On est en février.

On est en février, alors c’est moche, à Arcadia Bay. C’était pas bien mieux en Irlande alors Casey ne peut pas dire être dépaysé; mais si c’était sous son contrôle, il entraînerait l’humanité dans une longue hibernation de novembre à avril. Même la perspective de fêter son anniversaire, en mars, n’est pas suffisante pour le convaincre de donner une deuxième chance à cette moitié d’année.
(Et puis, ce n’est pas comme s’il avait vraiment eu l’occasion de le fêter dignement, depuis la tempête)
Quelques instants plus tard, la réalisation frappante de l’ennui qu’entraînerait l'exécution de son plan le frappe. Aucune lettre à livrer, encore moins à ouvrir. Personne pour le poursuivre à travers Arcadia Bay. Il abandonne son plan aussi vite qu’il lui est venu (plan pourtant parfait, si l’on omettait ce détail).

Alors, voilà, il est de mauvaise humeur.

Le courrier, lui, reste insensible à ses plaintes. Peu importe la météo, il y a toujours quelque part où aller, une personne à rencontrer, une livraison à effectuer. Et il en est mieux ainsi, il se rappelle avec un sourire au coin des lèvres. Traversant le bureau de poste, il observe les lettres une par une, cherchant à créer une image mentale du meilleur chemin pour effectuer sa tournée le plus rapidement possible. Il finit par se poser sur une table à côté du comptoir, les pieds sur une chaise à proximité. Elle grince sous le poids.
(Elles grincent toutes; il a vérifié)
(Il a souvenir que George lui avait dit de ne pas faire ça.)
(Si les chaises n’étaient pas faites pour que Casey pose ses pieds dessus, alors pourquoi avaient-elles un dossier pile à la bonne hauteur ?)

Le rouquin a à peine le temps de lire l’adresse de la troisième lettre que la porte s’ouvre. Il lève les yeux et un sourcil à la fois; laisse la personne entrer, se diriger vers le comptoir. Il le connait, lui; il connait son écriture, le renard en papier délicatement plié au sein de la lettre. Sa destinataire aussi est restée dans sa mémoire.  

Dans sa main, il fait tourner un stylo posé sur la table. Il essaye de s’empêcher de sourire. Il finit par cacher son rire derrière les lettres qu’il tient; la bonne excuse.

“Eh, ATTENTION !”

Trop tard, évidemment. Charo ne demande pas la permission avant de commencer un nouveau jeu et y entraîner quiconque a le malheur d’être dans son champ de vision. Le stylo qu'il a jeté frappe l’homme dans le dos, dans le creux de sa colonne vertébrale.

“Grave déçu. Elle est où la vision d’aigle ?”

Qu'importe si son partenaire de jeu le connaît à peine; ça n'en rendra les prochaines minutes que plus imprévisibles. Casey laisse les lettres sur la table; moins par peur de les froisser que par inadvertance. Il bascule son poids sur la chaise, la penchant en avant jusqu’à ce que le dossier et ses pieds cognent le sol. Elle a survécu à une tempête, elle survivra Charo. Satisfait de son tour d’acrobatie, il sourit à Hawk, comme s’il attendait un applaudissement. Un sourire à pleines dents, un sourire rempli de satisfaction.

Il se baisse, récupère le stylo qu'il fait tourner entre ses doigts comme quand il était au lycée. Ses yeux pétillent.

“Alors ?”

Il en perd presque son stylo, le rattrapant avec aisance d’un coup rapide de main. Rapide, tout ce que son interlocuteur n’est pas; Casey le regarde galérer, reprendre ses phrases, se répéter. Chaque mot semble être une nouvelle épreuve.

Casey le laisse dérouler le cours de sa pensée. Tout à coup, ses propres théories d’hibernation humaine ne lui semblent pas si ridicules. Il tape du pied. Son agacement est moins lié à forme de son propos qu’au contenu lui-même.

(C’est pas possible.)
(Il doit se moquer de lui.)
(Personne ne peut comprendre ce qu’il a dit comme ça, si ?)

Un discret soupir.

S’il n’était pas entièrement sûr, maintenant il en est convaincu. La jolie rousse des pirates ne va jamais lui répondre. A son allure, ce serait un miracle qu’elle se rappelle même de son nom.

Elle ne va pas lui répondre.
Quelle ironie.
Quelle ironie qu’il ne l'ait pas vu venir, ça non plus.
Et dire que Casey trouvait son surnom ridicule.

Un rapide coup d'œil au bureau de poste le convainc; il n’y a personne derrière le comptoir pour l’instant. Personne pour potentiellement sauver Hawk. Alors il le suit dans ses explications, hochant la tête avec un sourire non dissimulé; comme s'il approuvait tout ce qu'il avait dit jusque là.

“C’est grave cool. Tu l’as eue comment ?”

Il lève un index au niveau de leur visage, feignant de réfléchir pendant quelques instants. Il en profite pour faire le tour du comptoir, se placer derrière, là où il ne met d'habitude pas les pieds. Il apprécie la séparation entre eux. Le marchand et le client. L'arbitre et le joueur.

“Ooooh, bah oui. C'est évident. T’as tué un aigle. 'Fin non, un faucon, t'as compris quoi.”

Et puis il pose ses coudes sur le comptoir, son menton reposé contre ses mains, la tête légèrement penchée sur le côté. Il attend de voir l'effet, de lire l'expression sur son visage. Il cherche à tester les limites de Hawk, de sa crédibilité. Personne habituellement ne le prendrait au sérieux; et si Casey avait le malheur de dire quelque chose de similaire à un Pirate, il serait déjà à la porte. En courant. Plus vite que le Pirate, si possible.

Mais là, il n'a pas un Pirate en face de lui.

Et puis, comme tout ça l'a mis de bonne humeur, il en profite pour lâcher une derrière phrase. Il tend une main devant lui, jusqu'au niveau d'Hawk, implicitement lui demandant de la serrer - S'il arrive à le comprendre.

“Moi ils m'appellent Charognard. J'te laisse deviner pourquoi.”

Comme si ça suffisait pas, il lèche sa lèvre supérieure, comme un animal en face de son repas.  Cette journée s'annonçait meilleure que prévue.

Il a du mal à ne pas céder à la tentation, alors tant pis. Il n’est pas du genre à réfléchir, pas plus qu’il n’est du genre à tourner sept fois sa langue avant de parler. Casey laisse le rire qu’il retenait depuis plusieurs minutes exploser, retentir dans tout le bureau. Sa voix est chaleureuse, vivante, taquineuse comme lui. Avec difficulté, il passe une main dans ses cheveux roux, avant de mettre son index et son pouce sur ses tempes.

Respire, Casey, respire.

Il lui faut plusieurs secondes pour se calmer. Avec une joie non dissimulée, il serre la main d’Hawk. Incroyable. Ses réponses dépassent ses attentes, à chaque fois. Avec un peu de pitié, il se demande comment il a pu survivre; comment il a pu résister à la tempête et la fin du monde, comment il ne s’est pas encore fait dévorer par un prédateur. Le faucon est plus proche du poussin.

Même si Casey aime par-dessus tout parler, il sait que le silence est la meilleure des réponses. Alors si Hawk peut penser, ne serait-ce que quelques secondes, qu’il est un charognard, il considérera cet échange comme un succès.

Il finit par lever deux mains en l’air. Toujours le même sourire sur son visage, toujours le visage d’un enfant qui vient de commettre une bêtise. Le ton d’Hawk lui rappelle presque celui de ses amis, en Irlande, quand le monde était encore sensé. Il a toujours été le fauteur de troubles; voilà quelque chose que la tempête n’a pas changée. Il ne laisse pas à l’amertume le temps de s’installer, tentant d’oublier ses souvenirs irlandais aussi vite qu’ils lui étaient venus.

Il doit l’admettre, Hawk l’a surpris. Le voilà sérieux, soudainement. Il se demande l’origine de son courage. Un respect des règles ? Un agacement avec son comportement ? Il n’aime aucune des deux options, mais ne réfléchit pas plus longtemps à en trouver une troisième. Casey, il s’en fiche. Ça l’amuse et ça suffit bien. Et puis, ni Bloody Mary ni Loyal ne sont là pour le surveiller.

(Tiens, il devrait raconter ça à Mary, en rentrant. Surtout la lettre.)

“Hey, hey, du calme. C’est chez moi ici.”

C’est presque vrai.
Donc il ne ment pas vraiment.

Il ne se gêne pas, cependant, pour mettre une main sur le comptoir et s’en servir pour se hisser par-dessus. Maintenant assis sur le meuble, il jette un clin d'œil à Hawk.

“Ça te va mieux comme ça, monsieur le tueur de faucon ?”

Un rapide coup d'œil à la fenêtre et la position du soleil lui rappelle qu’il n’y a plus que quelques heures de lumière avant qu’Arcadia Bay soit plongée dans l’obscurité, et il a très peu envie d’effectuer ses livraisons de nuit. Chaque minute qui passe augmente ses chances que quelqu’un arrive et le surprenne à ne pas travailler. Décidant qu’il était temps de passer au cœur du sujet, il finit par poser la question dont il connaît déjà la réponse.

“Du coup, je peux faire quelque chose pour toi ?”

Bien sûr qu’Hawk a déposé une lettre.

C’est même Casey qui s’était baladé vers le Nord, chez les Pirates, trouver la jolie rousse à qui était dédiée de bien si jolis mots. Et jolie elle l’était. Dans les quelques secondes où Casey a été proche d’elle, son aura l’a fait bredouiller. L’antithèse de son correspondant.

Malgré sa réputation, et heureusement pour sa survie, il n’ouvre pas toutes les lettres qui tombent entre ses mains. Une quantité (trop) importante (selon les goûts de monsieur) n’avait que trop peu d’intérêt. Avec le temps, il a su reconnaître les plus intéressantes; celles qui renferment des tendres mots d’amour, avec une adresse et un nom soigneusement écrit; celles plus proches de menaces de mort dramatiques, dont l’adresse est toujours griffonnée avec une colère palpable. Et puis, il a ses préférés - Les échanges qu’il suit avec excitation, dont il regrette amèrement manquer un épisode quand George se charge de les livrer.

En somme, la lettre d’Hawk, si ce n’est pour la légère déformation de l’enveloppe par l’origami, n’avait aucune raison particulière d’être ouverte par Casey. Il l’a ouverte sur un coup de tête, un hasard total. Maintenant le voilà devant Hawk; dans un autre univers, un monde où il n’a pas lu le contenu de son message, il lui aurait dit d’attendre le retour d’Echo ou de Sugar pour l’aider. Mais voilà, maintenant, Casey sait.

Et quand Casey sait, il a du mal à passer outre.

Il fait mine de réfléchir un instant. Pour être honnête, il réfléchit réellement. Son regard traverse Hawk, comme s’il n’était pas là, se fixant sur un calendrier posé à côté de la porte.

Tiens, février.

Casey redirige son attention sur Hawk. Enfin, il le regarde réellement. Il aurait presque eu le temps de l’oublier, perdu dans ses pensées. Même sans mauvaises intentions, sa présence manque d’aura, de prestance. C'est pas la faute de Charo.

“Ah, oui, j’me rappelle ! C’est même moi qui ait livré la lettre, j’suis ton homme.”

Il s’incline devant lui, révérence qui lui permet de cacher un sourire. Il passe une main dans ses cheveux, feignant une légère gêne.

C’est mal de mentir, il le sait.
Mais voilà, on ne peut pas raisonner un enfant qui a une mauvaise idée en tête.
Encore moins après une apocalypse.

“Elle l’a ouverte devant moi.” C’est faux. Il est parti après avoir remis la lettre, comme toujours. Alors il n’en sait rien, de ce qu’elle en a fait, ni de ce qu’elle en a pensé. Peut-être est-elle sous son oreiller ou bien dans une poubelle, ça lui importe peu. Cependant, il se rappelle d’une phrase, celle qui avait attisée sa curiosité. Comment peut-on être né le même mois mais être si différent ? “Mais elle avait l’air un peu perdue, tu vois ? J’sais pas, comme si y’avait un truc chelou, ou faux, dans c’qu’elle lisait.”

Il hausse les épaules, laisse le silence planer quelques instants. Dans le coin de sa vision, il voit toujours le même calendrier.

Casey a un plan.

Pas question de lui faire croire qu’elle n’est pas née en février. Il n’en sait rien. Il a l’air un peu perdu, le faucon, mais Casey doute qu’il se tromperait sur la date de naissance d’une fille pour laquelle il s’inquiète autant. Non, ce n’est pas là son plan. Ce serait trop simple, trop banal, trop facile.

(Pas assez grandiose.)

Casey a un plan, et le cobaye parfait.

Casey s'est préparé mentalement, contractant chacun des muscles de son corps pour contenir une quelconque expression qui trahirait son petit jeu.

Ça se passe si bien, peut-être même trop bien. Hawk suit parfaitement le plan qu'il s'est fait dans sa tête, sa pièce de théâtre improvisée atteignant enfin l'élément déclencheur. Même s'il n'en dit pas mot, il flippe un peu de se faire interrompre. Par Echo, par Sugar, ou par à peu près n'importe qui.

Alors voilà, quand Hawk prononce les mots qu'il attendait, il hausse un sourcil, penche la tête sur le côté comme le Green l'a fait si souvent pendant leur échange. Casey laisse le silence s'installer dans le bureau de poste. Comme lorsque l'on attend la chute d'une blague. Comme s'il attendait qu'Hawk ajoute quelque chose, se corrige.

"Haha, ouais."

Casey descend de son comptoir, passe sa main sur son pull pour enlever les plis.

Il pose sa main sur l'épaule d'Hawk. Il a du mal à comprendre les notions d'espace personnel, il ne réfléchit pas deux fois avant de s'approcher. Il se demande encore moins si on peut être gêné du soudain contact physique.

Il lève sa main rapidement; ses sourcils se froncent, il croise ses bras sur son torse. Se mord la lèvre inférieure. Puis après un instant, il relâche les muscles de son visage, à l'exception du sourire qui parcourt son visage. Comme s'il venait de comprendre quelque chose; comme si tout faisait soudainement parfaitement sens.

"Non mais, j'comprends ce que tu veux dire. C'est bien digne d'un février, ce genre de météo."

Casey en profite pour passer derrière lui, récupérer les lettres qu'il a abandonnées. Avec une délicatesse inattendue, il les aligne proprement, reprenant sa lecture des différentes adresses à livrer. Il se demande bien ce qu'il se passe dans la tête d'Hawk. Il a du mal à comprendre les émotions des gens, c'est bien là une de ses failles. Il ne peut qu'attendre avec une impatience difficile à cacher le fruit de ses efforts. Puis comme pour enfoncer le dernier clou, il marmonne suffisamment fort pour être entendu:

"Enfin, si j'avais pas la poste pour rester à jour, je croirai sûrement aussi être encore en février..."

Il ne comprend pas.

Et c'est pas normal; normalement, ça devrait être le rôle de son interlocuteur, de ne pas comprendre. C'est lui qui devrait semer la panique; c'est lui qui devrait créer un doute. Et c'est lui qui en rigolerait, à la fin, une fois la poste à nouveau vide de clients.

Mais non.

Et ça l'embête, pour être honnête.

"Euh..."

Ça sort de ses lèvres avant qu'il puisse l'en empêcher. Alors Casey le fixe, penche la tête, le dévisage comme un enfant regarderait un animal exotique dans un parc, ou un mécanisme inconnu. Pendant un instant, il envisage la possibilité d'être tombé dans un piège; qu'Hawk maîtriserait parfaitement l'art de la tromperie, qu'il se moquerait de lui derrière ses regards confus et son air perdu. Mais non, il se convainc que l'habit fait le moine. Qu'il y a une autre raison qu'il ne connaît pas, qui ne traverse pas son esprit, quant à l'absence de réactions de Hawk.

Mais sa situation reste inchangée; il ne comprend pas. Ça en devient frustrant. "Ce n'est pas faux". Ça ne veut rien dire. Casey est habitué à ne pas comprendre, si ce n'est que par ses expériences scolaires. Malgré tout, il ne laisse pas tomber. Non, ce serait la chose raisonnable. Il n'y a rien à tirer d'un jeu si stupide, mais ça n'empêchera pas le rouquin de continuer dans sa lancée.

Et puis tant pis s'il doit finir sa livraison sous la lumière de la lune.

Il pointe son index vers le calendrier. Pas la bonne année; mais il n'y a personne pour les imprimer, maintenant. Casey suppose qu'il est là par nostalgie. Même si les jours ne correspondent pas vraiment, même s'il est abîmé et déchiré à chaque angle.

"Chaud de se rendre compte qu'on est déjà en mars."

Allez, s'il te plait, il prie intérieurement. C'était clair, simple. Un léger accent irlandais, certes, mais il n'y a aucune raison pour qu'il ne réagisse pas à cette phrase. Casey regrette presque de n'avoir aucun Dieu à qui prier pour la réussite de sa blague.
(Quoique, peut-être que son plan échoue parce qu'il n'a pas de Dieu à qui prier.)

Il se retient de croiser les bras. Il attend que le faucon se jette sur son piège. Casey est un enfant frustré devant un jouet cassé le jour de Noël. Et il n'arrêtera pas tant qu'il n'aurait pas ce qu'il veut.

Il expire longuement alors que Hawk semble enfin comprendre ce qu'il a tant insisté à lui faire croire. Le soulagement d'avoir enfin réussi à faire comprendre à Hawk ce qu'il voulait lui fait presque oublier sa remarque sur la chaleur. Il faut quelques secondes à Charo pour comprendre ce qu'il veut dire parler. Puis il repasse la conversation dans sa tête, se refait chaque parole, jusqu'à finalement comprendre.

Il aimerait pouvoir continuer à parler, métaphores sur métaphores, des discours remplis de second degré, pour voir jusqu'où Hawk pouvait se perdre. C'est lui qui semble être le plus perdu des deux, à chercher comment il est possible de déformer ses mots ainsi.

Casey en vient presque à l'envier. Pour lui, c'est drôle; c'est amusant de percevoir le monde comme ça. Si seulement son esprit était assez original pour prendre sa température lorsque l'on dit "chaud", pour agacer encore plus les victimes de ses petits jeux. Quel dommage que Hawk soit victime de sa propre... créativité. Tiens, Casey choisit d'appeler ça de la créativité.

Voilà, on est en mars, et Casey commence à se dire qu'il aime bien Hawk. Il est satisfait; l'enfant a eu ce qu'il voulait. Il sera satisfait, jusqu'à ce qu'il s'ennuie de ce jeu et en cherche un nouveau. Mais pour l'instant, il aime bien celui-ci.

Casey a l'habitude de faire suer son monde, de mentir, de tricher. Et d'habitude, on crie, on le poursuit, ou bien on le croit et on hurle de panique. C'est bruyant, violent, ça lui donne l'adrénaline qu'il cherche si désespérément. Ça, c'est une bonne journée.

Mais Hawk, non. Il ne sait pas si Hawk le croit, s'il n'ose pas le contredire; Charo a du mal à percevoir la douleur dans ses mots, ou à savoir s'il est vraiment honnête quand il sourit. Mais tout ça, ça lui plait. Ça lui plait d'avoir quelqu'un dont les réactions sont imprévisibles d'une manière inattendue.

"T'es un drôle d'oiseau, toi."

Ça sort spontanément de sa bouche. Encore une impulsion qu'il n'a pas contrôlée, mais il ne cherche pas à le faire non plus. Il sourit, brillant comme un soleil.

"Bref, osef. Mais j'peux t'aider, si tu veux."

Casey agite le courrier qu'il tient sa main. Toujours le même sourire sur ses lèvres, bien qu'un peu plus malicieux. Il se demande si Hawk peut le remarquer, lui et ses yeux d'aigle. De faucon. Il avait du mal à s'en rappeler.

"J'peux lui dire qu'on a perdu la lettre et qu'on l'a livrée en retard. Comme ça, pas d'embrouilles, tu vois ? Gratos, juste parce que j't'aime bien."

Puis un clin d'œil, histoire de.

Sois gentil avec elle, qu'il dit. Et Casey ne l'entend pas, il n'entend pas la méfiance qui enrobe ses paroles. Mais c'est la première fois qu'il l'entend parler si clairement, avec autant de certitude. Et c'est pour elle, la rousse des Pirates.

Etre perdu d'un mois, ce n'est grave que parce qu'elle est née en février. Change la date pour octobre ou avril et le manège de Charo n'a plus aucun intérêt aux yeux de Hawk, ou c'est ce que le roux en comprend après leur échange. C'est la première fois qu'il voit ça. Depuis la fin du monde, comme Casey l'appelle tendrement, il a eu l'occasion de s'amuser. Mais d'habitude, c'est l'honneur des gens qu'il attaque; leur fierté qu'il met en péril. Mais de ce que voit Casey, le faucon ne vit que pour la luxure. Ça inspirerait presque le respect.

Malheureusement, ce genre de respect, Casey s'en fiche un peu.

Alors il réfléchit un moment. Tout bon échange se doit de proposer deux lots d'égale valeur. Mais Charo, lui, il n'offre rien, si ce n'est un peu de paillettes et de drama superficiel pour un public qui joue aussi le rôle de la première victime. Puis il réfléchit encore. Une batterie, des piles, mieux encore, de l'alcool. Il s'en moque.

Non, ce qui compte vraiment, c'est d'avoir des histoires à raconter. Des objets uniques dont lui seule connaît l'histoire, la raison de leur présence sur sa table de chevet. C'est ça qu'il cherche: des souvenirs de ses bêtises. Et il a l'idée parfaite pour ça.

"Oh, oh, j'sais ! J'ai vu un truc en oragami dans la lettre, quand la rousse l'a ouverte."

C'est presque la vérité; c'est presque le bon mot, aussi. Il est doué de ses mains, mais il n'a jamais fait d'origami. Lui, il coupait du bois, taillait des planches, fabriquait des objets approximatifs. Il n'a pas la dextérité et encore moins la patience pour cet art-là.

Mais il a décidé que ce serait ça, son souvenir de l'Aigle qu'il a rencontré en mars.

"Si tu m'en fais un, c'est un deal."

 
Il sait bien qu'il pourrait faire mieux; ou pire, selon les points de vue.

Mais Hawk l'a déjà diverti bien plus qu'il ne pouvait espérer. Son divertissement, il vient de l'incompréhension de Hawk, de son air un peu perdu, de ses explications naïves. Lui voler de l'argent, ça n'aurait rien de drôle.

Il a des principes, quand même.

"Genre, un aigle."

Il le regarde travailler. Il ne tremble pas. Ses plis sont précis - ou ils semblent l'être, il n'en sait rien, Casey - et l'aigle apparaît devant lui avant qu'il ait le temps de s'en apercevoir. Il y a quelques instants, ce n'était qu'un ensemble de plis visiblement incohérents, mais voilà que tout à coup, le majestueux animal se tenait dans la main de Hawk.

Il n'a même pas fait de remarque sur la signification de son nom. Peut-être qu'il a abandonné.

Casey ne peut s'empêcher de comparer le bout de papier à l'homme; la création au créateur. Cet aigle au premier plan, Hawk légèrement derrière. L'origami a plus de prestance que lui. Casey a envie de s'adresser à lui.

Avec hésitation, comme s'il n'avait pas le droit, il le récupère, l'observe sous chaque angle possible. Il se demande combien il en connait. Combien d'animaux il est capable de faire, spontanément. Il se demande s'il le fait souvent. Est-ce qu'il avait eu de la chance quand Charo avait demandé un aigle, ou aurait-il su faire une grenouille, un chat ou un perroquet ?

Il sourit.

"Grave bg."

Et il est honnête quand il le dit. Ça ne lui traverse même pas l'esprit que son interlocuteur ne le comprendra peut-être pas. Il fait un petit tour sur lui-même, attrape ses affaires qu'il a laissé sur la table. Il range l'ensemble des lettres dans sa sacoche; ajuste sa casquette.
(C'est pas vraiment la sienne)
(Elle trainait là, et il l'a prise)

Le voilà prêt. Il se sent comme un héro de jeu vidéo, son familier à ses côtés. Il devrait nommer l'aigle.
Il réfléchit un peu.

Tiens, Faucon. Il s'appellera Faucon. Comme ça, pas moyen d'oublier Hawk.

"Vendu! J'lui dirai à la rousse, promis. Parole de, euh, moi."

Et parole de Charo, ça ne vaut pas grand chose. Il réfléchit déjà, d'un plaisir qu'il n'arrive pas à cacher, où il va le placer. Quand il expliquera à Mary ce qu'il a fait de sa soirée. Quand il lui montrera son nouveau compagnon de route (jusqu'à ce que la pluie le détruise).

Et il réfléchit déjà à ce qu'il pourra faire après; quel autre mensonge il pourra lancer. Il espère qu'il le recroisera. C'est ça, sa seule raison de continuer après la tempête.

Il espère, rapidement, que le faucon a aussi une raison de vivre. Ce serait dommage qu'il perde accès à l'un des divertissements les plus prometteurs de la ville.

Qu'est-ce qu'il aime mars.

"Oh, oublie pas de checker un calendrier quand tu rentres, que ça t'arrive pas deux fois !"

Et puis, il part, juste comme ça, les mains soutenant sa nuque; un grand sourire aux lèvres.