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Ce qui ne sera pas [Solo - Date du Calendrier : 1/11]

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Forsaken
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Forsaken
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Mar 19 Oct - 10:37
Ce qui ne sera pas
L'appartement de Monsieur Thompson était à son image : vide et poussiéreux. Il ne possédait presque rien, et il ne cherchait à rien posséder. Aucun élément superflu — décoration, photos, ou vaisselle —, si bien que l'on avait l'impression de se retrouver dans une pièce digne d'Ikea. Si ce n'était que la plupart des meubles avaient été récupérés et restaurés par ses mains ; voilà comment il occupait son temps libre. Militaire, rien ne dépassait, et tout était parfaitement à sa place. La seule chose dénotant, c'était l'étagère remplie jusqu'à ras bords de conserves, et de bien de premières nécessités se trouvant dans la cuisine. Même chose si on ouvrait les placards : une seule assiette, une seule paire de couverts et un unique verre, mais surtout : des paquets de pâtes et de riz à ne plus savoir quoi en faire, rangés dans un ordre précis — par date de péremption — tous de la même marque. Et du café. Beaucoup de café. Soluble. Pour le boire, Thompson n'utilisait pas de bouilloire, et se contentait de faire chauffer l'eau à la casserole. Une seule tasse par jour — strictement —, souvent acide, avec les grains qui peinaient à se dissoudre dans le fond. Il s'assurait de ne pas trop apprécier le goût.

L'on disait qu'il avait un don pour rendre tout insupportable et écoeurant. D'un simple contact, Thompson transformait les bonbons en des bouts de sucres culpabilisants, et d'un regard, il rendait les gens inconfortables avec l'image qu'ils lui renvoyaient.

Thompson se satisfaisait de cette vie-là, et il regrettait d'être en appartement ; le confort d'une cave, où il aurait pu se réfugier dans un abri anti-atomique faisait défaut. De même qu'écouter le crépitement d'un feu qui peine à survivre au fond d'une cheminée lui manquait, mais que son père se rassure ; il ne mettait jamais le chauffage dans son appartement. Chez lui, c'était le silence. L'on percevait à peine le son de sa respiration calme, et il se roulait dans cette complaisance. Tout ce que la plupart des gens trouvaient inconfortable ? Lui, ça le rassurait. Dans le silence, l'on n'était étonné de rien ; le bruit de la vie ne couvrait pas celui du danger.

Aujourd'hui, pourtant, Thompson sentait un poids inhabituel dans la poitrine. Il était assis au centre du salon, en train de lacer ses bottes épaisses, soigneusement. Ses longs doigts d'araignées s'attelaient aux nœuds, et ils en faisaient plusieurs tours. Les lacets étaient rongés par l'usure, mais Thompson faisait des économies sur tout, et ne s'offrait rien. Tout était affreusement banal. Si ce n'était cet étrange sentiment au fond de sa poitrine, ça grattait les parois de sa cage thoracique. Il pensa alors à son père.
Froncement de sourcils.

Non.

Son esprit ne devait pas déroger au plan initial. Il hésita à prendre son téléphone — un vieux Nokia acheté à moindre coût il y avait dix ans de cela —, et à l'appeler. Dans son répertoire, on ne trouvait rien de superflu ; les contacts enregistrés étaient ceux de son travail. Et celui de son père ne s'y trouvait pas — ce n'était pas la peine, il le connaissait par coeur, et puis, quoi mettre ? « Père » ? « Papa », ça sonnait trop étranger. Et comme à chaque fois où Thompson ne savait pas quoi faire d'une émotion, il se contentait de la jeter.

Il se leva et rangea son téléphone dans la poche intérieure de sa veste. Avant de partir, il vérifia que tout était ordre ; le lit était fait, la chaise remise à sa place, et il lui restait exactement 72 paquets de café soluble. Le 73e arrivait à la fin. Bien.
Si ce n'était cette appréhension.

Pourtant, Monsieur Thompson n'en donna pas plus d'importance, et il sortit. Il ne prenait jamais l'ascenseur, il descendait ou montait toujours à pied, le regard rivé au bout de son chemin. Son immeuble sentait l'humidité, et il nota que la femme de ménage n'avait pas fait les poussières sur la rambarde de l'escalier. Ça resta collé à la paume de sa main abîmée, lorsqu'il vérifia. Une fois en bas, il jeta un oeil à l'étage qu'affichait l'ascenseur ; le troisième. La voisine du numéro 302 ne tarderait pas.

Et comme d'habitude, Monsieur Thompson s'avança vers la porte de sortie, et il l'attendit. Il ne donnait pas réellement l'air de l'attendre particulièrement, mais il avait remarqué qu'elle était toujours pressée — en retard, incapable de se lever de bonne heure. Mais il lui ouvrait toujours la porte, la main placardée en plein milieu et sa grande silhouette sur le seuil. Le corps tourné de trois quarts, afin de l'examiner sortir en trombe de l'ascenseur, les cheveux dans tous les sens, et le visage à peine maquillé.

La voisine du numéro 302 ne dérogea pas à ses habitudes, car à peine l'ascenseur gémit sa présence, qu'elle regarda autour d'elle avant de se diriger vers la sortie. Et comme à chaque fois, elle sembla se rendre compte de sa présence uniquement lorsqu'elle passa devant lui. Et c'était toujours la même scène :

« Oh ! Merci ! »

La voisine du numéro 302 lui paraissait minuscule — elle lui arrivait à la poitrine, il estimait sa taille à un mètre soixante —, mais aujourd'hui, elle lui arrivait aux épaules. Thompson remarqua les talons, le rouge à lèvres carmin et le crayon qui dépassait légèrement de sa lèvre inférieure. Des cheveux noirs et épais, bouclés et sauvages, difficilement attachés dans un chignon - dommage, elle était plus jolie avec sa crinière lâchée dans tous les sens. Une grande veste beige, et un truc qui brillait sur ses joues rondes ; ça amplifiait la couleur caramel de sa peau.

« Bonjour. »

Les regards qu'elles lui jetaient, ils étaient toujours intimidés et elle fuyait vite ses yeux. D'habitude, Thompson se contentait d'un hochement de tête, et il ne lui répondait que rarement ; il ne faisait jamais la conversation aux gens, et il ne prenait pas la peine de les saluer. Mais cette fois-ci, une fois qu'elle termina de passer devant lui, en remettant son chignon en place, il répondit :

« Bonjour. »

Sans sourire en réponse au sien.

Lorsqu'elle s'éloigna, le corps de Thompson reprit vie. Il s'articula de nouveau, cessant de maintenir la porte, et ses longues jambes le menèrent vers le chemin opposé que la voisine du 302 prenait. Un coup d'oeil vers elle, comme pour s'assurer qu'elle se rendait en sécurité vers l’arrêt de bus.
Et il se demanda soudain, si elle comptait partir ce Week-End. Un jour, il l'avait entendu au téléphone raconter qu'elle descendait régulièrement voir sa famille le vendredi.

Et il était vendredi.



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Mar 19 Oct - 12:11
Ce qui ne sera pas
Thompson n'avait jamais peur.

Du moins, c'était ce qu'il se répétait ; une prière presque. Depuis petit, son père lui avait appris que la peur était naturelle, mais qu'un homme — un vrai ! — savait la dompter. Et ce vendredi, il ressentait une peur particulière. Il avait conscience que ce qu'il allait faire serait mal, mais rien ne pouvait lui faire changer d'avis. Dix ans. Non. Moins ? Quel âge avait-il déjà ? Il douta soudain.

Sur le chemin du travail, le vent avait le goût de la normalité. La ville était sereine, et le soleil resplendissait ; Thompson avait chaud. Lui, il était habitué à la froideur de l'Alaska, et cela lui allait bien. Son coeur était un bloc de glace, mais cela lui permettait de toujours prendre la meilleure décision.

Pourtant.


[Forsaken]

Thompson était un homme d'erreurs.

Sa grande silhouette était lugubre dans le paysage d'Arcadia Bay. Peut-être parce qu'il se tenait comme un chasseur en train de traquer sa proie, ou qu'il fixait les gens avec ses yeux dénués d'émotion. Il passa devant le lycée, où il remarqua la présence d'un bus scolaire venant d'une autre ville mal garé — la roue avant débordait légèrement sur le trottoir. Il en vomissait des adolescents, et quand il entendit la voix criarde des filles, et vit leurs bras chargés de pompons, il se souvint qu'adolescent, il détestait particulièrement les cheerleaders.

(Superficielles et stupides.)

Le vent avait le goût de la normalité, une odeur un peu salée. Et il continua de marcher, le dos crispé de percevoir la horde d'adolescents derrière lui. Et quand enfin, il dépassa le lycée, ses muscles se détendirent. Ses yeux étaient deux miradors, à veiller sur la ville bien malgré lui, et à noter toutes les choses inhabituelles. L'affiche de la fête foraine, placardée sur un poteau l'agaça par exemple — il n'aimait pas les déchets. Ou encore, le Starbucks de la ville, érigé sur la place principale, où les étudiants pullulaient comme des microbes. Pincement au coeur. Thompson s'en voulait encore, même dix ans après - dix ans ? Quel âge avait-il, déjà ? —, et il jaugea de loin l'individu aux cheveux blonds et aux allures de rêveurs.

Curieusement, aujourd'hui, tous les détails les plus insignifiants de la vie humaine s'accrochaient à son cerveau. Nuisibles. Une impression de déjà-vu. Mais Thompson raisonnait plus qu'il ne ressentait, et il mettait cela sur le compte de ce qu'il accomplirait, aujourd'hui.

Oui, aujourd'hui, ce serait la fin.

(Le début ?)

Et alors qu'il déambulait dans la ville, le pas décidé et militaire, il jugeait sévèrement les civils. Les voitures grondaient dans ses oreilles, et il s'agaçait de voir la populace de ne pas marcher ; il avait le permis, mais pas de voiture. Il se déplaçait uniquement avec celles mises à disposition dans son service, et lorsqu'il devait se rendre en forêt. Il estimait que les véhicules étaient une catastrophe écologique, et que c'était en partie pour cela que les Américains étaient gros. Dans le monde de Thompson, les gens ne pouvaient s'en prendre qu'à eux-mêmes ; s'ils étaient faibles, c'était parce que leur esprit n'avait pas été soumis aux vraies difficultés de la vie.

Thompson ne prenait jamais les transports en commun, et il faisait le chemin à son travail à pieds. Enfant, il avait eu interdiction d'emprunter le bus scolaire, et il se rendait au lycée à la marche. Qu'il vente, qu'il pleuve, qu'il neige ; maintenant encore, il ne dérogeait jamais à l'éducation que son père lui avait donnée.

Après tout, il suffisait de partir tôt, non ?

Enfin arrivé au poste, Thompson fronça les sourcils — on ne lui connaissait aucune autre micro-expression —, alors qu'il constatait la vague de chaleur qui lui claqua au visage. Il ne supportait pas cela, mais il ne le disait pas, et il se contentait de se défaire de sa lourde veste dans un silence grinçant. La plupart de ses collègues ne prenaient plus la peine de saluer, et dans ce vacarme où ça discutait aussi bien des familles que des feux de forêt, Thompson était une anomalie. Malgré tout, parmi les autres gardes-chasses, il y en avait toujours un pour venir lui proposer un café, ou qui tentait de lui faire la conversation. Bien malgré lui, Thompson s'adonnait à ce cirque social, apathique, fatigué de faire la conversation pour rien.

« Non. »

Prendre place sur sa chaise, attendre que l'ordinateur s'allume. Non, pas de café. Non pas de café, une phrase répète tous les jours, avec le même ton laconique et le regard ombragé.

« Je te mets sur quel créneau pour la formation de tir ? »

Vérifier qu'il ne ratait jamais sa cible. Encore. Thompson ne montrait pas son agacement de devoir (re)faire ses preuves, car il comprenait l'intérêt de la procédure. Et il allait avoir trente ans — moins ?

« Vous connaissez mon emploi du temps. »

Son supérieur, probablement la cinquantaine, visage bouffi et rouge. En surpoids. Mais bienveillant, attentionné avec les enfants, et à lui réclamer plus de souplesse. Thompson ne remarquait jamais ses élans paternels vis-à-vis de lui, il le considérait comme un parasite qui bouffait son temps.

« Oui, certes, mais tu as droit à des vacances. Tu ne veux pas les utiliser pour remonter chez toi ? »

Thompson ne prenait jamais de vacances, et même malade, il viendrait au travail. Peut-être qu'au fond, ce qui le terrorisait le plus, c'était d'être chez lui. Se retrouver enfermé entre quatre murs, ce n'était pas naturel. Du temps libre, encore moins. Alors Thompson répéta :

« Vous connaissez mon emploi du temps. »

Pour son supérieur, ce n'était qu'un échec de plus, mais il revenait toujours à la charge. Il soupira, malgré tout, et il accepta sa défaite en lui donnant une date. Thompson hocha la tête : parfait, un jour de congé en moins. Dans le fond, il entendit l'un de ses collègues rire de son supérieur : rien n'y faisait avec une personne comme lui. Coeur de pierre, et bourreau du travail. Thompson serra la mâchoire, mais il ne répliqua pas. Il se moquait des reproches ; il n'y avait que les crétins pour prendre des congés.

Le travail toujours le travail.

De toute façon, Thompson savait qu'il ne viendrait pas à cette séance de tir.

Il savait très bien ce qu'il ferait.

Mais pour l'instant, la journée restait parfaitement banale, calculée et réglée comme il l'entendait.

« Ces ados n'empêchent, foutre une vidéo YouTube de leur feu de joie. »

Thompson n'en pensait pas moins ; il avait ce groupe de gamins dans le collimateur, et il avait presque pris plaisir d'entendre leurs parents les sermonner, lorsqu'il était venu personnellement les voir avec la plainte. Plus que tout, il ne supportait pas l'insouciance et qu'on maltraite la forêt.

(La forêt sait)

Thompson n'aimait pas plus que d'écrire les contraventions que d'être prisonnier ici. Son écriture était particulièrement difficile à lire, et s'il y avait une chose sur laquelle il doutait en permanence, c'était l'orthographe. Il n'avait pas plus de dextérité avec l'informatique, et surtout, il ne savait pas demander d'aide. De même qu'il n'était pas doué avec Google, et qu'il se méfiait d'internet comme de la peste. Alors il se relisait de longues minutes, le pouce tapotant contre le bout de son stylo, agacé d'être faillible. Il détestait lire et écrire, il n'en avait jamais compris l'intérêt ; la nature du verbe était le mensonge. C'était une porte de sortie aux esprits faibles, trop fragiles pour affronter la dureté de leurs vies. Ou de leur incompétence.

Et plus que tout au monde, Thompson détestait se sentir incompétent.

Cela le renvoyait au racisme qu'il avait connu au lycée, et le nombre de fois où il avait entendu ses professeurs prétendre qu'il était paresseux. « Les gens comme toi finissent parquer dans des réserves, tu es un déchet pour la société ».

Et pourtant, c'était pour la société que Thompson faisait tout cela.

Il le savait ; tout le monde n'était pas fait pour ce qu'il faisait. Les humains étaient délicats, ils n'avaient pas les épaules pour supporter le poids qu'il acceptait de porter pour eux.

« Thompson. »

Il releva la tête vers son supérieur, et ce dernier força un sourire en désignant de sa grosse main l'homme à ses côtés.

Allan.

En silence, Thompson se leva, il éteignit l'ordinateur - juste en appuyant sur le bouton —, et il prit sa veste. Son supérieur essaya :

« Il s'est proposé d'être votre guide, vous êtes ornithologue, non ?
— Oui, tout à fait ! S'exclama Allan avec entrain.
—Et vous vous connaissez depuis le lycée ? De l'Alaska tous les deux, continua son supérieur dans un rire forcé. C'est fou, ça, le destin ! »

Oui, le destin.

Thompson savait quelle était la question que son supérieur ne se posait pas : pourquoi se proposer pour aider Allan ? Mais elle était toute trouvée : le destin. Et Allan lui sourit, sincèrement, ce qui lui arracha un frisson de dégoût au creux de ses omoplates.

« Salut Tyler, fit-il en lui donnant une tape dans l'épaule. »

Tyler.

Son prénom sonna désagréablement dans son crâne. Ça grinçait, ça se coinçait au fond de son cerveau.

« Bonjour, Allan. »

La seule personne de la ville qu'il tutoyait — malgré toutes les demandes de son chef à être moins formel. Allan le regarda enfiler sa veste, et il ricana :

« Tu ne changes pas avec les années, hein ?
— Il a toujours été aussi timide ? Essaya son supérieur.
—Je ne suis pas timide. Viens. »

Tyler.

Non.

Ce n'était pas ça.

Tyler.

[Tyler] passa devant eux, sans un mot. Et alors qu'il se dirigeait vers la porte, il entendait Allan prétendre à son supérieur qu'il n'avait jamais été très à l'aise avec les autres.

Non, ce n'est pas ça.

Tyler.

C'était quand, la dernière fois où quelqu'un l'avait appelé par son prénom ?

(Appelle ton père)

Et ça faisait mal, dans sa poitrine. Ce prénom était douloureux.



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Mar 19 Oct - 13:41
Ce qui ne sera pas
Allan venait de se condamner à mort, et cela, il l'ignorait encore.

Tyler le suivait, tel un chasseur guettant sa proie, et ce dans un silence pesant. L'on entendait le bruit des pas d'Allan dans l'herbe, les branches qui craquaient sous sa semelle, ou encore sa respiration saccadée. Sa voix polluait le silence de la forêt, lorsqu'il s'arrêtait parfois pour lui parler. Partir faire du repérage pour les oiseaux. Tyler était calme, il ne perdait jamais son sang-froid, et il ignorait son estomac serré. Il n'avait jamais tué quelqu'un de sa vie, malgré les entraînements. Tout ce qu'il avait vu à l'armée n'avait jamais dépassé le stade de la théorie. Pourtant, il était loin d'être un mauvais tireur — et il se répétait : deux fois. Toujours deux fois. Il savait qu'à partir du moment où Allan percevrait la détonation, ce serait déjà trop tard. Une balle part plus vite que le son. C'était ainsi.

Tyler aurait pu l'exécuter ailleurs, mais cela aurait été prendre le risque qu'il s'enfuie.

Tyler aurait pu accepter de dîner avec Allan et sa famille, mais il ne voulait pas imposer cette vision aux enfants et à sa femme.

Sous le coup du stress, les gens sont sensibles. Il ne voulait pas de réactions imprévisibles.

La forêt saurait, et la seule culpabilité qu'il ressentait, c'était de lui imposer un cadavre.

Est-ce que les oiseaux continueraient de chanter ?

Allan avait changé en quelques années, contrairement à lui. Il avait perdu de la masse, il avait pris un peu de ventre, et il portait des lunettes. Tyler ne put s'empêcher de le trouver cliché, avec son chapeau et son ensemble kaki. Il portait des jumelles autour de son cou, et il s'arrêtait souvent pour parler de ses espèces favorites. L'Oregon, c'est si différent de l'Alaska, pas vrai ? Oui. Et Tyler préférait mille fois assister aux aurores boréales que de marcher dans l'humidité. Il n'aimait pas particulièrement le vent marin d'ici.

Allan avait tout ce que Tyler n'avait pas : une peau blanche, des cheveux blonds, et une famille pour l'aimer.

Allan avait tout ce que Tyler n'avait jamais eu : du respect naturel, la popularité, et du charisme.

Allan n'avait pas l'air de se soucier de ce qu'il s'était passé, et il parlait du lycée, comme si la fusillade n'avait jamais eu lieu. Il peinait à discuter et à remonter la pente en même temps, et il se tournait plusieurs fois vers Tyler pour s'assurer qu'il était toujours là.

« Tu es si silencieux, j'ai presque l'impression d'être seul. »

Tyler ne répond pas, il se contente de s'arrêter, et de le regarder. Allan avait cessé de grandir, et désormais, Tyler le dépassait.

« Je suis surpris de te trouver en Oregon, je pensais que tu prendrais la relève de ton père.
— Plus de postes. »

Résuma Tyler.

C'était qu'il avait bien fait les choses, Tyler. Il avait trouvé l'endroit où Allan habitait, il avait étudié le moindre de ses faits et gestes, puis il lui avait fait croire à des retrouvailles fortuites au supermarché. Il s'était fait une place dans ses habitudes, il avait été jusqu'à lui serrer la main quand ils s'étaient reconnus.

« C'est vrai ? S'étonna Allan en remettant correctement sa casquette. Ah... ce n'est peut-être pas plus mal pour toi. »

Cette phrase le fit tiquer, mais Tyler ne l'alimenta pas. Il avait l'impression qu'Allan critiquait son père, et il ne supportait pas cela.

« Au final, ça te ressemble bien, non ? Reprit Allan, alors qu'il gravissait péniblement la pente. Garde-chasse, je veux dire, comme ton père. C'est fou ça... qu'on se retrouve ! Le destin, sans doute. »

Tyler hocha la tête.

« Tu crois au destin, toi ? C'est peut-être dans ta culture après tout. »

Tyler plissa les yeux sur Allan, et celui-ci eut un rire nerveux.

« Roh... c'est bon, Tyler, je plaisantais. »

Mais tous les deux savaient que c'était un mensonge. D'aussi loin que Tyler se souvenait, Allan avait toujours mis un point d'honneur à le moquer pour sa « culture ». Et malgré toute sa bonne humeur, les remarques mesquines fusaient dans l'air.

« Les tatouages aussi, c'est culturel ?
— Non. »

Allan pencha la tête sur le côté, et il haussa un sourcil.

« Voyons ? S'il a bien un truc qui m'a surpris en te reconnaissant, c'est ça. J'pensais pas que tu serais du genre à te tatouer, surtout la gueule. »

Tyler le fixa, silence.

« C'est vrai que c'est moins visible, du coup. »

Et Allan lui tourna le dos. Tyler passa — inconsciemment — les doigts sur sa balafre. Il se souvenait du lycée, et des regards des gamins sur sa face.

« Ça t'a pas fait mal ? Quoique te connaissant, ça n'est pas ça qui a dû t'arrêter.
— En effet. »

Tyler attendait le bon moment, et il se forçait à faire la conversation. Allan eut un petit rire.

« Mon fils a jamais vu d'Indiens, tu devrais venir à la maison, un peu. Oh ! Je t'arrête tout de suite, je suis pas raciste, mais... tu sais, il adore les films de cow-boy ! Et les dinosaures. Ça me fait penser, Tyranosaure ou Ankylosaure ? »

Je suis inuit, connard.

Tyler haussa les épaules, plutôt que d'avouer qu'il ne faisait pas la moindre différence entre les deux. Allan soupira.

« Allons... t'avais pas des figurines de dinosaures, toi ?
— Non. »

Le premier cadeau que son père lui avait fait, c'était un Sig Sauer à l'âge de douze ans. Et une partie de chasse. Tyler se souvenait encore de la biche, morte d'une balle à la tête, et du sang que l'herbe buvait. Son père qui le félicite pour ne pas avoir raté sa cible.

« Allan ?
— Ouais ? »

Sa propre voix sonnait étrangère à ses oreilles, et Allan fut surpris de l'entendre prononcer son prénom. Il lui jeta un coup d'oeil :

«Tu te souviens de ce jour-là ? »

Allan fixa la pente, puis Tyler, et il approuva en silence avant de reprendre le chemin. Avant qu'il ne se retourne, Tyler le vit se bouffer les lèvres. Il toucha à sa casquette, il redressa le col de sa veste, et il regarda autour de lui.

« Oui. »

Admit-il enfin, dans un souffle fatigué.

Plus tous les deux grimpaient, plus ils s'enfonçaient dans la forêt. Ils étaient encadrés par des chênes, et leurs feuillages recouvraient le ciel. Cela devenait difficile, la lumière était camouflée par les branches ; à oublier qu'on était en plein jour. Tyler était tendu.

« Tu sais, je n'ai pas été surpris d'apprendre que tu avais survécu, lâcha Allan. C'est quelque chose qui te ressemble. »

Tyler fronça les sourcils. Parmi toutes les remarques que son camarade aurait pu lui faire, il ne s'attendait pas à celle-ci.

« Tu es toujours aussi inaccessible, tu sais ça ? Reprit-il. Presque toujours seul.
—Presque. »

Tyler battit des cils. Il se sentit triste, soudain.

« Oui, presque, continua Allan, inconfortable ; il continuait d'observer autour de lui. On ne comprenait pas pourquoi il s'était entiché de toi, t'sais ?
— On était amis.
—Oui... bon, prends-le comme tu veux, maugréa Allan.  »

Amis.

Ils arrivaient au bout, déjà la pente s'assouplissait, et les arbres se dégageaient. Le vent passa dans les cheveux de Tyler, et son regard se fixa sur Allan.

« Tu te rappelle pourquoi il a fait ça ? Tu sais, A. »

Allan s'arrêta, son corps était crispé. Tyler remarqua les mains qui s'enroulaient autour des jumelles, et de la nervosité qu'il respirait.

« A.... tu ne trouves pas ça... ridicule ? Comme on l'a jamais nommé dans les journaux, avoua Allan. Oh ! »

Un battement d'ailes, une branche secouée, et des plumes au sol. Allan attrapa ses jumelles, mais avant d'y coller ses verres de lunettes, il se fit couper par Tyler :

« Tu sais pourquoi A. a fusillé treize personnes, ce jour-là ? »

La carabine était dans son dos, elle frottait contre son omoplate, mais à cet instant, elle lui semblait légère. Allan ne répondit pas.

« Tu sais sur qui il a tiré dans les douches ?  »

Le temps qu'Allan se retourne, Tyler enlevait le cran de sécurité. Il l'entend à peine murmurer :

«  Je sais, je suis désolé que ça soit arrivé.  »

Parce que le bruit des deux détonations passe par-dessus sa voix. Dans le silence, Tyler était certain de ne pas se faire surprendre ; le non-bruit ne couvrait pas celui du danger. Et à cet instant, il était le danger. Deux balles.

Ça va plus vite que le son.

Quand on entend un coup de feu, c'est généralement trop tard.

Pendant que le corps s'échoue dans les fougères, Tyler observe les oiseaux s'enfuir dans un nuage de plumes au-dessus de sa tête. Voilà. C'est fait.

À cet instant, c'est tout ce qu'il pense.

C'est fait.

Puis, il se dirigea vers Allan. Il vérifia son pouls, il souleva sa main, et il la relâcha. Enfin, il lui ferma les yeux.

Accroupi devant le corps, Tyler prenait pleine conscience de son acte. Le sentiment d'appréhension s'était envolé, mais il ne ressentait simplement rien. Pas de grand vide, et le poids sur ses épaules était toujours là. Cela ne changeait rien.

Si ce n'était, cette petite pensée : tu devrais appeler ton père.

Tyler songea que ce n'était pas la première fois qu'il voyait un cadavre, et les cicatrices de balles sur sa poitrine et sa hanche, elles brûlaient. Abattu dans le dos. Technique de lâche. Oui. Mais il ne voulait pas prendre le risque qu'il s'enfuie. Il avait réussi : fin de l'histoire.

Alors Tyler se redressa, il replaça correctement sa carabine, puis il sortit son vieux Nokia de la poche interne de sa veste.

Ah.

Plus de batterie.


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Forsaken
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Mar 19 Oct - 15:26
Ce qui ne sera pas
Leurs réactions n'avaient pas surpris Tyler.

Et Tyler avait répété plusieurs fois l'information, impassible, monocorde.

« J'ai tué quelqu'un. »

Le regard décidé, la posture droite. Robotique. J'ai tué quelqu'un.

Dans son idée de justice, à aucun moment Thompson s'était dit qu'il échapperait à ce qu'il comptait faire. Depuis le début, cela était clair : il se rendrait à la police, et il déroulerait toute l'histoire. Pas besoin d'avocats. Il avait tué un homme, et il devait être condamné pour cela. Droit, fier ; Tyler n'était pas le roseau qui se plie au vent, il était un bloc de granite qui s'émaille, mais reste debout. Et ce qu'il avait fait lui ressemblait. Se dénoncer pour le meurtre d'Allan.

Depuis la cellule, Thompson percevait le pas saccadé des policiers, et leurs téléphones qui sonnaient. C'était étrange d'examiner le monde depuis cette position. Il était assis à même le sol, en tailleur, en train de fixer le policier qui se tenait à quelques mètres de lui. Ce dernier lui jetait des coups d'œil stressés, sans trop savoir ce qu'il devait faire du meurtrier. Ce n'était pas tous les jours qu'un homicide se produisait à Arcadia Bay, et ce n'était pas courant que l'auteur des faits arrive pour se dénoncer.

Pour Tyler, de toute façon, sa vie avait fini quand il s'était réveillé à l'hôpital.

Cette image n'avait jamais été altérée par le temps, et la vague de chaleur, pleine d'amour qu'il avait alors connu, une part de lui cherchait à la retrouver.

Contrairement ce que les gens pensaient, Tyler ne voulait pas être un saint. Il était humain, et être faillible, c'était dans sa nature. L'idée délirante avait poussé, elle s'était si profondément enracinée dans son esprit que pour lui, une autre issue avait été impossible. Il ne pouvait plus revenir en forêt, avec ce qu'il avait fait.

Au fond, Tyler se condamnait à la seule chose qui comptait réellement.

(La forêt sait)

Et Tyler savait qu'il ne voulait pas répondre au : pourquoi ? Pourquoi un homme si droit et si juste en arrivait là ? Parce qu'il n'avait jamais été un modèle de vertu, voilà tout.

En ce moment, la seule chose à laquelle il pensait, c'était combien le poste de police était bruyant. Et combien ils semblaient faibles. Que se passerait-il, si un jour quelqu'un ouvrait le feu sur eux ? Seraient-ils seulement capables de réagir ?

« Il avait vraiment fait ça ? J'y crois pas !
— T'es surpris ? Je me doutais bien que ce mec devait être un sacré psychopathe, c'était qu'une question de temps. »

Et quand [Forsaken] releva les yeux sur eux, ils firent mine de ne pas le voir.

Il pensa : vous êtes lâches.

Et sous son pull, les cicatrices de balles brûlaient plus encore. Il y avait un truc qui ne sonnait pas juste. Il releva la manche de son habit, et il inspecta son avant-bras. Il était lisse, anormalement lisse. Et ces gens ? Non. Cela devait être le choc.

Esprit pragmatique avant d'être homme d'intuition.

Animal de sang froid.

Tyler ne voulait pas voir son père.

(Pourquoi ne l'as-tu pas appelé ?)

Et Tyler savait combien il serait déçu, mais il ne pouvait pas lui expliquer son geste. Des années à ressasser ce qu'il s'était passé, des années à vivre avec une partie de lui qu'on avait exécutées. Il se souvenait encore de son réveil, de ses yeux qui le cherchent, comme une encre. De son père, le visage en larmes qui se souvient soudain que son fils

n'est qu'un enfant.

Il a désormais du sang sur les mains, et c'est dans l'ordre des choses de payer pour ce qu'il a fait.

Tyler n'est pas désolé.

Ni pour Allan, ni pour sa femme qu'il laisse veuve, ni pour ses enfants désormais bâtards.

En vérité, il s'en fiche complètement.

Ils ne savent pas ce que lui, il sait.

Ce que A. lui avait soufflé avant de se faire tuer.

De ce que leur père lui avait fait.

Et de la lame plantée à quelques centimètres de sa main, lorsque Tyler avait répliqué à sa tape derrière la nuque. Allan aurait dû le savoir, mais il avait fait la même erreur qu'au lycée ; il l'avait pris de haut. Après tout, s'il était si droit et juste, Tyler ne chercherait jamais à se venger ?

Ah.

Mais se venger de quoi, exactement ?

Lui seul le savait.

Il ne fait pas partie de ces gens.

Le poste de police est si bruyant ça couvre ses propres pensées. Tyler se sent épuisé, mais il ne se donne pas le droit de se coucher sur la paillasse. Au contraire, il le fait à même le sol, sans donner d'attention au policier qui lui dit d'au moins d'aller dans le lit.

Son dos craque sur la surface glacée, et ses mains se posent sur sa poitrine.

Tyler fixa de longues minutes le plafond de la cellule, et il songea que ça lui manquait. De percevoir le crépitement d'un feu de cheminée, alors qu'il s'enroule dans la couverture et qu'il attend le sommeil. Oh... cela ne lui ressemble pas, la nostalgie.

Peut-être qu'il commence à se faire vieux.

Peut-être qu'avec les années, il s'est ramolli.

Il était un feu de cheminée, à toujours réchauffer son quotidien glacé de sa seule présence. Et il parlait pour deux [Forsaken] n'avait pas besoin de faire semblant, ou d'alimenter une conversation. C'était suffisant. Souvent, il se plaisait à seulement l'écouter, se perdre dans ses mots, et dans les intonations graves de sa voix. Observer le sourire en coin, parfois

Même

Sourire à son tour.

Tyler, ça sonnait curieusement étranger quand il entendait ce prénom, maintenant.

Comme s'il n'était plus réellement à sa place.
Comme s'il n'avait jamais été réellement Tyler.

Ah... c'est peut-être pour cela.


Forsaken alors
ferma les yeux.
Et il se réveilla au milieu du rien.


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Forsaken
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Forsaken
Forsaken
Mar 19 Oct - 17:29
Ce qui ne sera pas
C'était donc ça.

Le dos et les membres raides, Forsaken se releva dans les décombres. Il avait été réveillé par un emballage plastique, qui s'était échoué contre sa figure. Le pantalon et les mains sales de poussière, il contempla la réalité vide dans laquelle il était revenu. Et soudain, tout lui sembla normal.

Oh bien sûr, comme beaucoup d'autres, ce jour-là, il était confus et il ne sut plus trop à quoi se fier. Mais Forsaken restait un homme froid, et ses premiers réflexes furent de vérifier qu'il n'était pas blessé, et que sa carabine était bien à sa portée.

Il s'endormait toujours avec.

Le même nombre de balles, et le cran de sécurité n'est pas levé.

Pourtant, Forsaken mit de longues minutes avant de se décider de bouger. Il avait la sensation de ne pas être à sa place, et il prenait conscience qu'il ne serait pas puni pour ce qu'il « venait » de faire. Cela faisait pourtant loin, un an. Il remonta la manche de son pull, et il considéra la marque de brûlure sur son avant-bras gauche. Il se rappelait désormais, et il su pourquoi il avait survécu. Le but de sa vie, et ce qui lui restait à accomplir.

Porter sa croix, silencieusement, sans jamais se plaindre de ce qu'il s'infligeait lui-même.

Non.

Forsaken devait payer.

Le plan ne devait pas changer.

La ville était baignée de désespoir, et bon nombre de personnes qu'il croisa semblaient perdues, hagardes. Une hallucination collective ? Son esprit ne s'enfonçait pas très loin dans les théories ; peut-être s'en fichait-il, peut-être ce qu'il avait décidé d'accomplir supplantait le reste. Son pas était moins militaire qu'à son habitude, et dans ses épaules, s'écrasait le poids de cette nuit fatidique. Forsaken n'écoutait jamais les signaux d'alarme de son corps, alors il continua d'avancer malgré tout.

Plus le temps passait, plus les souvenirs semblaient étrangers. N'y avait-il pas un bus près du lycée ? Non. Et les adolescents ? Le Starbucks ? Ce n'était pas ce qu'il cherchait, alors ce n'était pas grave. Dans sa bouche, il y avait ce goût pâteux du réveil douloureux, et de ce son dernier repas — à quand remontait-il ? —, et son odeur était celle de la poussière. D'habitude, Forsaken portait sur lui le parfum de la forêt, et de sa sueur. Cela dérangeait les autres, et on lui faisait souvent des remarques sur ses ongles noircis. Oui.

Il avait simplement dû rêver.

Certains auraient dit qu'il s'agissait de culpabilité.

Et comme chaque émotion inconfortable, Forsaken se contentait de la jeter au loin.

L'ancien garde-chasse déambula jusqu'à la poste, et là, il fixa le bâtiment dans son habituel mutisme. C'était le paysage habituel, cette vague impression de normalité. Cette nouvelle banalité à laquelle les survivants se soumettaient depuis un an. Et comme beaucoup d'entre eux, Forsaken oublierait le rêve et, même pourquoi il s'était rendu jusque là.

Forsaken rentra dans la poste, il fixa chaque personne s'y trouvant, se rappelant des surnoms qu'ils se donnaient. Son regard semblait les mépriser, mais ce n'était pas ce qu'il cherchait ; il faisait le compte des survivants, comme pour s'assurer qu'entre ces deux réalités, il n'y avait pas eu de nouveaux morts. Il demanda George, et on lui répondit qu'il n'était pas là.

« Ce n'est pas important. »

C'est tout ce que Forsaken conclut ; ce n'était pas si important. Mais c'était rare de le voir de réclamer quelqu'un. Ce n'est pas important. Alors on oublie les aveux,  et on s'en retourne à cette routine.

Forsaken revint à son campement, il vérifia ses affaires, il écouta le silence de la forêt. Ce non-bruit le réconforta, et lui assura que celui du danger ne serait pas couvert par la cacophonie humaine. Et dans son ventre, coincé entre deux bouts de granite, le malaise s'intensifiait. Il devait vérifier quelque chose, soudain.

Forsaken s'en retourna à la ville dévastée, s'assura que les vagabonds qu'il devait protéger étaient tous là. Il s'attela à ce qu'il faisait toujours, avec un peu de retard sans s'expliquer. Néanmoins, lorsqu'il termina sa ronde, il marcha en direction de l'immeuble qu'il avait autrefois habité.

Comme tant d'autre, il était penché sur le côté, en domino. Et il menaçait de s'écrouler sur ses fondations d'un instant à un autre. Pourtant, Forsaken savait que depuis un an, les choses n'avaient pas réellement bougé. Son ombre avalait la carcasse d'une voiture, et le vent emportait avec lui des bouts de papier qu'on ne ramassait plus. Forsaken rentra alors dans l'immeuble, et ça puait toujours l'humidité. Les marches des escaliers gémissaient sous ses pas, certaines étaient trouées, et la rambarde ? Plus personne ne prenait la peine d'en essuyer la poussière. La plupart des appartements étaient dévastés, certains s'étaient écroulés sur ceux d'en bas, et l'on voyait le reste des habitations abîmées par les intempéries. L'humidité lui écrasait les poumons.

L'immeuble émettait un grincement désagréable, provoqué par le souffle du vent. S'il ne faisait pas attention, Forsaken ne savait pas trop où il pourrait finir. Passer à travers le plancher ? La chute le tuerait. Néanmoins, Forsaken continuait de gravir les escaliers, les yeux rivés sur le papier peint envahi de moisissures.

Et c'est là qu'il s'arrêta, devant l'appartement 302.

La porte était entrouverte, alors il se contenta de la pousser et d'y entrer. Ce silence, il le connaissait.

Devant lui, le salon s'ouvrait sur le décor de la ville ravagée, la baie vitrée avait volé en éclats. Des bouts de rideaux s'étaient pris dans les poutres, et le plancher avait cédé ; on pouvait voir l'appartement d'en dessous à divers endroits. Et quand Forsaken marchait, il doutait encore ; cela ne lui ressemblait pas de risquer sa vie pour une telle chose.

Le canapé avait été renversé, la télévision était éclatée au sol ; des bouts de verre, et des câbles rongés ou coupés rampaient à ses pieds. Le tapis était imbibé d'eau, et des moisissures avaient élu domicile entre les mailles. Plus personne n'avait mis les pieds ici depuis longtemps. Forsaken savait.

Comme la forêt savait bien ce qu'il avait fait.

L'homme pénétra dans la cuisine. Certains murs étaient encore debout, mais celui du fond s'était écroulé avec le balcon en bas. Le vent souffla dans sa nuque, et Forsaken s'arrêta. Le réfrigérateur était tombé, vomissant des restes de nourritures ayant pourri depuis le temps.

Et sous sa porte, il constata une main humaine décharnée.

Ah.

Forsaken plissa les yeux, presque mélancolique. Et il se souvint qu'il n'avait pas vu son nom sur les registres. Vraisemblablement, les gens n'avaient pas pris le risque de remonter l'immeuble jusqu'ici.

Forsaken se demanda alors : pourquoi ?

Pourquoi la voisine de l'appartement 302 n'était-elle pas descendue voir sa famille, comme elle le faisait habituellement tous les vendredis ?

Ah.

C'était bien dommage.

(Qu'une fille si jolie finisse comme ça)


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