Pif Paf Plouf [PV : Lane]

Codage par Libella sur Graphiorum

Pif Paf Plouf

1. The memory of water  

Le froid se fait mordant ces jours-ci, et encore, ce n'est que novembre. Le mois dernier officialisait les huit mois de Diana à Arcadia Bay, dans sa petite cabane en bois rond, construite en billots de cèdre et qui ne permet aucune isolation convenable. Avec une toiture qui manque de s'effondrer à la moindre intempérie, Diana peut tout de même se compter chanceuse de pouvoir posséder une cheminée. Cabane qu’elle s’est pourtant appropriée bien au-dessus de sa valeur marchande, elle le sait bien, mais rien que le plaisir de se la payer avec sa bague de fiançaille et sans l’aide de personne lui avait suffit d’y avoir vu là une opportunité en or. Un coup de tête peut-être. Tout un mode de vie qu’elle s’est imposé, sans être en état cependant de s’y adapter. La vie en solitaire devenait rude. Et même si elle essaie de se convaincre du contraire, elle redoute l’hiver.

Diana se lève dans l’avant-midi. Elle ne se rappelle déjà plus de la veille. Demain est chaque fois un renouveau qui tait le présent et supprime le passé. Demain, tout ira pour le mieux, allez de l’avant, un pas après l’autre, c'est ce qu'elle se dit en boucle. Pourtant, Diana se lève chaque fois à midi et dès lors que les souvenirs l'assaillent, elle les noient dans l’alcool. Allez mieux donc, est devenu un instant fugace dans l’espace temps de Diana, retrouvé en sandwich entre l’ivresse de ses avant-midis et celle de ses après-midis.

C’est donc à grand coup de glotte que Diana commence sa moitié de journée avec un fond de bouteille de la veille qui traînait là, par terre. Elle se redresse douloureusement dans la même position que celle dans laquelle elle s’est endormie hier, ses muscles encore tout engourdis. Ses cheveux lui collent au visage, alors elle décide de se débarbouiller un peu avec l’eau qu’il lui reste dans le réservoir et qu’il faudra bien penser à remplir entre deux moments de lucidité. Il fait froid. Elle a froid. Et il n’y a que le sweat shirt bouffant de son (ex-)mari pour la tenir au chaud. Cela lui rappelle qu'elle doit s’acheter impérativement un manteau pour l’hiver, mais l’idée d’aller dans un centre commercial faire du shopping repousse chaque fois l’initiative de le faire. Alors faire un feu devient sa seconde option. Commencer par trouver quelques brindilles pour démarrer les flammes. Car Diana a bien réussi à couper quelques bouts de bois sans perdre un doigt il y a de cela quelques jours, mais elle s’est vite butée à la façon de mettre le feu au tas. Et quand la frustration est de la partie, Diana se rabat vite sur le whisky.

Alors Diana sort de sa cabane, met le nez dehors, non pas sans avoir glissé dans la poche de son jean sa petite fiole d’alcool qui ne la quitte jamais ces temps-ci. De quoi tenir la météo hostile. Elle voit un peu trouble, ses pas sont quelque peu maladroits aussi, mais cela ne l’empêche pas de s’enfoncer dans la forêt et de ramasser ce qu’elle trouve de combustible sur son chemin. Ça va de brindilles à branches d'arbres, et de branches d’arbres à des bouts d'écorce. Elle ne sait pas trop ce qui lui faut, alors à défaut de savoir, elle empile tout au fur et à mesure qu’elle noue maladroitement d’une corde. Elle ne remarque pas qu’elle n’est pas seule dans les bois. Du moins, pas tout de suite. Alors, lorsqu’elle relève enfin le regard, appelée là à le faire par un sixième sens, elle se fige. Un instant, elle ne le reconnait pas. Et puis, c'est à ses tatouages si peu commun que le souvenir de ce visage fait violemment surface.
Ce putain de garde-chasse.

ーSi c’est pas le garde-chasse qui aime se faire de la police... » Hostilité et froideur non retenues dans son ton, elle n'est pas contente de le voir là. « T’aimes bien me mater à temps perdu, j'me trompe ? »   Elle sait bien que non, mais Diana aime être celle à créer le malaise avant qu'il ne l'impose lui-même de son silence pesant. Alors elle lui donne des intentions, qu'elles soient erronées ou non.

Diana ne le craint pas. Pas tout à fait. Elle lit dans le regard des hommes aussi facilement que d’un livre ouvert. Aucune intention ne se dérobe de son œil scrutateur, même ivre. Et ce qu'elle voit dans les yeux du garde-chasse, lui fait relâcher un peu la tension. Il n’a pas ce regard de hyène, comme le shérif qui était passé avant-hier avec quelques intentions cachées sous ses promesses de protection à deux balles. Vivre isolé avait ses risques. Elle le sait bien, qu’elle fait une proie facile. Très vite, elle peut se transformer en fait divers si elle ne demeure pas un tant soit peu sur ses gardes. Elle n'a donc pas tardé à se procurer de la poudre et des balles pour faire bon usage de la carabine dans la cabane - à la gratuité des anciens propriétaires - qu’elle sort à tout vent au moindre pas qui approche. Mais bon, le hic, c’est bien qu’elle l’a laissée dans la cabane aujourd'hui… Alors, Diana pour se défendre, elle n’a que les mots.

Tyler et Diana

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Pif Paf Plouf

2. The memory of water  

Diana dépose le bois récolté à ses pieds. Elle sait d’emblée que le garde-chasse va lui prendre la tête. D’ailleurs, cela commence bien. L’homme qui se tient face à elle ose la sermonner sur son état. Ou plutôt, sa double condition. Femme et alcoolique. C’est vrai! Elle avait oublié, Diana! Une femme, ça ne boit pas, ça ne se fâche. Ça se pavane, c’est vénale et ça séduit. Un être candide d’apparence, mais regorgé de vices cachés. Vile créature, va!  Toute son existence doit être orientée vers ce but précis. Évidemment, non pas pour son propre plaisir, (dans tel cas, on ferait vite de la diaboliser) mais pour répondre à son devoir de duplicité. Elle en avait oublié sa valeur dans ce monde, Diana, merci au garde-chasse de lui avoir remis les pendules à l’heure! Qu’elle regrette à cet instant d’avoir laissé sa carabine chez elle. Elle contient un rire amer de s’échapper de sa bouche, préférant laisser couler. Pour cette fois-ci, seulement.

ーAh ça… Si c’est de la séduction que tu cherches, va la chercher ailleurs! » Elle se retient sciemment d’ajouter un trouduc bien placé. Elle sait très bien que c’est le genre de type qui ne respecte que les limites qu’il se donne lui-même. Et pour l’heure, Diana n’est pas tout à fait assurée de ses intentions. Si ça se trouve, c’est un sociopathe.

Vraiment ? Attirante. Il ne la trouve pas attirante ? Il se défend, pense-t-telle, comme c’est mignon. Voilà une première. Du moins, dit avec cette désinvolture apparente. D'expérience, tous les hommes à lui avoir fait similaire annonce après quelques avances, c’était surtout poussé par la frustration d’essuyer un refus de sa part. L’impératif de la beauté, c’est bien une affaire de femme, n’est-ce pas ? Car, qu’est-ce qu’une femme sans beauté après tout ? Oh, pas grand chose… Vu que celle-ci semble être sa seule qualité, la le lui retirer en guise de punition et par ego froissé, c’était un truc qu’elle connaissait bien, Diana. Pourtant, à l’air constipé du garde-chasse, Diana a envie d’en déduire qu’il ne doit pas avoir grande expérience avec les femmes… ni même les hommes d’ailleurs - si cela était son truc -  Avec le froid qui émane de sa personne, cela ne serait pas surprenant qu'il se promène dans la vie avec pour seule compagnie, un balai dans le (17e lettre de l’alphabet).

ーTant mieux! C’est réciproque... Ça nous fait au moins ça en commun.

Voyant le garde-chasse s’approcher d’elle et lui annoncer son méfait du jour, Diana ne se retient pas de lâcher un rire acerbe face à cette pseudo-autorité qu’il se donne, une fois encore. Faire plus coincé que ça, tu meurs… Il est insupportable. Et le pire, est qu'il lui rappelle ses Bourges de parents avec ses manières et sa façon de parler, sans oublier cet air pompeux qui ne semble jamais le quitter.

ーJe ne suis pas un de tes promeneurs paumés, je vis ici et tu le sais très bien! Va faire chier quelqu’un d’autre, putain!

Diana se moque de la balise que lui pointe le garde-chasse. Elle s’est enfoncée plus loin qu’elle ne le pensait, elle n’en dément pas. Cependant, ce n’est pas ça qui va la faire décamper. Elle décroise les bras et se penche avec quelque peu de maladresse pour récupérer son bois.

ーJe bougerai de là lorsque j’en aurai terminé ici. Tu peux mater autant que ça te chante, pas besoin d’escorte non plus.» C’est en se penchant que sa fiole de whisky glisse hors de sa poche. Elle s’empresse de la ramasser, mine de rien.

ーAllez, ciao! » Sur ce, Diana lui tourne le dos.

Tyler et Diana

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Pif Paf Plouf

3. The memory of water  

ーÇa, ça sera mon problème. Pas le tien. Mais si tu continues de me suivre, ça pourrait le devenir…

Une femme blanche, retrouvée morte dans les bois. Le drame qui ferait certainement parler dans tout Arcadia Bay. Et une fatalité à laquelle personne ne peut échapper de toute évidence, alors à quoi bon s’en soucier ? Si elle se perd, c’est son problème. Si elle trébuche, c’est son problème. Si elle crève là, c’est aussi son problème. Et le garde-chasse, n’est pas la solution à tout ça. Une solution éphémère tout au plus. Ce n’est qu’un mirage. Un homme ne peut pas la sauver de ses maux. Matt, le lui a bien prouvé par le passé. Ni personne d’ailleurs. Se sauver d’elle-même relève de la volonté de Diana, et de Diana seule. Pour autant qu’elle le veuille. Et à l’heure actuelle, Diana se fout de son devenir et la volonté l’a depuis longtemps quitté. Bien qu’une force insoupçonnée de vivre sommeil en elle, une rage de survivre plutôt. À contrario de Jimmy, qui est partie en emportant avec lui le dernier mot. Jimmy à qui on a aussi imputé un rôle et qui n’a pas survécu au dénouement de celui-ci. Coup de théâtre ; c’est la véritable nature de son frère jumeau qui a précipité sa fin tragique. C’est peut-être depuis ce jour, que Dania a toujours craint d’afficher la sienne au grand jour. Même si aujourd’hui, il n’y a plus personne pour voir la laideur qu’elle porte en elle. Diana depuis toute petite, elle se craint elle-même. De ce qu’elle peut provoquer malgré elle, ce que le moindre de ses sourires peut inciter à faire.

Diana ne contrôle pas cette aliénation. La réduction de son identité à son corps et à sa chair. Elle l’a longtemps subi. Elle en a joué certes, à qui tout cela lui appartient pourtant et qui a tôt fait de se retourner contre elle. Et puis la voilà aujourd’hui, à casser tous les codes avec ce langage fleuri et tranchant, à briser foncièrement le charme et inspirer le mépris plutôt que le désir.

Madame Lane… Diana ricane dans un souffle étouffé. Ce n’est plus son nom. Mais qu’importe, qu’il l’appelle comme bon lui semble, elle s’en moque.

Elle ne répond pas lorsqu’il lui indique que le bois est humide et de fait, inutilisable. Elle se contente de grogner. Elle ne l’avait pas remarquée d’elle-même et cela la frustre. Toute intervention masculine l'horripile ces temps-ci. Elle ne l’avait pas remarquée, car ses pensées sont trop embrouillées. Elle ne voit pas clair Diana. La fatigue aussi prend doucement le dessus et elle a froid. Tout ce qu’elle veut, c’est faire un feu. Et à l’instant, elle serait même prête à brûler son livre préféré - L’insoutenable légèreté de l’être - si pas la cabane et tout ce qui va avec.



Madame Lane…

Madame Lane, c’est cette femme qui fuit les autres, mais surtout elle-même.
Madame Lane, c’est cette mère qui a manqué de vigilance une fois.
Madame Lane, c’est cette amante qui l’a été durant trop longtemps à en perdre le sens de qui elle était vraiment.
Madame Lane, c’est cette épouse qui était un rêve et qui a bien vite fait de tourner au cauchemar.
Même si un jour le drame finit par se perdre dans le pêle-mêle de tous ces faits divers, on veut pouvoir la détester jusqu’à sa mort.

Quand bien même on ne se souvient plus de son histoire, ni d’elle ou de son nom, on veut pouvoir continuer haïr la femme en elle.

Car Madame Lane, c’est cette épouse et cette mère modèle,
qui a pourtant misérablement échouée à être femme.
Tout simplement.

Madame Lane c’est…

ーTa gueule! Ta gueule!! Ta gueule!!!

Le tas de bois qu’elle tient tombe à ses pieds dans un fracas. Son esprit lui joue des tours et son corps lui dit de se barrer de là. Alors, ses pas l’éloignent du garde-chasse, comme s'il était responsable de toutes ces voix. Dans sa fuite, son pied percute une racine d’arbre et c’est la dégringolade. Heureusement, l’ivresse rend la chute indolente. L'atterrissage en revanche, c’est comme une chute dans un lac glacé. Littéralement, qu’elle réalise. L’air lui manque un instant, avant même qu’elle ne comprenne où elle a atterri. Et puis, elle a si froid Diana et c’est si calme et si paisible ici. Diana fait l’erreur de prendre une respiration et laisse ainsi l’eau envahir sa trachée. C’est là qu’elle se met à paniquer. Ses yeux s'ouvre dans la masse de l'eau claire, dans laquelle elle voit flou pourtant. L'horreur la prend. Celle de revivre une scène qu’elle vivait déjà bien assez souvent en rêve, lorsque prédatée par les cauchemars. Et c’est là qu’elle voit la silhouette d’une petite fille, sur laquelle ses yeux se referment.

Tyler et Diana

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Pif Paf Plouf

4. The memory of water  

C’est la poigne qui se resserre sur son poignet qui la ramène à la lumière. Leurs corps se collent et Diana n’apprécie guère ce contact lorsqu’elle recouvre un peu de sa lucidité. Dans la panique que lui cause cette étreinte forcée - qui lui rappelle désagréablement celle de son père lorsqu’il la forçait à se rendre aux réunions d'alcoolos mornes et tristes dont elle faisait pourtant bien partie - elle tend ses bras devant elle. Elle pousse de toutes ses forces contre son torse pour s’échapper de l'emprise du garde-chasse. Elle ne lui rend certainement pas la vie facile, mais ne l’avait-elle pas avertie de ne pas s’en mêler ? S’il veut crever avec elle, soit, mais ce ne sera certainement pas main dans la main. Alors Diana, comme une furie, se démène pour s’échapper. C’est un de ses poings qui atterrit par accident sur le menton du garde-chasse qui lui fait desserrer son emprise. Diana glisse aussitôt de ses bras, aspirée de nouveau par le courant. L’eau la submerge, encore une fois. La morsure du froid est pire que tout, mais ce n’est pas la première fois que Diana l’expérimente. Elle lutte pour remonter à la surface en des gestes lents et imprécis. Lorsqu’elle y parvient toutefois, elle s’accroche à un large billot de bois qui par chance s’est retrouvé coincé là, entre la berge et un rocher. Elle s’y agrippe, plante ses ongles dans l’écorce afin de s’assurer avoir un bon ancrage. Elle sait que sa vie en dépend. De la force qu’il lui reste, elle se tire à moitié hors de l’eau sur le billot qui lui sert d'ultime rampart. Le billot se retourne plusieurs fois et Diana glisse à plusieurs reprises, mais continue ses tentatives. Diana ne lâche pas, elle s'acharne. Et lorsqu'elle finit par trouver l'équilibre nécessaire, elle se braque, ne bouge plus, ses membres crispés, ses doigts gelés. Elle repose doucement la tête sur le bois humide, à bout de force et épuisée. Juste un instant, se reposer. Souffler, juste un peu. «  Ne ferme pas les yeux »

Jimmy ?

ーÇa va… ‘Faut juste qu… j’récupère, un instant Jimmy… » dit Diana dans un souffle, la voix brisée par le froid.

«  Ne ferme pas les yeux » répète la voix.

Ses yeux papillotent, mais elle ne les ferment pas. Elle ne les fermera pas. Elle ne crèvera pas comme ça, par sa propre faute. Elle ne sera pas celle à causer sa perte, ne se condamnera pas au silence. Pas comme lui. Non, Diana est plus forte que ça. Un instant, elle croit voir l’eau de la rivière se teinter de rouge. Non. Un souvenir. Elle le chasse. Ce n'est pas la voix de Jimmy qu'elle entend dans sa tête, elle réalise. « Ne ferme pas les yeux, Diana. Ne les ferment pas. » Jimmy lui, n’est plus là. La voix de qui alors ? « Il n’y a que toi.» C’est la voix au fond de Diana qui le lui ordonne.« Ne lâche pas » Pas celle de son père, lorsqu'elle coursait en compétition pour son école. « Ne lâche pas » pas celle de sa mère lorsqu'elle traversait la douleur de l’enfantement. « Ne lâche pas » pas celle non plus de Jimmy, car Jimmy n'est plus que silence. C’est Diana et Diana seule. Aujourd’hui est le premier jour de sa nouvelle vie. Et s’il lui tarde de mourir dans celle-ci, dans la prochaine, Diana se construira autant de fois qu’il le faudra.

Tyler et Diana

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Pif Paf Plouf

5. The memory of water  

Le temps d'un instant, Diana s'est cru condamnée, si Jimmy, ou plutôt son imagination fertile ne lui avait pas donné la force de persévérer. L’instant d’après, de nouveau ces bras qui l’élèvent au-dessus des flots. Cette fois-ci, elle ne bronche pas - elle n’en a pas la force - se laisse entièrement traîner, que ce soit par le courant ou par la volonté de poigne du garde-chasse. Le froid la traverse comme mille couteaux, sa peau est si froide qu’elle en devient rigide, ses membres engourdis, ses doigts ankylosés. Pourtant, le garde-chasse ne l’abandonne pas là. Mi-consciente, Diana constate après un temps qu'elle est de nouveau sur la berge. Seule. Encore trop gelée, ses cheveux presque cristallisés par le froid, elle ne bouge pas. Et soudain, un grognement perce le chahut du bruissement de la rivière. Diana lâche un rire nerveux et étouffé, s'étouffe. Elle ne s’est jamais sentie aussi proche de la mort et aussi vivante qu’à l’instant. Et encore, ce n'est pas fini. Elle tremble jusqu’aux os. Le garde-chasse est là aussi. Elle ignore comment, mais il est parvenu à se sortir de là. À la sortir de là. Elle le voit se traîner péniblement jusqu’à elle. Il persiste ce barjot. Redoutant qu’il ne se penche la croyant inconsciente, elle le freine dans son élan :

ー N’y... pense… même pas… »

Le souffle saccadé, elle se tourne d’ailleurs sur le côté pour régurgiter toute l’eau qu’elle a avalée avant de se repositionner sur le dos. La moitié de son visage est désormais barbouillé de terre. Haletante et frigorifiée, elle observe du coin de l'œil le garde-chasse qui n’a pas non plus l’air d’être sous son meilleur jour. Si c’est un merci qu’il attend de sa part, il n’en aura pas.
Par contre, un : « Crétin…» tout juste inaudible est tout ce qui sort de sa bouche en guise de (d’in)gratitude. Si Diana ne se sent pas un seul instant désolée pour le garde-chasse, on pourrait dire que c’était en partie dû à l’alcool. Qui est assez crétin pour échanger sa vie, foncièrement, contre la sienne ? Toutefois, Diana à l’instant, elle est aussi horriblement gênée. Elle n'en demandait pas temps, juste qu’on lui foute la paix. Ça lui semble tant… hors caractère. Malgré toute la peine du monde qu’il s’est donné pour la ramener sur la berge, Diana est convaincue qu’il y a une ombre au tableau. Un idiot suicidaire peut-être, qui préfère dissimuler sa mort sous un geste héroïque. Quoiqu’il en soit, il faut être vraiment givré ou alors complètement con pour se porter à la rescousse de quelqu’un au détriment de sa propre vie. Mais surtout, d’y avoir mis autant d’acharnement lorsque l’on éprouve pour celle-ci pourtant, aucune sympathie. D’ailleurs, Diana songe qu’à sa place, elle l’aurait probablement laissé là. Elle n'aurait jamais risqué sa vie pour la sienne.

Si la sensation d’ivresse ne s’est pas encore tout à fait dissipée, là, maintenant, elle est bien réveillée. Le contact de l’eau et sa température basse lui a fait l’effet d’une bonne claque. Et aussi étrange que cela puisse paraître, cela l’a calmé. Diana est encore trop épuisée pour se relever, alors elle se contente de reprendre doucement contrôle de sa respiration et de son pouls. Elle tourne la tête vers le garde-chasse et l’observe un instant. Dans le silence, elle réalise. Elle l’a vraiment fait morfler.

ー Tu saignes. » qu’elle lui fait remarquer. Son ton est neutre, calme. Elle ne se sent pas plus concernée que cela, quoi qu'elle préfère le lui dire.

En vérité, Diana n’aime pas la vue du sang. Elle détourne le regard pour plutôt se concentrer sur le ciel et apprécier la chaleur d’un rayon de soleil qui se fraie à l’instant un chemin à travers l'amas de nuages au-dessus de leurs têtes.

Tyler et Diana

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Pif Paf Plouf

6. The memory of water  

Diana se redresse d’abord sur ses coudes, douloureusement. Elle a la même sensation que lorsque l’on sort doucereusement d’un mauvais rêve. Ses gestes sont lents, imprécis, et elle a la désagréable impression que ses membres encore rigides du choc et du froid puissent se briser au moindre mouvement brusque. Elle prend un temps pour observer les flots devant elle, pendant une longue minute elle ne dit rien. Elle réalise enfin l’état des choses. Elle a faillit y passer… comme Jimmy, comme Ophélie. De plus, dans l’eau elle aussi… Ironie hypocrite quand tu nous tiens. Elle se saisit de la veste que le garde-chasse lui a balancée à ses côtés. Machinalement, elle se défait d’abord de son sweat-shirt, en dessous, elle est tout juste vêtue d’un débardeur. Puis, elle s’habille de la lourde veste du garde-chasse qui lui apporte un peu de chaleur et étrangement, de réconfort. Là encore, elle ne dit pas un mot. Elle ne le réalise peut-être pas encore Diana, mais elle lui doit une fière chandelle. La reconnaissance ne viendra pas toute suite, plus tard peut-être. À l’instant, Diana est convaincue qu’elle s’en serait très bien sortie toute seule… Peut-être pas indemne, mais s’en serait sortie tout de même. Elle en est convaincue, la guivre.

C’est le garde-chasse qui rompt le premier le silence. Il ne se donne même pas la peine d’articuler une phrase construite. Alors Diana, ne prend la peine de lui répondre que non. Elle se contente d’un simple hochement de tête. Lorsqu’il lui tend une main devant elle, elle plongent ses yeux dans les siens. Elle le sonde à son tour, puisqu'elle n'avait pas pris le temps de le faire. Dans ce qui semble être une fraction de seconde, elle repense à sa mère : «  Méfie-toi des gens gentils » lui disait-elle, « se sont les pires. » En effet, ce sont les pires, pense Diana avec en mémoire le visage de son oncle. Cependant, le garde-chasse ne lui donne pas cette impression. D’être foncièrement gentil. Autre chose l’anime, et ce n’est pas de la gentillesse. Ce type lui fait pitié en réalité, et elle ne sait pas tout à fait pourquoi. N’est-ce pas pire ? Avec le recul, le jeune homme lui fait surtout penser un peu à Jimmy. Aussi coincé que lui, mais autre chose aussi. Quelque chose qu’elle ne parvient pas encore bien à cerner. Un automate, motivé par quelques raisons personnelles sans nul doute, mais pas celles de la sauter en forêt, c’est déjà ça. Diana sait qu’on est tous l’esclave de quelque chose. Elle, la première. Elle le voit bien Diana, qu’il ne l’apprécie pas. Pourtant, il se force à lui tendre une main magnanime. Alors, qu’est-ce qui l’enjoint à en faire autant ?  D’un geste sec, elle la repousse du revers de la sienne. Elle se relève d’elle-même, titube un peu et se reprend. Diana le toise un instant, mauvaise. Elle ne restera pas là à attendre les secours non plus, malgré tout le mal qu’il s’est donné jusqu’à présent. Alors la jeune femme se met à marcher. Elle dépasse d’ailleurs le garde-chasse sans lui adresser le moindre mot, sans lui concéder aucun regard. De toute évidence, il ne s'arrêtera pas là. Il va la suivre, elle en est certaine. Parfois, elle s’appuie contre un arbre, le temps de reprendre un peu son souffle. Ses vêtements imbibés et durcis par le froid lui sont un poids mort, et son propre corps lui est presque insoutenable. Elle comprend enfin ce que son frère a dû ressentir au fond de lui-même durant tout ce temps. Ce dégoût, cette honte, ce mal de soi pour sa propre existence. Elle réalise enfin le poids qu’est celui de devoir vivre avec ce que l’on est vraiment et le mal que peut créer les faux-semblants autour de soi lorsqu’ils deviennent insidieusement une seconde nature. Et si Diana ne lui pardonne toujours pas son geste quatorze ans plus tard, c’est que Diana ressent l’effet inverse. Elle a la rage de vivre. Diana chasse ces pensées intrusives. La mélancolie est le lot de ceux qui vivent dans le passé et elle ne veut pas y céder. Et si elles reviennent, elle les chassera à coup de whisky. Elle réalise alors l'absence de sa fiole en acier, râle un coup pour elle-même. Ce n’est pas grave, elle en a d'autres. Le présent est tout ce qui importe. Survivre est la chose la plus concrète à laquelle se rattacher. Survivre est la chose la plus naturelle à faire, qui légitime même l’existence la plus misérable, quelle qu'elle soit. En l'occurrence, la sienne. Alors exister à sa manière, envers et contre tous, est ce qu’elle fera. De ce qui est enfoui au plus profond d’elle-même ; l'essence de son être, elle laissera celle-ci s’exhaler sans retenue, aucune. Et si le garde-chasse veut se jouer son ange-gardien, soit, mais qu’il se retienne de s'approcher de trop près car elle risque, Diana, de lui arracher ses ailes.

Tyler et Diana

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Pif Paf Plouf

7. The memory of water  

Diana ne tarde pas à être rattrapée par le garde-chasse. Celui-ci lui empoigne d’ailleurs le poignet d’un geste qui se veut autoritaire et qui n’est pas sans conséquence. La dernière fois qu’on lui avait agrippé le poignet d’une telle façon, hormis par son père lorsqu’elle était enfant, c’était un soir de Noël. C’était sur le lit de son cousin. C’était par la main sale du père-Noël. L’horreur qui teinte ses yeux à cet instant chasse la colère même, remplacée par une peur latente. Diana sent monter en elle, d’affreux souvenirs et celui du visage de son oncle qui vient d’ailleurs se superposer sur celui du garde-chasse.

ー Lâche… moi… Lâche-moi tout de suite. » Ce n’est pas l’impétuosité de Diana qui l’ordonne, c’est la peur, c’est le supplice. Elle regarde le garde-chasse de ses grands yeux, tout écarquillés, elle est tétanisée.

ー S’il te plaît… Lâche-moi… » qu’elle lui demande une nouvelle fois, doucement à la manière presque d’une enfant qui subit l’impuissance du geste et par l’absence d’assurance face à un adulte qui exerce son autorité par la force. Pourtant, Diana pourrait s’y dérober si facilement. Oui, en temps normal. Un coup de poing, un coup de genou là où il faut, mais cette Diana là n’est pas à cet instant. C’est l’ombre d’une petite fille craintive qui a pris sa place.

Ce n’est que lorsque l’arrivée d’un véhicule brisant avec celui-ci le silence de la forêt que Diana reprend ses esprits, non pas sans avoir la larme à l'œil. Un instant elle se fige, réalisant la faiblesse dont elle a fait preuve face au garde-chasse, la honte la traverse un instant, mais elle chasse cet affreux sentiment. De nouveau son regard se ferme, l’arcade de ses sourcils froncé lui redonne cet air colérique. La poigne du garde-chasse se desserre et Diana en profite pour ramener sa main à elle d’un geste sec pour lui faire comprendre son mécontentement tandis que s’approche ses compères. Elle ne bouge pas, ne vaut mieux pas se mettre plus dans le pétrin qu’elle ne l’est déjà. L’un d’eux accourt avec un kit de premier soin et semble surpris de réaliser que Tyler (l’automate porte un nom), soit aussi trempé qu’elle. Elle jette un bref coup d'œil au garde-chasse à ses côtés, réalisant pour la première fois sous cet angle son visage marqué, balafré, toujours arborant cet air dur et coincé. Il répond d’ailleurs au premier degré à la question de son collègue et Diana ne peut s’empêcher de lâcher un rire gras. C’est un cas. Qu’elle pense pour elle-même. L’un des gardes chasse lui tend une couverture de survie qu’elle prend sans ménagement et qu’elle met par-dessus même la veste de l’autre bouffon.  Celui-ci se retourne d’ailleurs vers elle, le regard inquisiteur.

ー Qu’est-ce que tu veux encore...

Il tend une main vers elle, Diana recule d’un pas presque dégoûté. Elle craint en vérité qu’il ne la touche à nouveau. Et puis, elle réalise qu’il n’en a pas après elle, mais après la veste. Et comme cela lui semble douloureux que de le lui demander. Cela amuse la jeune femme, qui un instant, ne dit rien, ne répond pas. Et puis, un rictus étire le coin de ses lèvres :

ー Viens la chercher.

Elle laisse le silence peser, observe les traits du visage de Tyler pour y cerner une quelconque émotion de surprise. Diana cherche à le sortir de ce personnage qu’il se donne. Mais voyant l’état d’inertie qui l’habite plutôt et qui continue de lui demander la veste d’un geste de la main insistant, Diana finit par se départir de celle-ci et la lui tend machinalement. Elle se retourne vers les autres gardes-chasse, voyant leur sérieux à eux aussi en vue de la situation, elle réalise que déguerpir de là ne sera pas une mince affaire. Néanmoins, elle prend ses chances

ーMessieurs, j’apprécie votre petite intervention, je vous dois… » son regard s’arrête sur Tyler un instant, la suite de ses dires lui coûte son orgueil. « …une fière chandelle. »  elle se retient sciemment de dire la vie, ne voulant pas concéder au garde-chasse qu’il était la raison de sa survie. « Sur ce, je vais rentrer et me changer. » Diana se mit doucement à reprendre son chemin enroulé de la couverture métallique et épiant la réaction des gardes-chasse. Diana espère se sauver de là avant qu’ils ne réalisent son ébriété.

Tyler et Diana

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8. The memory of water  

Diana peine à marcher droit et zigzague plutôt malgré elle entre les arbres. Non pas seulement à cause de l’alcool, mais surtout car ses membres sont engourdis par le froid et qu’elle est épuisée. Elle n’arrivera bientôt plus à se supporter elle-même, elle arrive à ses limites. Ses jambes tremblent de façon incontrôlée, elle est à bout. Heureusement, la cabane n’est plus très loin car elle repère au loin la toiture et son 4x4 dont l’une des roues est crevée d’ailleurs. Elle est frigorifiée. Vivement qu’elle rentre. Tout ce qu’elle désire à l’instant, c’est se glisser dans ses draps, sous une tonne de couverture et s’endormir. Elle est si fatiguée Diana. Si fatiguée de courir. Si fatiguée de fuir, tout le temps, fuir de tous, fuir d'elle-même. Fuir de ce putain de garde-chasse dont la voix similaire à un répondeur automatique s’élève de nouveau derrière elle.

ーÇa t’arrive d’avoir d'autres mots à la bouche ou c’est tout ce que tu sais dire ? » Diana se retourne pour faire fasse au garde-chasse. « Tu peux bien le signaler tout seul, t’étais là non ? Je te laisse le soin de faire ton job.

Là-dessus, Diana lui rend brusquement la couverture que ses compères lui avaient donnée, elle croise les bras autour de son corps pour se réchauffer du mieux possible et reprend son chemin sans demander son reste. Et là, à quelques pas seulement de sa petite maisonnette qui tombe en miette, la vipère lâche son venin. Diana figée par la menace, n’a d’autre choix que de lui faire face.

ーEspèce de petit enculé de merde… » Diana vocifère tout bas, juste assez inaudible pour lui seul. Un rictus finit par étirer le coin de ses lèvres et remplacer l’air consterné qui s’était dessiné sur son visage. Tu veux jouer à ça ? Ok. On va jouer, pense Diana pour elle-même. Elle détache ses yeux du garde-chasse pour les planter sur les deux autres idiots plus loin. Un charmant sourire dessine ses lèvres et chasse la malice de son visage. Elle leur tend une main les incitant à la rejoindre et se retient de ne pas claquer des dents durant son beau discours :

ーVotre collègue vient de me rappeler la procédure! Comme je suis bête! Venez, ma cabane n’est pas très loin… Je préfère m’y changer la-bas, si ça ne vous cause pas trop d’inconvénients bien sûr… » Son doux sourire se dissipe à la fin de ses dires et elle toise de nouveau Tyler d'une animosité retenue.« ...Qu’on reste pas planté comme des piquets dans le froid non plus… » avait-elle ajouté plus bas et spécialement à l’intention du garde-chasse avec froideur. Il était hors de question qu’elle ne monte dans cette bagnole avec lui. Ainsi donc, sans demander son avis, Diana impose son compromis.

ーAlors… Tyler ? T’en profiteras pour te rendre utile et partir un feu, t’en dis quoi ? Et moi je leur raconterai notre petite péripétie. Ça te va ? » Elle n'attend pas qu’il acquiesce à ses propos qu’elle repart déjà sur ces paroles et déterminée, jusqu'à sa cabane.

Tyler et Diana

Codage par Libella sur Graphiorum

Pif Paf Plouf

9. The memory of water  

Le garde-chasse ne répond pas à ses paroles. Elle commence à le cerner, Diana. Pas très bavard, obstiné pour quelques obscures raisons qui lui appartiennent, coincé... Elle l’ignore arrivée à sa hauteur alors appuyé sur la façade de sa cabane en train de se rafistoler par lui-même. Elle tourne la poignée de la porte - qu’elle ne verrouille par ailleurs jamais - celle-ci s’ouvre dans un grincement terrible. Penser à mettre de l’huile, note pour elle-même que la lucidité retrouvée lui permet de réaliser. Il est quatre heures de l’après-midi et à cette heure-ci, Diana est d’habitude partie pour la nuit trop car bourré pour faire quoique ce soit. Elle compte bien y remédier, retrouver son train-train quotidien dès qu’elle les aura tous chassé d’ici car déjà ses morts reviennent la hanter. Elle chasse ses souvenirs d'eux d'un petit secouement de la tête. Elle ouvre la porte aux messieurs qui n’ont pas tardé à rattraper le pas et les fait entrer. Elle se tourne ensuite vers Tyler. Un instant ses yeux se posent sur son torse découvert et elle sent la gêne monter malgré elle. Non pas celle liée à la pudeur - elle n’a plus quinze ans - plutôt celle de découvrir là une véritable boucherie : un corps abîmé, troué, malmené sûrement par lui, mais par d’autres aussi. Et cette scène n’est pas sans lui rappeler Jimmy. Jimmy qu’elle avait retrouvé un soir sur le terrain de l’école dans un sale état, le corps recouvert d’hématomes et de lésions en tout genre. Mais ce n’était rien comparé à ce qu’elle voyait là devant-elle sur le corps du garde-chasse. Il ne le réalise peut-être pas, mais son corps c’est l’équivalent d’un livre ouvert pour quelqu’un d’un tant soit peu observateur. Et bien que Diana n’aime pas s’immiscer dans la vie des autres, elle ne peut s’empêcher de se questionner sur l'origine de toutes ces cicatrices. Ça lui paraît presque irréelle. Elle finit par détacher son regard de ce corps meurtri et plante ses yeux dans ceux du garde-chasse.

ー Aller Rambo, toi aussi. Saigne pas sur mon porche, entre.

La cabane de Diana est une simple pièce où le désordre règne. Quelques bouteilles vides roulent à terre sur le passage des trois hommes, elle se mord la lèvre. Elle n’avait pas réalisé à quel point c’était le bordel. Elle fait mine de rien et se saisit de quelques vêtements qui traînent ici et là. Il y a un lit simple, un canapé en cuir éventré par endroit, une armoire bancale à laquelle il manque un pied et une arbalète accrochée au mur qui ne lui est (encore) d'aucune utilité. Sa carabine repose dans un coin de la pièce, bien sagement. Il y a des cannes de conserves, des tas qui traînent un peu partout.

ー Je me change et on pourra discuter ensuite. » dit-elle à l’attention des gardes-chasses sans vraiment poser les yeux sur Tyler. Elle sait qu’il n’est pas dupe. Pour cause, elle fait comme s’il n’était pas là. « Vous m’excuserez pour ce bordel, mais je ne m’attendais pas à recevoir de la visite…

Son ton est doux, posé, sa voix légèrement mielleuse mais sans excès. Il est indéniable qu’elle possède un charme et que d’en jouer n’ajoute que d’autant plus à son pouvoir d’attraction. En dépit de l’insalubrité du lieu, en dépit de la fatigue sur son visage, en dépit de ses cheveux sales et en pagaille. Elle leur adresse un sourire faussement gêné, comme si elle cherchait là à les attendrir de sa situation avant de partir se changer dans l’unique pièce de la cabane : la salle de bain. Elle fait passer le geste pour une maladresse de sa part en refermant mal la porte derrière elle et laissant ainsi une mince fente. Lorsqu’elle ressort, c’est en jogging et débardeur, tout simplement. Elle a depuis longtemps brûlé ses belles parures, Diana. Elle frissonne, pousse à l’excès son état quoique bien réel. Elle en profite pour baisser les yeux un instant et tour à tour sur les mains des gardes-chasse à l’exception de celles de Tyler. Elle remarque ainsi l’anneau sur l’annulaire de l’un d’eux. Celui-ci est marié… Celui-ci ne l’est pas. Elle mettra ses efforts sur ce dernier donc, quoique encore… Diana sait s’y prendre. Elle sait reconnaître un homme qui prétend à quelques intentions sur une femme. Et si elle se montre un peu réceptive, elle sait d’expérience qu’il fera tout pour la satisfaire dans l’espoir de la conquérir. Et c’est bien la-dessus qu’elle compte jouer. Elle se rabattra sur le premier qui craque. Diana est une femme à la complexion fine et élancée, des traits d’une finesses chatoyants prodigués par un fabuleux hasard génétique si l’on connait ses parents qui sont dotés d’un physique tout à fait banal. Une placidité apparente sur son visage que l’on associe aux portraits lorsque ce n’est pas la colère qui l’anime. C’est une beauté rare et elle n’est pas sans le savoir. Et la tragédie dans tout ça, c’est bien qu’en contrepartie, jamais à l’intérieur elle ne sera à la hauteur de ce qu'elle dégage de l'extérieur. Et ça aussi, Diana le sait. Elle sait que plus tard, lorsque la jeunesse lui aura filée entre les doigts, qu’il ne lui restera plus rien hormis ce mal-être en elle. Et ce jour-là, démunie de son plus précieux rempart, elle sera d’autant plus laide.

Elle a véritablement froid Diana et en cela, elle sait pertinemment qu’on ne peut lui enlever la crédibilité de son petit numéro. Alors la jeune femme s’avance vers les gardes-chasse dans l’intention de leur expliquer le pourquoi du comment elle et Tyler se sont retrouvés dans cette situation. Elle feint un instant d’être prise de faiblesse et de vaciller, puis prend appuie sur l’un des gardes-chasse. Elle lance quelques excuses mal articulées, se montre embarrassée, apporte l’attention là où il faut en plaçant derrière son oreille une mèche de cheveux tombant sous ses yeux. Elle glisse un doux sourire à celui sur lequel elle avait pris appui un bref instant. Feindre qu’un lien s’est créé, qu’une connexion humaine entre elle et lui venait de s’opérer et il ne la décevrait pas, elle en était convaincue. Elle lui tend par la suite quelques œillades furtives durant son récit tout simple : elle était sortie chercher du bois et elle s’était enfargée sur une racine. Tyler était dans les parages et Tyler avait fait preuve de courage. Qui pouvait se vanter d’en faire autant ? Son récit est clair, limpide, convaincant et elle met Tyler sur un piédestal. Non pas pour flatter son égo, mais plutôt pour attiser là un peu de jalousie mal placée de la part des deux autres.

Diana, c’est une madame Bovary des temps moderne qui s’est fait dupé toute sa vie, bercé depuis son plus jeune âge par de belles illusions. Ça a d’abord commencé par les contes pour enfants dans lesquels elle apprenait à devenir une belle plante avenante et docile. Ensuite par sa mère dont le seul succès de sa vie a été d’avoir séduit et marié son richissime de père. Et finalement, par les jeunes filles de son âge qui de ce temps, se croyaient devoir impérativement plaire aux garçons. Le drame de Diana, tout comme Emma, est d’avoir cru à toutes ces illusions. Ses propres illusions. D’avoir cru vivre des sentiments qu’elle n’éprouvait pourtant pas. Elle a souffert elle aussi, tout comme Emma, de l’amour imaginaire qu’elle portait, d’abord pour les autres, mais surtout pour elle-même. Car la vérité est que Diana ne s’aime pas la première. Elle ne s’est jamais aimé. Comment aimer les autres dans ces conditions ?

Et lorsque le mensonge s’immisce aussi profondément jusque dans l’âme, il est quasiment impossible de l’en dissocier de la réalité. Diana n’était pas belle, elle ne l’a jamais été. En dépit de tout ce qu'on a voulu lui faire croire, en dépit de toutes ces prétentions. Diana n’est pas belle, car elle est laide.

Tyler et Diana

Codage par Libella sur Graphiorum

Pif Paf Plouf

10. The memory of water  

ーBon… Vous croyez avoir tout ce qu’il vous faut ?

Diana lance un faible sourire aux gardes-chasses, mais il est faux. Elle en a marre, elle veut qu’ils se barrent. Et surtout, elle a envie de boire, d’oublier ce qu’il s'est passé, oublier la gêne, oublier qu’elle a frôlé la mort, qu’elle a halluciné d’eux, une fois encore. Les souvenirs semblent beaucoup plus présents ces temps-ci. C’est toute cette putain de neige…, pense Diana en jetant un regard à travers la fenêtre. Elle aperçoit du coin de l'œil, son garde-chasse “préféré” s’avancer vers elle, couverture en main. Il parle d’elle à la troisième personne à ses collègues. Qu’elle déteste ça, ces hommes qui prétendent connaître ses besoins mieux qu’elle-même. Demande le moi directement, connard, pense Diana, posant sur lui son regard noir.

ー T’es chiant. Arrête de faire comme si tu t’en soucis…

Ça lui a échappé Diana. Elle qui prétendait à toute cette douceur, celle-ci à vite fait de quitter son corps. Elle se reprend toutefois dans ses manières, mais rejette la couverture de survie en la repoussant dédaigneusement de sa main. Elle tente de ne pas tomber endormie. Elle se sent lourde d’alcool, lourde de froid. Dans le silence qui pèse, elle croise le regard de Tyler. Ses yeux la regardent, sévères, transpercent ses défenses. Elle croirait voir son père. Elle rompt le contact la première, prétexte avoir besoin d’aller aux toilettes.

ー Donnez-moi un instant.

Cette fois-ci, pas de porte laissée entrouverte. Diana ferme la porte à clé derrière elle. Elle se regarde dans la glace longuement, le regard qu’elle se porte est plein de mépris pour elle-même. Elle n’avait pas remarqué ses joues creuses et les poches sous ses yeux mornes. Elle entend de l’autre côté les gardes-chasses discuter brièvement de leurs plans pour la saison des festivités qui approche. Elle sort du petit placard de sous le lavabo, une bouteille de rhum. Il lui en reste bien un fond qu’elle vide d’un trait avant de le reposer lourdement à côté de l'évier. Elle prend appuie sur le rebord de celui-ci, laisse tomber sa tête par en avant. À quand remonte son dernier Noël ? Elle ne se souvient plus trop Diana, si c’était avant ou après la naissance d’Ophélie. Elle ouvre le miroir, se saisit d’un autre flacon d’alcool qu’elle vide aussi avant de laisser choir dans l’évier. Cela a-t-elle fait d’elle une mauvaise mère ? De priver sa fille du plaisir féerique de fêter le capitalisme ? C’est ce qu’elle se demande Diana, futilement dans l’instant. La question idiote qui traverse innocemment son esprit lui fait échapper un rire sinistre qui s’étend dans sa durée de façon incontrôlable. Une mauvaise mère… pour lui avoir empêché de croire au Père-Noël ? Non... De nouveau, elle s’esclaffe, mais lorsque les souvenirs de la piscine surgissent par fragments, le souvenir de cette balle rouge flottant aux côtés de ce petit corps frêle, les rires se mêlent à des cris de détresse qu’elle s’empresse de réprimer de sa main pour ne pas se faire entendre de l'autre côté. Elle fait couler l’eau du robinet pour étouffer l’émotion qui lui prend à la gorge. Pas assez d’alcool… Diana cherche partout dans la petite salle d’eau, elle sait qu’elle avait préalablement caché plusieurs bouteilles dans la cabane. Mais ce qu’elle a devant elle, sont bien les dernières de cette pièce. Elle rage, se saisit de l’une d’elles qu’elle fracasse violemment contre le miroir à bout de patience. Lorsque Diana sort de là, le masque est tombé. Elle ne sourit plus, il se dégage d’elle quelque chose d’austère et de froid, mais surtout de mauvais.

ー Sortez. »  Son ton est autoritaire, ses intentions sans détours. Elle semble toutefois se rappeler de la carte de la politesse et tente de l’appliquer ultimement. « S’il vous plaît.

Elle se poste, tendue, devant ces trois hommes, comme si elle était prête à leur sauter à la gorge. Elle se contient Diana, pour ne pas déferler sa colère sur eux. Elle doit y mettre toute sa concentration pour ne pas perdre pied.

Tyler et Diana

Codage par Libella sur Graphiorum