les esprits qui dansent dans la nuit || feat. Jackpot

La nuit a toujours fait frissonner ceux qui croient au surnaturel. Il aime se cacher derrière les manifestations terrifiantes, Trickster. Il aime instrumentaliser les peurs des autres et faire résonner les cris d'effroi dans le noir. Certains diront que c'est une revanche sur la vie, d'autres que c'est juste encore un coup de son esprit tordu. C'est plus fort que lui. Même s'il apprécie le pauvre petit Jackpot, il arrive pas à s'en empêcher. Il a besoin de le terrifier.

Une ou deux fois par mois, Tricks se glisse silencieusement entre les carcasses de voitures, jusqu'à être assez proche de celle de sa victime. C'est toujours des nuits où la décharge est déserte, presque morte : quand les autres ont trop bu pour être encore conscient, ou qu'ils sont tout simplement absent. Il faut croire que le silence attire les esprits tourmenteurs. Pour plus de discrétion, il a abandonné ses haut-talons auprès d'une des épaves à quelques mètres de là et enfilé une paire de baskets défoncées. Il a pas envie qu'un détail aussi distinctif vienne le vendre et gâcher tout son plaisir.

Dans une main, il tient un vieux bout de râteau rouillé qui servira à mimer les griffes d'un esprit monstrueux contre la taule du véhicule. Dans l'autre : une lampe torche dont il a changé l'ampoule pour illuminer la scène de formes monstrueuses un peu plus tard.

C'est le moment.

À la lumière de la lune, Tricks' vient frapper le métal du râteau contre celui de la carrosserie du véhicule, avant de la griffer bruyamment. Le bruit résonne dans, à m-chemin entre le hurlement du métal et celui d'une voix d'outre-tombe. Ça a sûrement suffit à sortir Jackpot de son sommeil.

Le sommeil, rare plaisir de ton âme, si rare. Quelque chose que tu chérissais, autant que tu ne le craignais, car la nuit, c'était aussi à ce moment là qu'ils arrivaient, ces bruits bizarres, ces lumières vacillantes, ses courants d'air étranges, et tu les détestais. Souvenirs du passé ou terrible présence de l'au-delà, la nuit te terrorisait, seul dans ta voiture immobilisée. Et ça se déclenche bien plus brutalement que d'ordinaire, d'ailleurs, ce soir, te faisant sursauter brutalement, te redressant comme un i au volant de cette légende de l'automobile. A ton côté, le chien lève paresseusement la tête, baillant longuement en développant sa langue le long de ses crocs inutilement acérés.

« Qu... Qui c'est ?! » T'es fébrile, tes mains sont déjà moites, ton dos tente de s'enfoncer dans le cuir du siège, si tu essaies assez fort, peut être que la matière t'absorbera, te recouvrira, et que tu pourras passer inaperçu aux yeux de cet ectoplasme ? Tu glisses une main peu rassurée sur le loquer présent sur la portière mais quand tu le pousses, c'est le vide qui s'enclenche. Merde... T'avais toujours pas réparé ça, bordel ça aurait du être ta priorité non ?

Une goutte de sueur, complètement gelée, vient dégringoler ton dos, tu pourrais presque l'entendre rire, se moquer de ta terreur, ricochant sur les muscles jusqu'à imbiber ton t shirt. Tu poses alors l'autre main sur Haricot. « Je .. J...J'ai un chien de garde très méchant ! Il mord ! » Et le chien incline la tête sur le côté, la longue langue rebondissant en l'air pour lui donner un air curieux. Ah... Quel idiot de chien.

Il doit presque se retenir de ricaner, Trickster. Le tourment agite la voix qui résonne dans le noir. Il n'a qu'une hâte, c'est que la terreur s'empare définitivement de sa petite victime. Toujours plus loin dans l'amusement. Toujours plus loin dans les farces de mauvais goût. Faute de se piquer comme le font les autres, c'est peut-être ça la dogue du lieutenant.

Silencieusement, Tricks' tourne autour de la voiture. Il évite soigneusement de s’approcher de la portière qui vient de s’entre-ouvrir. Y a plus que les bruits de la nuit, d'un coup. Et c'est sûrement pire que tout, d'attendre que les signes se manifestent en tremblant ; quand on entend que les battements de son propre cœur qui résonnent.

Quelques secondes passent encore, avant que les dents du râteau ne reviennent se frotter à la taule. Le bruit écorche douloureusement les oreilles ; comme si là, dehors, se tenait une créature affamée cherchant à entrer dans le véhicule.

C’est presque toujours le même cérémonial. C’est un spectacle que Trickster maîtrise sur le bout des doigts. Et comme pour l’accompagner ce soir, quelqu’un hurle à plein poumons dans la nuit, un peu plus loin : un cri de souffrance, ou de folie. Ça lui arrache un sourire, à Tricks’. Il aime ce genre de surprise, celles qui semblent lui rendre la tâche encore plus simple et plus amusant.

Plus que parfait. Le hasard fait bien les choses ce soir.

Sans plus tarder, pour ne pas laisser passer sa chance, Tricks' allume sa lampe torche en direction du pare-brise pour y faire s'y coucher des formes cauchemardesques. C'est la plus belle des apparitions fantomatiques.

Autour de toi, les ombres sont autant de menaces, elles cachent des monstres, dissimulent des ennemis, et tu ne peux faire confiance à aucune d'entre elles. L'anxiété qui s'amorce grandit plus vite que tu ne voudrais l'avouer et ton cœur bat si fort qu'il t'en donnerait presque l'impression de pouvoir ouvrir ta poitrine en deux sous les coups. Mais tu ne peux pas craquer, tu dois endurer, la tôle grince de nouveau et tu te couvres les oreilles, mourant d'envie d'oublier la folie de cette réalité qui s'imposait à toi sans que tu ne lui aies rien demandé. Alors que tu allais sortir de ta voiture, un hurlement résonne et tu y fais écho, ta propre voix recouvrant l'autre pour t'empêcher de l'entendre plus longtemps.  

 

Tu oscilles entre la terreur et la rage, allons bon, les fantômes, ça n'existait pas... Pourtant, soudain, la lumière t'aveugle et tu peux à peine discerner les silhouettes difformes qui semblent s'approcher de toi, menaçantes dans leurs auras blafardes. Cette fois, tu trébuches hors du véhicule, te ramassant la tête la première dans les graviers sales qui faisaient office de paillasson à ton chez toi. Ton regard balaie la décharge alors qu’un long frisson vient hérisser ton dos, non, décidément, tu étais loin d’être rassuré ce soir. Dernièrement, tu n’avais pas été le meilleur des hommes et il n’était pas exclus qu’on ait décidé de te punir... Ou bien était-ce elle, cette sœur que tu avais manqué de protéger ? Qui revenait de l’autre monde pour partager la souffrance d’une vie envolée ?  



Tu ne fais plus confiance à ta voix pour les longues phrases alors “Arrêtez ! Montrez-vous !” Sort pitoyablement de ta bouche, craquant et s’effritant sur la fin, tes genoux tremblent et c’est le chien qui vient affectueusement se coller à eux qui te sert de repère, qui t’ancre, qui te retient de sombrer complètement dans la terreur.

Assez pour cette nuit. Il ne faut pas trop abuser des bonnes choses, sous peine que ça nous retombe sur le coin de la gueule. La lumière s’éteint presque aussi vite qu’elle a été allumée. Dans l’ombre, Tricks’ se faufile entre les carcasses et les étrangetés qui peuplent la décharge ; tant de formes effrayantes qui projettent leur ombre à la lumière de la lune. Ca lui rappelle cette fameuse chaise où s'entassaient ses vêtements, quand il était enfant, et qui la nuit prenait forme humaine. Des constructions de l’esprit. C’est tout ce que c’était, et c’était terrifiant.

Quelques minutes passent, et sans un bruit Tricks’ retrouve les chaussures qu’il a abandonnées un peu plus tôt près d’un des véhicules. Se débarrassant des vieilles baskets et de ses petits accessoires, les cachant sous l’épave, le lieutenant se dépêche d’enfiler ses bottes. Un coup de fermeture éclair, et c’est réglé. Il ne lui reste plus beaucoup de temps pour faire son entrée.

Il a presque l’air de sortir du lit, Trickster, vêtu de sa robe de chambre préférée. Le visage tordu par un simulacre d’agacement, il sort de sa cachette pour se rapprocher à nouveau de la petite tanière de Jackpot. Plus besoin de se faire discret, cette fois-ci. Et tout marche comme sur des roulettes ; comme si ce n’était pas lui le fantôme.

Voiture en vue, et mains sur les hanches.

“Mais on est où là ?!  Tu veux que j’t’aide, moi, à gueuler comme ça au milieu de la nuit ?!”

Dans sa parfaite imitation du voisin poussé à bout, Tricks’ serait presque tenté d’ajouter un : y en a qui bossent le matin, hein.

“Ca va pas ou quoi, Jack’ ?!”