[24/09] ces poèmes qu'on lançait comme des vœux

La pluie lui est salvatrice : de ses doigts d’ombres glacées, elle couvre les cruelles luminescences qui n’ont de cesse, en leur règne, d’attaquer yeux et peau. La pluie est le remède qu’il attend, qu’il espère même, lorsque le temps est trop clément et menace de le brûler, de le maudire de cécité.

La pluie lui est salvatrice, elle et son étreinte factice qui s’abat sur le monde avec une force telle que chacun se terre dans ses replis pour s’en tenir à l’abri, désertant une ligne d’horizon qui, plus que jamais, porte les stigmates d’une fin du monde. Ces absences sont de celles que savourent les âmes de solitude comme la sienne, qui est demeuré tassée dans une cache de fortune à observer le bal des gouttes d’un œil morne mais reconnaissant pour cette éviction temporaire. C’est qu’on y prend goût au désert, fusse-t-il éphémère.

Et puis la pluie a cessé, et le chien errant a quitté son repère avec mille précautions, ivre d’abandon au milieu de ces gravats qui ont désormais des airs de foyer. Au sein de ces teintes de gris, au sol comme au ciel, ont surgi des anomalies : dorures sur les ternissures, clarté sur l’obscurité, organique parmi l’inanimé. Des fleurs, surgissant d’entre la moindre craquelure bétonnée comme l’espoir au cœur de la résignation.

La curiosité est piquée, et, comme hypnotisée par la poésie légère de ces effluves innaturelles, la main s’avance, désirant frôler ces corolles à la croissance inexpliquée.

Bien malheureusement, la curiosité s’avère punissable, comme dans bon nombre de fables : bien qu’encore intouchée, la fleur lève ses défenses, ourdissant une tempête aux bourrasque vengeresses.

Le précieux chapeau lui est arraché, qu’aucune œillade désemparée ni poigne hasardée n’a su rattraper, et les vents se font si violents que progresser en direction de sa fuite a tout d’une lutte contre une cloison de béton.

Pire, il s’agit même de lutter pour ne pas reculer, alors qu’au chaos ambiant se mêlent mille et une poussières : d’infimes particules de ciment, de terre, de goudron broyé peut-être ; de ce qui furent les murs de foyers et les possessions qui les remplissaient, des petits bouts de vie qui s’engouffrent à la volée dans tous les creux du visage. Une brusque quinte de toux le secoue tandis que les yeux se ferment, souillés par les minuscules débris charriés par la tempête.

La conscience du danger enfle dans la poitrine, glaçant le sang, et soudain l’urgence est à la mise à l’abri. Abandonnant toute idée de retrouver son précieux chapeau, il cherche à reprendre la direction de la cache qu’il a quittée, sans même savoir si celle qu’il suit est véritablement la bonne, tant les bourrasques sont opaques.


Un traître gravats dépassant du sol le fait brusquement trébucher, et il se retrouve face contre terre, pris au cœur d’une cruelle tempête de poussière, yeux fermés, narines brûlées – et en tentant de ramper, tant le poids des vents le dissuade de se relever, il se demande si c’est ainsi qu’il pourrait s’éteindre, les veines exemptes de poison et la gorge pleine de cendres.