FIshing or Sinning

Pieds dans le sable, c’était un tremblement léger qui secouait son corps. Avant, arrière, elle allait se perdre dans ses pensées. Féli était là, Féli n’était peut-être plus là.
Dans ce lieu qui avait été perdu de tous, elle sentait encore le sable brûlant qui enserrait ses pieds. Millions de micro-larmes de cailloux érodés sur ses pieds, elle n’aime pas cette sensation. Féli n’a jamais aimé les vieilles choses. Alors, elle n’aime pas le sable.

Remuant son poignet, le poids de la canne à pêche l’a ramène à une réalité si trivial que c’en est effarant. Féli et son chapeau volé doit manger. Zach et sa salopette trop grande aussi doit manger. Envy et sa grande bouche doivent bien manger si on veut l’entendre vomir sa haine contre cette Ex. C’est plutôt pathétique la recette d’aujourd’hui, quatre poissons se battent en duel. Et l’un d’entre eux a visiblement perdu vu l’odeur qui s’en dégage.

S’adressant à Envy, celle qui a pêché ce fameux poisson pourri,

-Envy, penses à jeter celui là. Même toi, tu pourras pas le manger.

Envy, elle était un peu comme cette main invisible qui appuie sur ta nuque. Celle qui te fait respecter le feu rouge, celle qui te guide. Elle était cette voix forte mais pas agressive, cette amie qu’on trouve en se volant mutuellement une gomme. Féli la déteste un peu, en tout amitié parce qu’elle avait des beaux yeux. Et elle aurait apprécié de ne pas pouvoir voir plutôt que lui admettre ça. Et en plus, Féli ne lui pardonnait pas d’avoir pris les miettes du paquets de chips format familial. Le seul restant, ce phare dans sa vie désespérée, cette lumière d’espoir.

Puis, la canne à pêche s’énerve dans sa main molle. Animée par l’inattention de sa manieuse, elle se déchaîne tel un enfant dont le caprice a comme source l’envie d’avortement de sa mère. Féli se concentre, main serrée, elle ne veut pas laisser filer ce qui peut être le dernier poisson de cette après midi monotone. Car dans le ciel, les chants des baleines la rendait anxieuse du temps à venir. Peut-être que le soir allait tomber, avec sa fraîcheur désagréable.

Elle tire, elle ferre, elle gère. Le poisson se rebiffe à peine, comme si, il savait. Il savait qu’il allait être mangé, cette stupeur molle des proies en fin de vie était toujours aussi surprenante. On s’y habitue jamais, du moins, Féli n’y arrivait pas. Enfin, elle remonte la ligne. C’était un petit poisson, à peine la taille de sa main, une chair qui lui ressemblait rêche et des écailles serrées. Un plaisir à décortiquer.

Jetant sa prise dans le seau, elle n’eut qu’un regard désabusé à Zach. Lui était le seul à ne rien avoir pris dans ses filets. Ses cheveux tombaient sur son front plissés, et ses yeux semblaient à la fois concentrés et absent. Tel un chat guettant avec avidité le moment où le lézard allait oublier ce prédateur félin. Ses pieds étaient aussi fermement ancrés dans le sol sableux mais lui n’avait pas voulu faire l’extravagant comme Féli à se retirer les chaussures.

Elle ne voulait pas lui parler, pas maintenant. Alors, elle le contemplait. En attendant ce qu’il allait dire. Peut-être qu’Envy était en chasse elle aussi, ou peut-être que durant la bataille de Féli, elle s’était allongée tel une romaine sur ce morceau de bois flotté qui servait de marqueur. La marée allait monter et, ce futur implacable rongeait soigneusement une partie non négligeable de son esprit. La fraîcheur appelait la marée, la soirée appelait la sentence de la fuite.

envy jette un regard à féli, un rictus amusé déformant son visage. sa prise manquait de fraîcheur, elle l'admettait. un instant elle attrapa le poisson par la queue et l'approcha de son visage, mimant la faim en venant le renifler. l'odeur pugnace de décomposition vint lui chatouiller les narines et alors, elle lâcha l'animal sans plus de considération, avant de l'écraser sous sa bottine de combat. la chair putréfiée se désolidarisa facilement du reste de l'animal, éclaboussant les alentours de jus de poisson pourri. les viscères de poisson sous sa semelle lui arrachèrent un air de dégoût.

même mon ex refoulait pas autant la marée, elle s'enquit, haussant un sourcil avant de donner un petit coup de pied dans ce qui restait du corps inerte.

en soupirant elle glissa ses mains sur ses hanches, fixant l'horizon. si ça continuait comme ça, ils finiraient par mourir de faim. si ça continuait comme ça, envy n'aurait même plus de nourriture à chiper amicalement à ses camarades. elle laissa son regard arpenter les vagues et l'écume, espérant que la houle de poséidon attire zeus et qu'il instille dans son crâne un petit éclair de génie. les lèvres pincées dans une moue, elle fronça un instant les sourcils avant de s'arrêter instinctivement en se souvenant les mots que sa mère avait dû lui prononcer la première fois qu'elle avait posé du shirako sur la table. tu vas avoir des rides si tu continues.

le shirako, ça, c'était bien un truc qui ne lui manquait pas. elle ne pouvait pas se détacher de la tête la nature de l'aliment et toutes les délicieuses saveurs du monde n'auraient pu compenser son dégoût à l'idée de consommer du liquide séminal de poisson. elle ne comprenait déjà pas comment certains pouvaient manger celui des humains. ça la dégoûtait.

l'idée, pourtant, fit son petit bout de chemin dans sa tête.

hey zach, tu veux pas remettre ces collants résilles et essayer d'aller convaincre quelqu'un de nous donner à manger ? on sait tous ce que ce potentiel renferme.

un sourire carnassier en prononçant une pique de plus. envy se rattachait à leur journée avant l'apocalypse comme à un mirage, bouée de sauvetage dans l'horizon. elle aurait aimé vivre dans un jeu vidéo. sauvegarder juste au bon moment, pour s'échapper, revivre la journée en boucle et ne plus jamais avancer. ne plus jamais s'abaisser à travailler et galérer pour obtenir ne serait-ce que de quoi manger. elle avait encore envie de sourire aux gens de leur dire, ouais, t'inquiètes, t'as qu'à avancer la monnaie et moi, je t'enverrai la somme juste après via venmo.

mais venmo ne marchait plus, sa carte bancaire ne marchait plus pour autre chose qu'ouvrir certaines portes - certainement pas celles de la stabilité financière. perdue dans ce monde sans valeur ni réseau il avait fallu à apprendre comment se servir de ses dix doigts sur autre chose qu'une jeune femme peu farouche et la pensée de se complaire dans son tempérament casanier lui manquait.

il lui faudrait des protéines pour abattre les murs du destin et retourner à un semblant de normalité.

peut-être qu'il n'y a juste plus assez de poissons dans la mer, vous savez ? peut-être qu'ils sont coincés aussi et qu'à force on a juste fini par venir à bout des ressources naturelles du coin... ça serait vachement la merde, quand même.

@Féli @Zach

MITZI

Sometimes I feel that I should go and play with the thunder Somehow I just don't want to stay and wait for a wonder Féli & Envy

Autrefois on rêvait de se rendre à la mer, paysage inconnu lorsqu’on n’avait jamais quitté la plus froide des cités ; on s’imaginait des panoramas à couper le souffle quand les autres enfants décrivaient leurs vacances à la plage, des périples qui nourrissaient une jalousie muette dans ton cœur.

Aujourd’hui, Zach, que représentent les étendues d’eau si ce n’est un horizon délabré ? Le paysage n’a rien de féerique, rien sur lequel tu pourrais t’émerveiller depuis le premier instant où tu as posé ton regard. Alors, tu restes concentré sur la canne que tu tiens fermement, les iris rivées sur l’hameçon et les sens en alerte. Parfaitement imperméable au reste, tu n’écoutes la conversation de tes deux acolytes que d’une oreille. Fidèle à toi-même, l’attention capricieuse t’empêche néanmoins de remonter la moindre prise, les distractions se multiplient et fourmillent comme s’ils avaient décidé de comploter contre vous. Un défaut qui t’a toujours gêné au cours du périple de ta vie, Zach, quand l’enseignant te répétait de montrer un peu de discipline dans tes travaux — valeur que tu te plaisais à insolemment répudier. Tu n’iras jamais loin dans la vie, pourtant tu riais insouciamment de ces prédictions ; et aujourd’hui, même pour la plus basique des survies, tu contemples le néant de tes compétences.

Finalement, tu n’as ce que tu mérites, dira-t-on.

Tu remarques alors le regard insistant de la jeune Féli, et imites ce geste désagréable en attendant qu’elle prononce ce qui travaille ses pensées. Un bras replié sur ta cuisse, tu déposes le menton sur la paume d’une main qui a relâché le bois et arques un sourcil.

— Hmm ?

La pique d’Envy vient briser le lourd silence — elle incarne le rayon qui cherche toujours à raviver la joie dans cette pesante atmosphère ; et tu te redresses en affichant ton majeur, le visage imprimant un large sourire carnassier et un regard désabusé — cela fait longtemps que les taquineries et le second degré rythment votre quotidien. Tes manières de chat de gouttière appartiennent désormais au décor.

— J’te ferai pas c’plaisir.

Ricanement étouffé. Ces relations représentent les seules bouées qui t’empêchent de sombrer dans un océan de désespoir. Heureusement, car tu refuses de mourir, tu as déjà balayé cette option de ton futur proche ; lorsqu’on a perdu le peu qui nous reste, cela procure un soulagement immense que de savoir à quoi s’accrocher. La main vient rattraper la canne tandis que les suppositions d’Envy éveillent des craintes logiques. Un soupir ponctue ses paroles tandis que tes yeux dévisagent les vagues avec inquiétude.

— Ca met combien de temps pour des poissons d’se reproduire ? tu marques une pause. Ca met combien de temps pour eux d’passer d’une génération à l’autre, aux algues de repousser ? J’sais pas combien on est dans ces ruines mais avec un peu de chance on aura du temps avant de ruiner l’écosystème du coin. nouveau silence Sinon faudra se contenter de voler, pas l’choix.

L’idée ne te rebute pas, déjà mise en exécution à quelques reprises ; on aime s’embarrasser de belles valeurs, toutefois lorsque la stabilité de nos empires s’effondre, l’honnêteté ne devient plus que notre talon d’Achille. La survie ne sera pas accordée à tous en attendant la délivrance, c’est ainsi.

La ligne se tend soudainement et un geste vient remonter la naïve victime ; un sourire fend tes traits car on se moquera de la taille de la prise — la plus petite de toutes —, néanmoins lorsqu'on ne connaît que les cuisants échecs, on se satisfait des réussites les plus modestes. Le rictus se fane légèrement.

— Parfait. Par contre, j'crois qu'il faut qu'on se barre maintenant.

Une oeillade à la marée montante.

date août — ptit mot j'vous aime