps.

Garder mes mains pour moi mais quelle idée, Eli, quelle cruauté – comme si j'en étais capable (tout à fait me soustraire à ta peau, tout à fait me soustraite à ta bouche). Je ne résiste pas à tes sourires qui appellent aux tendresses volées et mes mains te retiennent un peu – pour une caresse audacieuse ou un baiser fébrile, rendre le trajet un peu compliqué. On s'en moque des détours, on s'en moque de traîner – j'aime bien l'adage qui dit que la destination importe moins que de voyager alors les escales on peut bien les faire durer ; des rires en guise de correspondances des pauses en soupirs égarés. Trébucher un pas sur deux, heurter les meubles qui tiennent debout (mais par quel miracle) et ne te libérer que lorsqu'il le faut – presque à contre-cœur laisser tes doigts filer puis toi tout entier et moi électron libre à la mémoire qui défaille une seconde (c'était pour quoi, tout ça, déjà ?).

À tâtons dans un sac en toile sur une étagère brinquebalante – tout ce qu'il reste de la vie d'avant, des débris accumulés mais loin des ruines de chez moi (j'y suis toujours pas retourné), c'est des fringues pas trop saccagées, des paquets de clopes froissés, des boîtes de cachetons à moitié vides (faudrait que je fasse un crochet à l'hosto), des grigris inutiles mais qu'on accumule pour s'illusionner d'un semblant de banalité comme si le quotidien n'était pas bousculé. Petite boîte de carton pas trop abîmée, l'aluminium proteste d'un rien entre mes doigts et je me fends d'un ricanement ténu – coup d’œil par dessus l'épaule tandis que je range tout ce que j'ai malmené.

Fais comme chez toi, de rien, avec plaisir...

Saint Graal en projectile qui manque de peu sa cible – le sachet heurte à peine ton épaule pour s'échouer sur le matelas tandis que le romps la distance les genoux sur les draps puis les mains autour de toi,
le piège se referme et
je songe comme tout ça pourrait durer des heures
(et comme les heures seraient tendres)
t'es le genre d'agneau dont les lions s'éprennent
et si tu es la proie mes crocs ne se referment qu'au bord de ta lèvre
(bambi tes prunelles appellent aux délices
et ta bouche aux péchés)

Jaloux, hm ?... Je suis... presque sûr... d'être au moins à la hauteur de mon concurrent...

À chaque interruption un baiser qui s'égare sur ta peau, sur ton corps et puis le silence et les morsures légères qui ne s'attardent jamais assez pour marquer – je cherche les soupirs et les frissons, mes mains qui suivent toutes les esquisses pour n'en oublier aucun des détails (je voudrais savoir tout redessiner de mémoire quand tu t'en iras à l'aube) et puis qui s'éparpillent en frôlers plus audacieux sous les tissus qui dérangent
mes souffles perdus au creux des tiens.

J'aime bien l'idée de te faire languir longtemps... T'en dis quoi, toi, dis-moi ?

Je pourrais attendre que tu n'en puisses plus – que tu me supplies ; je suis joueur tu sais Eli
(et ça pourrait durer toute la nuit).