Do you need any help? [Ft Otis] |FLASHBACK post-tempête|

Il se demandait surtout, comment vont faire les oiseaux — depuis le début de l'apocalypse il n'avait fait qu'errer et avait survécu comme font les hommes quand il leur faut survivre ; mais la question des oiseaux le taraudait. Il démontait un appareil pour en récupérer les pièces détachées assis sur un pylône de ciment mais pensait au retour des oiseaux de la migration à la fin de l'hiver et comment faire si on ne peut pas quitter la ville ? Le tournevis retirait les vis méthodiquement et il avait les mains écorchées mais il était surtout inquiet — le temps et les fins du monde il s'en fichait bien, mais il ne fallait pas que les oiseaux meurent.
Il tournait le dos au chemin et ce n'était pas très prudent mais il ne supportait pas de voir le défilé permanent des gens ; il s'était mis à l'écart, car de toute façon on ne lui parlait pas. Il lui fallait juste les pièces détachées, qu'on peut échanger pour vivre, et comme ça survivre mais il pensait aux oiseaux —
Il envoya l'appareil balader à l'amorce des pas derrière lui et, dans un bond, fit volte-face et un pas en arrière. En même temps il avait récupérer le fusil, déjà braqué entre les deux yeux :
Qu'est-ce que tu me veux ?

De haut en bas il jaugea l'inconnu-e avec le cœur qui bat aux tempes : les traits l'indiffèrent, c'est une arme qu'il cherche. Il n'y en a pas. Il raffermit tout de même sa prise sur le canon et il fallait bien que son regard fonde sévèrement sur l'autre pour ne pas trembler ; il répéta d'un ton dur :
Je m'appelle pas. Enfin si, on le surnommait bien mais il n'y attachait pas d'importance : il n'avait pas de nom et pas de visage et pas de famille ! D'un air méfiant il fixa le snack tendu avant de décider qu'il n'en voulait pas et que c'était peut-être empoisonné. Il fit un léger mouvement en avant avec le fusil.
Tu veux quoi ? J'ai rien pour toi. Tu recules.

Ce devait être un moment de grâce, suspendu dans le temps : n'était-ce pas le moment où l'autre devait trembler de peur et s'enfuir avec par tous les pores de la peau l'angoisse qui sue, ou alors est-ce qu'on ne tombe pas à genoux en suppliant ? Il a même vu ramper une fois : pourtant l'autre — Diva il paraît —, l'autre ne fait rien et le défie d'un regard de tonnerre. Sur la crosse, un spasme parcourt les mains qui flanchent un moment dans la surprise, avant de se reprendre plus fermement à menacer de mort à bout portant.
Pourquoi que tu recules pas ? Il siffle et c'était comme s'il n'avait rien entendu ; pourtant c'était bien rentré dans sa tête. Tout le monde recule d'habitude : il donne un coup de canon ferme dans la poitrine de Diva, pour lae forcer à reculer ; après quoi, au moins, il baisse un peu l'arme. Comme cela son regard dépassait désormais la ligne de mire et il ne pouvait que constater cette fleur de chaos au milieu des ruines : il n'a pas une âme de poète, l'image est sordide et le contrarie.
Fusil baissé il le toisait toujours largement et ça prenait alors des accents de suffisance. Il claqua la langue : Les gens ont peur de mourir. Pourquoi toi non ? Ce n'était pas que la réponse l'intéressait véritablement mais lui aussi voulait montrer qu'il pouvait jouer au petit jeu des questions. Il donna un coup de pied dans un débris métallique entre elleux qui, sonorement, ricocha un peu plus loin. J'ai pas besoin de ton aide. J'ai besoin de l'aide de personne. Il s'essuya le visage du revers du bras et ses mains étaient sales d'avoir fouillé toute la journée ; il était trop idiot pour savoir lui-même qu'il mentait et que c'était plus un défaut de fierté que de méfiance : il avait toujours la faim au corps. Pourtant il resta sur ses appuis : il ne réclama même pas la nourriture. Il regrettait un peu.

Réarmant le fusil, il ne quitta Diva des yeux qu'un bref instant, comme on surveille un rat piégé dans une pièce avant de l'abattre. Il n'était pas encore trop sûr de s'il voulait tirer. La question, tout de même, le fit lâcher une moitié de rire sardonique et à peine souriant. J'en sais rien. Peut-être parce que c'est la fin du monde et que tout le monde veut buter tout le monde. T'es con ou quoi ? Le sursaut d'humeur passa vite et laissa juste reposer la lourdeur de son regard sur ellui : lourd de jugements aveugles. Arrête d'être sympa et de faire le héros. Normalement, tout le monde recule.

Ce n'était pas une question de faction et d'ailleurs il se foutait bien des noms que chacune se donnait, il ne les retenait pas et les détestait toutes ; étouffé par une colère noire de méfiance, il peinait à comprendre le cynisme dans lequel Diva de toute évidence se noyait. L'aide pour lui n'était pas instinctive — autant qu'il pouvait le demander à un instinct brisé — et il ne cernait pas non plus la noblesse derrière ces beaux gestes : pour lui ils étaient tous inutiles et, car empreints de risques inutiles, forcément suspects.

Je fais pas de peine ! il cracha, injurieux, et d'un geste vif ramassa le snack au sol sans l'ouvrir. Il l'enfouit dans l'une des poches de son pantalon avant de rattraper de pas larges et nets la silhouette dont il méprisait le dédain ; iels étaient en train de parler, non ? Il saisit le bras de Diva pour lae forcer à s'arrêter.

Quoi, quel hôpital ? Il fronçait les sourcils, contrarié de sa propre méconnaissance et croyant y deviner toujours des pièges ou des mensonges. Rien ne justifiat la bonté sinon ; il ne croyait pas aux bonnes étoiles. Diva avait un bon visage de samaritain-e : ça aussi, il n'y voyait que des mesquineries en devenir. Il ne lâcha pas son bras, sans serrer trop sa prise. Il ne se souvenait pas que les gens étaient aussi chauds au toucher.

La pitié tout de même lui semblait mal venue : il n'acceptait pas que des désespéré-es lui donnent des leçons. Touché dans un orgueil sauvage, il se pencha sur lui en tournant un peu la tête. Tu me parles que tu veux mourir maintenant tu veux aller à l'hôpital ? T'es bête ou quoi ? Pourquoi que t'aides les gens et pas toi avant ?

Otis peinait à comprendre tout ce qui se disait. Diva ne se débattait pas et son indifférence avait cela qu'elle était spontanée et impossible à défaire. Tout cela allait à rebours des choses qui constituaient son sens basique de la compréhension : l'instinct et des violences faciles. Otis se fichait bien du froid et du temps : il fonctionnait dans un univers restreint d'ordres tacites, murmurés du fond de la pensée.
Au contraire, il serra plus fort.
Tu es idiot. C'était une évidence pour lui puisqu'il n'y avait que la stupidité qui justifiait de ne pas survivre : il ne comprenait pas ces souffrances subtiles, et le manque pour lui était si grand qu'il avait déjà teinté de gris tout son espace. Ta sœur ne voudrait pas que tu meures. Et il ne disait pas cela par un sentimentalisme quelconque puisque des sentiments ils n'en avaient que peu, et ceux-là étaient éparpillés en débris de verre à ses semelles à chacun de ses pas brouillons. Pour lui c'était simplement une évidence : les familles s'aiment, alors les familles ne souhaitent pas la mort. Il s'en faisait des images très nettes comme tirées d'un imaginaire et en tirait des conclusions nettes. Il était autrement incapable de deviner quoique ce soit de Diva : il ne lisait pas les visages ni les intentions clairement et était agacé de ses propres œillades floues.

Otis finit par rejeter le bras de Diva au loin. Il balaya l'horizon du regard mais tous les bâtiments pour lui étaient anonymes et il ne reconnaissant ni leurs altitudes ni leurs ruines : il ne se souvenait de vraiment rien de ces contrées qui lui étaient alors toutes mystérieuses. I ne manifesta néanmoins plus aucune autre hostilité que celle qu'il avait toujours chevillée au corps sans volonté véritable d'être fui : L'hôpital, il est où ?

Mais là où Otis ne comprenait pas c'était dans la nécessité qui était d'apporter de l'aide, d'ailleurs de l'aide il n'en demandait pas et n'était pas conscient d'en avoir besoin. Sa colère primaire dissipée il ne lui restait que des égarements impatients, suspendu bien malgré lui aux lèvres de Diva pour avoir la suite de l'histoire car lui était bien incapable d'y mettre des balises certaines : où était l'hôpital et puis où était le reste ? Il ne savait rien. Aussi, il lae suivit docilement et avec ses sauvageries bien gardées pour lui, le pas net dans les gravats.

Debout devant le bâtiment, il n'en reconnaissait aucun contour et se contentait de le fixer un peu bêtement comme un paysage lointain, les mains serrées aux côtés. Si bien que la question parut l'étonner plus qu'elle ne devrait et il jeta un regard d'urgence à Diva, les lèvres soudain entrouvertes en un courroux contenu dans une peur viscérale :
Hein ?

Il avisa à nouveau l'hôpital des yeux, incertain, et sans véritablement le regarder ; il semblait chercher des mots, rares, aux confins de son cerveau pour les assembler désespérément. Ça faisait sans doute peine à voir.
Non... J'ai pas de nom... Pas d'endroit... Il prit une inspiration — il n'avait rien, j'ai pas besoin— d'aide, il n'avait besoin de rien non plus et soudain à son esprit se forma une brume consistante et irrésolue : il marqua un pas en arrière. toi non plus tu as rien. Alors c'est que ce n'est pas bizarre, n'est-ce pas, de ne se souvenir de rien ? Il avait un air erratique d'enfant perdu et farouche. Diva, c'est même pas un vrai nom hein ?

Lui parler en souvenirs c'était comme une autre langue, et Otis considérait Diva avec les yeux ronds de l'étranger malheureux : ses propres mots étaient rares et lui semblaient incompréhensible pour autrui. Incapable de se faire comprendre, il demeurait dans un silence solide, parfois découpé de mots en couteaux, et l'aide lui était mal traduite. Il n'avait pas l'esprit clair.

Il baissa les yeux sur la main comme si on lui tendait une brique. Incertain, il tapa dedans sans être certain de si ça les avançait à quelque chose. D'accord. Il s'était radouci bien vite et lui-même ne cernait pas les raisons de son revirement, seulement il suffisait d'une éclaircie pour que le temps se dégage n'est-ce pas ! La raideur de ses traits demeurait mais se montrait au moins moins hostile. Il redoutait encore les détails de cet arrangement sans retour et sans doute qu'il en ferait encore un scandale une fois le moment venu — comment ne pas soupçonner les médecins, les lits offerts, les murs dressés et les ombres sans contour ? Cette fois néanmoins il avait été dompté et se contentait bien gentiment de fureter autour d'elleux, prêt à partir.
Moi aussi je veux un surnom.