[NC16] Lucid Dreams // Acid

[NC16 : don't do drugs kido]

Le soleil se couche sur la ville des poussières. Arcadia Bay s'éteint. Les lumières peinent à percer la noirceur. Elles vacillent dans un vent imaginaire, résidu de tempête.

Faudrait arrêter de penser à ça. Ramener tout à cette fatidique soirée. Ça ne fait que le torturer, lui rappeler qu'ailleurs la vie continue comme si rien ne s'était jamais passé. Parce que l'Apocalypse n'a pas eu. Ou peut-être a-t-il rasé tout sur son passage, comment Bambi le saurait-il ?

Il est coincé dans l'œil de la tempête,
pauvre clown immobile sur une route de campagne avec arbre
en attendant l'acmé.

Alright, c'est assez.
Dégoûté par les détours de son cerveau, il ferme Beckett et l'abandonne sur ses cuisses. Assis dans la largeur du cadre de la porte, il est entouré de quelques piles de livres qui redéfinissent les concepts d'intérieur ou d'extérieur de la boutique. Une manière d'indiquer aux gens où se trouve la vie parmi ces ruines. Et aussi pour pallier au manque d'espace flagrant.

Il devrait se lever. Bouger. Échapper au trou noir qui se forme dans sa tête, n'a cessé de croître depuis quelques mois. Et à quoi bon…

Du côté de la rue, une silhouette familière. Les yeux de Bambi s'illuminent. La voilà, sa porte de sortie.

« Hey, Acid ! »

Il se redresse sur ses deux jambes pour mieux se faire voir. Croise une jambe devant l'autre et prend appuie contre le mur, les bras noués autour de sa taille. Mimant une nonchalance bonace, mais il t'en pris Acid, réponds à son appel, il sait pas ce qu'il ferait ce soir sans toi pour le distraire.

« J'm'ennuie. T'aurais pas quelque chose à partager avec moi ? »

Repêche le de son trou noir.

Bambi l'accueille avec un sourire. Ses yeux s'accrochent aux siens et ne les lâchent pas, même si cela lui demande de lever la tête pour combler leurs 19 centimètres d'écart. Se complaisent dans le désir qu'ils y perçoivent. C'est l'instant qu'il préfère.

Être vu.

Et pour cela, il prêt à oublier toutes les vannes les plus lourdes qu'Acid peut sortir, sa drague aussi subtile qu'un éléphant dans une boutique de porcelaine. Il ne lui demande pas d'être Rimbaud de toute manière.

Tant qu'il est là,
qu'il le regarde.

Mais c'est d'Acid dont on parle. Et bien sûr il fallait briser le charme et parler tricot. Bambi ne peut s'empêcher de rouler des yeux. La déception est réelle. Parfois, il ferait mieux de se taire.

« Tu parles vite, je t'ai même pas dit ce que je voulais… »

D'un mouvement las, il ramasse le livre abandonné et l'utilise pour taper doucement dans le dos du géant.

« Aller entre. J'vais voir ce que je peux faire. Attention où tu mets les pieds ! »

Derrière eux, il ferme la porte à clé. Le libraire d'Arcadia Bay prend congé pour le reste de la journée. De toute manière, il risque d'être fort occupé à trouver un livre de tricot pour junkie en série. Une feuille de weed il est sérieux ?

D'un pas assuré, il se dirige vers le fond de la boutique où se trouve les livres « vie pratique ». Cuisine, maternité, bricolage, et survie en forêt, ils sont tous là dans un mélange hétéroclite qu'exige leur vie post-apocalyptique. Tricot, broderie et fabrication de peluches se trouvent dans la même section, dispersés sur les rayons et à même le sol.

« Je sais pas si je vais pouvoir trouver un patron pour broder une feuille de weed… Mais les feuilles d'un ananas, ça pourrait le faire ? Reste pas là, viens m'aider un peu. »

Rafael Flores. Nom sorti d'un autre temps, plus simple, moins étrange. Les yeux de Bambi s'accrochent au livre et, pendant quelques secondes, rien d'autre n'existe. La coïncidence est trop extraordinaire pour qu'il l'ignore. Il y a la curiosité, mais aussi une crainte sourde, l'impression que ce livre devrait rester fermé à tout jamais. Et ça suffit à le figer sur place, dans l'attente d'un signe du ciel ou que le courage lui vienne.

Un choc parcourt tout son corps quand ses mains se posent sur ses hanches. Le souffle coupé, surpris par l'intrusion dans sa bulle. Et ça lui revient. C'est Acid, rien qu'Acid qui se marre bien dans son cou. Encore une seconde et le déclic se fait. Le con, il s'est vraiment mis en tête qu'il voulait coucher avec lui.

Et Bambi se met à rire. Parce que bien sûr il s'est fait des peurs tout seul. Rafael Flores. Certain, c'est un nom commun en Espagne ou dans les pays d'Amérique du Sud. Ça ne peut pas être Acid qui embrasse son cou, Acid aveugle face aux coïncidences. Et qui aurait cru qu'il l'envierait pour ça ? Il voudrait partager son insouciance, se laisser entraîner. Alors Bambi s'abandonne, penche un peu la tête et appuie son dos contre son torse. Sa main caresse ses cheveux, l'encourage. Et il réussit à se convaincre que ce n'est rien.

« Tes intérêts sont tellement particuliers, j'en douterais, » ajoute-t-il à la plaisanterie. « Y'a personne qui a l'esprit tourné comme le tien… et une tête aussi dure que la tienne. »

Avant que les caresses ne deviennent trop compromettantes, Bambi se dégage de l'étreinte. Demi-tour sur ses talons, il fait face au géant. Le bras tendu, il maintient une distance « raisonnable » entre eux. Et à voir la lueur dans ses yeux bleus, ce coup là le fait bien marrer.

« Tu me fais chercher un livre de tricot qui n'existe probablement pas et tu te permets de me peloter. Et j'ai encore rien demandé. C'est pas très juste à mon avis. »

Dos à la bibliothèque, dos au livre qui bouleversera sa vie, Bambi joue l'insouciance. Parce que c'est le seul moyen qu'il connait pour faire taire ces angoisses au fond de son ventre. Il joue. Élevé sur la pointe de ses pieds, il passe ses bras autour du cou d'Acid. Il joue. Lui sert son sourire le plus innocent.

« T'auras pas un joint en trop par le plus grand des hasards ? »