Je tombe.
En es-tu sûr ?
Non... Je saute.
Ne serais-tu pas en train de nager ?
Non. Je ne sais pas. Je nage ?
Ai-je dis ça ?
Non. Je dors, alors ?
Je n'ai pas dis que tu ne nageais pas.
…
Silence. Retour difficile à la réalité. Les couleurs sont fades. Ou bien est-ce le regard que je porte sur elles qui manque de saveur. Je suis encore perdu, déstabilisé, au bord du gouffre. Je reste ainsi, à fixer la vacuité de mon existence encore quelques instants. Juste cinq minutes de répit. Juste trois cent secondes. Je reprends conscience, un peu. Papillonnant des yeux, je pousse un long et presque interminable soupir. L'illusion n'est plus. Tout reprend sa forme initiale, le soleil ne brille plus autant, le ciel se couvre, l'herbe n'est plus si confortable et mon dos comme à en pâtir. Les premières expériences ont toujours été les meilleures. Que ça sois la première fois que tu regardes une série télévisée, la première fois que tu goûtes un plat... ou la première fois que tu ingères de la drogue -intentionnellement, en tout cas-. Lors des autres fois, l'effet n'est plus le même, mais il fait le job... Ainsi je profitais des derniers instants de relâchement avant de me lever, me mettant en route. Où ? Je n'en ai pas la moindre idée. Mon cerveau est en pilote automatique. Je ne marche pas, je ne fais que mettre un pied devant l'autre, le pas hésitant, la démarche encore flageolante. Je dois certainement avoir mauvaise mine. Je ne sais pas le distinguer à travers les reflets des flaques d'eau boueuses. Je ne vois que le fait que mes cernes aient prit un peu plus d'ampleur sous mes paupières.
J'ai froid.
Un désagréable frisson parcoure ma peau, me faisant dresser les poils. Me réchauffant en frottant vigoureusement mes bras, je cherche nerveusement de quoi fumer dans mes poches. Rien. Le vide total. Je crois entendre un bruit d'avion. Je lève la tête. Mon esprit me joue des tours. Encore. Je finis presque par en prendre l'habitude. Laissant mon instinct me guider, je reconnais plus ou moins rapidement le grand bâtiment qui s'étend face à moi quelques mètres plus loin. La gare. Celle réquisitionnée par les Pirates. Je ne faisais pas partis de ce groupe depuis longtemps, néanmoins ils me permettaient de vivre comme je l'entendais, peut-être pas dans un confort extrême, mais c'était mieux que faire voyage seul. Ou chez les Greens. Rien qu'à l'idée de partager mon espace vital avec ces fanatiques dégénérés j'en avais la gerbe. Ou peut-être était-ce dû aux sévères vertiges dont j'étais la victime actuellement. Peu importe. M'adossant un instant à un vieil arbre humidifié par la pluie, je reprends mon souffle. Je n'aurais pas dû me lever aussi vite après être redescendu. Une main sur le cœur -comme si cela pouvait m'aider à reprendre un rythme cardiaque convenable plus aisément- j'inspire et expire profondément. Cette journée s'annonçait laborieuse.
Reprenant peu à peu contenance en m'approchant de l'endroit qui sert de QG aux bandits, je pénètre dans l'enceinte du bâtiment en jetant quelques regards à droite et à gauche. Parano. Je suis parano. Qui peut bien me suivre si ce n'est ma propre ombre ? Adoptant mon déguisement de Cheshire, j'entre en détaillant les murs. De plus en plus de dessins. De plus en plus de membres. C'était fou le succès qu'avait cet attroupement. Bones était un beau parleur, il savait vendre son projet. Projet. Des projets. Ai-je des projets ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je suis chimiste, c'est déjà ça. Et médecin aussi, accessoirement. Les températures chutaient. Les premières maladies, les blessures, je m'en chargeais. Au moins, ça faisait travailler mon intellect. Et mes mains. Cherchant des yeux l'endroit où j'aidais la plupart de ceux qui venaient ici -contre quelques petits services-, je fini par tomber dessus. Oh. J'avais laissé mes produits ici. Super. J'espère que ces raclures n'ont touché à rien...
Surprenant, mais vrai, tout était en ordre. Soufflant bruyamment, je range les petites pilules que je confectionnent moi-même. Il ne faudrait pas que ça tombe dans les mauvaises mains. Sortant peu à peu de l'état comateux dans lequel je me trouvais, je reprenais des couleurs. Un type approche. A nouveau, mon pelage se hérisse, à la manière d'un chat. Je le dévisage. Il me dévisage ? Je ne sais pas. J'en ai l'impression. Je me méfie. Qui est-il ? Que me veut-il ? Silencieux face à lui, je le laisse s'exprimer. Crochet ? J'ai déjà oublié. Il me tend nerveusement ce qui lui reste de son bras. Oh. Ça c'est intéressant. En bon médecin qui se respecte, je montre immédiatement mon intérêt en me penchant un peu plus en avant vers la blessure. Joli spécimen. Il a titillé ma curiosité le bougre. Le rouquin me demande de l'aide. On m'a suggéré ? C'est bon à savoir ça. Je n'affiche aucune émotion particulière, je reste dans un calme parfait malgré la tempête en moins.
Mmh, je gère mal les "redescentes". Pourquoi n'arrête-t-il donc pas de bouger ?
En signe de réponse, je lui montre un vieux banc. Ça fera l'affaire. Empoignant le petit sac contenant ce dont j'avais besoin -surtout ce que j'ai volé dans les pharmacies au début de l'apocalypse- je m'approche de lui et lui jette un regard, affichant un long sourire. Il devait commencer à comprendre pourquoi j'avais ce surnom stupide. Au fond, ça ne me déplaisait pas. Le chat d'Alice me ressemblait un peu, je l'avoue. Un poil nihiliste, toujours rhétorique, étrange... Bref. Je divague. J'attrape une bouteille d'alcool en plastique. Dedans, il y a ce qui peut s'apparenter à du gel hydroalcoolique fait maison. Avec des ingrédients un peu spéciaux. Ça ne vaut pas l'hygiène d'un hôpital, mais c'est mieux que rien. Je couvre mes mains du produit et frotte vigoureusement.
« Détend toi Killian Jones, j'vais pas t'bouffer. Ou en tout cas pas encore... Tu m'revaudras ça plus tard. »
Oui. Killian Jones a.k.a le Capitaine Crochet. Oui. J'ai oublié qu'il s'appelait déjà Crochet. J'attrape doucement son poignet et plisse les yeux face à la blessure. Comment il s'est fait ça ce malade ? En tout cas, c'est bien infecté. Il va falloir enlever les peaux mortes et nettoyer ça. Autant dire que ça va pas être une partie de plaisir.
« T'es plutôt alcool ou défonce ? On a pas d'autres anesthésiants. Sinon, fait sans rien. Ou au pire... » J'attrape un petit flacon. « Y'a ça. Ça te calmera, mais tu sentiras encore la douleur. »
Je hausses les épaules. C'est très expérimental, mais ça s'apparente à des huiles essentielles. Je crois que l'effet placebo joue beaucoup. Peu importe. Je pose à côté de lui un médicament et une bouteille d'alcool -franchement dégueulasse-, il choisira ce qu'il veut, je m'en foutais. M'étirant doucement, mes lèvres s'étendent un peu plus. Je me sentais réveillé, enfin. Je prends entre mes doigts une pince à épilée, elle me servira pour enlever les peaux mortes. Tout en commençant le travail, j'essaye d'attirer son attention sur autre chose. Je tiens pas à ce qu'il claque un malaise ici.
« Regarde pas. Dit moi plutôt comment tu t'y es pris pour te retrouver avec une beauté pareille. C'est presque de l'art à ce niveau. »
Je ricane, levant mon sourcil gauche, signe de sarcasme. Au fond, je n'en avais pas grand chose à faire de savoir comment il s'est fait ça, mais il fallait que je le garde éveillé. Même si voir quelqu'un s'évanouir c'est fun. Un peu. Je commence, tirant sur le premier bout de tissu contaminé. Il va le sentir passer, mais bon. Le pire moment sera quand je le désinfecterai. Là il va douiller. J'en rigole presque d'avance.
