le chant des sirènes / MacGyver

S'il ne les alimente pas, Ashton garde tout de même l'oreille tendue pour les rumeurs ; et la moitié de celles qu'Otis traîne dans son sillage ont le mérite d'être au mieux intrigantes; au pire franchement inquiétantes. Grand, fort, docile, amnésique, pas bavard, un peu simple, et surtout, un fusil toujours calé sur l'épaule.

Pour cette simple dernière raison, Ashton s'était dit que même s'il ne fait pas dans les travaux de groupe, il préférait encore l'avoir de son côté que l'inverse. Il ne sait plus vraiment comment leur étrange collaboration a commencé, car il a tendance à ne pas trop se faire remarquer quand Otis est près de lui, de crainte de voir un canon se planter entre ses deux yeux ; mais c'était arrivé, et comme une routine installée, l'adolescent ne voit aujourd'hui plus d'inconvénient à avoir de temps à autre un géant qui marche dans son ombre quand il s'occupe de ses affaires.

S'il s'écoutait, il admettrait même qu'il trouve ces journées-là un tantinet plus rassurantes désormais.

Lorsque son camarade de fortune lui fait part de ses interrogations, Ashton a la main enfoncée dans une boîte de conserve passée de date, initialement assez peu motivé à l'idée de lui faire la conversation. Il coule un regard circonspect en direction des cétacés flottants, avec un air de ne pas y toucher. "Bizzare" lui semble très euphémique.

En sa qualité de biologiste (ou simplement de personne non amnésique), il lui semble alors, en cet instant, fort important de lui rappeler où vivent les baleines ; du moins, lorsqu'elles sont hors des murs très fermés d'Arcadia Bay.

Aussi prend-il son ton très patient, celui qu'il employait parfois pour expliquer les choses simples de la vie à sa petite sœur.

– Ouais... Les baleines vivent sous l'eau, normalement.

Oui, mesdames et messieurs les experts.

C'est qu'Ashton ignore encore beaucoup de choses sur ce que ça veut vraiment dire, l'amnésie ; bien sûr, il saisit le concept global de la chose, il oserait même dire qu'il le trouve séduisant. Mais les subtilités lui échappent encore. Qu'est-ce qu'on oublie, au final, quand on est amnésique ?

Il sait qu'Otis n'est pas son prénom (car si c'en est un, il le trouve très laid), c'est celui qu'il porte à défaut de connaître le véritable. Oublier son prénom lui semble déjà bien incommodant (hormis lorsqu'il s'agit de quelque chose comme "Otis"), mais alors, qu'en est-il du reste ? A-t-il oublié où vivent les poissons ? Comment naissent les oiseaux ? À quoi servent les abeilles ?

Est-ce qu'il se rappelle s'être déjà servi d'internet ?

Dans un coin feutré de son esprit, Ashton se promet de lui poser la question un jour, lorsqu'il sera au moins à peu près sûr de ne pas le froisser.

– Donc si elles volent, c'est que ça doit pas vraiment être des baleines. rajoute-t-il avec l'expression de quelqu'un laissant trainer un "CQFD" dans l'air.

Raisonnement d'une logique implacable ; il repart piocher dans sa conserve les restes de son maigre repas avec une allure satisfaite. L'espace de quelques secondes, il lance un regard un peu songeur à Otis, avant de juger qu'il est finalement assez digne d'entendre une part de ses pensées.

Comme par crainte d'être entendu –car Ashton est assez certain d'être constamment observé– il se rapproche un peu plus près du jeune homme. Pas trop près, car il se le figure encore un peu comme un animal sauvage, et il craint de se faire mordre parfois, à défaut de le faire fuir.

Mais juste assez près pour qu'ils échangent sur le ton de la confidence, comme il est généralement coutume de faire dans l'intimité de la nuit.

– Personnellement, je pense que ce sont des vaisseaux spatiaux lui affirme-t-il finalement droit dans les yeux, d'un air tout à fait sérieux.

Ashton observe Otis s'agiter autour de leur campement de fortune d'un air prudent, sans trop bouger, la main figée dans sa boîte de conserve, de peur d"interrompre un quelconque rituel. Pour quelqu'un qui voulait voir les baleines, le jeune homme songe qu'il ne les a pas regardé longtemps ; mais lorsqu'il l'observe enfin ramasser un gros caillou, il réalise petit à petit ce qui se trame.

Ashton aurait pu s'offusquer ou s'inquiéter de son geste ; prendre son sac et prétendre qu'il a un rendez-vous quelconque, quelque chose d'important de prévu dans son agenda très rempli de survivant de l'apocalypse, peut-être le taxer de fou, d'inconscient, parce que tenter d'attaquer ou de provoquer une baleine qui vole, niveau instinct de survie, on a vu mieux.

– Attends, Otis, fait pas ça.

Il laisse tomber sa fin de repas, bien moins intéressante que les projets d'Otis, et lui fait un signe désignant l'arme laissée à sa place.

– Tu devrais utiliser ça plutôt, nan ?

Ashton aurait pu s'offusquer ; avant de réaliser qu'il n'en avait strictement rien à faire et que, au mieux, il avait bien envie que cela attire leur attention pour lui aussi les voir de plus près.

(et, peut-être, se faire emmener par l'une d'elle)(cette idée lui parait sensée, sur le coup)

Il est tenté de le saisir pour lui amener, mais l'idée d'attraper le précieux fusil de son camarade, sous ses yeux, lui parait un peu trop audacieuse. Et puis, ça serait bien la première fois qu'Ashton en toucherait une de sa vie. Il n'est pas assez fou pour tenter le diable (mais bien assez pour attirer les aliens).

– Il est chargé ?

La question lui a toujours taraudé l'esprit, sans jamais franchir le cap de ses lèvres. Attaquer une baleine volante  – ou vaisseau spatiale, selon le point de vue – lui semble être un bon prétexte ce soir là.
Après tout, ils sont du même côté.

résumé+hrp: