[FB] Try to bullshit a psychic // Monsieur Loyal

Monsieur Loyal est une créature de jour -il ne vit que sous le soleil ou, à défaut des ultraviolets, saura s'accommoder des projecteurs. A l'Happy Hour, pourtant, rien de ça -pas de maigre scène, même pas de tabouret mis en avant, pas de microphone à faire crisser les tympans, aucun art du spectacle ne pouvait vraiment vivre ici. Loyal se contenta d'emmener son aura avec lui, et peut-être une fausse auréole.
Les stars, au fond, c'était les quilles de bowling et les nuances d'alcool accrochées au mur. On venait pour s'amuser, comme si dehors ne traînait pas des espoirs abandonnés sur le bas côté des chaussées de fortunes qu'on recréait dans une tentative de normalité -ou peut-être d'utilité. Loyal ne s'en fichait pas, loin de là, mais aujourd'hui il n'était pas venu pour s'amuser, pour peu qu'il en soit capable dans un lieu pareil.
Loyal était venu pour se détendre, et écrire un peu, et observer surtout.
C'était sans compter sur le hasard des choses, et sur les choses qui trottent dans la tête des autres. Peu de temps après avoir franchit la porte, il avait capté les prunelles de Bambi. Ce n'était pas très difficile -l'autre avait réhaussé son regard, apathique, avant de s'en détourner comme si de rien n'était. Il n'avait fait que noter sa présence et, pourtant, quelque chose semblait se tramer dans sa caboche. On aurait dit que Bambi avait indéniablement perdu face à sa retenue.
Ah, peut-être que Loyal s'amuserait quand même, ce soir.
Sa bière fraîchement arrivée sur sa table, Loyal ne l'avait pas encore embrassée. Il valait mieux ne pas commencer cette valse avant l'autre. Il ne savait pas à quel rythme Bambi dansait, ou du moins, pas comme ça. Il avait l'air à la fois terriblement fier et terriblement embarrassé.
Cela rendait Loyal très heureux.
Bambi ! Bonsoir. Je t'offrirai bien un verre, mais il semblerait que tu n'en aies pas besoin, mh. Il avait remarqué le léger décalage entre corps et mots, le petit temps de latence qui engourdissait la langue -presque rien, vraiment. Le verre de Bambi serait bien suffisant.
Loyal se para d'un sourire sans équivoque. Scintillant, vraiment ; très grand. Il était ravi. Jamais il ne refuserait une épopée, encore moins lorsqu'on venait à lui ainsi. Tout dépend de ton histoire -encore faut-il qu'elle vaille le coup. Mais je t'écoute. Je suis presque sûr que tu saura m'impressionner. Bambi n'était pas une personne-ectoplasme, mais Loyal ne se rappelait pas de l'avoir jamais vu aussi sûr de lui. Oh, on racontait bien des choses -notamment ses préférences libertines et son incapacité chronique à comprendre le langage amoureux, mais cela n'était en rien les affaires de Loyal. Lui, il voulait les histoires.
Prenant la bouteille de bière à la main, il la cogna doucement contre le verre de l'autre, comme pour fêter ce moment exceptionnel qui s'annonçait.
Il porta le goulot à ses lèvres.

Le rire coule hors de sa gorge. C'est fluide, presque aérien, sincère pour sûr. Après une seconde, il s'éteint, se noie dans la gorgée qu'il attrape.
T'es un homme de chaleur, Bambi, qu'importe ce que les glaces de tes prunelles racontes. Tes joues sont à peines rosées, vraiment, on ne le distinguerait presque pas, mais t'as Loyal en face de toi. Le mystère qui a su t'intéresser deux secondes et demie, pour finalement passer à des affaires plus pressantes -seulement jusqu'au livre. Oh, ce livre, s'il savait ! Comment penses-tu qu'il réagirait ? Lui, le colosse dont aucun mot n'est plus haut que l'autre ; lui, si prompt à glorifier les autres jusqu'à faire oublier son squelette de titan. Crois-tu qu'il est capable de colère ? de rage ?
Ah, le vois-tu humain, seulement ?
Ce n'est pas dans cet instant que tu en saura plus. Il arque un sourcil. Son intérêt est piqué, réellement, mais sa surface ne laisse que peu paraître les volcans qu'il garde près de son cœur. Il a souvent eu affaire à des charlatans, des menteurs, des idiots, et ne laisse de toutes manières personne rentrer dans son crâne. Il n'y a que son myocarde d'ouvert pour les gens. Et toi, Bambi, son cerveau lui soufflait que tu n'étais ni hâbleur ni bluffeur ni trompeur. Pas aujourd'hui. Pas pour le moment.
Les prunelles tigre de ton interlocuteur ne lâchent pas les tiennes. Elles sont généralement trop peu à la lumière pour qu'on puisse y discerner de l'or, mais ici, là, dans cet endroit, sous ces lampes, on y voit l'ambre qui se prélasse. La pupille reste joyeuse, amusée. Un sourire suffisant vient décorer son côté droit. Ca sera sa manière de répondre à tous ces sous-entendus qui n'ont probablement pas effleuré ton esprit, obnubilé par quelque chose d'autre.
Probablement était-ce la grenade que tu viens de lancer.
On ne verra de Loyal qu'un sourcil qui s'hausse encore plus, un sourire qui mange le reste de son visage. On ne voyait pas qu'il sait pertinemment qu'il n'a jamais dit ça à qui que ce soit. Mais alors, qu'est-ce que t'y comprendra ? Est-ce que t'es si sûr de toi ? Que ce soit lui ? Que ce soit vrai ? T'es certain de pas l'avoir entendu de quelqu'un d'autre ? Tu crois vraiment que des livres apparaissent comme ça ? Qu'il se remplissent tout seul ? Dis-moi, Bambi, est-ce que t'as l'habitude de venir boire ici ? C'est juste pour savoir. Pour ta santé. Tu vois ?
Peut-être que des questions pareilles auraient pu fleurir dans ton crâne -nature morte- si tu n'étais pas si certain de tout ça. Ah, pour une fois, le surnaturel piégeait son fidèle ; pourquoi le nier alors qu'on le poursuit depuis ce qui semble être une éternité ?
Loyal ne laissa pas aucune impression s'installer. L'avais-tu vraiment piégé ? Regarde, comme sa voix est aussi stable que d'habitude ! Son air jovial, assuré. Poli. Charmant. Son ton enjoué, laissant filtrer sa curiosité, légèrement tentatrice, enjôleuse. Pourquoi les champs ? Il rit, sourit. On peut aller au stand de tir à la fête foraine, si tu veux. On ne trouve plus de balles en polystyrènes, par contre, alors il a fallu adapter les mesures de sécurité. Grimace forcée, légère, de circonstances ; ah ! comprends, ce n'est pas sa faute. Mais je suis formé, ne t'inquiètes pas. Est-ce vraiment une information extraordinaire, que de savoir ça, Bambi ? Est-ce que tout le monde ne le sait pas ? Les forains, c'est de génération en génération, non ? Alors il a appris jeune, ça parait logique.
Oui, très logique.
Franchement, Bambi, t'es pas extraordinaire.
Montre-en plus. Vas-y. Ca se voit que t'es sûr de toi.
Balance. Réponds. Augmente d'un cran.
Petit joueur déjà perdu.

Ta nervosité se sent, immanquablement. Mais ces yeux qui papillonnent, ces doigts infatigables sur ton verre, ça n'est pas de la peur. Et ça dérange Loyal.
Loyal a une affection pour ce sentiment-là -celui qui ne t'habite pas. Lui ne la ressent plus vraiment ; elle est fade dans sa bouche quand vient le temps des terreurs. Son esprit est plus fort, aime-t-il à dire, comme pour faire croire qu'un jour, peut-être, sera-t-il terrifié.
Il en doute.
Mais chez les autres, oh, les autres ! C'est une chose fascinante. C'est un état si différent de tous les autres, et souvent on le retrouve mélangé à tout le reste. C'est souvent l'arrivée de la peur qui annonce la fin. On dit que l'espoir s'est échappé de la boîte de Pandore, mais il n'était-ce pas plutôt la peur, et son manque ?
Qu'importe -toi, là, tu n'en avais pas. Tu sais, tu as probablement raison : tu as tout à gagner, pour le moment. L'avenir nous dira de quoi il en retournera, pour le reste de ta vie.
Loyal rit. Evidemment, que tu ne doutes pas de lui et oh, il n'est pas dans le déni. Il a vu des choses, à Arcadia, déjà avant ! Il écoute des histoires, aussi folles sont-elles, sans jamais les juger ; et surtout, il sent les menteurs. Tu es trop sûr de toi pour tout avoir inventé, et pourtant. Pourtant, avant, quelque chose n'allait pas dans l'afflux de détails vagues que tu donnais. Ca saute encore plus aux yeux maintenant. Ta voix est stable, de velours. Tu joues de ce que tu sais. Tu mets ça en scène. Tu veux le coincer.
Et Loyal en a conscience, alors il se prépare. Il a bien fait.
Ce n'est pas l'allusion au Texas qui le fera flancher. C'est la suite. Son prénom. Sa supposée identité, cette chose qu'on se balade comme un boulet après sa renaissance. Loyal ne voulait plus entendre ce nom. C'était trop de choses qui n'avaient plus de sens. Il avait toujours l'impression qu'on l'avait dépossédé de son nom, qu'il ne lui appartenait plus, qu'il prenait plus de place que l'humain derrière.
Alors Loyal réagit, oui. Il ne l'avait pas prévu, mais il l'accepte. C'est sa mâchoire qui se serre, ses yeux qui se rivent sur le sol.
Ca lui fait du mal, visiblement.
Loyal laisse le silence faire son travail. Qu'est-ce que tu vas faire, Bambi ? Est-ce que t'es fier ? De l'avoir blessé, de l'avoir atteint, de le rendre humain ? Est-ce qu'il ne l'était pas déjà avant, et n'est-ce pas juste toi qui l'a déifié ? Qu'est-ce que tu veux qu'il dise ? Est-ce que tu veux qu'il pleure, qu'il rit, qu'il se mette en colère ?
Et alors, est-ce que tu sera là pour lui ? Ou est-ce que t'ira plus loin avec tes aiguilles ? A fouiller dans une vie qui ne t'appartient pas, sans aucun remord -pire ! avec délectation.
Ses yeux sont à nouveau sur toi. C'est lui, le puma, encore tranquille, mais regarde donc ces iris jaunâtres. Qu'y vois-tu, toi ? Le désert se trouve là.
Ah ! Impressionnant. Les sons sont moins clairs que d'habitude. Il est las, et un peu triste, alors l'épatement se lit moins bien -mais il est là. Je te conseillerais de ne pas utiliser ce prénom -je ne le reconnais presque plus, ça serait dommage de m'appeler sans que je n'en réponde, mh ? Mais le Trans-Pecos, crois-moi, ce n'est pas vide. Loyal parle toujours lentement, impose le rythme. Sa voix grave, claire, est écoutée. Il continue, joint ses mains sur la table qu'ils partagent. D'accord. Je te crois. C'est évident qu'il est honnête.
Il boit une gorgée de bière, s'assure toute l'attention de son interlocuteur. Maintenant, Bambi, pause, la question est la suivante : qu'attends-tu de moi ? Pourquoi me confier tout cela avec tant de ferveur ? Alors, Bambi ? Voulais-tu le voir désarçonné ? Désolé ? Dégoûté ? Faible ?
Dis-le.
Dis-le, que ton ego est faible, et qu'il craque sous les avances sensuelles de la curiosité malsaine.
Dis-le, que tu es tombé droit dans son jeu, que tu as surenchéri là où tu aurais pu te taire.
Dis-le, que tu voulais casser le titre de Loyal, sans te rendre compte que c'est son humanité qui le rend si exemplaire.

Ses conseils sonnaient presque comme des caresses quand ils cachaient pourtant de douces menaces. Il l'a dit : n'utilise plus ce prénom. Je ne te donne pas mon consentement. Je n'ai jamais donné ça. Et qu'importe son accord, tu t'es accaparé ces lettres comme on serre une lanterne dans le brouillard, en pleine nuit. Et pourquoi ? Avais-tu des loups à tes trousses ? Craignais-tu pour ta sanité ? Crois-tu que c'était essentiel ? Oh, oui, c'était pour montrer. En es-tu certain ? Avec tout ce que tu as lu ? Tout ce que tu as imaginé ?
As-tu tant besoin de savoir quel bout d'humanité réussi à construire un homme comme Loyal ?
Ne t'es-tu pas imaginé, ne serait-ce qu'un instant, qu'il s'agisse plutôt d'un manque qu'un trop ?
D'une ville déserte, et de ses fantômes.
Et de tout ce qu'il avait été, de tout ce qu'il aurait pu être.
S'il avait continué, il n'aurait pas été là aujourd'hui, tu sais. Il aurait été loin, si loin ! Là où les mots n'ont plus vraiment de sens. Et pourtant, le voilà.
Blessé par quatre lettres.
Encore sous le choc, conscient de ne pas encore avoir compris la situation et tout ce qu'elle impliquait. Il n'a pas peur. Non, il n'a jamais peur. Ni pour les autres, ni pour lui, à quoi bon ? Et quand tu lâches ta promesse, elle s'envole dans l'air aussi rapidement qu'un avion de papier. Il croit en ton bon sentiment, il n'est pas juste certain que tu puisses respecter ta propre morale.
Il acquiesce. C'est une manière de clore le sujet, de le fermer à double tour et de le jeter dans les plus lointains abysses qui existent.
C'est un mystère qui en restera un. Oh, aussi longtemps qu'il vivra, probablement, et sur sa tombe il préfèrera être célébré par son titre que son nom ; il aimerai être dispersé partout, tout autour de la terre, et il aimerait qu'on rie sur ses cendres à son souvenir et à tout ce dont il était fier.
Il note le temps que tu mets à répondre. On dirait que l'embarras te fait défaut, et que c'est bien une autre émotion, plus cérébrale, qui retient le couperet de tes mots. Ah, mais est-ce que la réflexion t'es bonne conseillère, Bambi ? N'es-tu pas plus sentimental, ne comprends-tu pas plus le cœur plutôt que le myocarde, t'a-t-elle déjà guidée là où tu voulais aller ?
Loyal ne peut s'offusquer du ton employé : c'est lui qui l'a instauré. L'affront reste présent, pas (encore) agressif. Loyal a lâché tout intérêt pour sa bière. Seul toi compte.
Il ouvre la bouche pour laisser échapper un soupire. Il revêt son habit de forain mais surtout de paternel non officiel ; on a devant soi celui qui veut le bien des siens par-dessus tout, par-dessus lui. Bien que ce soit un sentiment réel, Loyal ne fait ici que l'utiliser pour se justifier. J'engage dans ma troupe ceux qui sont honnêtes sur toute la ligne. Mais tu m'as menti, non ? C'est une porte ouverte. Il n'accuse pas, il laisse la place au doute et propose des aveux.
C'est aussi un coup de poker. Il n'est pas sûr de lui, ce n'est qu'un instinct et Loyal ne fonctionne qu'à moitié avec ses trippes ; il préfère les preuves et il en manque cruellement. A vrai dire, il n'a pas grand chose. Comment pourrait-il expliquer, Bambi, quand tu ne dis rien d'autre que des calomnies ?
Si tu lui disais pour de vrai, oh ! si tu lui disais, il aurait des milliards de théories. Et surtout, il te dirait que ça ira. Que vous avancerez. Que t'es pas seul. Et tu le croirais, si tu le voulais.
Mais le veux-tu ?

Tu avoues. C'est expéditif ; si bien qu'on ne peut douter, cette fois-ci, de la sincérité de tes mots. Ca ressemble à une balle sortie du fusil, et c'est comme si tu avais lâché l'arme dès le contrecoup dans tes avant-bras -dégoûté, peu fier, terrorisé. Il ne voit plus tes yeux, et il sait bien ce que ça veut dire.
Sache qu'il ne t'en voudra jamais plus que tu ne t'en veux déjà. Ce n'est pas tant que Loyal n'aime pas les mensonges ; c'est qu'il a trop longtemps adulé la vérité. Oh, Bambi, si tu avais compris -si tu savais. Il a enfilé son gilet pare-balle il y a longtemps déjà. Tes hâbleries n'ont rien de nouveau, et elle s'en iront jusqu'aux racines de la terre, jusqu'aux villes fantômes, jusqu'au fin fond du désert.
Loyal voit comment tu te tiens (ces bras croisés comme pour contrer tout dialogue susceptible d'encore plus aller creuser). Il n'ira pas chercher plus loin, et alors il manque d'observer ces bouts de doigts cachés. Si ces yeux y sont aveugles, pas son instinct. Tu rejettes tant de choses rien qu'avec ta position, et tes yeux, et tes mots.
Il ne voulait pas que tu te fermes, mais il s'y attendait. Sa conclusion n'était pas si mauvaise, semble-t-il : tu n'es pas encore là pour toi. Là, devant lui, ici-même. Non, tu cherches encore ailleurs, et tu regardes ce que les autres peuvent bien donner. Loyal est honnête, et il ne donne pas sans échange -de sentiments ou de biens.
Lorsque tu te lèves, Monsieur le voit encore. Il n'est pas encore temps, et lui-même aussi n'a pas encore tout compris de l'apocalypse qui s'est invitée sur vos chemins. Il ne se prétend pas guide, ni omniscient ; il ne se prétend pas dieu, ni utile. Il essaie. Et probablement est-ce ce qui te fait encore cruellement défaut : de ne tenter que par morceau, timidement, sans jamais n'en laisser trace. Oh, malheur si quiconque découvre tes horreurs ; au bûcher, si tu oses donner un peu de fragilité.
C'est Loyal qui sera doux pour deux. Quand la chaise racle sur le sol, quand il est évident que le départ est imminent, il décroche. Bambi, ce n'est pas grave. Reviens-moi quand tu sera prêt, ou si tu veux de l'aide. Je serai là. Il laisse un mot dans ta messagerie. Quelque chose à écouter plus tard, et à quoi répondre une autre fois. Monsieur n'insiste pas, et quand tes pieds t'emmènent ailleurs, il te souhaite le meilleur. Bonne soirée.