[END] Hocus Pocus // Capharnaum

Triste anniversaire en perspective. Non pas que la journée des morts ait été un jour un tant soit peu joyeuse mais cette année, celle-ci portera une teinte particulière. Alors que jusqu’ici, Capharnaüm ne s’était jamais trop attardé sur la symbolique de celle-ci. C’est qu’il préférait largement se servir de cette occasion pour faire preuve de toujours plus d’exubérance à travers des maquillages élaborés et des déguisements farfelus.

Cette année ? C’est à peine s’il a trouvé de quoi se pavaner en un vulgaire fantôme. Et puis… est-il de bon ton de faire la fête alors que tant de vies ont été perdues ? Mais bordel bien sûr que oui ! A quoi bon continuer sinon ? Ils ne sont pas là pour se lamenter éternellement, s’ils ont survécu c’est bien pour pouvoir continuer à honorer les vivants sans oublier les êtres qu’ils ont perdu.

Alors Capharnaüm est bien décidé à ne pas subir et à profiter dignement d’Halloween, qu’importe s’il n’y a aucun enfant à venir à frapper à sa porte, qu’importe s’il n’a personne à impressionner avec ses dernières excentricités. Et puis… ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a bien quelqu’un. Certes, c’est loin d’être un enfant, et encore moins une personne impressionnable, mais Bambi – ou Eli, il ne sait plus trop comment il doit maintenant l’appeler – sera au moins de la partie pour penser à autres choses qu’à tous les malheurs qui s’abattent sur la ville. Peut-être même qu’il le laissera le coiffer. D’ailleurs, pas de « peut-être » qui tienne, la chevelure de Bambi passera sous ses doigts de fée. Capharnaüm lui consacrera même l’exclusivité de son salon, raison pour laquelle, la porte a été soigneusement fermée : les pointes fourchues des uns et des autres devront attendre.

Alors il s’affaire, excité à l’idée de ce délicieux moment qu’il va passer. Il rassemble dans sa cuisine toutes les bricoles récupérées qu’il pourrait lui servir aujourd’hui, il est même prêt à transformer son semblant de maison en manoir hanté. Quoique… la majorité des logements de la ville ressemblent désormais à de sinistres demeures, pas besoin de faire beaucoup d’efforts à ce niveau-là. Mais pas de quoi se décourager. Et il sursaute en entendant une voix derrière le rideau qui le sépare de la pièce principale. Mais en reconnaissant parfaitement l’intrus qu’il n’a pas entendu entrer, Capharnaüm soulève précipitamment le tissu pour se révéler.

« Evidemment que j'suis là. »

Torse bombé, sa main balance en arrière sa longue chevelure flamboyante avant de se fixer sur les hanches.

« Avoue t’es déçu de pas me surprendre en pleine situation... inconfortable. »

Il soupire tout en secouant la tête, faussement exaspéré. Les yeux qui se lèvent au ciel pour implorer un quelconque dieu inexistant.

« Bambina, Bambina… Si tu veux casser mes coups et me garder pour toi, va falloir être plus malin. »

Et ses prunelles finissent enfin par se poser sur ce que le libraire tient entre les mains. Son regard s’agrandit instantanément avant de pousser un cri de surprise et de taper dans ses mains dans un élan d’excitation difficilement contrôlable.

« UNE CITROUILLE. »

résumé:

Ses yeux émerveillés continuent à briller. Ils admirent le légume qui trône désormais fièrement dans son salon. Il est si beau, si majestueux… Et Capharnaüm l’imagine déjà transformé, offrant ce visage si bien connu d’Halloween. Et pour parfaire le tout, il ne leur restera qu’à y déposer délicatement une bougie. Si tenté qu’ils puissent mettre la main sur un tel objet… Mais chaque chose en son temps !

« Si un jour t’as la merveilleuse idée de me demander en mariage, sache que je suis plutôt or que argent.
Pour la bague s’entend.
On sait bien à quel point l’or est une valeur sûre. »

Avec ou sans tempête, un petit anneau doré est toujours un bon refuge. En plus d’être un merveilleux moyen de mettre son annulaire en valeur. Le coiffeur observe d’ailleurs un instant sa main qu’il tend devant lui.

« Oh oui, j’imagine déjà parfaitement à quel point ça m’irait bien. »

Puis sa main se secoue, comme pour effacer cette vilaine idée. Avant que ses doigts ne viennent courir sur la fameuse citrouille. Du coin de l’œil, il regarde Bambi. Et sourit. Malicieusement. Bambi et sa si belle chevelure. Bambi et sa crinière d’argent.

« Que dis-tu que mes doigts magiques s’occupent de ton crâne pendant que les tiens se salissent avec notre cher invité ?
Tout à fait fair-play comme proposition non ? »

Ca l’amuse d’être de mauvaise foi. Encore plus lorsque cela est flagrant. Il ne dupe personne, encore moins Bambi, et c’est absolument l’effet qu’il recherche. Mais il doit bien avouer que l’idée d’avoir les mains engluées dans la citrouille ne l’excite pas vraiment. De toute façon, il a bien trop à faire avec la cascade de cheveux du libraire.

Et sa main virevolte encore, et cette fois-ci, pour que ses doigts s’enroulent autour d’une des longues mèches de Bambi. Le chaos ne les a pas encore trop ternis, ni abîmés mais Capharnaüm redoute les semaines, les mois à venir… Des années à les faire pousser, des années à les sublimer, ce serait terrible qu’un tel travail finisse en poussières. Alors autant en profiter tant que Bambi lui en donne encore l’occasion.

« Sache que j’ai eu une idée merveilleuse pour te coiffer… tu veux la connaitre ?
Je te promets que tu seras le plus beau d’entre tous. »

résumé:

Merde. Son misérable marché n’a pas tenu la route une seule seconde. Capharnaüm devait bien tenter, sur un malentendu, peut-être que cela aurait pu passer… Mais c’est douter de la perspicacité de Bambi. Le libraire n’est pas né de la dernière pluie. Sans oublier qu’après tout ce temps, il connait bien trop les ruses du coiffeur. Alors ce dernier se résigne et soupire.

« Moi qui croyais là faire une offre généreuse.
Je crois Bambi que tu ne reconnais plus la juste valeur de mes services, tu es trop habitué maintenant à en profiter depuis toutes ces années… »

Haussement d’épaules désespérées. Moue boudeuse. Et il observe son compagnon du jour évoluer dans sa cuisine, le laisse faire à sa guise. Après tout, Bambi est aussi chez-lui ici. Et c’est apparemment un bol l’objet de ses recherches. Ce qui fait croiser les bras de Capharnaüm. C’est qu’il n’a vraiment pas envie de mettre ses doigts dans la citrouille… Il est trop impatient de pouvoir réaliser son projet dans la chevelure claire de son vis-à-vis.

« Mes a-quoi ? »

Ses yeux roulent dans ses orbites. Ses amours. Oh mon dieu… Vaste sujet. Potentiellement sans intérêt. Sa vie amoureuse a-t-elle un jour existé ? Pas vraiment. Ou tout du moins, il ne l’appellerait pas comme ça. Car un tel sentiment aussi fort que l’amour, cela lui est si inconnu…

« Mes aventures sentimentales sont certainement bien moins mouvementées que les tiennes. En même temps… » il ricane un instant « Faut dire que tu mets la barre très haut. »

Entre ce que lui raconte Bambi et ce qui peut lui revenir par le biais de ragots qu’il raffole d’entendre, le coiffeur se demande même bien comment le libraire arrive à autant batifoler dans un contexte qui prête pourtant si peu à la séduction.

« Mais je désespère pas de tomber un jour sur un vieillard fortuné qui me claquera entre les doigts – ou entre les cuisses, question de point de vue – en un rien de temps et me laissera une bien belle fortune pour me payer toutes les bagues en or que j’veux.
Enfin...
Ce scénario a zéro chance de se concrétiser maintenant que j’ai les fesses coincées ici. »

résumé:

Sa main s’est posée sur sa poitrine. Il réprime un hoquet. Quoi ? Lui ? Une veuve noire ? Non mais ?! Quel outrage. Bambi le surestime. Ou peut-être pas… Et à y réfléchir, l’idée n’est pas si mauvaise. Deux ou trois vieillards histoire d’amasser une belle petite somme pour vivre les doigts de pied en éventail jusqu’à la fin de sa vie. Ah si seulement il n’y avait pas eu cette foutue tempête…

« Tu seras bien content quand la veuve noire pourra t’emmener sur son île privée pour y passer tes vacances.
Avec mojitos et bels éphèbes à volonté. »

Qu’il est bon de rêver. Le sable chaud, les eaux cristallines, les peaux bronzés… Aaaah si seulement. A la place, ils doivent supporter la grisaille et les décombres.

Seule la citrouille apporte une touche de couleur dans ce quotidien trop sombre. Sans oublier Bambi et ses idées merveilleuses. Un jeu ? Ca le fait trépigner d’excitation. Et Capharnaüm ne perd pas une seconde pour le rejoindre sur le canapé. Ses jambes repliées sous lui, un coude posé sur le dossier et sa tête radieuse tournée vers son adversaire.

« Han Eli, je ne pourrais jamais me lasser de toi. »

Et la première question tombe. Un doigt se pose sur ses lèvres pendant qu’il réfléchit, le regard qui se perd un instant dans le vide. La première fois qu’il l’a vu ? Cela remonte à déjà quelques années… et sa mémoire n’est pas toujours la meilleure.

« Que tu étais beau, ça, ça me paraît évident. »

Mais il y a forcément autre chose. Les premières impressions de Capharnaüm ne se contentent jamais de quelque chose d’aussi superficielle. Bien que souvent biaisées, il aime se faire une opinion au premier regard.

« J’ai cru au début que j’te plaisais, t’avais cette façon de me faire du rentre-dedans… Et puis j’ai vite compris que t’étais juste complèèèèètement à l’ouest et que tu te rendais pas compte de ce que tu faisais. Donc ouai, une des premières choses que j’ai pensé de toi, c’est que t’étais peut-être un peu débile.
Pardon mon chéri, j’te jure que j’ai dû penser ça une micro-seconde !
Mais mon dieu, t’étais encore un bébé à l’époque… rip ton innocence a pas duré longtemps. »

Un soupir amusé pour conclure une réponse qui se veut sincère. En tout cas, dans la mesure de ce que ses souvenirs lui permettent.

« A mon tour maintenant c’est ça hein ?
Alors…
Revenons-en aux histoires d’amour…. ton histoire de cœur qui t’a le plus marqué ? »

résumé:

Que c’est philosophique comme réponse. Et profondément triste aussi. Une histoire non vécue est celle qui laisse le plus de stigmates derrière elle… Quel terrible châtiment. Et Capharnaüm écoute attentivement les détails de cet amour non concrétisé, de celui qui reste suspendu au « et si », à toute ces hypothèses dont il n’y aura jamais de réponses. Et le coiffeur ne peut s’empêcher de sentir son cœur se fendre un petit peu à ce destin trop cruel.

« Mon dieu… Eli, si j’avais su, j’aurais fermé ma grande bouche. »

Mais c’est étrange, car il ne lit qu’une profonde nostalgie dans le regard de Bambi et pas vraiment de tristesse. Certainement de la résignation depuis tout ce temps. Et à cet instant, si on accordait n’importe quel vœu à Capharnaüm, probablement qu’il demanderait à ce que ces deux jeunes gens soient à nouveau réunis pour vivre cette histoire qu’ils ont laissé filé entre leurs doigts.

« Moi qui te croyais insensible à toute sorte d’histoire à l’eau de rose. Tu viens clairement de me remettre à ma place.
Mais je ne vais pas croire que ce soit ton âme sœur. Non, ce serait trop terrible de penser ça. Sauf à ce qu’on puisse enfin sortir de cette foutue ville et que t’ailles le retrouver pour le foutre enfin dans ton lit.
Mais bref ! Si j’continue, j’vais finir par gâcher ton beau récit… »

Sauf que Bambi n’attend clairement pas pour rebondir sur un sujet bien plus épicé. Et Capharnaüm ricane. Des fétichismes ? Tiens, tiens… la conversation prend une tournure des plus intéressantes, de celle qui va au plus profond de l’intime.

« Hmm… »

Le voilà qui réfléchit, sourire au coin des lèvres, regard qui se perd dans le vide. Malgré son apparence parfois décalée, ses goûts semblent plutôt simples lorsqu’il s’agit de se retrouver sous les draps. Peut-être aussi que la vie jusque-là ne lui a pas permis d’expérimenter en dehors des sentiers battus.

« Bon, j’pense que ce serait une surprise pour personne que j’ai un truc pour les cheveux. Les toucher, les sentir, les renifler, les tirer… j’crois que je pourrais carrément me noyer dedans. Mais c’est totalement prévisible.
Ah ! L’accent anglais m’excite clairement. Mais pareil, c’est d’une banalité affligeante… qui n’est pas excité par l’accent anglais franchement ?
Et sinon…
Quand il s’agit de femmes, j’ai un faible quand elles sont dominatrices. Mon côté féministe qui ressort peut-être ? »

Capharnaüm hésite. Hésite sur sa réaction. Se sentir outré par le fait que Bambi le trouve un peu trop classique dans ses goûts ? Ou bien… s’étonner de l’avis du libraire sur les jeux de domination ? Parce que l’information la plus intéressante est dans cette dernière phrase. La plus croustillante. Alors le coiffeur range son ego, et lève les sourcils. Bambi aurait-il quelques confidences à lui faire ? Et trop tard pour retourner en arrière, il n’avait qu’à pas s’engager dans ce chemin périlleux. Ce n’est donc pas en se levant et en s’asseyant sur la chaise réservée aux clients qu’il s’échappera de la curiosité avide de Capharnaüm.

« Oh Bambi, mon doux Bambi… que me caches-tu encore ? »

Et il se lève à sa suite. Le rejoint, se place derrière lui pour faire pivoter lentement la chaise afin de pouvoir désormais croiser leurs regards à travers les miroirs brisés. Ses doigts glissent avec délicatesse dans la chevelure cendrée. Ça lui tire même un frisson. Il faut dire qu’il caresse ici certainement une de ses plus belles réussites.

« Ma question va donc être relativement simple…
Pourrais-tu me raconter ta dernière expérience dom-sub ? Puisque tu me déconseilles, j’aimerais bien comprendre pourquoi… »

Ses yeux viennent appuyer son regard dans celui de Bambi, pour essayer d’y lire ce qu’il ne sait pas encore. Tandis que ses mains continuent à jouer malicieusement entre les mèches longues et soyeuses. Mais il est bien obligé de se détourner le premier car il a maintenant la permission de s’amuser un peu et de pouvoir tester sa créativité sur la majestueuse tête d’Eli.

« Dis-moi, tu connais Marie-Antoinette ? »

Comme un cheveu sur la soupe. Mais avec une attention tout particulière qui se cache derrière cette question impromptue. Et un sourire malicieux qui se glisse sur les lèvres du coiffeur…

résumé:

Les quelques secondes entre sa question et la réponse de Bambi font monter le suspens. Elles accentuent aussi la curiosité du coiffeur. Peut-être aussi une pointe d’inquiétude. Les deux n’ont aucun tabou, ils ont appris à ne juger ni l’un ni l’autre. Alors si le libraire ne s’empresse pas de raconter cette fameuse histoire… c’est qu’il y a quelque chose derrière tout ça qui risque de déplaire à Capharnaüm, d’une manière ou d’une autre. Et il aurait pu avoir une intuition, ou se douter de la direction que cela allait prendre. Oui, il aurait pu…

Mais le nom de Bloody Mary n’est guère venu sur leurs lèvres dernièrement alors c’était un peu comme s’il n’existait plus. Une existence endormie. Et qui finit par se rappeler à lui. Lui tirant forcément une grimace. Même s’il avait voulu prendre sur lui, Capharnaüm aurait été bien incapable de ne pas exprimer l’aversion provoquée par la simple évocation de ce nom… Sauf que pour Bambi, oui rien que pour Bambi, il veut bien de tenter de faire l’effort de ne pas remuer le couteau dans la plaie. Alors ses yeux se ferment. Et après une grande inspiration, il se décide à prendre la parole.

« Je vais t’épargner le discours du « je te l’avais bien dit ». Je ne pense pas que ce soit ça dont tu as besoin.
Même si ça n’enlève rien au plaisir d’avoir eu ENCORE raison. »

Ses mains se posent délicatement sur les épaules de Bambi. Les épaules frêles et fragiles de cet homme qui ne demande qu’à donner de l’amour mais qui en donne même à ceux qui n’en sont pas dignes.

« Si tu veux, je peux aller lui crever les yeux avec mes ciseaux. J’suis sûr que je pourrais faire passer ça pour une simple petite erreur professionnelle… ça arrive à tout le monde de déraper non ? »

Et un sourire pour tenter de réconforter l’ami manifestement blessé par une histoire dont il se gardera de connaitre tous les détails. Une intimité que Capharnaüm respectera malgré la tentation de lui poser maintes et maintes questions. A la place, ses bras se contentent d’envelopper le corps de Bambi, de le serrer contre lui, de poser sa tempe contre la sienne, et le bercer tel un enfant après un vilain chagrin. Rien de mieux qu’un câlin pour adoucir les cœurs.

« J’te jure, un jour je danserais sur son cadavre. »

Ou comment lier la poésie à un moment de tendresse.

résumé:

L’étreinte est réciproque. Ephémère mais salvatrice. Car c’est le rire de Bambi qui résonne à nouveau dans le salon de fortune et il n’y a pas plus belle mélodie qui soit à cet instant. L’amusement efface la peine, et l’image de Capharnaüm vieillissant dansant dans un cimetière tire aussi un sourire à l’intéressé.

« Oh crois moi, le karma aura sa peau sans que j’aie à attendre tout ce temps.
Mais par contre c’est clair que même à 90 ans, je continuerais toujours à m’éclater sur sa tombe. Tu m’imagines…
Moi,
Voûté,
Avec un dentier,
Et complètement lifté,
En train de danser la lambada.
Et je roulerais sur ses fleurs avec mon déambulateur. »

Si tenté qu’il y ait des fleurs. Et des déambulateurs. Car l’avenir est incertain et rien ne profile à l’horizon qu’ils puissent sortir de cette prison qu’est devenue Arcadia Bay. Alors autant se concentrer sur le moment présent, laisser Bloody Mary aux oubliettes et se concentrer sur la divine mission que Capharnaüm doit remplir. C’est que les cheveux de Bambi n’attendront pas indéfiniment d’être coiffés… Et le coiffeur ricane à l’interrogation de son ami.

« Les bons amis ne font pas forcément les bons amants. »

Un peigne passe dans ses mains, puis une brosse. Et des mèches défilent une à une sous ses doigts. Concentré à la tâche, sans oublier pour autant la conversation.

« Mais tu sais quoi ? Voilà ce que je te propose… »

Regard furtif à travers le miroir, sourire au coin.

« Si dans… disons 20 ans ? 30 ans ?
Allez, si dans 30 ans on a toujours pas trouvé chaussures nos pieds, on a qu’à finir nos vieux jours ensemble.
Tu devineras donc que ce sera à toi de me payer mes fameux liftings… Hors de question je finisse ma vie complètement fripé. »

La vue de ses premières ridules au coin des yeux lui donne déjà des sueurs froides, alors des rides partout sur le visage… Par contre, la perspective de couler des jours heureux avec Bambi, ça, ça lui met du baume au cœur.

« Franchement, je serais toi j’accepterais cette proposition alléchante sans hésiter. »

résumé:

Oui sérieux. Enfin, façon Capharnaüm. A savoir pas vraiment. Ou disons, en fonction de ce qui l’arrange. Car au fond, le deal lui semble plutôt avantageux. Bien que fantasque, cela lui laisse aussi garder l’espoir d’un petit bonheur simple et serein pour finir ses vieux jours. Eli et sa douceur, Eli et l’odeur de ses livres. Oui, il y aurait bien pire. Ce ne serait pas une vie de grand luxe, de passions dévorante et d’aventures fantasques, mais peut-être que c’est justement de ça que le coiffeur aurait besoin, et qu’il ne le sait juste pas encore.

« On aura qu’à jouer au loto.
Et espérer avoir un jour le ticket gagnant.
Et puis qui sait… peut-être que je deviendrais riche comme crésus et ça sera à moi de t’entretenir ! On finira bien par reconnaitre mon talent.
Et les clients traverseront la terre entière pour espérer être coiffé par mes précieux doigts de fée. »

Les mèches glissent les unes après les autres entre ses mains. A coup de stratagèmes, de quelques barrettes qu’il a réussi à récupérer, il tente tant bien que mal de faire se relever la chevelure vers le ciel. Comment faisait-il dans les siècles précédents pour faire tenir tout ça sans laque ? A rendre cela volumineux sans fer à friser ? Mystère ! Mais Capharnaüm a appris à faire preuve d’ingéniosité et ne pas se laisser facilement abattre. Toutefois, son geste reste un instant en suspens. Son regard croise à nouveau celui de Bambi, un sourcil se lève.

« Quoi ? Ca te surprend tant que ça ? »

Et pourquoi donc ? Il reprend sa tâche mais son esprit reste focalisé sur les interrogations de son cobaye.

« T’es le gendre idéal, l’ami parfait. Et… Oui bon… J’doute pas que tu fasses des merveilles sous les draps. »

Il sourit amusé, jette un nouveau coup d’œil plein de sous-entendus au principal intéressé.

« J’vois franchement pire comme deal.
Genre…
Être obligé de finir sa vie avec quelqu’un comme... moi.
Désolé de te l’apprendre, mais de nous deux, c’est toi le perdant.
Merde attends… t’as pas encore accepté ?... Oublie ce que je viens de dire. T’auras pas meilleure proposition, j’suis le meilleur parti de la ville, j’te le garantis. »

résumé:

Le rire s’échappe à nouveau de ses lèvres. Avec leurs blagues légères et leurs scénarios farfelus, Capharnaüm sent son cœur plus léger. Et il sait bien que si ce n’était pas Bambi avec lui, cela aurait eu un goût différent. C’est donc cela que l’on nomme amitié fidèle et sincère. Il faut dire que dans son ancienne vie, le coiffeur s’embarrassait peu de telles relations… Mais à présent, il comprend plus que jamais leur importance.

« C’est moi qui devrais te remercier. »

Et Eli ne sait probablement pas à quel point il lui est reconnaissant. Mais plus que jamais, leur lien est scellé à jamais. En douceur et sans aucune contrepartie. Juste deux personnes qui tiennent l’une à l’autre. Côte à côte, contre vents et marées.

« Si je sais ce que je fais ?
…
Si je sais,
Ce que,
Je fais ? »

Chaque mot est plus appuyé que le précédent. Ses sourcils se sont arqués. Et il pousse un soupir offusqué.

« Tu as de la chance que c’est toi Eli. J’aurais pu être tenté de mettre un gros coup de ciseaux dans ta tignasse. »

On ne s’en prend pas impunément à son travail. Certes, la création qui est en train de naitre sous ses doigts peut surprendre. Elle peut interroger. Mais tout de même, de là à douter de sa maitrise, non mais !

« J’te fais la coiffure d’une reine. Certes, une reine dont la tête a volé. Mais une reine tout de même ! Alors forcément, faut que ça envoie. Et du coup, ça prend un peu de… volume. »

Et s’il le pouvait, ce serait certainement 10 fois plus grandiose. Mais malheureusement, pas d’extensions à disposition, ni de laque à gaspiller ou de tout ce qu’il faut pour décemment réaliser une choucroute digne de ce nom.

« Par contre, j’te prierais de pas aller batifoler dans les 24 heures qui viennent. Histoire que ça tienne au moins un peu la route et que tout le monde prenne le temps d’admirer mon œuvre. »

résumé:

« Nan mais parce que tu crois que je viens de me casser le cul à te coiffer pour que t’enlèves ça direct en arrivant chez toi ??? »

Quand le choc rencontre la vulgarité. Capharnaüm est offusqué. Et tout son visage se transforme pour marquer son indignation. Ses yeux roulent dans leurs orbites, ses sourcils s’écarquillent puis se froncent, partagés entre stupéfaction et colère, et sa bouche s’ouvre pour se refermer aussitôt. Les mots lui manquent pour exprimer son désarroi.

Mais la cerise sur le gâteau vient tout juste d’être posée par Bambi. Ou plutôt la cerise sur la citrouille.

« Qu-oi ? »

Il fait tourner la chaise sur laquelle l’éternel insatisfait se trouve assis. A présent qu’il lui fait face, le coiffeur pose un doigt moralisateur sur le nez de celui qui a de la chance d’avoir un minois aussi charmant.

« Je crois que tu t’es un peu trop habitué à mes services.
Je me dévoue CORPS ET ÂME pour ta chevelure sans rien demander en retour. Et EN PLUS, j’dois me taper la citrouille ?!
J’te rappelle que ton deal avait rien à voir avec ça.
Donc va falloir faire plus que de battre tes jolis cils pour me convaincre. J’me fais pas aussi facilement avoir que le reste d’Arcadia ! »

Le doigt se retire, et Capharnaüm se redresse, balance ses cheveux en arrière pour les remettre en place, histoire de poser la dernière pierre à l’édifice de son comportement de diva.

« Si tu reviens demain avec ta tête encore superbement coiffée, j’me charge de convaincre quelqu’un d’autre pour nous cuisiner cette citrouille.
Mais si la moindre mèche dépasse… »

Ses yeux se plissent pour marquer la menace sous-entendue. La menace probablement de subir une crise de désespoir, de râleries et d’en entendre parler jusqu’à la fin de ses jours.

résumé: