Tu habites à Arcadia Bay ou tu étais juste de passage ? Diesel avait trouvé ses marques, à Arcadia Bay ; après avoir erré de ville en ville dans sa voiture pendant des mois, traîné de chambre d'amis en chambre d'amis sur tout le continent sans jamais trouver sa place, de chambre d'hôpital en chambre d'hôpital chaque fois que quelque chose
déconnait, que quelque chose
explosait en lui. Il fuyait, Diesel – il fuyait l'agitation, il fuyait la grisaille, il fuyait son passé, et tout ce qu'il avait quitté, en France, puis à New York. Il fuyait – et Arcadia Bay était devenu son point de chute, son ancrage. Ça fait trois ans – trois ans qu'il s'est posé, trois ans qu'il a quitté sa vie de funambule des routes et signé un bail pour un peu plus longtemps, trois ans qu'il a décidé qu'ici, c'était chez lui ; qu'ici, il s'y plaisait suffisamment pour y vivre le premier jour du reste de sa vie, et tous ceux qui suivraient.
Tu faisais quoi avant la tempête ? Il s'était, enfin, bâti une vie bien rangée. On avait sans doute eu pitié de lui, lorsqu'on l'avait posé derrière le comptoir d'un des bars huppés de la petite ville –
Les Nébuleuse. Sans doute les origines françaises de Diesel avaient-elles convaincu le patron – et sans doute, sans celles-ci, aurait-il poursuivi sa vie de nomade encore longtemps (au moins, au moins,
il aurait évité la tempête). Alors, par coup de (mal)chance et de hasard, Diesel s'était remis à gagner sa vie ; il s'était fait une place dans l'entreprise florissante, était même devenu le favori de l'enseigne. Tant et si bien qu'il avait obtenu le droit, les soirs où il ne travaillait pas, de se produire sur la scène toujours animée des Nébuleuses. Il venait s'y échouer tout un tas d'artistes anonymes du coin, des visages plus ou moins familiers sous les stroboscopes de l'endroit – il s'était découvert, ici, des fans de la première heure venus d'outre-mer.
On l'avait reconnu alors qu'il n'était personne et, tout doucement, il avait percé. On l'avait repéré – et il avait frôlé son grand rêve oublié du bout des doigts. Son premier single –
Emergency Contact – tournait enfin sur les radios, son premier album éponyme était prévu pour la mi-décembre deux mille dix-neuf.
La tragédie, elle, n'attendit pas si longtemps.Quels dégâts a-t-elle fait dans ta vie ? Il s'est retrouvé seul – coupé de tout, du monde extérieur, de ses proches restés en Europe, des amis qu'il s'était faits sur les routes. Le bar a subi bien des dégâts, son appartement à l'autre bout de la ville plus encore ; le second est irrécupérable, alors il a trouvé refuge dans l'arrière-boutique du premier. La plupart de ceux qu'il connaissait sont…
disparus, il préfère le croire – bien qu'il se souvienne encore de certains regards vides qu'il a croisés sous les décombres des premières heures, de certains visages familiers que la vie avait quitté. Quelques bleus pour lui, quelques entorses, quelques foulures, quelques éclats de verre et de béton ; il s'en est tiré sans grands dommages au corps, et le matériel s'en sort – on reconstruit, on repeint, on réécrit, peu importe (
l'homme l'a toujours fait) ; c'est à l'intérieur de ces mêmes hommes que l'empreinte des violences demeure longtemps.
Il a vrillé, Diesel – et ça faisait longtemps que ses cachetons n'avaient pas suffit, ça faisait longtemps qu'il ne s'était pas senti
hors de contrôle, si impuissant et désemparé. Ça faisait longtemps, si longtemps qu'il avait oublié – comment il se sentait, quand il n'était plus qu'un tourment, qu'un désastre ambulant. Il peine à retrouver l'équilibre – c'est la tempête, peut-être, qui gronde encore au creux de lui, et qui le fait vaciller (mais il a les armes pour s'en tirer, aujourd'hui ;
il le sait).
Que faisais-tu lorsque la Tempête a frappé ? C'était dimanche – il était chez lui, au septième et dernier étage d'un immeuble à la périphérie du centre ville. Il composait sur sa guitare, le volume de sa télévision au minimum, son téléphone en haut parleur posé sur la table basse – c'était le rire de sa meilleure amie, à l'autre bout du fil. Elle lui racontait comment c'était, Londres, qu'elle visitait enfin, elle lui racontait que c'était comme dans les films, et que là-bas les cabines téléphoniques existaient encore, et qu'elle comprenait ce qu'on trouvait à l'accent britannique. Elle lui parlait de ce libraire de vingt ans de plus qu'elle sur lequel elle avait craqué – le charme du savoir et de la culture. Tout ça la fenêtre ouverte, et ça faisait un léger courant d'air dans l'appartement – et puis, doucement, ça a commencé à tanguer, les feuilles à s'envoler ; d'un seul coup la porte a claqué. Il a sursauté, il a ri, il a poursuivi sa conversation – jusqu'à ce qu'il sente le vent s'amplifier, jusqu'à ce que la pluie s'invite sur son parquet, jusqu'à ce que l'ouragan s'engouffre. « Attends » il a dit, téléphone à la main, en s'approchant de la fenêtre pour la refermer, « putain, c'est quoi ce bordel ? » en devinant l'obscurité qui, peu à peu, plongeait sur eux. La pluie s'est abattue sur les carreaux, violente, cinglante, « Olympe je te rappelle » et il a perdu le contrôle – son instinct de survie a pris la relève. Sa guitare (la prunelle de ses yeux) et une sacoche remplie du strict nécessaire (entre autres papiers, permis, carte bleue, clefs et chewing-gums) sur le dos, il est sorti de l'appartement. Il a frappé à toutes les portes, il a gueulé sur tous les paliers, « descendez, descendez putain, restez pas dans les étages » ; ils se sont réfugiés en bas, au rez-de-chaussé, là où les fondations étaient les plus solides, là où ils seraient peut-être
en sécurité. Et le reste – le reste, Diesel préfèrerait l'oublier.
Tu quitterais tout pour retrouver ta vie d'avant ? Oui. Il s'était refait – il s'était rangé. Il avait trouvé une raison d'exister, il s'était sevré des poisons dans lesquels il s'était réfugié, il avait trouvé cet équilibre fragile tant recherché – il se sentait enfin lui-même, enfin grandi ; il se serait presque décrit comme quelqu'un de bien, de droit, de fiable et de solide. Cette vie-là, il l'avait tant rêvée, et tout le mal causé, tous les sacrifices d'autrefois en valaient presque la peine – il se sentait bientôt prêt à demander pardon pour tout ce qu'il avait infligé. Et puis, et puis, la tempête – et, de nouveau, tout a perdu sens.
Plus rien, aujourd'hui, ne justifie aucune des tragédies qui ont porté son nom.Exerces-tu un métier ou des activités particulières dans ce nouveau monde ? Il a fallu s'occuper l'esprit, et les mains – il n'aurait pas pu rester immobile, il n'aurait pas pu fermer les yeux et attendre que le temps passe. Il ne pouvait plus – s'il avait les cartes pour s'en tirer alors il fallait les jouer à plat sur la table, la quinte flush de sa volonté au grand jour. Alors, il a relevé la tête, il a inspiré, et il a entreprit de déblayer les débris qui joncheaient le sol du bar, de bâcher le toit où les briques s'étaient arrachées. Il a jeté les bouteilles brisées, récupéré celles qui ne s'étaient pas fendues, il a redressé les tables et les chaises, et s'est auto-proclamé nouveau gérant des Nébuleuses – peut-être pour que les âmes égarées comme la sienne puissent s'accouder au comptoir et échanger au dessus d'un verre sur ces tragédies qui fatiguent quand ils sont lasses de faire semblant que tout tourne encore rond. Il joue de la musique, encore, parfois ; quand la rancoeur n'est pas trop grande, quand la douleur ne le dévore pas de trop. Il gratte les cordes et fait porter sa voix, en espérant que d'autres survivants joignent les leurs à la sienne – pour se rassembler quand la solitude est immense, pour faire fuir un peu les ombres, pour chasser un peu l'ennui.
Pourquoi n'as-tu pas rejoint une communauté de survivants ? Il ne s'en sentait pas le coeur, il n'en voyait pas l'utilité ; s'il pouvait être fort pour un il n'aurait pas su l'être pour dix ou pour cent. Il n'aurait pas été capable d'être
dirigé avant d'être
dirigeant, il n'aurait pas été capable d'apporter sa pierre à l'édifice, pas capable de donner de sa force aux autres en priorité. Il avait besoin de cette solitude – besoin d'être seul pour se retrouver. Besoin de se prouver, peut-être, qu'il était
capable d'être toujours quelqu'un, avant de songer se fondre dans une foule.
Que penses-tu des groupes qui s'organisent ? Il les envie, il les admire. Il leur trouve du charme, à ceux qui ont réussi à s'allier les uns aux autres ; il lui trouve un quelque chose de touchant, à cette solidarité qui naît toujours des enfers des hommes. Il s'identifie aux knights, à ces chevaliers au service de la veuve et de l'orphelin ; et s'il devait se laisser porter par des flots resserrés ce serait par les leurs – il aime leur foi inébranlable en le pouvoir d'
aider son prochain, leur désordre qui les rend fascinants. Ils l'émeuvent, quelque part, sans qu'il ne puisse se l'expliquer. Les greens, eux, le laissent de marbre. Il comprend leurs idées, en partage certaines sans doute, et contemple avec un émerveillement certain la volonté qu'ils ont à s'organiser, et cette façon qu'ils ont de construire autour de la terre plutôt que de la plier à leur volonté. Ils feraient, pour sûr, un bel idéal, s'ils n'avaient pas ces discours religieux moralisateurs auxquels il n'adhère pas. Les pirates, enfin, Diesel ne les porte pas dans son coeur ; ils représentent cette part d'ombre que personne n'admet mais que chacun porte en son coeur – les rapaces qui n'existent et ne subsistent que parce que la misère des autres le leur permet. Il leur est hostile dans les idées, pourtant c'est avec eux que Diesel cherche à marchander sa paix – il offre son bar comme lieu de passe et d'échange à l'abri des regards en zone neutre, assurant la discrétion de tous les trafics en son sein. Il ne demande, en retour, que des services minimes, quelquefois une infime part de leur marchandise parce qu'il se crève sans méthadone (
et, lentement, Diesel menace de retomber dans ses travers au contact de la poudre qui circule de main en main sous le toit des Nébuleuses).
track 01 — the fool fils de rien, fils de personne ; livré à un orphelinat bien avant l'âge de raison,
il ne sait rien de son père, de sa mère, de l'erreur de jeunesse, des seize ans condamnés, des enfants qui sont trop jeunes pour être parents et des larmes qui déchirent lorsque leurs familles s'opposent et qu'ils ne sont pas
capables, pas capables d'être
papa et d'être
maman.
il est l'enfant sage, le sourire discret, les mots étouffés, il est la victime des plus grands mais c'est pas trop méchant – lui aussi il embête les nouveaux arrivants, c'est comme ça, c'est comme ça qu'on apprend.
il est celui qui voit les autres s'en aller et qu'on ne choisit pas, il est celui à qui l'on répète que bientôt que sera trop tard, que passer douze ans on ne veut plus d'eux, qu'ils sont trop grands, trop formatés pour qu'on s'attarde sur eux.
il est celui qu'on choisit un jour, quand il n'a que huit ans ; il est celui qui fait naître cent projets dans les yeux amoureux, celui qui leur grave au coeur la définition du mot
famille, et celui du mot
parents ; et romeo devient le fils de marvel et santiago.
il est l'élève enjoué, le sourire facile, il a onze ans et pour lui
la vie commence à peine, commence vraiment – il se heurte aux hostilités quand il faut
avouer qu'il a deux papas et qu'ils n'ont pas son sang ; il se conforte la tête sur l'épaule de son rempart de sa moitié de sa meilleure amie de son inséparable, elle s'appelle olympe, olympe et c'est la seule qui compte quand il se blesse quand il s'écorche quand il aime de travers (quand son coeur s'éprend sans s'interroger et qu'on frappe un garçon qui tient la main d'un autre garçon).
romeo tient bon – c'est pas si grave ;
ça ira mieux demain qu'il prétend.
track 02 — opium et puis, tout doucement, il s'use ;
et puis, jour après jour, il s'écorche ;
il se blesse sur les rebords tranchants de leur haine aveugle, de leur désir d'être
puissants, les bleus au coeur qui s'impriment quelquefois sur sa peau quand les mots ne suffisent plus dans la cour du collège et qu'il faut
réagir,
faire mal pour
faire taire.
et puis, tout doucement, c'est lui qui se tait ;
et puis, tout doucement, c'est lui qui disparaît ;
les journées assassinées à ne plus rien faire, les clics hagards et les frôlers de son clavier – et sa carcasse s'échoue sur un chat un peu kitsch d'ados mal dans leur peau qui échangent des poèmes mal ajustés pour dire à quel point la vie est laide et comme le noir leur va mieux.
il s'en repaît – de ces désillusions qui lui rappellent les siennes, de ces tragédies adolescentes auxquelles il s'identifie si bien.
et puis, un jour, sonne une nouvelle notification dans ses messages privés – sur le bord de son écran,
nirvana de pixels et photo de profil floue.
il répond, insouciant ; il répond, inconscient – il ne sait pas encore comme elle est poison nirvana, il ne sait pas encore comme elle le brisera nirvana ;
il ne sait pas, comme il l'aimera (
à presque s'en donner la mort), il ne sait pas comme elle l'aimera plus encore (
à s'en tuer quand il saura et qu'il n'en pourra plus de se fracasser sur ses récifs).
il ne sait pas, quand elle lui dit qu'elle aime ses mots, que plus tard elle gravera sur ses rétines l'image de ses bras blessés du coude au poignet ; il ne sait pas, quand elle lui dit qu'elle l'aime lui, qu'elle le condamne à rester ou à ne plus s'en tirer,
il ne sait pas – il ne sait pas, jusqu'au jour où elle n'est plus là
jusqu'au jour où elle se tait
et romeo, à seize ans la vie en suspens,
se persuade pendant dix ans de l'avoir
tuée.
track 03 — phosphenes (acoustic) il essaie d'exorciser ; ses démons sur le papier noirci de plomb, ses sanglots sur les accords d'une guitare qu'il gratte un peu trop fort pour qu'on n'entende pas sa douleur,
seul et malheureux – ou bien entouré mais trop saoul pour réaliser, faut se donner l'air plus heureux, plus droit, plus carré, faut
se mettre bien les premières fois puis ça devient la seule accroche, on ne se sent bien qu'en n'étant plus jamais soi.
c'est olympe qui remarque, olympe qui lit entre les lignes, olympe qui devine les contours flous de l'existence de son meilleur ami – olympe qui sait, qui sait tout,
c'est elle qui a supprimé tout ce qui restait de nirvana dans le téléphone portable de romeo.
c'est olympe qui débarque et qui fracasse, olympe et l'autre, olympe et sa meilleure amie (et romeo ne la supporte pas, la meera des beaux quartiers, la meera si bien rangée, la meera si parfaite qu'on pourrait l'épingler), c'est olympe qui lui dit que c'est terminé, l'ennui et l'alcool et la solitude,
et que la douleur on en fera quelque chose,
et que les vides on va les combler.
prends ta guitare romeo, elle ne lui laisse pas le choix,
prends ta guitare et on va dans mon garageet puis on trouve d'autres âmes un peu paumées, d'autres grands projets avortés, on trouve un allen et un leo, on trouve un nom bancal et téléphoné sur le bord d'un canapé,
et puis, tout doucement, à mesure que les accords passent et sans qu'on s'en rende compte, on se surprend à y croire,
et à rêver un peu plus fort.track 04 — addicted to the rush on trouve une scène quelconque, on s'expose à l'occasion d'un tremplin et le patron aime bien ; il aime bien la force de ces jeunes, leur présence et leur talent – ce sont les hasards, les opportunités saisies au vol et les
oui qu'on prononce au bon moment ;
la scène de
l'échappatoire leur appartient, et en quelques semaines leurs paroles s'esquissent déjà au bord des lèvres de tous les habitués – les fans de la première heure et du samedi soir.
on pourrait croire que tout s'arrange ;
on pourrait croire que l'histoire retrouve de sa clarté
mais romeo, diesel ne serait pas le même s'il ne s'était pas encore un peu fracassé, pas encore un peu égaré.
clarté, clarté oui – dans les idées, dans ce coeur prisonnier des barreaux rouillés de sa culpabilité ; et cette douleur il fallait à tout prix
l'effacer.
alors, doucement, tout doucement, romeo a sombré – encore, et sans qu'on ne remarque rien ;
au début comme tous les jeunes,
rien que pour essayer, les trucs légers pour
faire bien, qu'il disait, les trucs faciles pour
faire genre.
et puis, doucement, tout doucement, par la force des influences et parce que rien ne dissolvait assez les drames de ses idées noires,
il a touché plus corsé – les lignes fines sur la surface d'un miroir, le briquet sous la feuille d'aluminium, bientôt le creux des coudes marqués de plaies qui suintent et d'ecchymoses maladroits.
et puis, brusquement, de l'heure à la suivante, le pas de côté, tragédie programmée ;
plus tard il faudra mentir, pour ne pas avouer qu'on a voulu mourirpour ne pas inquiéter, pour ne pas faire fuir ; pour que rien ne change, pour qu'il ne lise pas dans les yeux du monde la même douleur que dans ceux de ses pères et d'olympe
il jure
(même s'il ment)
il jure qu'il n'y songera plus
(que tout ça c'est derrière lui)
promis juré c'est terminé.track 05 — fears c'est meera,
meera dans la tourmente,
meera au milieu de tout – il est installé sur un canapé et il la regarde qui danse avec olympe au milieu de la piste, et c'est la première fois qu'il réalise ;
c'est peut-être l'alcool, c'est peut-être l'ennui, c'est peut-être les flash des stroboscopes bon marché qui troublent ses perceptions et ses idées d'adolescent éméché,
mais meera est belle, cette nuit-là – la plus belle de toutes, même s'il n'en dit rien même s'il l'avouera plus tard
(il a dix-neuf quand ses murmures s'égarent sur la peau de la bassiste
et qu'il lui dit
t'es belle meetout en oubliant de lui dire
je t'aime)
et elle devient meera,
meera le parfum de soleil et d'été, meera et toutes les chemises piquées les matins qu'elle se réveille chez lui, meera et sa douceur, meera et sa tendresse, meera et ses promesses
meera qui ne mérite rien des hivers de romeo, meera qui ne mérite rien des orages ni de ses ouragans ; meera qui s'oublie et, lentement, romeo qui la blesse et, brusquement, romeo qui la trahit.
l'été se fane – meera n'est plus là, meera se glace, meera s'en va, le lit est vide
et son coeur
à lui
s'asphyxie.
track 06 — fake it il faudrait faire semblant – semblant que tout va,
mais les silences écorchent et les accords sonnent faux, les voix sont creuses, la flamme n'est plus – la passion sur scène s'éteint, leurs yeux ne brillent plus ;
ils ne sont plus les comètes qu'on attend sur l'estrade et même le public se lasse de leurs accrocs et de leurs mauvais raccords.
la scène se vide,
c'est meera qui disparaît la première
et olympe vacille dans les entre deux de son coeur qui ne veut pas choisir ;
elle dit
pardon, il dit
vas-y,
et olympe s'efface aussi – elle reviendra, elle reviendra mais pas maintenant, pas tout de suite,
et romeo regarde ses compagnons d'infortune, ses piliers ébréchés,
sa famille déchirée
il dit
je suis désolé et il se tire aussi – incapable de rester ici,
sur une scène qui ne le fait plus briller,
dans une ville qui lentement l'étouffe et le consume
il se tire en pleine nuit – cigarette entre les lèvres, trouble sous les paupières, une main sur le volant et rien qu'un sac et ses guitares à l'arrière
il n'a laissé qu'un mot sur le frigo de ses pères, et sur le répondeur d'olympe un au revoir pressé, des excuses bafouillées
il fait tomber le mégot encore incandescent sur l'asphalte quand s'efface le dernier panneau qui barre la terne paris dans son dos, et tout ce qu'il laisse derrière lui il les laisse s'embraser, se réduire en cendres
paris il laisse brûler.
track 07 — wanderer (acoustic) il erre – longtemps.
nulle part son coeur on ne l'accroche.
il marque des haltes, pour quelques jours, quelques semaines, tout au plus quelques mois quand il se dit
peut-être, peut-être que c'est la bonne mais toujours en vain ; il écume la france et puis s'en lasse, se lasse des paysages qui se ressemblent tous, et son mal du pays lui vient de celui qui l'a vu naître.
il s'arrache, encore,
et toutes ses économies claquées pour se tirer aux états-unis,
(sait-on jamais que l'american dream soit pas qu'une vague connerie)
il voit défiler les grands boulevards, la cinquième avenue, les casinos, il erre jusque dans les tréfonds de new york et de san francisco,
parfois il s'éparpille, vend sa conscience et cherche l'argent facile – le deal et le fight pour s'en tirer et ne pas trimer.
il s'égare encore – pendant trois ans, l'alcool coule à flots et les excès dévorent
il en oublie de répondre, laisse les messages en suspens, les appels tombent instantanément sur le répondeur parce que son portable n'a plus de batterie depuis trois jours et romeo s'en fout – romeo oublie, que quelque part, à l'autre bout du monde, quelqu'un s'inquiète pour lui.
il retrouve les murs blancs des hôpitaux – un ou deux soirs qu'ont mal tourné, et que les ravages ont frappé fort ; mis à terre et sans raison de se relever, encore, encore, encore
romeo cent fois (
sans foi) s'est laissé tomber
(prêt à renoncer)
jusqu'à ce qu'au bout du trajet
un matin – une aube un peu cotonneuse
le jour ne finisse par se lever.
track 08 — emergency contact arcadia bay.
sanctuaire paisible en bord de mer, ville côtière étudiante, chaleureuse et animée
du genre où les voisins se connaissent, et les professeurs des parents seront ceux des enfants dans quinze ans.
il y fait bon vivre – les hivers sont doux et les étés somptueux, on lui sourit sans le connaître, on le salue et on s'étonne de son accent, alors on le présente aux autres, on dit
il est français et c'est tout ce qu'il est,
le français d'arcadia bayet ça lui plait bien cette affaire – de n'être tout à fait rien ni personne, et que tout reste à réécrire,
ça lui plaît le soleil, le café, les petits déjeuners sur les banquettes usées du Two Whales Diner, les sourires contagieux
et, doucement, tout doucement, le flot des idées noires se tarit, il s'apaise, les tourments se délient.
ça fait trois mois qu'il n'a pas bougé d'ici, et il a l'impression de respirer pour la première fois depuis qu'il a quitté paris – il réalise, au dedans,
qu'il n'a plus envie d'être nulle part ailleurs qu'ici.track 09 — down and now trois ans.
trois ans pour se reconstruire – trois ans pour ne plus
manquer, trois ans pour ne plus
trembler,
et il aura fallu des larmes, de la sueur et du sang,
des nuits solitaires à se demander – à se demander
du passé, des fracas, de tout ça mais qu'est-ce qu'on en fait ?,
des jours gris à ne pas savoir exister et plus tard reprendre des couleurs – doucement, tout doucement, reprendre le contrôle sur sa vie.
acquiescer, accepter, dire
j'ai besoin d'aide et consulter, le traitement le renouveler, cette fois s'y tenir – ne plus manquer, ne plus faillir, trouver l'équilibre entre les
up qui se brûlent au soleil et les
down qui se brûlent aux enfers,
se fondre au milieu des gens,
ne plus simplement
survivre au dehors de soi – apprendre à vivre autrement qu'à la troisième personne du singulier.
thérapie, régulateurs de l'humeur et méthadone – triptyque éloquent, bavard et tragique mais nécessaire ; nécessaire pour n'être plus le romeo d'avant,
nécessaire pour un jour pouvoir demander pardon.
doucement, aussi, ne plus ignorer le passé qui rappelle, les sonneries en suspens et bientôt les appels il répond enfin, il décroche et il réalise – il réalise comme elle lui avait manqué, olympe, et son rire, et
et elle ne dit rien – elle ravale ses reproches, ses rancoeurs, ses douleurs,
elle efface tout ce qu'il l'a blessée parce qu'elle l'entend, là, à des milliers de kilomètres d'elle,
comme il est en train de devenir grand, son romeo brinquebalant.track 10 — fading trois ans d'accalmie,
avant que l'ouragan ne ravage.
et pour la première fois – pour la première fois ce n'est pas au dedans que l'orage gronde ; c'est dehors, c'est la mer qui s'enrage et les vagues qui s'enroulent, les tonneaux qui se fracassent sur le rivage et les récifs de la falaise
ce sont les premières bourrasques dont personne ne s'inquiète, puis qui enflent et bousculent et mettent à mal l'équilibre indolent des gamines qui se promènent dans les rues d'arcadia bay – ce sont les premières tuiles qui tombent du haut des toits, les premières fenêtres qui claquent et les vitres qui éclatent sous la violence des chocs
ce sont les cris, l'angoisse, les courses effrénées dans la rue, la terreur dans les yeux, le coeur qui se serre forcément quand on réalise – quand on remarque ce qui vient et qu'on comprend, qu'on comprend que cette fois
c'est pour nous qu'elle vient, la tragédie des fictions catastrophes
ce sont les longues minutes passées prostrés dans le coin d'un appartement du rez-de-chaussée, les uns contre les autres, une gamine quelconque qui a perdu ses parents dans la cohue entre les bras pour la protéger de la poussière qui tombe quand tout tremble et que les étages s'effondrent
ce sont les sanglots étouffés, les pleurs d'un bébé, les prières des pieux et même de ceux qui ne croient en aucun dieu, ce sont les hurlements stridents quand une brèche s'ouvre au dessus d'eux, c'est prier soi-même alors qu'on maudit les cieux
c'est l'obscurité soudaine –
c'est fermer les yeux
et croire que tout est terminé.
track 11 — these ruins of us il faut se relever.
il faut rouvrir les yeux, oser bouger, les vêtements trempés, collants d'eau et de poussière, il faut oser, se regarder les uns les autres ou ne surtout pas baisser les yeux quand on sait que le plafond s'est effondré
c'est l'état de stupéfaction, réaliser qu'on est bien vivants ; et puis les premiers sanglots, les premières suppliques pour ceux qui n'ont pas eu cette
chance,
on hurle d'appeler une ambulance, on supplie, on demande pitié, on demande clémence,
tout mais pas çaun père, une soeur, un enfant ; on rouvre les yeux et il manque forcément quelqu'un, ici ou ailleurs, il manque quelqu'un mais on ignore encore l'étendue des dégâts
(on n'est pas certains de ne pas préférer l'espoir de ne rien savoir).
l'audace des premiers anime les suivants, romeo se relève et il aide la gamine à faire de même – la terreur dans ses yeux le bouleverse
(
pitié faites qu'elle ne soit pas orpheline)
elle fuit et il faut avancer – avancer et voir l'horreur
réaliser qu'on a fait ce qu'il fallait – que les étages les auraient tous condamnés ;
réaliser qu'on est de nouveau seul désormais.