Il est de ces personnes que Madelyn a espéré ne jamais revoir. Il est de ces visages familiers et inconnus qui dévoilent la quantité nécessaire de vie privée pour capter l’attention. Elle l’a vu sur tous les écrans que son regard a croisés – tous. La téléréalité détient cette étrange capacité de créer un lien factice entre téléspectateurs voyeuristes et célébrités disséquées, tout en maintenant l’écart. C’est du spectacle : le faste est interdit, sauf à ceux qui vivent dans ce cocon télégénique. Caleb Alderson est de ceux-là.
Madelyn déteste la téléréalité.
Elle la déteste au point de regarder toutes les émissions, de se renseigner via la presse à scandales, de suivre les comptes officiels sur Twitter et Instagram. Elle s’est déjà retrouvée assise en tailleur sur le canapé ramolli des Stuart, un bol de céréales à la main, fixant d’un regard torve la vie luxueuse des Alderson. Elle cherche. Elle fouine, jusqu’à trouver le détail qui fait mal. Trouver ce qui pourrait ouvrir une plaie sous le derme nourri au skincare matinal, puis y enfoncer les doigts et tourner, tourner, tourner. C’est dégoûtant et fascinant.
Pourquoi ?
Pour rire, dirait-elle.
Parce que c’est drôle d’imaginer la bouille de minet parfait de Caleb Alderson se déconfire face à la brutalité du monde extérieur. Parce qu’il faut bien lui rappeler qu’il n’a eu aucun mérite à se retrouver là – et pour Madelyn, le mérite, c’est sacré. Une petite leçon de temps en temps, pour qu’il reste ancré. Et si la plaie suppure trop, sa jolie famille a les moyens de le recoudre.
C’est, du moins, ce qu’elle s’est longtemps dit pour évacuer l’amertume au fond de sa gorge.
Non, elle n’aurait jamais espéré le revoir. Surtout pas en vrai. Surtout pas à Arcadia Bay. Surtout pas dans cet état-là, affaibli, parsemé d’ecchymoses – mais elle se dit qu’une peau aussi protégée doit bleuir à la moindre pichenette. Et, par-dessus tout, dans le camp adverse, celui des Pirates – erreur d’aiguillage, sans doute.
Et pourtant…
Et pourtant.
Il ne fait rien. Pas un geste. Pas une incartade, les rares fois où ils se sont croisés. L’un et l’autre s’évitent avec soin, et Focus ne saurait dire si c’est à cause de leur rivalité, ou si… S’il l’a reconnue. Si c’est un stratagème. Elle n’a jamais affronté les conséquences de sa méchanceté, avant la tempête. Ici, il n’y a plus d’écran qui les sépare : celui qui se fait appeler Ecstasy pourrait même organiser une expédition punitive pour la confronter. Mais non. Rien.
C’est inimaginable. Elle aurait déchaîné toute sa haine, à sa place. Elle aurait laissé sa rancœur libre d’exploser. C’est sans doute un peu stupide, mais elle n’a pas envie de laisser couler. Cette distance lui est devenue trop gênante.
Alors la voilà, dansant d’un pied sur l’autre, sur le pas de la porte de ce diner figé dans le temps. Elle a déjà capturé plusieurs fois ses murs striés de mots insensés. Ça n’a pas vraiment servi. Caleb – Ecstasy – est déjà là. Focus soupire : c’est, peut-être, un premier pas vers… vers quoi ? Loin de ce qu’elle ne veut plus être, en tout cas. Nonchalante, elle avance mine de rien sur le carrelage usé et se jette sur la banquette en face du jeune homme.
« Saaalut. », fait-elle juste avant l’atterrissage, de son habituelle voix traînante.
Elle lui offre son plus beau sourire forcé, babines carmin retroussées sur les dents alignées. Cette rencontre va être bizarre. Cela dit, tout l’est depuis la tempête.
« Ta tête me dit quelque chose. Caleb Alderson, c’est toi, non ? De ‘The crazy life of the Alderson’s’ ? »Le titre doit lui paraître bien mensonger, désormais. Elle ajoute :
« J’suis pas une groupie, hein. Ça m’étonne de voir quelqu’un comme toi dans un trou pareil. »Rectification : cette rencontre va être
vraiment bizarre.
- Résumé:
- Focus a repéré Ecstasy aka Caleb aka la célébrité qu'elle a cyberharcelé pendant un moment. Oopsie.
- Elle se demande s'il l'a reconnue et pourquoi il ne fait rien pour se venger.
- Elle décide d'aller le confronter au Two Whales Diner de façon awkward. Advienne que pourra.