(FB) Im born with it, so am i Maybelline? || With Mésange

c'est un pèlerinage Gany, tu comprends ? - je peux toujours t'appeler Gany ? à force de fréquenter beaucoup de mort ces derniers temps je ne sais pas trop ce qui vit encore. comme les filles énamourées du premier petit ami aux mauvais penchants, je m'émois d'un rien et perd tous mes repères. à la moindre de ses exigences, je me plie. j'ai oublié comment dire non et c'est excitant, j'aimerais ne plus jamais avoir ce mot à la bouche. alors forcément, en calant la bécane et à peine le pied posé à terre, tu demandes et j'acquiesce, hoche la tête extatique.oui, c'est toi la princesse désormais.

comme je te le disais, c'est un pèlerinage que l'on fait. c'est presque solennel, l'aspect des lieux et le lourd silence qui y règne. les accès verrouillés, et l'obscurité derrière la vitrine, comme les entrailles sombres d'un temple. j'ai l'impression qu'on s'apprête à bafouer un lieu de culte, et qu'on portera longtemps le blasphème sur nos épaules. c'est un linceul dont j'ai hâte de me draper -
pas toi ? oui tu as raison, Gany, c'est un honneur.une risette florissante, sincèrement émue. et du coffre sous le siège j'extirpe un pied-de-biche. les battes de baseball, ce sont des armes de crâneur - elles sont désespérément fragiles dès qu'il est question de fracasser autre chose qu'une crâne, et encore, les os sont solides. enserré à la base des deux mains, le métal pèse lourd juste comme il faut. il n'y a rien de plus pratique.

et c'est un pèlerinage, il faut aller jusqu'au bout, alors ce qu'on n'a pas encore fait voler en éclat de la vie d'avant, on brise. impact de la tige sur la glace trempée, là où on a frappé le verre cède, forme un cercle de mosaïque. quand les vitres sont traitées c'est toujours comme ça, on l'a remarqué à force. plus fort encore, un deuxième coup, et puis trois,
font quatre lorsque la devanture se pulvérise finalement en un millier de petits fragments.

le cœur commence à battre au bord des lèvres - elles s'étirent d'un sourire - c'est bien, c'est l'échauffement. une fois que c'est ouvert, je te regarde alors.chacun son tour, les petits privilèges.

maintenant que tu le dis c'est vrai que j'oublie souvent que nous ne sommes pas fait de porcelaine délicate malgré toutes les précautions qui ont bercé l'enfance - ne cours pas, reste sage - comme si l'on pouvait casser si facilement. mais la peau est tendre et ce monde trop aiguisé désormais. quand tu enjambes la vitrine broyée et que les petits morceaux d'elle crissent sous tes pas, je me fige et observe le sol couvert de gravier de verre. passe le bout des doigts sur mon visage pour faire attention trop tard, voir si c'est bien intact. en frôlant la pommette, là juste sous l'œil, je sens que ça perle - éloigne ma main et c'est un peu rouge. sûrement un éclat qui a coupé, mais à peine. tu vois que je fais gaffe ! j'aurais pu finir aveugle, et ce n'est pas le cas.

alors j'entre à mon tour après avoir posé le pied-de-biche à l'entrée, comme un invité poli qui ne se rend pas armé chez les gens. ça fait longtemps qu'ils ne sont plus là - tu dis qu'on est sûrement les premiers clients depuis le déluge - et des bourgeons euphoriques fleurissent à même le cœur.

j'aime les premières fois. je voudrais que ma vie ne soit plus que faite de ça, et puis, quand j'aurai tout ressenti le plus fort et le plus terriblement possible, je pourrai mourir paisible. il n'y a rien de meilleur que se sentir très vivant - comme maintenant - et je sais qu'on ne s'amusera jamais autant en faisant les emplettes qu'aujourd'hui, parce qu'il n'y aura plus jamais de premier vol à l'étalage demain. ici, en tout cas. on pourra essayer ailleurs, même si ça aura déjà des saveurs fades.

à l'état-pur pour l'instant, on se délecte du goût des rires insouciants qui roulent sur le palais tandis qu'on pioche dans les rayons et remplit les sacs - à l'époque on s'embêtait déjà dans les magasins toi et moi, tout bas - on peut à voix haute et j'en profite. scande d'un bout à l'autre de la boutique. tu veux que je te prenne de la crème anti-ride, Gany ? oh ! il y a des cures contre la calvitie et du shampooing pour cheveux gris sinon ! parce que tu te targues souvent d'être né le premier à quelques minutes près alors c'est mérité, mais ne t'en fais pas je suis la liste que tu m'as donné et coche les bonnes cases. et ça va ! je choisirai la marque moi-même ! en vérité je m'en fiche un peu, je ne suis pas si frivole encore.

et puis l'on se rejoint coté pharmacie et je te regarde depuis le comptoir, avant de lever les yeux intrigué vers les grands casiers fermés à double-tour. pensif, de toutes les substances précieusement gardées et du goût qu'elles pourraient avoir. Gany, tu réalises ? tous les paradis artificiels qui sommeillent là, tout près. on n'a jamais trop touché à certains travers encore, et je n'oublierai pas les chewing-gums mais, parfois je redoute. qu'on se lasse et que l'extase cesse un jour. j'ai cessé de sourire et fixe, fixe, fixe les placards verrouillés. ... tu crois qu'on devrait... embarquer quelque chose de plus fort ? comme... je sais pas, des somnifères, ou des tranquillisants. pour le moment je parviens à fermer l'œil la nuit et à les rouvrir le matin, mais imagine. des trucs pour plus avoir mal, ou calmer les humeurs. si jamais on souffre trop ou qu'on devient fou, je ne sais pas

on vit aussi pour la première fois
et je ne veux rien d'autre que ça.

ok, ok, je t'attendrai pour planer. mais déjà la psyché volatile s'égare à peine l'accord donné et je te regarde attentif ouvrir une serrure après l'autre - elles se rompent dans un bruit métallique terrible - je songe à tous les rêves tapis dans ces casiers blancs. dedans il doit y avoir tellement de couleurs ! ils en choisissent toujours un tas, jamais les mêmes pour différencier les cachets. qu'on ne se trompe pas ! car il y en a pour tout et impatient je fabule. des humeurs paisibles comme on n'en a jamais connu, les muscles détendus, l'esprit serein, une gorgée d'eau pour faire passer et ce sera avaler du calme en comprimé. ou bien l'inverse ! je sais qu'il y en a qui aiguisent le cortex et intensifient son courant électrique - les synapses à deux milles à l'heure, car les miennes filent à une vitesse effrayante sans substances et je n'ai pas peur de plus rapide encore. et peut-être -
non - sûrement
qu'au cœur de tous ces médicaments se trouvent celui qui délivre des souffrances les plus infernales.

oh, je n'ai pas envie de mourir, ne t'en fais pas Gany ! plus maintenant, alors qu'on vit enfin pleinement. mais le dernier souffle, ce sera une première fois aussi - alors je pense que je le voudrais inoubliable, et surtout, qu'il ne fasse pas mal. dans l'armoire à pharmacie forcée on pioche, remplit les sacs et les poches, je prends tout, car je ne veux rien oublier. même tes anti-dépresseurs - tu ne veux pas j'y touche. un sourcil se hausse et je te toise une seconde. je m'en fiche que ce soit uniquement sur ordonnance - on déchire les prescriptions désormais ! - mais soit, uniquement parce que c'est toi. je suis pas déprimé t'façon. je crois. un peu sèchement pour qu'on ne s'attarde pas sur le sujet - on est vivant ! évidemment que je suis heureux.

la preuve, j'étouffe de nouveau un rire en t'écoutant. ouais, prend ça aussi, si jamais quelqu'un nous ennuie on aura de quoi lui faire regretter. et s'amuser un peu par la même occasion.

et tu penses à tout Gany - rappelle l'urgence de changement, le besoin de nuances folles après tant d'années passées terne. les teintures pour cheveux dans les parages, j'ai failli ne pas m'en souvenir mais toi tu rappelles systématiquement à l'ordre - désordre aujourd'hui. j'ai souri, comme à chaque fois que tu fais attention à moi car c'est attendrissant. ah- oui ! hors de question de partir sans- tu penses que je devrais prendre quelle couleur finalement ? rouge, rose, orange, j'hésite, je sais pas- il faut que ce soit voyant ! dans des tons passionnés.

pourtant j'aime l'ébène, les mèches actuelles, elles me plaisent parce que l'on a les mêmes - avant d'aller jeter un coup d'œil aux palettes, j'observe les tiennes ; les nôtres ! te dévisage et puis, passe les doigts dans les épis sombres, en chasse quelques uns de devant tes yeux, pensif. tu veux les garder comme ça, toi ? ça te va bien, tu le sais. c'est juste que moi aussi, je pense à toi, toujours. ... tu en as encore besoin ? ... de tes anti-dépresseurs. tu n'es pas heureux aussi, Gany ?