[FLASHBACK 05/2020] quand la nuit est la nuit et la nuit pour toujours ☆ poppy

Il traîne des pieds dans les couloirs du château des chevaliers. Autant qu'il le peut, il évite les rires et les jeux des enfants. Il évite les sourires et les mains tendues des adultes. Il évite les questions, les réponses et tous ces regards qu'il croit sentir sur lui parce que tout le monde doit bien savoir que quelque chose cloche. Il ne veut voir personne, a bien trop peur de ce qui pourrait se passer si quelqu'un soulevait à peine cette couverture sous laquelle il s'est réfugié, pour ne plus entendre les vents. Ne soyez pas perspicace, ne le voyez pas, ne lui parlez pas, par pitié. Il ne sait rien affronter, ne peut que fuir avec sa guitare et sans courir, sans ralentir, sans sautiller, juste en marchant un peu normalement parce que tout le reste est bien trop criard. Il n'imite même pas les sourires, même pas les chansons motivantes, même pas les légendes fabuleuses. Impossible d'être celui qu'il devrait être, qu'il voudrait tant être. Et ça aussi, ça l'empêche de respirer.

Quand ? Quand est-ce qu'il a provoqué cette fin du monde ? Quand est-ce qu'il a appelé les tornades, les tremblements de terre, les éruptions volcaniques ? Il n'y a rien pu et le sort est venu lui rire au nez. Elle n'est plus là et elle ne le sera plus jamais. Tous ces moments qu'il n'a pas passés avec elle ne sont plus que des instants gaspillés. Ils auraient pu encore tellement s'amuser. Ils auraient pu être déraisonnables, discuter jusqu'à des heures pas possibles le soir alors qu'il y a école le lendemain. Ils auraient pu manger des poignées de bonbons jusqu'à s'en rendre malades et en rire ensemble. Ils auraient pu pédaler sur leurs vélos tellement longtemps, tellement loin qu'on n'aurait jamais pu les rattraper. Ils auraient pu mieux profiter de chaque instant, si seulement ils avaient su que le bonheur avait une fin. Ah, s'il avait su. Ces belles phrases, il ne les pense même pas vraiment. Les remords sont trop philosophiques pour lui. Lui ne fait que pleurer en se souvenant de cette fois où il s'est cassé la gueule au lieu de taper dans le ballon et qu'elle l'a aidé à se relever. Il ne comprend pas tout à fait tout ce qu'il ressent. Il pourrait dire des jolis mots, comme "si seulement", "ça aurait dû être moi", "si je pouvais échanger ma vie contre la sienne" mais ce qu'il ressent n'a rien d'aussi compliqué. "J'aimerais qu'elle soit là." C'est tout.

Tout seul, il erre encore un jour. Aujourd'hui non plus il n'y aura pas de récits héroïques ni de balades douces. Désolé tout le monde, il sait bien qu'il vous déçoit. Il sait bien qu'il devrait être le troubadour qui brille quand le soleil s'est éteint mais il n'en est pas capable. Il se fiche bien de votre malheur à vrai dire et c'est odieux à quel point ça ne l'émeut pas. C'est atroce comme toutes vos histoires ne lui font même pas verser une larme, même pas hausser le sourcil. Tout ce qui l'obsède, c'est le visage de son amie. Il ne sait pas quoi faire face à ses rires et ses petites mains qu'il ne reverra jamais. Pourtant, il ne pleurait plus trop ces derniers temps mais tous ses efforts ont été gâchés par son fantôme. Il ne lui reste plus qu'à évacuer, encore, essayer un peu plus. Le décor correspond bien à ce qu'il ressent du monde : des ruines. Il ne sait même pas trop où il est, ne se souvient plus trop comment on joue de la guitare. Assis quelque part, il ne réfléchit plus et les accords défilent. Il redoute le départ de la voix.

« Shadows settle on a place... that you left.»

Non, il n'y a pas autant de mesures de vides entre ces deux morceaux de phrases. C'était déjà trop compliqué, il a dû respirer et étouffer les pleurs. L'épreuve lui paraît insurmontable mais il n'a rien à perdre. Personne ne l'entendra.

« Our minds are trouble by the emptiness. Destroy the middle, it's a waste of time. From the perfect start to the finish line.»

La concentration lui permet de poursuivre, malgré sa gorge qui s'est serrée. Son souffle court ne tiendra même pas les phrasés de la chanson pourtant pas bien compliquée à chanter.

« And if you're still breathing... you're... the lucky one. 'Cause most of... us are... heaving through... corrupted lungs...»

La guitare poursuit seule. Il n'a pas pu, aujourd'hui non plus. Il n'arrive qu'à pleurer, laisser toutes ces émotions incontrôlables et innombrables mouiller le sol détruit de la planète sur laquelle il a eu le malheur de ne pas mourir.