(END) Blue Christmas // Leon

Blue Christmas

Ft. @Bambi

Ce qu’il était hier heureux la veille, perdu dans son élément dans le zoo des Greens, visite guidée qui l’empêchait de songer à ce jour-ci mais le voilà qui a bien fini par arriver. Aujourd’hui 25 décembre, Noël pour la plupart des gens du bar et pour lui-aussi il est vrai, mais son anniversaire également. Le voilà sur ses trente-deux ans, l’âge ne lui fait pas peur pourtant mais plutôt la perspective de passer une année supplémentaire sans voir les siens.

Oh il a l’air bien lamentable.
La tête posée sur la table du bar.

Il fixe d’un œil ailleurs l’intérieur cuivré de son verre de whisky - le deuxième ? songe-t-il, ou le cinquième peut-être ? Et de l’autre côté de ce verre se trouve la photographie de sa famille. Lui et sa femme et leur fille, il se voit s’asseoir devant l’objectif, s’agitent les lèvres de sa compagne en des mots qu’il ne parvient à déchiffrer - elle leur demande de poser. Oh il reste sérieux, Leon, le temps que sa femme ne tende devant leur yeux l’appareil photographique mais bien rapidement le voilà qui la saisit par les hanches, colle un baiser surprise sur sa joue, alors que ses lèvres s’étendent en un sourire et qu’apparaissent ses dents du bonheur. Leur fille soudainement se tourne vers eux, ses parents qui font des cachotteries et elle les regarde de ses yeux curieux, sans vraiment savoir ce qu’ils font à cet instant.

Elle doit avoir grandi maintenant.
Et la photo reboucle. Encore et encore.

Il ne cesse de la fixer, des jours bloqué sur ces mouvements, à regarder sa femme et sa fille se mouvoir, à coller leurs rires qui encore résonnent dans son esprit sur les images qu’il voit s’animer sous son regard. Et la photo reboucle, encore et encore et toujours.

Et finalement on l’interpelle. Rentrer, lui fait-on remarquer car c’est bien difficilement qu’il redresse les yeux pour les poser sur Bambi debout à côté de lui. Leon renifle un instant, tente de mettre en place ses pensées dans le fond de son crâne, range son précieux cliché dans la poche intérieure de son veston. Puis il recommence à fixer l’intérieur de son verre - quand diable s’est-il vidé ?

- C’est mon anniversaire, annonce-t-il sobrement comme pour justifier le nombre de whisky qu’il se sera enfilé dans le courant de la soirée. J’ai l’droit.

Moral en dent de scie, hier heureux et aujourd’hui dépressif, son masque se brise dans l’alcool car il ne sait pas le tenir mais surtout il peut autant devenir encore plus joyeux et bavard que triste et morose. Aujourd’hui, il est triste et morose, pas la meilleure compagnie pour fêter Noël, il est vrai.

Il fait à nouveau tomber sa tête sur la table.
Marmonne des happy birthday.
En regardant dramatiquement son verre vidé.

Blue Christmas

Ft. @Bambi

Happy birthday to you...
Mister president...

On oublie d’où viennent ces paroles, rien à voir avec lui-même, mais sa voix part un peu dans une gamme d’aigu qu’il n’était pas censé un jour atteindre. Son verre de whisky est toujours vide, et ça c’est encore plus triste. Il relève la tête et cherche du regard le barman, bien que ce dernier lui ait dit depuis un moment qu’il arrêtait de le servir. Mais c’est finalement les yeux de Bambi qu’il croise, sans pour autant qu’il ne parvienne à capter son air désespéré par la situation qu’il représente.

Et il hausse un sourcil.
Haut. Très haut.

- Minuit ? Oh... Il a l’air déçu pendant un moment, comme si cette technique stupide commençait à marcher sur lui. Juste un dernier verre alors...

Il insiste. Mais on ne le lui servira pas, son dernier verre. Quelle tristesse, marmonne-t-il en reposant sa tête sur la table. Jusqu’à ce qu’on finisse par le soulever par les épaules, il reprend soudainement conscience, grogne qu’il n’a pas envie mais il reste pourtant étonnamment docile et malléable lorsqu’il a bu. Heureusement pour Bambi.

- J’habite à la poste mais je voulais pas y aller... qu’il dit soudainement, Leon. C’est Noël pis c’est aussi l’anniversaire de George, j’avais pas la tête à ça alors j’ai préféré venir ici, c’est mieux tu trouves pas ?

Et il continue de parler, ne fait aucun effort - heureusement qu’il n’est pas si grand et surtout pas bien lourd, Leon. Il se laisse traîner sur quelques mètres avant d’enfin poser les pieds au sol pour tenter de se tenir debout. Ce n’est pas très convainquant, il est vrai. Mais l’intention est là, n’est-ce pas ?

- S’il y a encore du bruit à la poste, on restera dehors ? demande-t-il d’un air enfantin, celui qui supplie presque qu’on lui foute la paix sans pour autant mettre la moindre conviction dans le fond de sa voix. Pas la tête à faire la fête... Même chez les Greens là, je suis bien là moi, en fait... Je peux dormir sur la chaise si tu veux, ce serait pas la première fois après tout, tu sais ?

Oui il sait, Bambi.
Mais il ne pensait même pas à ça.
Leon.

-Pis en plus, il fait pas si froid dehors, j’ai connu pire, j’ai failli me noyer en prenant un requin en photo une fois, il faisait froid dans le Groenland... Parfois on pourrait se demander comment fonctionne sa mémoire tant les souvenirs qui lui reviennent sont aléatoires. En vérité, j’aime pas le froid de toute façon, viens on reste là, je t’offre quelques verres si tu veux.

Il supplie, il supplie de rester ici, boire encore. Juste quelques verres. Mais fatalement, ils finissent par franchir les portes du bowling, le froid de cette fin de décembre et la petite neige qui tombe dans les rues. Noël blanc, Noël froid.

Blue Christmas

Ft. @Bambi

Et il continue de marmonner, des mots plus ou moins incompréhensibles en rapport avec ses photographies et le Groenland, le froid et l’hiver. Il se laisse traîner encore sur quelques mètres, tente comme il le peut de garder ses pieds au sol mais il tangue et chavire sur ses jambes et dans son esprit, Bambi n’a pas la décence de marcher droit.

Il renifle.
Et continue de marmonner.
Qu’il aurait préféré rester là-bas.
A regarder bouger son cliché.

Il n’entend pas les aboiements qui résonnent dans la ruelle à côté d’eux, il ne se rend pas compte que Bambi se stoppe net, lui il bascule juste légèrement vers l’avant - ou pas. Non j’ai pas entendu... qu’il répond avant de repartir dans ses marmonnements insupportables, à se lamenter sur lui-même et sur son sort, lâcher des bruits de reniflement bien peu ragoûtants et fixer le sol qui ondule doucement sous ses yeux.

Des chiots ?
Et c’est à ces mots.
Qu’il redresse soudainement les yeux.

- Où ça ?! qu’il s’exclame soudainement, comme si d’un coup tout l’alcool qu’il a dans le sang ne faisait plus effet sur son corps. Il reprend pied à terre et se redresse droit, Bambi n’a plus besoin de le tenir. C’est fou comme ces simples mots ont un effet si immédiat sur sa personne.

Il regarde partout, dans tous les coins et les ruelles assombries, mais c’est des nombreux petits aboiements qui attirent finalement ses yeux. Deux chiots sont là, sous son regard attendri, sur le bord de la rue. Deux petites boules de poils, une presque blanche et l’autre d’un roux plus foncé. Encore minuscules ces boules de poils, et dans son esprit encore saoule il ne s’étonne pas vraiment de leur présence ici, deux chiots husky visiblement pure race. Étrange pourtant, de voir ici une année après la catastrophe des chiots aussi jeunes et pure race. Mais Leon, ça ne l’étonne pas outre mesure. Lui il voit juste ces deux petites boules de poils seules dans la rue.

- Ils sont trop mignons... gagate-t-il en s’approchant doucement d’eux. Ils ne semblent pas vraiment être terrifiés par l’humain de dix fois leur taille qui vient les voir, une haleine probablement peu reluisante entre les dents. Regarde-les comme ils sont adorables...!

Leon a toujours aimé les chiens.
Pas besoin d’être un génie pour le voir.

Et il se saisit du chiot le plus foncé, le roux qui le regarde droit dans les yeux, et il le soulève à hauteur de son visage alors que le petit chien tente de lui lécher le bout du nez. Quant à Leon, il a des étoiles dans ses yeux encore emplis d’alcool.

- Regarde ! Il tend à Bambi le chiot qu’il tient entre les mains. Viens, on les adopte.

Regard suppliant.
Et le chiot baille.

Blue Christmas

Ft. @Bambi

Il sourit à pleines dents au petit chiot qu’il tient dans ses bras, ce petit chiot qui baille laissant alors apercevoir ses petits crocs et sa petite langue. Oh, c’est qu’il est bien aisé de le faire fondre, Leon, surtout lorsqu’il s’agit de chiens ou de chiots. Alors oui, l’idée fait son bout de chemin : on les adopte ? Et pourtant, il a raison, Bambi. Probablement ont-ils un propriétaire, quelqu’un qui les recherche et les attend. Qui pourrait laisser deux chiots pure race dans la rue ? Mais c’est une idée qui ne lui traverse pas le crâne, pas plus que les mots du libraire ne l’atteignent.

Le chiot s’est dors et déjà logé dans ses bras.
Hors-de-question de le reposer désormais.

- Un propriétaire ? qu’il questionne soudainement avant de tout bonnement refuser d’en entendre plus. Nan ! Moi, j’en ai marre, tous les chiens que je trouve ont un propriétaire et comme je suis quand même une bonne poire, bah je leur rends. Donc maintenant, c'est moi le propriétaire ! Nan pis regarde-les, qui pourrait laisser ces deux petites boules de poils tous seuls, dehors, la nuit, dans le froid et sans nourriture ?

Nouveau sourire.
Plein de sincérité.

Et ses derniers mots le frappent soudainement. Sans nourriture. Il lance un regard à demi-paniqué à Eli alors que ce dernier se saisit de son propre chiot - dans son esprit, Leon et lui les ont déjà adoptés pour dire vrai.

- Si ça se trouve, ils ont faim ! s’étrangle-t-il alors. Viens, faut leur trouver quelque chose à manger !

Et sans prévenir, il fait demi-tour, retourner au bowling pour quémander eau et nourriture auprès de Strike. Il comprendra forcément, n’est-ce pas ? Il a bien Marmelade lui. Alors il ne pourra pas résister à ces deux petites bouilles de chiot probablement affamées. Dans son esprit, cette logique fait sens.

- Strike doit bien avoir un truc à bouffer pour son chien, non ? Il ne se rend pas compte qu’il a déjà distancé Bambi sur près de dix mètres. Et brusquement, il s’arrête, fait demi-tour sans plus prévenir de ses manœuvres. En vérité, il tangue encore sur ses jambes, on remarque aisément qu’il ne marche pas droit, que ses mots et ses yeux sont toujours rempli de whisky. En temps normal, Leon est déjà bien difficile à suivre, mais cette mission devient de l’ordre de l’impossible lorsqu’il est saoul. Ou p’tête que t’as un truc à manger toi ? Dans ta librairie ?

En plus d’être bourré pour la soirée, Leon devient soudainement squatteur.

- Moi j’suis végétarien, la viande ça me dégoûte mais je pourrais bien faire un effort pour ces deux petites têtes... qu’il annonce soudainement. Il n’y a pas vraiment de rapport avec ce qu’il disait plus tôt, mais qu’importe. Et puis j’ai pas vraiment envie de me ramener chez George avec un chien dans les mains à point d’heure, tu vois ?

Par contre, faire subir ça à Bambi, aucun problème dans sa tête.

- Bref, je verrai ça plus tard. C’est par où chez-toi ?

Blue Christmas

Ft. @Bambi

De quoi survivre.
Ça lui suffit, à Leon, de quoi survivre car c’est de toute façon ce qu’ils font tous depuis plus d’un an maintenant. Alors oui, ça lui suffit amplement même, le voilà donc qui suit Bambi en oubliant de marcher droit et son chiot dans les bras à qui il continue de parler. Il lui gratouille le ventre, lui susurre de jolis mots.

- Tu t’appelles comment mon petit ? lui demande-t-il en le portant à bout de bras. Oh mais t’es p’tête une fille non ? J’sais pas en vrai, mais tu sais quoi ? on regardera tout à l’heure. Et je te ferai porter de jolis nœuds papillon, j’en ai plein dans ma valise, tu verras, tu seras tout beau...

Oh il l’aime déjà, son chiot.
Il ne lui fait pas grand-chose, il est vrai.
Une jolie bouille, de jolis yeux.

Et les voilà qui arrivent à la librairie, Leon s’arrête à côté de la porte, l’épaule appuyée sur le crépis pour ne pas chuter lamentablement sur le côté. Mi casa es tu casa, qu’il dit, Eli. Leon répond qu’il ne parle pas portugais, il le marmonne plutôt car c’est qu’il peine encore à aligner les mots derrière ses lèvres et les phrases dans son esprit, celles qu’il entend et celles qu’il veut prononcer. La porte du bâtiment s’ouvre sur eux, le libraire lui dit de faire attention aux livres au sol mais ses mots passent directement d’une oreille à l’autre car dès lors qu’il pose un pied dans le magasin, il trébuche sur une pile de livres qui ne manque pas de s’écrouler sous ses pas.

- Merde... qu’il marmonne en réponse, et il peine bien à se remettre droit sur ses pieds. Je remettrai ça debout demain, promis...

Il se dirige vers l’arrière-boutique, toujours dans cet état second dû à l’alcool principalement mais également au chiot recueilli à qui il parle toujours en aparté. Le chiot s’est endormi depuis bien longtemps en vérité, mais c’est qu’il ne l’a pas remarqué, Leon.

A peine arrivé dans l’arrière-boutique, il s’affale sur ce lit qui n’est pas le sien, pose doucement le chiot sur ses genoux et sans vraiment expliquer ce qu’il fait, le retourne sur le ventre et lui soulève la queue. Il l’observe longuement sans piper mot, les yeux remplis d’alcool : il cherche juste à savoir si le chiot est un mâle ou une femelle, tout simplement. Mais quand bien même ce n’est factuellement pas si compliqué, les quelques grammes d’alcool qu’il a encore dans les veines l’empêchent de discerner quoi que ce soit.

- Hm... Hmm... Il réfléchit intensément sans pour autant réussir. Nanor est vétérinaire, j’suis sûr qu’elle aurait pu me dire du premier coup d’œil si t’était un p’tit gars ou une p’tite meuf, mais tu sais elle est pas là, elle est dehors. Il renifle bruyamment, passe son poing fermé sous son nez qui coule et ses yeux qui s’embuent. Elle me manque... Mimi aussi...

C’est impressionnant à de voir à quel point Leon devient bavard lorsqu’il a bu, lui qui normalement n'évoque que rarement sa vie d'avant. Il fourre son visage dans la fourrure du chiot, pour continuer à y parler et marmonner. Malgré la présence du chien, malgré la présence de Bambi qui n’est pas loin.

La tête en vrac.
Et le cœur en berne.

Blue Christmas

Ft. @Bambi

L’atmosphère change soudainement sans qu’il ne s’en rende compte, sans qu’il ne se rende compte que c’est lui, l’origine de ce changement. Le chiot dans ses bras s’est réveillé, il lui lèche le front doucement et tente de poser ses pattes sur son nez. Il s’est tu, Leon, ne dit plus rien, il s’est juste perdu dans ses souvenirs, les rares qu’il possède encore de sa famille. Il a les souvenirs de cette fleur qui résonnent dans son esprit, l’envie de les retrouver et de savourer à nouveau leur présence.

A toutes deux.
Mimi et Nanor.

Il sent une main se poser sur son épaule, il sursaute tant il était momentanément perdu et brusquement il a cette sensation dans le fond de ses tripes. Celle de s’être dévoilé, celle d’avoir laissé tomber son masque. Et surtout celle qu’on ne devrait pas poser les mains ici, sur son épaule. Il a ses petits cheveux qui se dressent sur la nuque et soudainement, il essaye de se détacher de ce contact, brusquement il s’éloigne. L’air perdu, toujours alcoolisé. Il fixe Bambi, comme s’il étonnait de sa présence ici, chez-lui pourtant. Il se frotte le nez et adoucit ses yeux en le reconnaissant alors.

- Désolé, je... commence-t-il, et il frisonne en caressant le ventre de ce petit chiot dans ses bras. Un sourire triste apparaît sur ses lèvres, doucement il remet son masque sur ses traits. Je crois que j’ai trop bu... J’suis désolé... Et juste, je me sens terriblement seul parfois. Loin de la fille et de ma compagne...

Malgré le sourire léger sur ses lèvres, il a encore les yeux perdus dans le vide et la vérité facile. Et les souvenirs qui peinent à remonter dans sa mémoire. Et comme toujours, l’impression désagréable au fond de lui d’oublier quelque chose d’énorme, d’important. Comme un mot sur le bout de la langue.

Et il regarde à nouveau le chiot.
Ses yeux se concentrent un peu plus.

- J’crois que c’est une femelle, annonce-t-il en souriant un peu plus.

Il se relève du matelas et pose le chiot au sol, la petite s’en va jouer avec la deuxième boule de poils de la pièce, frère ou sœur trouvé en même temps qu’elle. Leon baille, il a toujours l’air un peu ailleurs comme si son sourire toujours était feint et que dans ses yeux se jouaient des souvenirs oubliés, il semble toujours sur le point de craquer. Il retire sa longue veste, il fait bien plus chaud ici qu’en-dehors et il la pose quelque part non loin, sur le dossier d’une chaise. Enfin il laisse son lit à Eli, et regarde d’un œil attendri les deux petits chiens qui grimpent l’un sur l’autre, se mordent leurs oreilles et leurs petits museaux.

- Ils sont mignons, hein ?

On sent dans ses mots qu’il n’est plus autant attendri par les deux boules de poils, juste qu’il semble évoquer une vérité qui est sienne, et il s’accroupit à leurs côtés pour passer ses doigts dans leurs fourrures courtes de chiots encore jeunes.

Blue Christmas

Ft. @Bambi

Mignon à en mourir.
Oui. Il est vrai.

Il continue de regarder les deux petits chiots qui jouent, se chamaillent, le plus clair finit par gagner alors que la foncée revient entre ses pattes, et il se ramasse sur lui-même pour la reprendre dans ses bras. Et toujours il sourit, ce sourire faux sur les lèvres, ce sourire nostalgique qui ne le quitte pas. Parfois, il est compliqué de remettre ce masque sur ses traits. Si compliqué. Mais Bambi cette fois ne le regarde plus, alors peut-être n’est-ce plus si grave.

Et lui-aussi s’ennuie.
De sa famille dit-il.

Parfois il est aisé d’oublier que dans cette ville, on n’est pas si seul que l’on pourrait le penser. Parfois il est aisé d’oublier que l’on n’est pas les seuls à avoir perdu des êtres proches. Parfois il est aisé d’oublier la chance que l’on a - elles ne sont pas pour toujours parti, n’est-ce pas ? Parfois il est aisé d’oublier, que la solitude est partagée. Et il renifle, Leon, car lui-même ne sait pas s’il voudrait en parler, mais c’est l’alcool qui cause ici et peut-être aussi la fatigue, car comme toujours lorsque bougent les clichés, il fatigue soudainement - mais là, l’alcool l’empêche de trop s’en rendre compte.

Mais peut-être n’a-t-il pas tant envie ? De parler de choses tristes ? Alors il préfère rebondir sur des sujets plus joyeux, c’est pourquoi quand dans sa poche il va chercher le cliché polaroid de sa petite famille et qu’il tend à Bambi. Lui, encore il les voit se mouvoir. Et ça le fatigue, encore un peu plus.

- Ma fille et ma compagne. Large sourire, un vrai sourire cette fois, qui presque immédiatement s’enfuit, derrière leur portait s’étale encore écrit au feutre noir leurs surnoms et les tentatives de retrouver leurs prénoms. Je me souviens pas de leurs prénoms...

Encore l’alcool parle.
Et la photo bouge.
Il faut qu’il la range.

Il se frotte les yeux, tristesse et fatigue, et il la range à nouveau avec un air misérable sur le visage et il peine de maintenir dans ses bras le petit chiot qui se tortille, qui cherche à s’installer et à se rendormir. Lui aussi il faut qu’il dorme, il s’épuise encore un peu plus et à chaque minute qui passe.

- Faut que je pionce, je crois...

Et c’est par terre qu’il s’assoit.
Gauchement et lamentablement.

Blue Christmas

Ft. @Bambi

Elles sont très belles.
Les plus belles selon lui.

Et son cœur se serre et s’alourdit, devant ses yeux s’étalent ses tristes essais de retrouver leurs prénoms perdus de sa mémoire, on voit écrit Mimi - Milly ? Emily ? derrière le visage de sa fille et Nanor - ? derrière celui de sa compagne. C’est terrible de se dire qu’en plus d’un an, ces souvenirs les plus importants ne sont toujours pas revenus dans son esprit, restent seulement quelques souvenirs d’elles, leurs voix et leurs rires. Et de multiples souvenirs de ses photographies et de ancien travail, il ne sait pas vraiment pourquoi mais peut-être est-ce parce qu’il reste en permanence l’œil derrière l’objectif.

Il ne sait pas trop.
Sa mémoire fonctionne étrangement.

Mais la fatigue lui tombe soudainement dessus, car il a forcé comme un idiot en ressortant cette photo alors qu’il savait, il savait qu’encore elle allait se mouvoir sous ses yeux. L’alcool ne permet plus de masquer cet épuisement aussi soudain qu’étrange. Prendre le lit pour dormir. Bonne idée, il ne va pas protester. Alors il s’y écroule sans plus de cérémonie le chiot toujours dans les bras, il ferme les yeux et sent immédiatement son esprit tourner derrière ses paupières closes.

Eleanor, tu dis ?

- C’est joli, Eleanor... fait-il.

Et le voilà qui sombre.
Qui sombre et plonge.
Dans un sommeil profond.

Il se réveille, quelques heures plus tard, toujours habillé mais recroquevillé sur lui-même occupé à câliner son chiot nouvellement adopté. Durant un moment, il se demande où il est, ce qu’il fait, se redresse sourcils froncés et à demi-perdu. Entre ses mains, le chiot dort encore et il lui faut un moment, à Leon, pour se souvenir du pourquoi ce chien se trouve dans ses bras. Mais au final, ça lui convient d’avoir ce chien, quand bien même elle lui ait bavé dessus toute la nuit. Ça sent encore un peu les pâtes dans le fond de l’air, son estomac s’agite - putain, j’ai la dalle, songe-t-il. Et une sacrée gueule de bois aussi, c’est ce que lui souffle la barre qui traverse son front de part en part. Et quelque chose d’autre aussi, quelque chose d’autre qui bout dans le fond de ses entrailles. Comme un souvenir, à la fois vieux et récent, remonté dans sa mémoire à l’instant.

Eleanor.
Eleanor.

D’un geste, il récupère son polaroid, regarde sa fille et sa compagne parfaitement immobiles dessus. Et il retourne la photographie. Nanor. Eleanor. C’est comme une explosion dans sa tête, le soulagement d’enfin trouver le mot qui manquait depuis des mois désormais. Eleanor. C’est la voix d’Eli qui lui a soufflé la veille au soir, d’ailleurs c’est dans sa librairie qu’il se trouve et qu’il a dormi.

Eleanor.
C’est joli, Eleanor...
Les premiers mots qu’il lui aura dit.
Foutue technique de drague périmée.
Deux ans après, ils étaient mariés.

Alors il se lève et se dégrise soudainement, la barre s’enfuit et le chiot atterrit sur le matelas. Elle jappe, mécontente de s’être faite aussi soudainement réveiller mais Leon ne l’entend pas. Non lui, il veut retrouver Bambi, il retourne la pièce de yeux puis passe dans la boutique, continue de chercher du regard et finalement tombe sur son air un peu perdu et lunaire - a-t-il seulement dormi cette nuit ? Mais cette question ne lui traverse pas l’esprit, il ne contente de l’aborder comme s’il était possédé.

Et il l’embrasse.
Sans plus de gêne.

- Eleanor ! Comment j’ai pu- Comment j’ai fait pour... ne pas me souvenir ? C’était évident, c’était évident, c’était...

Blue Christmas

Ft. @Bambi

Il lui faut encore quelques secondes à Leon, pour que les mots montent jusque dans son cerveau. Quelques secondes durant lesquelles il répète encore et toujours. Eleanor, mais oui c’était évident, pourquoi je m’en souvenais pas, pourquoi je m’en souvenais pas ? Et finalement la salutation à demi-confuse et à demi-choquée parvient jusqu’à lui. Il s’arrête soudainement, et il cligne des yeux. Encore son esprit s’agite et son estomac se tord sous le coup de l’émotion.

Qu’a-t-il fait déjà ?
Il l’a embrassé, non ?

- Euh oui désolé je... Et à nouveau son estomac se retourne, se tord et s’agite alors il se prend les tripes entre les mains et se courbe en deux, un haut-le-cœur qui le soulève. Je crois que j’vais vomir... Il souffle un instant, le visage qui pâlit prend un ton grisâtre disgracieux. Non, attends, je... ça va mieux. Nouveau haut-le-cœur. J’sais pas.

Encore quelques secondes de cette joie qui l’épuise, le rend malade et l’étourdit à en vomir. Il se tient au mur, Leon, toujours courbé en deux et l’air lunaire sur les traits, à marmonner encore dans sa barbe de deux jours. Le petit chiot roux revient vers lui et se pose à ses côtés, la tête penchée sur le côté avant de chercher son attention à tout prix, patte posée sur le pied et jappement aigu qui s’échappe de sa gueule.

Finalement il se redresse après une rapide caresse sur la tête du chiot, et vient enlacer Bambi sans un mot de plus, qu’importe qu’il l’ait déjà embrassé quelques instant plus tôt. Il reste ainsi, sans rien dire, durant dix longues secondes de ce silence bienvenue.

- Merci, qu’il finit par souffler.

Enfin le voilà qui le libère.
Il s’essuie les yeux.
Et renifle un instant.

Puis c’est comme s’il revenait sur terre, soudainement. Barre au front, courbaturé, qu’est-ce qu’il fout dans la librairie de Bambi ? Il regarde autour de lui alors que doucement, sa cuite de la veille revient dans sa mémoire défaillante. Il tangue un moment en se saisissant la tête entre les mains.

- Qu’est-ce que... commence-t-il avant qu’une autre question ne vienne polluer son esprit. ... Comment t’as su ?

Blue Christmas

Ft. @Bambi

Y penser.
Y penser.

Tu sais, lui ça fait maintenant plus d’un an qu’il y pense tous les jours sans pour autant réussir à retrouver ce prénom qui le hante. Celui de sa fille encore reste indéfini, comme inatteignable et intangible. Et toi, Bambi, tu arrives et comme une fleur, tu le lui retrouve d’un heureux hasard. Il ne songe pas, pas immédiatement, qu’il y a là une chose étrange, dans tes mots, dans ta manière de te justifier. Non, lui a posé la question comme une curiosité mais il l’oublie bien rapidement.

Il est juste heureux.
De sentir revenir ses souvenirs.

- Eleanor... il continue de marmonner, de chercher comment il a fait pour ne pas le retrouver alors que désormais, ça lui semble tellement évident. Nanor, Eleanor... Comment j’ai fait pour ne pas retrouver...

S’il a faim, tu demandes ? C’est vrai que maintenant que l’on en parle, la faim lui tombe dessus soudainement, et il se rappelle dans le même temps qu’il voulait manger la veille - ça sentait les pâtes, c’est vrai - mais il s’est effondré avant. A cause de la photographie qui sous ses yeux bougeait. Il se tait à ce souvenir, juste rien et les yeux fixés dans le vide. Un peu de sueur froide, un peu de panique. Qu’a-t-il dit à Bambi ? Il craint, il craint bien de passer pour un fou. Alors il se perd un moment, mais finit par répondre, après quelques secondes de silence bienvenue.

- Ouais, j’ai faim mais... Il commence, bafouille un instant, puis se reprend. Mais j’veux pas m’imposer, m’enfin, je peux rentrer et je mangerai un morceau là-bas. Y doit bien me rester des trucs à manger...

Il renifle un moment et sort à nouveau la photo de sa poche - sa fille et sa compagne ne se meuvent plus dessus, aujourd’hui tout est bon. Il la retourne et d’un coup de feutre, il complète l’arrière : Eleanor s’ajoute au Nanor écrit ici depuis une année.

A ses pieds, toujours reste le petit chiot qui se rappelle à lui d’un jappement sonor. Leon sourit, sourire large et amusé, il adore les chiens, il adore tellement les chiens alors il se baisse et lui offre une caresse sur le haut de la tête. Il l’examine un peu plus un poil plus, un pelage blanc et roux foncé, des yeux bleus et l’un d’eux doucement se colore en brun - il paraît que les yeux des chiens peuvent encore changer de couleurs pendant quelques mois après leur naissance.

Sourire large, sourire amusé.
Il aime les chiens, Leon.

- Je devrais l’appeler comment, à ton avis ?

Blue Christmas

Ft. @Bambi

Tu t’imposes pas.
Tu me revaudras ça.

Et il hoche la tête, Leon, lentement de haut en bas. Bien sûr qu’il te revaudra ça, de l’avoir héberger pendant sa cuite carabinée - d’ailleurs il n’en a presque plus aucun souvenir, si ce n’est la légère barre qui encore lui enserre le front lorsque trop il se met à y penser. Leon hoche la tête, mais il ne répond pas verbalement outre mesure, il se contente de se pencher vers l’avant pour caresser et récupérer celle qui désormais se trouve être son chiot à lui, et à personne d’autre. Je devrais l’appeler comment, qu’il demande alors avec une naïveté bien à lui. Leon, il n’a jamais eu un talent inné pour trouver des noms - tu l’auras sûrement deviné, il est vrai. Leon, il donne principalement des noms qui traversent sa tête mais qui n’ont pas vraiment de sens.

Pepperoni, avait-été le chien de Paparazzi.
Domino, celui du Green dans la forêt.
Et toi, tu seras quoi, petit chien roux ?

Noisette proposes-tu et Leon mine de rien se met à y réfléchir. Il marmonne à son tour, noisette noisette, à son chiot qui le regarde avec un regard empli d’incompréhension. Visiblement, elle semble à côté de la plaque. Alors ce ne sera pas Noisette.

- J’sais pas ce qu’elle a contre les pâtes au beurre, c’est pourtant très bon... qu’il balance soudainement en rehaussant le chiot entre ses bras - ce qu’elle est mignonne, que diable.

Le voir ainsi a quelque chose d’affligeant, il est vrai. Et pourtant, c’est bientôt son estomac qui se rappelle à lui, grognement sourd et soudain qui résonne dans la librairie. Ta proposition tombe à pic, il est vrai, parce que lui non plus n’a pas mangé la veille, et seigneur c’est qu’il commence à avoir faim ! Et son chiot aussi, elle commence doucement à s’agiter.

- Mais j’avoue que s’il t’en reste... commence-t-il alors en te jetant un coup d’œil en coin. Tu t’es proposé après tout, et puis les pâtes au beurre, voilà quelque chose qui lui convient bien.

Durant ce temps, le voilà qui continue son inspection, à tourner et retourner son chiot dans tous les sens, l’observer sous toutes les coutures et lui imaginer des noms aussi débiles les uns que les autres. L’un d’eux pourtant se démarque du lot. Gingerbread que déjà Leon abrège en Ginger.

Ça lui va bien il est vrai.
A ce petit chien rouquin.

Blue Christmas

Ft. @Bambi

Oh Gingerbread, encore et toujours Gingerbread, déjà le chiot a adopté son nouveau nom et même son nouveau surnom, alors que Leon la câline et que les pâtes se réchauffent. Il est vrai que les pâtes au beurre, ça peut être légèrement déprimant à la longue mais en période d’apocalypse, on ne va pas non plus faire la forte tête ou la fine bouche. Il faut bien manger ce qui se présente sous nos yeux, et cette chère Ginger semble également l’avoir bien compris. A voir la manière dont elle plonge sa tête dans son assiette, pour avaler goulûment et sans aucune grâce la petite dose de nourriture dont elle a le droit. Et alors qu’il mange, Leon reste silencieux. A se questionner, se demander comment et pourquoi, à se remémorer le prénom de sa compagne - est-ce qu’elle se souvient de lui ou l’a-t-elle déjà oublié ? peut-être a-t-elle refait sa vie désormais ? sa fille se souvient-elle de son visage et de sa voix alors qu’il lui comptait ses petites histoires ? C’est déprimant, vous savez, de songer à tout cela. Et pourtant, il ne peut s’en empêcher, en regardant le fond de son assiette de pâtes.

Et finalement, c’est ta voix qui le sort de ses pensées.
Si George a fini sa fête, demandes-tu ?

- Je sais pas... qu’il répond alors. Il est soudainement plus pensif, ailleurs, songeur. Il est bientôt l’heure de rentrer, il est vrai, alors il se lève et récupère son chiot - elle lèche avec bien trop d’insistance le fond de l’assiette, comme si elle voulait engloutir la moindre molécule de pâte. Je vais aller voir, de toute façon, j’me suis déjà bien trop imposé de toute façon...

Sourire large et enthousiaste, il a remis son masque mais encore s’agite dans le creux de son ventre la joie légère d’avoir retrouvé le prénom de sa compagne - reste encore celui de sa fille, caché dans le fond de sa mémoire.

- Merci encore en tout cas.

Son chiot essaye de lui lécher le visage.
Il sourit, encore et toujours.

Et alors qu’il part de la librairie où il a passé la nuit, pour rejoindre la poste et les stigmates de la fête d’anniversaire de George - et la sienne aussi, bien qu’il n’y ait pas assisté - à nouveau s’inscrit dans ce livre caché à ses yeux une partie de sa vie perdue.