1Tu habites à Arcadia Bay ou tu étais juste de passage ? Un peu des deux. J'comptais pas m'installer indéfiniment ici mais t'as vu, Betty m'a fait rester ici. J'avais ma piaule, elle venait squatter, je lui apprenais à tatouer. C'était le feu. Un duo de choc.
2Tu faisais quoi avant la tempête ? Woah, j'me répète déjà à force de trop causer. Ben comme j'disais, j'étais là pour tatouer. Quand la boîte du coin avait besoin, j'venais en tant que visio. Mais bon, c'était plus pour passer l'temps, j'avais déjà suffisamment de moula avec mon art et ça, j'en étais plutôt fière. Normal, quoi !
3Quels dégâts a-t-elle fait dans ta vie ? J'peux plus voir ma mère. J'ai perdu Betty. J'ai perdu ma raison de vivre. Ces putain d'Illuminati qui foutent nos vies en l'air, si j'pouvais les choper et les saigner j'le ferais sans hésiter. Tout ce que je veux, c'est qu'elles aillent bien.
4Que faisais-tu lorsque la Tempête a frappé ? J'fumais un spliff avec mon apprentie. J'lui apprenais comment tatouer directement sur moi, sur ma cuisse. Ouais j'sais, j'devais pas fumer pendant la séance, mais j'me sentais à l'aise avec elle. Faut dire qu'elle avait du talent, ma p'tite Betty... puis pouf, on a été balayée. Elle a tout jamais. Moi avec Ross. Au moins, il est toujours à mes côtés.
5Tu quitterais tout pour retrouver ta vie d'avant ? [ X ] OUI [ X ] NON
6Exerces-tu un métier ou des activités particulières dans ce nouveau monde ? J'continue de tatouer. Jusqu'à ce que je n'aie plus de matos, j'le ferais. Peut-être que j'me débrouillerais pour créer des encres naturelles mais j'veux plus perdre mon temps. J'veux dessiner sur des zones toujours plus difficiles, que mes toiles ressentent mon art jusqu'au fin fond de leurs tripes. C'est tout c'que j'veux. Tant que personne ne vient m'emmerder, j'ai pas de raison d'emmerder les autres. On dirait pas, mais ça m'arrive d'aider mon prochain quand j'ai pas de clients ! J'te jure !
7Pourquoi n'as-tu pas rejoint une communauté de survivants ? Mmmh... forcément, les Pirates m'intéressaient. Les Greens aussi. Mais j'sais pas si j'suis suffisamment jeune pour les rejoindre. Puis, est-ce que j'serais aussi libre que maintenant ? Clairement pas. Enfin bon, toujours est-il que mes options restent open. Mais c'pas ma priorité. J'veux juste entendre la voix de ma mère.
8Que penses-tu des groupes qui s'organisent ? Bah ils ont raison de s'organiser comme ils le font. J'trouve que les
Knights ont trop l'air de s'amuser comme si c'était une cour de récré et ça m'fout un peu le seum. J'veux dire, c'est bien de montrer aux gosses que ça va aller pour eux mais p'tain, ils ont perdu leur famille ! Faut leur montrer la réalité en face. Les
Greens ont des idéaux qui peuvent contrecarrer les plans de ces connards de francs-maçons et d'Illuminati, forcément j'les encourage à continuer comme ça. Mais y'a trop d'organisation de leur côté et finissent par utiliser les mêmes procédés que ces fils de pute. Les
Pirates m'rappellent moi quand j'étais plus jeune. Ils me donnent les frissons que j'aimerais ressentir de nouveau, tu comprends ? Les journées ont tendance à tellement s'ressembler, ça m'fout les jetons. J'aime pas ça. Mais tu vois, ils foutent trop le bordel. Meeeerde, j'dois vraiment avoir vieilli pour dire ça !
quatorze ans.Je me souviens encore du soleil qui frappait le bitume.
De l’odeur du bissap vendu par les mères voisines.
Des tours qui me dominaient, qui me détestaient et me désiraient.
Du son des grillades, de la gaieté des gaillards qui garantissait le retour des beaux jours.
C’était ça, l’été à Aulnay.
J’alternais entre l’attente de la brise balnéaire, caresse consolante donnant l’effet d’être à Saint Trop’, et les dessins exutoires, divagations esthétiques. J’aimais ces étés dans ma chambre, parce que je savais que les billets pour le bled coûtaient trop cher pour qu’on y aille chaque année. Et quand ma mère sortait faire les courses, je me calais, fumant furtivement face à la fenêtre. Si on me voyait, je savais que j’étais morte.
Je me souviens encore du soleil qui frappait mon crâne.
De l’odeur de la cigarette qui me collait aux doigts.
Des tours qui m’acculaient, que j’appréciais et qui m’apeuraient.
Du son des grillades, de la gaieté des gaillards qui garantissait le retour des beaux jours.
C’était ça, mon adolescence à Aulnay.
Quand la boule jaune entamait sa descente, je l’imitais. Sur la dalle dansaient Ines, Aminata, Moussa, Saïd sur un son de Skyrock. Pas d’embrouilles, pleins d’énergie, on se marrait en écoutant les radios libres, on bougeait sur les tubes hip hop. On
vibait, on vagabondait, on valsait. Parfois, les sirènes sifflaient. Toute façon, dans les 3000, il n’y avait pas de temps mort.
Je me souviens encore du soleil qui frappait les flics.
De l’odeur des pétards qui prolongeait la fête.
Des tours qui nous menaçaient, qui nous manipulaient et nous maternisaient.
Du son des grillades, de la gaieté des gaillards qui garantissait le retour des beaux jours.
C’était ça, le quotidien à Aulnay.
Puis, des pas qui se pressaient. Des sons synonymes de fuite funeste. Alors, on se hâtait dans les halls. Nos parents, policiers protecteurs de ce petit peuple, nous avait toujours appris qu’il fallait fuir face aux gardiens de la paix, gâcheurs de notre paradis. Nous, curieux, on observait d’un œil ombrageux les scènes. Ouais, c’était une fascination morbide, mais une observation nécessaire à notre survie. Mes yeux examinaient, écarquillés. Sauf que le poursuivi, c’était mon père. Il a trébuché, tiraillé par la terreur et la tourmente. Bam. Bam. Bam. Les cris crissent. Les frères foncent, trop tard. Il a été frappé, le crâne fracassé, par une quinzaine de flics. Le cercle rouge s’agrandit. Et dans ses yeux, la mort.
Je me souviens encore du soleil qui frappait la marque indélébile.
De l’odeur du fer qui filait par les interstices.
Des tours qui nous enclavaient, qui nous exécraient et nous élevait.
Du son des grillades, de la gaieté des gaillards qui garantissait le retour des beaux jours.
C’était ça, l’été de mes quatorze ans à Aulnay.
Ma mère a arrêté d’écouter Lionel Richie. Diana Ross restait dans les placards. Ma mère ne voulait pas être heureuse pendant la convalescence de mon père. Ma mère a arrêté d’écouter The Supremes. Tina Turner restait dans les placards. Ma mère ne voulait pas sourire pendant l’hospitalisation de mon père. Ma mère a arrêté d’écouter Stevie Wonder. Whitney Houston restait dans les placards. Ma mère ne voulait pas de mélodies lors de l’enterrement de mon père. Ma mère a arrêté d’écouter Aretha Franklin. Michael Jackson restait dans les placards. Ma mère ne voulait pas porter plainte pour coups et blessures et homicide. Non, ma mère remettait tout entre les mains de dieu et son cœur résonnait pour lui.
Entre mes mains trônait un paquet de cigarette.
Et mon cœur criait vengeance.
vingt-quatre ans.Vengeance.
Vengeance.
Vagabonder.
Vendre.
Vendre, pour remplir mes poches, pour résister aux policiers.
Vendre, pour le repos de ma mère, le réconfort de ma mère.
Vagabonder, pour vider ma tête et vider leurs poches.
Vagabonder, pour vivre éperdument pour Elle.
Elle ne sait pas. Mais elle n’est pas idiote. Elle s’en doute, mais ne dit rien. Je balance les billets, elle me remercie, range les rouleaux. Elle les cache, coupable, connaissant leur provenance. Avec, elle pourrait partir en Provence. Prendre du bon temps, prendre le soleil sur la plage. Mais elle préfère travailler, trimer, transpirer. Alors je la protège du sacrilège, lui octroie des privilèges. Bientôt, tu auras ta maison, maman. Bientôt tu auras ton royaume, Reine.
Bientôt, tu pourras réécouter Diana Ross sans que ton cœur te torture.
Vengeance.
Vengeance.
Vagabonder.
Vendre.
Vendre, pour épuiser mon stock, pour écraser les songes.
Vendre, pour le repos de ma mère, le réconfort de ma mère.
Vagabonder, pour ne pas l’inquiéter et m’imposer.
Vagabonder, pour vivre éperdument pour Elle.
Boire ses démons et fumer son bonheur. Boire des demoiselles et fumer des bouffons. Défendre mon territoire, pour défendre ma tribu. Descendre dans la rue, pour qu’elle n’ait pas à le faire. Déguisée en mec, destinée à la mama. Crâne rasé pour survivre, coups réputés pour sonner. Mon corps se dessine, mes dessins cessent.
Vengeance.
Vengeance.
Vagabonder.
Vendre.
Vendre, pour amasser la maille, pour attirer le magot.
Vendre, pour le repos de ma mère, le réconfort de ma mère.
Vagabonder, pour l’adrénaline et la dopamine.
Vagabonder, pour vivre éperdument pour Elle.
Casser les couilles des commissaires qui crachent sur nos cités, classique. Dessiner des desseins drastiquement différents qui disent des déraisons, disparu. Mama qui se mine, malédiction. Puis, adossée au mur brûlant, adressant les missives au boug, les condés. Ça siffle, ça se soulève, ça sprinte. Puis, les pas se pressent. Encore. Puis, la police part. Étonnant. Mais les concurrents apparaissent, les salauds qui veulent cette dalle, affamés, les crocs aiguisés. Nous, faibles et fébriles. Eux, nombreux et nuisibles.
Vengeance.
Vite.
Vite.
Vite.
Coup de schlass dans le dos, coup d’un salaud pas digne d’attaquer de face. Je fuis face à la fête funeste. Le cercle rouge s’agrandit. Le cercle rouge s’agrandit. Le cercle rouge s’agrandit. Et le trou béant dans mon cœur brûle. Le cercle rouge s’agrandit. Les souvenirs surgissent, pourtant enfouis, enterrés. La panique me prend, mon père me pousse.
« Va voir ta mère », qu’il me disait. Alors, comme une enfant, j’y vais. La panique me prend, elle panse ma peau.
« Diana, arrête. Ça suffit maintenant. Je ne veux pas que tu t’en ailles aussi. Les mains de Dieu sont suffisamment pleines. »
Le lendemain, j’ai arrêté.
Le surlendemain, j’ai acheté ma première aiguille.
Cicatrice, catharsis.
trente-quatre ans.- Comme je t’ai dit, coup par coup, petit à petit. Comme un marteau burin sur un mur, mais sur ma peau.
- J’veux pas te faire mal, Dia.
- Betty, fais-moi mal putain, défonce ma peau et crée une putain d’œuvre d’art j’te dis.
- Bon, d’accord, d’accord. Heureusement que c’est la cuisse, tu pourras toujours cacher mon horreur.
- Si tu continues de te dénigrer, j’vais exploser ton crâne contre le sol. File-moi le spliff sur le bureau et le briquet steup.
- Toujours dans la violence toi. Tiens.
- Cimer. Hey, c’est toi qui m’y oblige connasse, si j’te menace pas tu continues de te dénigrer. Ross, ferme-la putain y’a personne. T’en veux ?
- Attend Dia, laisse-moi faire les grandes lignes et peut-être que j’fumerais aussi.
- P’tain, c’est fou c’que tu peux être consciencieuse des fois. T’es plus jeune que moi et t’es plus mature, j’me sens diminuée. Heureusement que je tatoue mieux que toi pour rétablir la balance, sinon j’serais pas dans la merde.
- Arrête, t’as bien plus de qualités que moi. Bouge pas, tu vas le regretter sinon.
- Ah ouais ? Et j’vais regretter quoi ? Si je lève ma jambe, il va se passer quoi ?
- PUTAIN DIANA ARRETE, JE VAIS RUINER TA JAMBE !
- T’sais très bien que je n’en ai rien à foutre. Plus forts les coups. Ross tu peux arrêter de gueuler ?
- Moi non. J’veux pas te défigurer. J’sens que je vais en payer le prix si j’me foire.
- Hahaha, tu m’as déjà vue à poil, tu sais très bien que j’suis pas la meilleure des toiles. Allez, un peu plus vite, j’peux compter le nombre de fois que tu plantes l’aiguille là !
- Faudrait savoir, comme un marteau burin ou un marteau piqueur ?
- J’sais pas moi-même. Moi j’me calque sur mon rythme intime, ça marche plutôt bien.
- Ca m’intéresse pas de connaître ton rythme intime.
- C’est pas ce que tu disais hier, ma petite.
- Ferme-la. Ne bouge plus ou je te tue.
- Ooouh, tu deviens autoritaire. C’est bien, c’est cet esprit que tu dois avoir. Te laisse pas faire. Sois forte comme ton aiguille. Je m’en fous que tu me fasses mal, concentre-toi juste sur la technique que tu veux adopter meuf.
- Arrête de te foutre de moi.
- J’me fous pas de toi. T’sais que j’ai eu ma mère au téléphone hier, elle est au bled là. Elle m’a demandé de tes nouvelles et pourquoi on n’emménageait pas avec nos keums. Tellement de malaise, c’est ouf.
- Hahaha, je l’aime bien moi madame Camara. Elle a du cran et on sait de qui tu tiens.
- Ta gueule, ne me compare pas elle. Elle mérite mieux comme comparaison.
- Dia…
- Ta gueule j’te dis. Non, pour les courbes place plus ton poignet comme ça, tu verras que ce sera plus sim- Ross, si tu ne la fermes pas tu n’auras pas de biscuits.
- Comme ça ?
- Ouais, comme quand tu mets tes mains sur mes côtes.
- Je vais te tuer.
- Fais-le, pour ce que j’en ai à foutre.
Et finalement, les cris, le cauchemar et les cadavres.
Je ne suis que de la chair à canon, espionnée par des enculés.
Connards d’Illuminati et leur putain de projet HAARP.