cri des loups ⊚ Wolf

Un rayon de soleil qui perce au travers des rideaux de fortunes (juste un drap déchiré trouvé dehors—). Qui tombe pile dans les yeux. Qui joue de sa douceur sur les couleurs encore peintes sur les joues.
Les oiseaux chantent derrière la fenêtre brisée, ils chantent comme ils ont toujours chanté, ils chantent malgré les rues dévastées et les gravats qui s’accumulent. Ça en devient presque morbide.

Il est rare pour Mum d’être réveillé à une heure si matinale. Plutôt adepte des grasses matinées qui s’étendent parfois jusque dans l’après-midi lorsque personne ne vient le sortir de son sommeil, Mum a pour principe de profiter de chaque minute de sommeil qui s’offre à lui jusqu’au bout. Juste au cas-où, demain, il ne pourrait plus dormir.
Aujourd’hui, c’est un peu différent. Ce n’est ni les enfants, ni un chevalier qui a réveillé Mum ; c’est un cauchemar. Ces quatre derniers mois passés à fricoter avec Morphée ont étrangement été épargnés des cauchemars – et Mum est bien loin de s’en plaindre – mais également des rêves ; Mum s’est habitué à ses longues nuits de sommeil sans son ni image, juste le trou noir, juste le silence, et peut-être bien que c’est mieux ainsi.

Mum ne se souvient pas de ce cauchemar qui l’a réveillé—
Il se souvient juste de son sursaut, de la sueur qui plaque ses mèches sur son front, des battements frénétiques de son cœur, du sentiment d’angoisse qui l’habite.


Il a besoin d’air. Mum a besoin d’air.


La brise qui s’engouffre depuis la vitre cassée n’est pas assez.
(En regardant dehors, il aperçoit son reflet dans le restant de verre, il remarque qu’il a oublié de nettoyer son visage la veille. Les couleurs vives explosent ses rétines dans la lumière du soleil et elles ont un petit quelque chose de rassurant—)

Malgré les rayons du soleil, l’air dehors est frais et Mum regrette amèrement de ne pas s’être plus couvert avant de sortir, tandis qu’il s’éloigne du château des chevaliers. Sa dernière cigarette allumée, il prend une longue taffe, comme pour forcer les mauvais sentiments à sortir avec la fumée.

Un mouvement attire son regard.

Une tête qui n’est pas inconnue.

Mum descend du banc renversé sur lequel il était perché, il éteint sa cigarette avant de la ranger dans sa poche (jamais il ne gâchera la dernière qu’il possède) et il se rapproche de la petite silhouette. Du petit loup.
Il n’a pas changé—

« Wolf, » il prononce simplement, la gorge à vif, juste assez fort pour qu’il puisse l’entendre.

Il ne peut empêcher un petit sourire de naître sur ses lèvres—  

Ça fait longtemps.
Ou peut-être pas. Les jours se ressemblent tellement que Mum n’est pas sûr. Mais il a l’impression que ça fait une éternité, et Wolf est aussi rayonnant que d’habitude, plus chaleureux que le soleil et peut-être que le sourire sur le visage de Mum est l’un des plus sincères depuis la tempête—

Même lui remarque à quel point c’est inhabituel pour lui de se lever aussi tôt.

« Très bien dormi, même, » un mensonge, bien sûr, la fatigue plombe ses yeux et la statique dans ses doigts ne trompe pas. Mais comme d’habitude, Mum fait semblant – peut-être qu’à force, cela deviendra la vérité, qui sait ?

Il serre Wolf contre lui, heureux de le voir en forme et en bonne santé, il prend un moment pour l’examiner, mains sur ses épaules, et s’assurer qu’il n’est aucunement blessé. Ils ont l’air de prendre bien soin de lui, du côté des Greens, et ça rassure Mum.
Un nouveau sourire.

« Je rêve ou tu as grandi ? »

(Peut-être que Mum rêve réellement, les yeux lourds de sommeil et le sable sous les paupières. Ce ne serait pas étonnant.)

« C’est comme d’habitude, » ne manquer de rien n’est pas possible, surtout pas en ce moment. Mum ne peut ni répondre non, ni répondre oui. Non, la vie pourrait être mieux, les réserves aussi, et parfois on ressent le manque de beaucoup de choses. Oui, il y a tout de même assez pour cette grande famille, les ventres sont pleins et tout le monde a un lit pour dormir.

Comme d’habitude, donc.
(Mum se demande s’ils sont mieux lotis, chez les Greens. Sans doute. Mais ils n’ont probablement pas autant d’enfants dont il faut s’occuper jour et nuit. Il espère que Wolf s’y sent bien, qu’il a su s’intégrer au groupe et qu’il n’a aucun problème. Mum pourrait lui poser des milliers de questions mais elles restent toutes coincées dans sa gorge et il n’arrive à en prononcer aucune.
Tant qu’il va bien, c’est le principal.)

D’un coup de tête, il désigne le château derrière lui. « Tu peux venir les voir. Ils seront contents d’avoir des nouvelles de toi, » (bien que la plupart d’entre eux dorment toujours à cette heure-ci). « Si tu as le temps. »

Et puis, il penche la tête sur le côté.

« Je ne t’ai pas demandé, d’ailleurs. Qu’est-ce qui t’amène ici ? »

(La gorge sèche et la voix rêche.
Mum n’a pas l’habitude de parler—)

Mum a un petit sourire.
Un peu nerveux, un peu ironique—
L’aider à dormir ? Il n’a aucunement besoin de cela, il lui faudrait plutôt le contraire. Ce matin est une exception qui le surprend plus qu’il ne souhaiterait l’admettre et si Wolf n’était pas venu aujourd’hui, Mum serait déjà retourné sous les couettes aussi rapidement qu’il en est sorti.
Mais il sourit tout de même. Le geste le touche bien qu’il serait inutile. Le chevalier ne le relève pas, et si Wolf y tient vraiment, ils pourront faire un tour dans ce qui sert d’infirmerie et Mum se contentera de rendre les médicaments une fois qu’il aura le dos tourné.

Il s’abaisse le temps de prendre le petit chiot dans ses bras, le gratifiant de grattouilles sur le ventre et de petits compliments. « Lui aussi, il a bien grandi, » il pose son regard sur Wolf. « Je suis sûr qu’ils seraient ravis de t’accompagner, certains connaissent déjà les environs par cœur, ils se feront une joie de te faire découvrir leurs petits coins secrets, » (pas si secret que ça puisque Mum en connaît la plupart, lorsque la nuit commence à tomber et qu’il faut tous les retrouver. Mais il fait semblant d’être surpris, à chaque fois.)

C’est lorsque Wolf lui tend une bouteille d’eau que Mum se rend compte d'à quel point il a soif. En effet, il n’a toujours pas bu et ça s’entend sans doute dans sa voix, sa gorge s’en plaint également, mais pourtant il n’en boit que deux petites gorgées avant de lui rendre la bouteille. Ils ont assez d’eau au château pour qu’il se permettre de piquer dans la réserve de Wolf mais en même temps, il voulait éviter de le froisser en refusant. Il le remercie du bout des lèvres, reposant Lito au sol après une nouvelle petite série de caresses.

« Tu rentres ? » il désigne le château derrière lui d’un coup de tête. « À cette heure-ci, ils dorment sûrement encore, » par ils, il entend bien sûr les enfants. Il n’a pas croisé grand monde avant de sortir, mais il n’est définitivement pas le seul debout.

Mum enfonce ses mains dans ses poches.
Il fait encore trop froid, les rayons du soleil ne réchauffent rien et il ne sait pas vraiment pourquoi il tremble. Ses jambes souffrent de le soutenir trop longtemps, fatiguées par le sommeil dont elles ont été arrachées bien trop tôt.
Mais il ne cesse de sourire.

« Tu as faim ? »

Et même s’il n’a pas faim, Mum ira lui préparer un petit déjeuner.
Comme avant.

Un sourire.
Comme avant. On dirait que ça fait vraiment longtemps.
Comme avant. Mais quel avant ? La question ferait mieux de rester sans réponse tandis que Mum entoure son bras autour des épaules de Wolf, comme il avait souvent l’habitude de le faire, en prenant la direction du château. Oublier un peu cet air frais trop matinal qui le fait frissonner. Connaître les couloirs par cœur à force de s’y balader. Être un peu perturbé par cette absence d’agitation qu’il ne connaît que trop peu, passant les heures creuses sous l’oreiller, profitant du silence qui règne encore.

La cantine est vide, à cette heure-ci. La cuisine aussi.
Il invite Wolf à s’asseoir à table, tandis qu’il ouvre les placards, les frigos, qu’il cherche de quoi cuisiner. Ça fait longtemps, qu’il a cuisiné, Mum. Il n’hésite jamais à donner un coup de main pour les repas des enfants, ou pour son propre repas en fonction des ingrédients, mais bien souvent, il est déjà occupé avec les mômes lorsque c’est l’heure de cuisiner.
Ça lui manque, un peu. L’envie de faire plaisir. S’occuper les mains. L’impatience qui picote dans les jambes. Les sourires qui apparaissent ensuite.

Pendant un instant, il n’y a plus que le bruit du couteau contre la planche à découper. Des pommes qui finissent en quartiers. Des céréales qu’on verse dans un bol. De l'eau qu’on verse dans un verre. Et puis, on dépose le tout devant Wolf. Le bon appétit n’est pas prononcé, mais il est quand même là.

Mum s’installe en face de lui, menton dans la paume de sa main.

« Alors, dis-moi tout, » avec un sourire patient. « Comment ça se passe, chez les greens ? »

Tant que Wolf s’y sent bien, c’est tout ce qui compte.
Même si, maintenant, il est loin.
Même si, maintenant, il le voit moins souvent.

Mais ça ne change rien.
Ça n’a jamais rien changé.