à la recherche du tabac perdu - XX/10/2020 [ft. Tobacco] [abandonné]

à la recherche du tabac perdu


Il n'y avait rien eu d'appréciable dans cette journée.
D'abord la pluie matinale, venue tremper jusqu'à l'espoir de pouvoir sortir avant treize heures. Ashley ne s'en serait pas soucié (ça lui aurait fait plus de temps pour dormir, après tout) s'il n'était pas allé se promener avant que les premières gouttes ne daignent tomber. Il sentait désormais le chien mouillé, et ses cheveux, insensibles à son malheur, rebiquaient (il s'était observé dans une flaque et avait qualifié ses mèches de pistes de ski, avant de mettre un coup de pied dans l'eau et de se ramasser lamentablement par terre). Tête et cul mouillé, après une moitié de journée passée à rêvasser sous un arbre dans une ville désormais boueuse, il ne parvint pas à trouver le répit usuel dans son ramassage d'ordures.

Ensuite, il y eut la faim. Avec aussi peu d'organisation, difficile pour le vagabond de faire des stocks convenablement, et il n'avait pas récemment trouvé la force d'aborder l'association des commerçants pour faire du troc. Alors, sans grande surprise, il avait dû délaisser le repas du midi ; et bien qu'il lui fût arrivé de rater certains repas auparavant, l'habitude ne comblait jamais efficacement le vide de son estomac (c'était le temps qui, généralement, faisait l'affaire, mais il laissait derrière lui un goût amer de frustration).

Et enfin vint l'erreur.
Qui n'en était pas une, à l'origine. Au mieux une maladresse. Peut-on vraiment se tromper si l'on n'est pas conscient de ses actes ? Ashley n'était pas philosophe ; et à vrai dire, il n'aurait de toute façon pas vraiment le temps d'y penser.
Tout commença par un sachet plastique. Rempli de quoi ? Justement, il n'en savait rien. Décoré de son uniforme habituel (des gants, et un t-shirt noué derrière la tête en guise de masque), et armé de ses outils (un sac en bandoulière taché pour les trucs à garder ; un sac poubelle en main pour les trucs à jeter), il terminait sa routine – il faudra l'avouer, assez peu sereinement – quand il mit la main sur la chose.

C'était donc un sac plastique, de taille relativement moyenne, et transparent. Transparent, et pourtant, le contenu ? Un mystère. C'était brun, granuleux, en quelque sorte, un peu compact. Le vagabond songea à renifler, mais le visuel ne lui inspira pas suffisamment confiance pour qu'il s'exécute – et si c'était du poison ? C'était peut-être à ça que ressemblait la mort-aux-rats. Ou bien était-ce de la cannelle ? Il avait entendu dire que cette épice était en fait de l'écorce ; et l'intérieur du petit sac ressemblait bien à de l'écorce (râpée, certes).
Il aurait peut-être, un autre jour, pensé à garder cette trouvaille. Mais l'histoire aurait été trop courte, et la résolution trop simple ; alors, dans un soupir reflétant toute l'étendue de sa fatigue, il balança la mort-aux-rats/cannelle dans son sac poubelle, et ses réflexions avec.

Du temps passa, c'est certain ; combien, Ashley n'aurait trop su dire (vingt minutes ? quarante ? peut-être une heure entière). Il avait fermé son sac poubelle et l'avait laissé avec deux autres derrière lui ; puis il avait un peu marché, pour désengourdir ses muscles, et s'était remis à la tâche (en espérant naïvement s'arrêter avant le coucher du soleil).
Avec le temps maussade et gris caractéristique de l'automne, assombrissant le ciel avant même que la nuit ne s'en charge, le blond mit du temps à distinguer cette silhouette en mouvement. Quelqu'un de plus actif que lui, pour sûr, et qui avait l'air de remuer le coin (super, j'vois qu'on respecte le travail des autres par ici). Qui ? Pourquoi ? Tant de questions qu'il refusa de se poser (c'est pas mes oignons, iel se démerde, j'ai bientôt fini, et iel a pas intérêt à me faire chier).

Non, ce n'était pas une journée de chance pour Ashley ; et il découvrirait bientôt le prix à payer pour avoir mal fait son job.

à la recherche du tabac perdu


Un soupir vint s'étouffer dans son masque à gaz de fortune, réchauffant ses lèvres, le bout de son nez, et juste entre les deux, sa moustache inexistante. La silhouette s'approchait ; et il put bien assez tôt la scanner des yeux (tout en continuant d'espérer qu'elle ne l'avait pas vu) (il n'était pas le plus futé de la région). Elle avait des cheveux longs (ok), châtains (pourquoi pas), elle n'avait pas l'air bien vieille (mais il était bien placé pour savoir qu'il ne fallait pas se fier aux apparences), et elle était... grande. (Ça sent pas bon.)

Avant même qu'il ne puisse rouspéter intérieurement, s'interdisant de lui adresser la parole en premier, elle fut celle qui prit la parole. Elle semblait calme, presque détachée : une bonne nouvelle en somme, puisque Ashley n'était pas vraiment fan de la provocation dont pouvaient faire preuve certains de ses compères (il ne l'admettrait pas, mais il se sentait surtout trop mal à l'aise face à ces personnes dont les pensées semblaient s'organiser rapidement et avec un sarcasme décapant, qu'il pouvait mettre plusieurs heures à décrypter).

La question lui fit plisser les yeux. Il ne prit pas la peine d'abaisser le tissu qui lui camouflait le bas du visage (flemme), mais contrairement à ce qu'il s'imaginait, cela ne le rendait pas moins lisible. Au fond de son regard, c'était comme si des fenêtres d'erreur Windows s'étaient ouvertes, et une barre de chargement aurait pu venir se coller sur son front sans problème.
Du tabac ?

Un instinct de survie lui fit d'abord secouer la tête de gauche à droite. Déjà parce qu'il n'avait jamais vu – du moins c'est ce qu'il pensait – du tabac en-dehors d'une cigarette. Quel genre d'idiote cette femme était-elle pour vider les clopes de leur tabac ? Un neurone remua, et il songea qu'il ne connaissait pas leur processus de fabrication ; peut-être avait-ce un rapport. Peut-être que le processus était inverse ; que plutôt que de vider les cigarettes, elle les remplissait. Il haussa les sourcils face à son génie soudain (c'est quand même pas con, en plus elle doit avoir plein de monde pour lui lécher les bottes).

Il fallut que le vent fasse frémir le plastique de son sac poubelle pour que le vagabond ait une seconde réflexion sensée (deux en une journée, record !) : il percutait, là, maintenant, et il n'était pas habitué à percuter, alors deux mots s'échappèrent, de joie et d'effroi en même temps.

« Oh wait. »
La joie en question quitta son corps aussi vite qu'un nouveau millionnaire quitte son pays pour s'installer à Malte, et les images défilèrent devant ses yeux désormais béats. Si c'est ce à quoi je pense, elle va vouloir savoir où c'est. Si je retrouve pas où c'est, elle va me gonfler. Même si je lui montre où c'est, je pourrai pas rentrer tout de suite. Et si je lui montre dans quoi c'est, elle va peut-être pas adorer.
Craignant que ses deux minuscules mots précédents aient été entendus, il se racla la gorge, se précipitant pour se rattraper, comme il savait si mal le faire.

« Je veux dire, ça ressemble à quoi ? Ton truc ? »
Donner l'impression d'être à l'aise. Dominer la situation. C'est toi le boss. Tout n'est qu'un malentendu. On va rentrer à la maison.

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Le culot. L'interrompre pendant que lui, citoyen honnête, travailleur acharné (pas réellement), accomplissait ses tâches pour venir en aide à la société : c'était déjà fort de café (à cet instant, il oubliait que son « précieux » job s'effectuait en extérieur, là où tout le monde pouvait passer). Mais en plus, elle osait lui demander de retirer son équipement de protection, élément essentiel à sa survie dans ce milieu hostile ? Ashley était outré.

Mais Ashley n'était pas vif. Aucune réponse ne lui vint. Il se contenta de fixer l'inconnue et, sa lenteur couplée à un fort esprit de contradiction, il ne s'exécuta pas (ça le rendait fier). (Dans un coin de sa tête, cependant, il prévoyait déjà une excuse du type « j'avais pas entendu », au cas où elle ne s'avère plus dangereuse que ce qu'il imaginait).

Le cœur toujours sur les nerfs, comme à chaque fois qu'il se sentait pris au piège dans un conflit, il eut du mal à se concentrer sur la description – ainsi il lui fallut quelques secondes de réflexion supplémentaires. C'était de l'herbe ?? Mais l'herbe c'est pas marron?? Un peu perdu, il dut admettre que le reste correspondait (surtout le petit sachet – il n'en voyait pas si souvent que ça, des petits sachets contenant quelque chose).

« Cette taille ? » lâcha-t-il en mimant une approximation avec ses mains.
Il avait parlé sèchement, toujours agacé par le ton de la femme en face, sans vraiment se rendre compte qu'il n'était pas dans une situation confortable.
Un Ashley vexé était un Ashley peu coopératif. Si c'était bien son tabac qu'il avait trouvé, il avait encore moins envie qu'avant de lui venir en aide – pire : il voulait l'emmerder. (Ashley était un sale petit con.)
Alors il se baissa, mimant de retourner à sa tâche (il n'en était rien : le vagabond était trop fier de lui pour se concentrer sur les débris), et articula la phrase suivante :

« Ouais, je l'ai jeté. »

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Oh oh.
Peut-être avait-ce été une connerie. Peut-être qu'il aurait mieux valu moins faire le malin, avec un gabarit comme le sien. Peut-être que, tout compte fait, Ashley n'avait pas la prestance pour accomplir ce qu'il avait souhaité accomplir. Et que cette histoire allait mal tourner.

Son cœur s'était déjà mis à battre plus fort avant les douces paroles de la brune (ça lui faisait ça, de répondre aux gens, encore plus en cas de conflit). Mais dire qu'il accéléra, lorsque celle-ci entama ce qui ressemblait fortement à un sprint du point de vue du vagabond, serait un euphémisme sans nom.
Il aurait préféré s'être mis à courir (pas dit, cependant, qu'il serait parvenu à la distancer).

En moins de temps qu'il ne lui fallait pour penser, il avait quitté la terre, ses pieds pendant mollement dans le vide. Ah. Le tissu de son haut qui se resserrait autour de ses épaules et de son torse le terrifiait tout de même moins que le regard pour le moins animé de cette très aimable dame ; il déglutit bruyamment et, dans un réflexe, vint attraper les bras qui le tenaient (sans pour autant espérer que cela ait un quelconque effet – au moins s'agrippait-il à quelque chose). Dans la panique, il ne sut se demander si son heure était venue, car ses pensées fusaient en tous sens.

Fouiller dans mon sac ? Quel sac ? Il venait de lui dire qu'il l'avait jet- oh. Son sac poubelle. Pas celui, en tissu, qu'il portait en bandoulière, mais celui qu'il avait lâché plus tôt et qui attendait paresseusement, à ses pieds, la reprise de ses fonctions. Elle pensait qu'il l'avait jeté dans celui-ci. Les yeux du blond se mirent à bafouiller pour lui, effectuant des allers-retours entre son bourreau, ses propres mains, le sol (du moins, ce qu'il pouvait en voir depuis cet angle). Son souffle commençait à lui manquer et il crut un instant que l'adrénaline allait l'assommer.

Mais elle le reposa, dans l'attente d'une réponse. Et désormais, Ashley allait miser sur sa survie, plutôt que sur sa fierté (qui en prendrait, une fois sain et sauf, un sacré coup).

« Euh, commença-t-il, et puis il eut la brillante idée de baisser son masque afin de signifier sa bonne volonté. Il est pas. Dans ce sac là. » Grosse inspiration, puis il tenta de se justifier (cela lui semblait plus nécessaire que jamais). « Ca fait un petit moment que je l'ai vu ton truc, enfin je suis même pas sûr que ce soit ça, mais je sais plus où je l'ai foutu, après si tu continues dans la direction d'où je viens j'suis sûr que tu peux le retrouver. »
Ses muscles étaient tendus, ses épaules serrées, et il restait à l'affût, comme pour se défendre dans le cas où la démone s'attaquerait à nouveau à lui (c'était plus instinctif qu'autre chose, puisqu'il se rendait bien compte que, face à celle qui faisait une bonne tête de plus que lui, il ne pourrait pas défendre grand chose).

« Après, si c'était si important, je peux te dédommager... déclara-t-il d'une voix très peu assurée. J'ai. Ramassé des chouchous. Et une boule à neige. Enfin elle est cassée mais c'est quand même joli ? »
Ashley n'était pas bon marchand. Et il ne se leurrait pas ; ces trucs n'intéressaient que lui. Mais si elle était aussi passionnée par du tabac, elle pouvait aussi bien l'être par des babioles, non ?