Burn the Witch // feat. Hummingbird

Jamais, de toute sa courte vie, Mylendra ne s'était sentie en danger de mort.
Jamais, sauf le jour du Grand Désastre.
Comme tous les survivants, elle gardait là, soigneusement dissimulés dans un coin de son coeur, la peur, l'incertitude, l'impuissance, les sentiments néfastes qui avaient refermés leurs griffes sur son âme ce jour-là. Elle avait veillé à les y tenir scellés toute une année durant, de peur qu'ils ne reprennent l'ascendant sur elle et ne broient son esprit sans aucune pitié.

Seulement voilà, Phaner avait parlé.

Il avait parlé et la Boite de Pandore avait menacé de s'ouvrir de nouveau, laissant s'échapper quelques relans d'horreur suffisant à terroriser la jeune femme. Alors, elle avait fuit. Lâchement, elle avait abandonné l'endroit qu'elle considérait comme sa maison, les humains qu'elle considérait comme sa famille. Elle n'avait pu se résoudre à vivre dans la terreur ; son intégrité, physique, morale, avait été plus importante à ses yeux.
C'était grâce à l'aide de Daisy qu'elle avait pu s'enfuir et se réfugier dans un immeuble abandonné anciennement utilisé comme base d'opérations par les Spirit Hunters. Comme toujours, son amie n'avait pas hésité à lui prêter main forte - quitte à cette fois-ci se mettre elle-même en danger au vu de sa position auprès de Phaner.

Recroquevillée dans son sac de couchage, l'exploratrice soupira. Voilà maintenant plus de deux semaines qu'elle restait cachée dans l'immeuble, attendant patiemment de nouvelles informations de la part de Capucine ; pourtant, rien ne venait. Elle n'avait osé qu'une sortie à l'extérieur, un soir, attirée par des Vagabonds fêtards et bruyants. Elle vivait sur ses gardes ; apprenait à se méfier du bruit avant de laisser parler sa curiosité, pouvait reconnaitre le son des pas de son amie, le son des rats qui vivaient dans les décombres.
Alors, lorsqu'un bruit inhabituel trancha le silence, recroquevillée dans son sac de couchage elle se figea. L'immeuble instable était grand et vide ; tout y résonnait, y compris les pas qui s'engageaient dans la cage d'escaliers. Ce n'étaient pas ceux de Daisy, et celle-ci l'avait prévenue que Phaner enverrait peut-être quelqu'un pour la retrouver. Son sang ne fit qu'un tour dans ses veines.
Elle ne pouvait pas rester là.
Peu importait la personne à qui appartenaient ces pas, elle ne pouvait pas risquer de se mettre en danger une nouvelle fois. Discrètement, rapidement - autant qu'elle le pouvait - elle se saisit de sa besace de cuir, abandonnant sur le sol le reste de quelques ses affaires pour centrer son attention sur le plafond ; elle avait installé son camp juste à coté d'un grand trou dans celui-ci, qui permettait d'accéder au deuxième étage en escaladant les débrits qui s'empilaient sur le sol. Seulement, la pratique s'avéra moins aisée dans le noir complet que ce à quoi elle avait pu s'attendre,
et elle manquait de temps.
Dans sa hâte, elle posa un pied sur une prise trop incertaine qui céda trop rapidement pour venir s'écraser sur le sol dans un fracas sourd, la déséquilibrant au passage. Tant bien que mal, elle se rattrapa, et repris sa montée de plus belle ; maintenant qu'elle avait alerté.e son ou sa poursuivant.e, elle ne pouvait plus se permettre une erreur de timing.

Une fois hissée sur le sol du deuxième étage, la sorcière entreprit de débuter la véritable course poursuite. Ici, la discrétion avait autant de valeur que la vitesse. Elle devait courir le plus doucement possible, tout en étant aussi rapide que son corps le lui permettait. Et tandis qu'elle traversait les longs couloirs en direction des escaliers, elle priait pour que la personne qui la cherchait n'entende pas ses pas depuis l'étage inférieur.
Mais lorsqu'elle atteignit enfin la cage d'escalier à son tour, elle ralentit, elle hésita ; cet immeuble, elle l'avait visité, s'y était promenée pendant des heures. Elle commençait à se familiariser avec, tandis que le monde extérieur de cette partie de la ville lui restait inconnu. N'était-il pas plus judicieux de tenter de se cacher dans l'immeuble, plutôt que de se laisser entrainer dans un terrain de chasse qui n'était pas le sien ?
Pas assez de temps.
Elle n'avait pas le temps de penser. Sans y réfléchir plus longtemps, elle décida de monter les escaliers pour atteindre l'étage supérieur.
Avec un peu de chance, la pénombre lui sauverait peut-être la vie.

Rapidement, les pas de souris de la sorcière furent forcés de se transformer en enjambées folles ; malgré sa discrétion, l'inconnu.e était parvenu.e à deviner la direction qu'elle avait pris et s'était élancé.e à sa poursuite. Tandis qu'elle se précipitait vers les étages supérieurs, Mylendra s'efforçait de réfléchir à la façon dont elle allait se tirer de ce mauvais pas. Et alors, une voix résonna dans l'immeuble vide, lui arracha un sursaut.
Comme pour lui confirmait ce qu'elle savait déjà ;
Phaner ne comptait pas la laisser partir aussi facilement.

Si elle pouvait déceler des traits féminins dans le timbre rocailleux, elle se trouvait malheureusement incapable d'associer cette voix à un visage familier. Son cœur tambourinait dans sa poitrine. Lorsque ses pieds atteignirent le pallier de l'avant-dernier étage, elle hésita pendant une fraction de seconde. Pouvait-elle espérer perdre sa poursuivante dans les dédales des couloirs en ruines ? Si elle y parvenait sans se perdre elle-même, peut-être pouvait-elle même rejoindre le trou dans le mur qui communiquait avec le bâtiment voisin ? Silencieusement, elle s'enfonça dans la pénombre des couloirs jonchés de débris. Ses yeux s'accoutumaient au manque de lumière plus facilement que ce qu'elle aurait pu imaginer. Pour autant, serait-ce suffisant face à son opposante ? Phaner avait sûrement pensé à tout, et choisi la meilleure personne pour la chasse de nuit.
Après tout, les rangs des Greens regorgeaient de chasseurs talentueux.
Son pied nu butta sur un débris qu'elle n'avait pas remarqué. Elle se mordit la lèvre pour retenir un gémissement de douleur, espérant que sa poursuivante ne l'avait pas entendue.

Mais voilà bien longtemps que les erreurs ne pardonnent plus ici bas, Mylendra.

Et bien trop vite, des pas pressés se mirent à résonner dans sa direction. Le sang de la sorcière ne fit qu'un tour dans son corps ; que faire ? Courir et confirmer sa position ? Se cacher et prier pour qu'elle s'en aille ? Elle était proche du passage dans le mur mais n'avait pas assez de temps. Pas assez de temps pour réfléchir, et encore moins pour courir jusqu'à celui-ci. Le plus silencieusement possible, elle se glissa aussi vite qu'elle le pouvait dans un amas de décombres à quelques mètres, s'efforçât de calmer sa respiration, attendit.
Son pouls accélérait à mesure qu'elle entendait l'inconnue se rapprocher, si bien que lorsque celle-ci arriva dans son champ de vision, Mylendra serra ses mains sur sa poitrine pour étouffer son cœur.
Pouvait-elle l'entendre ?
Son cœur l'avait toujours trahie, dans toutes les mauvaises situations. Allait-il en être de même cette fois-ci ?

La voix abîmée de sa poursuivante, qui appelait au hasard son nom dans la pénombre, s'immisçait entre les débris pour parvenir jusqu'aux oreilles de la vagabonde et la terroriser un peu plus chaque seconde. Elle plaqua une main contre son visage pour s'empêcher de respirer ; de pleurer ; d'être repérée.
Elle s'imaginait déjà prise ; mutilée, ramenée à Phaner et punie en exemple pour sa trahison et ses croyances.
Mais alors que tout semblait perdu, la silhouette inconnue décida finalement de poursuivre ses recherches dans un couloir adjacent et disparu de son champ de vision. Le colibri se trouvait incapable d'esquisser le moindre mouvement, incapable de respirer, comme figée par la terreur. Pourtant, elle devait réagir ; peut-être était-ce là son unique chance d'échapper à sa prédatrice. Les secondes s'écoulaient et elle restait là, cachée dans les ténèbres.
Engloutie.
Impuissante.

Et quand, finalement, ses poumons suffoquant daignèrent inspirer de nouveau pour la ramener à la réalité, c'est le sol qui sembla s'écrouler sous ses pieds. Mais elle n'avait plus de temps à accorder à ses sensations vertigineuses. Au vu de la détermination de son opposante, sa seule chance de lui échapper était d'utiliser une sortie dont celle-ci n'avait pas connaissance, comme le passage dans le mur du fond. Mais pour l'atteindre, elle devait être rapide, agile et silencieuse. Discrètement, elle s'extirpa de sa cacher, et sans y accorder plus de réflexion, s'élança vers la sortie.
Qu'avait-elle de plus à perdre, après tout, en essayant de s'échapper au lieu de s'enterrer ?

Elle ne s'en tirerait probablement pas dans tous les cas.