elles sont bien tristes, ces ruines qui s'élèvent en squelettes grisâtres sur le ciel non plus coloré. ni les petits morceaux de nuages qui s'y accrochent, ni les rares rayons de soleil qui les éclairent ne parviennent à faire disparaître tout à fait ce sentiment qui envahit pockets lorsqu'il pose le regard dessus.
solitude.
lui et elles ont quelque chose en commun, c'est que la tempête les a détruit, et désormais les voilà abandonnés de tous. mais il faut dire qu'evan, dans son cas, l'a un peu cherché : contrairement à ces immeubles en ruines, personne ne l'oblige à rester seul.
des débris jonchent de part et d'autre l'asphalte de la rue déserte, et nul doute que dans les bâtiments, l'effondrement est pire encore. d'ordinaire, jamais pockets ne se risquerait à y mettre les pieds (il tient bien trop à sa vie pour cela). il faudrait qu'il soit, oh, au moins désespéré ; pour oser s'aventurer dans l'un de ces hlm délabrés.
et il l'est. à court de médicaments depuis des jours, et l'hôpital qui les rationne, il paraît qu'il y a d'autres patients qui en ont besoin (il ne le conçoit pas, ça, evan, qu'on puisse être dans un pire état que le sien, et à vrai dire il s'en fiche) alors il change de tactique. peut-être que dans un de ces vestiges de la vie d'avant, il trouvera ce qu'il cherchait. c'est ce qu'il s'est dit, et ça semblait une bonne idée, sur le moment.
(spoiler alert: c'était une très mauvaise idée)
ce n'est même pas que quelque chose lui est tombé sur la tête—dieu merci ! il n'y aurait sans doute pas survécu—non, c'est bien plus simple et bête. premier immeuble où il a mis les pieds, un faux pas en voulant sauter par-dessus le vide là où l'escalier s'était effondré, et
(zip) ses baskets ont dérapé il a dégringolé (bim bam boum) le long des marches l'espace d'un instant son univers s'est retrouvé sens dessus dessous jusqu'en bas retour à zéro—avec des bleus, en prime.
il grogne comme il sait bien le faire, lâchant un "putaaain" qui tient plus du geignement que du juron, se redresse à demi, sur les fesses, et constate que le contenu de ses poches s'est déversé sur le sol. bilan des dégâts : il sent une bosse apparaître lorsqu’il pose une main sur son front, il s'est égratigné le coude et surtout sa cheville gauche le lance méchamment. tordue, pockets suppose, et il ramasse ses affaires, lampe torche ici, paquet de chewing-gums par là, avant de se relever.
échec cuisant. à l'instant où il prend appui sur son pied gauche, la douleur est fulgurante et il s'écroule avec une exclamation aiguë. le vacarme qu'il fait, à coup sûr, s'entend jusque dans la rue—car bien entendu, evan a la voix qui porte.
"ahh, fais chier, j'aurais jamais dû foutre les pieds ici," se plaint-il à qui veut bien l'entendre, mais il n'y a personne ici. il est tout seul, sauf si on compte les fantômes de tous·tes celles et ceux qui ont perdu la vie ici, et il va bien falloir se relever à un moment ou un autre.
mais pour l'heure, pockets s'accorde quelques instants de répit. juste le temps de reprendre sa respiration, qu'il se dit, même si c'est difficile à estimer quand chaque bouffée d'air semble s'épuiser avant d'atteindre ses poumons, et qu'un sifflement de mauvais augure l'accompagne partout où il va, comme un râle poussé par son système respiratoire à l'agonie.
s'il croyait au karma, evan se demanderait ce qu'il a pu faire dans une vie précédente pour en avoir un aussi pourri.