❝house of cards❞ ❀ Jupiter - 15/10

daphne n’a pas l’habitude d’aller dans des coins louches. Alors se retrouver en plein milieu de la foret des murmures, c’est franchement pas commun. Mais voilà, elle a une excuse. Un pari stupide avec une enfant, mais un pari quand même, qu’elle doit honorer quand même. Elle n’aime franchement pas ce genre d’endroit. Elle n’a pas peu, mais elle n’est pas rassurée pour autant. On raconte des tas de trucs sur cet endroit, et maintenant, elle ne doute pas de la véracité de ce qu’elle entendait au sujet des totems, maintenant qu’elle les a devant elle.
Elle s’appuie contre un arbre, elle essaie d’ignorer les chuchotements qu’elle entend autour d’elle. Elle se rassure en se disant que c’est le vent, parce que c’est ce que c’est. C’est le vent. Et elle attend.

Elle a laissé sa voiture à la lisière de la forêt. La pauvre caisse est déjà dans un état lamentable, elle ne va pas en plus lui imposer des chemins impraticables, malgré sa petite taille. Petite, comme la brune qui s’avance vers Daphne, et à qui elle lance un sourire. Elle est loin d'être petite, pourtant. Mais Daphne et ses yeux taquins, Daphne et son air supérieur, ils voient le monde en taille XS.
Jupiter, c’est comme ça qu’elle se fait appeler, et ça fait rire Daphne, doucement, secrètement - même si elle s’était un peu moquée quand elle s’était présentée, elle devait bien l’avouer. Elles s’étaient vus quelques fois, toutes les deux. Croisées, plutôt. La première fois, Daphne avait essayé de lui soutirer des informations sur ce qu’il passait dans le stupide château ( quel nom idiot ) des chevaliers. La gamine était tenace, alors elle était repartie penaude. Les autres fois, elle n’avait rien eu de plus, si ce n’est d’être taquinée et provoquée, jusqu’à ce qu’elles décident toutes deux de se rejoindre au cimetière de totems. Ca partait de rien, Daphne lui avait dit que si elle voulait prouver que c’était une grande et plus un bébé, elles n’avaient qu’à passer une partie de la nuit dans le cimetière. Jupiter avait sauté sur l’occasion, et Daphne regrettait presque.

« T’en as mis du temps. T’es venue à reculons ? Tu flippes ? »

Daphne se détourne vers elle en souriant. Elle croise ses bras contre sa poitrine et toise Jupiter. Elle n’a pas la tête de celle qui a peur, mais Daphne ne lui donnera pas le plaisir de l’avouer. En fait, Jupiter, elle a passé son temps à la défier, que ce soit par son regard, par ses mots. Et elle, ça lui plait. Parce qu’on lui donne l’attention qu’elle veut, on la regarde, on se concentre sur elle. Pendant un instant, elle devient le centre du monde. Elle ne sait pas si Jupiter se rend compte de la satisfaction que ça lui procure, qu’on remue ciel et terre pour lui prouver quelque chose.

Elle désigne les totems en souriant et se penche vers Jupiter. Elle est légèrement plus petite, mais ça ne l’empêche pas de poser ses mains sur ses genoux, comme si elle parlait à une petite fille, et de prendre la voix mièvre que toutes les mamans gâteaux prennent en s’adressant à leur enfant.

« Si t’as peur tu me le dis, d’accord ? »

Elle se redresse en ricanant, s’avance entre les totems avec l’assurance de celle qui n’a pas peur, ce qui n’est pas totalement son cas. Elle n’est toujours pas rassurée, et les murmures de la forêt n’aident pas. Mais Jupiter est là. Alors elle restera brave, parce qu’elle est brave. Elle est forte. Ces morceaux de bois, elle les domine. Jupiter, elle la domine.

« Je suis sûre que c’est des tombes un peu chelou, genre des trucs maudits, un délire de ce genre là. »

daphne n’a pas peur, c’est ce qu’elle se répète. Arcadia est maintenant plein d’endroits plus étranges les uns que les autres, et ce n’est pas une petite réunion de totems qui lui foutrait la trouille. Ces totems, ils étaient là, ils ne bougeaient pas. Juste là. Bien moins effrayants que les oiseaux qui risquaient de vous picorer les yeux si on s’approchait trop.
Alors non, Daphne elle n’a pas peur, elle se répète. Pour se rappeler qu’elle n’est pas peureuse.

Pourtant elle a beau se le répéter dix fois, comme une formule magique qui ferait disparaître les angoisses, Daphne, elle se sent quand même mal à l’aise. Parce qu’il y a une ombre qui traîne dans Arcadia, et qu’elle pourrait bien se terrer entre les totems. En tout cas, si Daphne était une ombre, c’est ici qu’elle irait se cacher. Là où personne ne s’aventure, là où elle pourrait se fondre parmi ses amies les ombres, celles des totems.
Jupiter, c’est une enfant avec le courage idiot des enfants. Celui qui leur fait croire qu’ils sont sans peur, celui, naïf, qui leur donne l’impression de pouvoir soulever des montagnes. Jupiter, elle n’a pas encore l’air de se rendre compte qu’Arcadia Bay est plus forte que tout ça. Qu’Arcadia Bay se moque de ces démonstrations de bravoure. Qu’Arcadia Bay, elle engloutit même les plus forts. Elle envoie les rapaces leur déchirer les entrailles, les baleines les dévorer, la tempête les engloutir.
il est temps de le comprendre.

Alors daphne rit un peu quand elle entend je n’ai pas peur. Parce qu’elle s’est rendue compte qu’on ne peut pas ne plus avoir peur d’Arcadia. Que la formule magique qu’elle répétait sans cesse ne marchait plus. On n’est pas sans peur face aux ombres.

« Soit, si tu le dis. Courageux pirates si, mais pas inconscients. Y a une différence là-dedans, mais tu comprendras quand tu seras plus grande. »

De l’inconscience, voilà, c’est le mot. Jupiter c’est l’inconscience enfantine, celle qui vous fait sourire, ou qui vous ferait sourire si ce n’était pas aussi dangereux d’être inconscient aujourd’hui.
Mais t’es inconsciente aussi, daphne.
Daphne reste contre son arbre, ses yeux balaient les totems. elle ne devrait pas être là, on ne sait pas ce qui traîne entre ces tombes. Elle écoute jupiter, elle sourit. Et chaque mot qui sort de la bouche de la petite brune, c’est une nouvelle confirmation de son innocence d’enfant. elle écoute, elle rit, elle s’amuse qu'on lui dise qu'elle est vieille. C’est de bonne guerre après tout. Et daphne sait qu’elle est fraîche et pimpante.

« Difficile de faire plus fraîche que moi, mais merci de t’en soucier. Tu paierais une fortune pour avoir le corps que j’ai. »

daphne sourit, elle hausse les sourcils dans un acte de provocation déguisée. elle ne se trouve pas que jolie, elle sait qu’elle est jolie, elle n’en a jamais douté.
mais est-ce que ça fait vraiment tout, la beauté, daphne ?
daphne repose ses yeux mal à l’aise sur les totems. elle grimace un peu, elle repense à toutes ces légendes sur les tombeaux bafoués, les malédictions qui s’en sont suivis. elle se demande si elle sera morte, d’ici quelques mois, parce qu’elle aura osé poser ses talons sur le sol du cimetière de totems. mais jupiter essaie juste de l’effrayer. provocation déguisée aussi. daphne ne se fera pas avoir.
elle pouffe, elle s’avance pour mieux voir les tombes. elle les détaille, se penche pour voir mieux, puis lève ses yeux vers jupiter.

« mourir ? laisse moi rire. c’est pas des vieux morceaux de bois qui vont nous tuer. t’es enquêtrice du surnaturel, pas un clown. t’as pas une meilleure hypothèse ? »