Je suis allongé sur une couchette trop maigre, trop courte, les yeux grands ouverts depuis un moment déjà, ou bien, toute la nuit ? Désormais, il fait jour, mon estomac gronde et je me recroqueville d'autant plus contre ma batte. Depuis combien de nuits le sommeil me fuit-il ? Ou bien est-ce l'inconfort de devoir être plié en quatre pour essayer de fermer l'oeil ? Que je regrette ma chambre d'étudiant. J'aurais jamais pensé regretter mes dix mètres carrés. Et pourtant…
Je baille et étire mes bras endoloris par la position fœtale. Je n'ai pas envie de m'extirper de ma couche immédiatement. Ici, au calme, j'ai au moins l'impression que tout est normal dehors. Que je ne vais pas devoir jouer au bras armé des Greens encore aujourd'hui. C'est plaisant, parfois, mais ce n'est pas moi. La plupart de ces gens ne m'ont rien fait. Papa disait toujours que je pardonne trop. C'est peut-être vrai, après tout. Je ferme les yeux et renifle.
Une musique se met en marche. Le nouveau réveil des Greens ? Il me plait bien, si c'est le cas. Je connais les paroles et les susurre du bout des lèvres. J'ai toujours aimé cette musique, je le sais, au creux de mon estomac. Elle me rassure et m'apaise.
♪ You're just too good to be true I can't take my eyes off you You'd be like heaven to touch I wanna hold you so much At long last love has arrived ♫
Je reviens dans ma chambre à moi, quand mon père venait me réveiller pour aller au lycée. Je le vois, il est là, dans le baraquement des Greens. Je souris. Il ressemble à Bruce Banner. Je lui ai toujours dit. Il m'appele son "Petit Hulk" en retour. C'est le seul surnom affectif que je n'ai jamais eu.
« _ Allez fiston, c'est l'heure de te réveiller. Une journée héroïque t'attends. Comme tous les jours, mon bonhomme vert. Je sens la caresse de sa main dans mes cheveux. Le réconfort prodigué par son amour et son affection entière me submerge. _ Mais, papa, si tu es Bruce Banner, comment je peux être Hulk ? Un silence s’installe alors que je murmure cela, au fond de ma couchette, à moitié endormi. _ Tu es un super-héros, mon petit Hulk. Ça, ne l’oublie jamais. C’est le plus important. »
Je le vois s’éloigner, il quitte ma chambre et referme la porte derrière lui. La pénombre de ma chambre est remplacée par les couleurs vives du petit matin d’Arcadia Bay. Papa était là une seconde avant, il est parti par là, j’en suis sûr. Je m’extirpe de ma couverture et saute maladroitement sur mes pieds, déjà tout habillé. Je suis la trace de mon père, il était là deux secondes avant, il n’a pas pu s’évanouir.
Je sors en trombe de la cahutte et tombe sur le camp des Greens, tel qu’il était hier, avant-hier aussi. La vision s’estompe tout à fait. Papa n’est pas là. N’a probablement jamais été là. La musique a cessé, les tronches d’endormis se montrent ça et là. Je me sens vidé. Seul. Abandonné. Mon papa me manque.
Il était mon plus grand soutien, maintenant il m’a lâché, seul, face à la vie, dans un trou paumé où ma vie est merdique.
Je pose mon énorme derrière à même la terre battue. Je suis un super-héros. Papa l’a toujours su. Il n’a jamais cessé de croire en moi. Et s’il y a un moment où mes super-pouvoirs peuvent être utiles, c’est maintenant, aujourd’hui, dès à présent. Je rouvre les yeux, illuminés d’une détermination nouvelle. Le Petit Hulk est là et, un jour, rien ne pourra entraver sa détermination.
