je n'ai trouvé de repos que dans l'indifférence // ocho

Il a la sensation d'avoir déjà fait cette erreur, une fois ;
comment ça s'est fini, déjà ?

Partir sans dire un mot, sans un au revoir pour personne, c'est d'une cruauté qu'il ne saisit pas vraiment car le temps, les jours, les semaines, tout ça lui a filé entre les doigts avant qu'il n'ait le temps de souffler.

Et juste comme ça, Ashton a disparu, pendant un mois.

L'on pouvait voir son ombre parfois, traverser rapidement la ville pour retourner dans son antre, ou s'affairer à la fête foraine sans un mot, puis partir aussi vite qu'il était venu. Un mois de distance et de silence, à laisser son talkie-walkie parler dans le vide, à ne pas savoir quoi répondre. Ne pas trouver les mots pour expliquer le changement en train de se produire en lui.
(et les questions intrusives au lever du jour ;
est-ce que je la rejoins ? est-ce que ça vaut le coup de continuer ?)

Un mois à essayer de ne pas s'étouffer de chagrin, de ne pas contempler le vide trop longtemps ; à voir sa silhouette amorcer des gestes jamais terminés.

Il la voit encore, là : sa silhouette qui entre dans l'hôpital, tandis que son corps reste planté devant les portes. Il va le faire, il le sait maintenant qu'il l'a vu. Ca fait quelques jours qu'il y pense, que ça le travaille, qu'il hésite à allumer sa radio pour lui glisser un mot ; le premier depuis des semaines.

Au fond, Ashton se conforte dans l'idée que, peut-être, il n'a pas remarqué son absence.
(ce serait une bonne chose, pas vrai ?
sa tête lui dit que oui, mais son cœur lui murmure non)

Enfin il prend son courage et s'engouffre dans le bâtiment ; à grandes enjambées, il rejoint l'accueil, là où il se tient toujours, et cette image lui réchauffe un peu les côtes. Il se plante devant lui dans toute sa hauteur, les mains toujours dans les poches et sa casquette noire enfoncée sur la tête.

Sa voix lui parait méconnaissable, comme s'il n'avait pas parlé depuis des années, trop rocailleuse lorsqu'il prononce enfin :

– Salut, Eight.

Il a la sensation d'une pomme d'Adam écartelée dans la gorge, sa bouche est mal meublée, ça fait si longtemps qu'il n'a pas dit son nom qu'il n'est même plus sûr de bien le prononcer ; mais son visage n'affiche que son calme habituel, frappé d'un peu de fatigue qu'il tente de cacher à l'ombre de sa casquette. Dans ses cernes toujours plus grandes, on devine ses nuits sans sommeils à s'occuper les mains et la tête, à combattre l'ennui des insomnies.
(pour ne pas penser à elle
ni à son absence permanente)

D'un air trop détendu, il croise les bras sur le comptoir, tapote avec ses doigts abimés de coupures, se penche un peu pour observer son ami, le détailler quelques secondes en quête d'indices sur son état ; sans jamais parvenir à le regarder dans les yeux.

Et comme il ne sait pas tirer de conclusions de ce qu'il voit, qu'il n'a aucune idée de comment l'approcher, il lance avec simplicité :

– Quoi de neuf ?

C'est écœurant de maladresse ; Ashton n'a jamais su prendre soin de ceux qu'il aime.

Il y a comme
un fossé creusé entre eux.

Et c'est Ashton qui a coupé les cordes du pont qui leur permettait de se rejoindre, d'un coup de machette le premier janvier, il a tranché les attaches et tourné le dos à la crevasse et à Eight sur l'autre rive.
Aujourd'hui, il s'étonne de ne plus réussir à le rejoindre de l'autre côté. C'est comme repartir à zéro, il faut tout reconstruire à commencer par les fondations. Comme il a été idiot de penser qu'il pourrait revenir normalement après ça...
(mais c'était inévitable, n'est-ce pas ?
tu détruis tout Ashton, c'est plus fort que toi)

Il ne se laisse pas démonter par la distance pourtant ; c'est qu'il y est trop habitué à force de l'imposer aux autres. D'un œil confus, il observe son ami s'affairer à chercher les médicaments, et se précipite de répondre pour dissiper le malentendu :

– Nan, j'en ai pas besoin.

Car les anti-douleurs
n'arriveront pas à soulager cette blessure là tu sais.
(la plaie ouverte
causée par son absence)

Il est embêté de devoir exposer ses intentions Ashton, il triture ses doigts rouges et abîmés ; il en a coincé un dans une porte l'autre fois, et il avait songé à venir chercher quelque chose, mais non, montrer son visage était encore trop dur. Alors, tant pis, il avait  mis du scotch dessus, de l'eau froide, et puis, il avait continué ses affaires et s'était blessé encore d'autres fois.
(peut-être un peu
volontairement parfois ;
combattre le feu par le feu)

Il n'en veut plus de ces pilules, même les placebos ne fonctionnent plus sur son esprit anesthésié. Alors, avec difficulté, il relève les yeux vers Eight sans jamais croiser les siens ; il fixe son t-shirt, son menton, ses cheveux,
(il aimerait bien regarder
le grain de beauté sous son oeil)
et enfin, il avoue :

– J'ai entendu des trucs, alors je suis venu voir comment t'allais.

Voir, oui, mais le choix de mot est étrange car Ashton ne voit rien, il ne sait pas regarder ; dans le sourire de Eight, il ne lit aucune douceur pourtant, aucune sympathie, tout juste de la politesse, il n'en sait trop rien. Il n'a jamais su les décrypter.

Et il a la nette impression que sans question précise, il n'aura pas de réponse claire ; alors il prend quelques secondes pour inspirer, démêler les mots dans sa bouche, et enfin poser la question qui tourne en boucle dans sa tête depuis un mois :

– Comment tu vas ?

Il y a quelque chose de tellement familier qui vient le réchauffer, le parcourir d'un frisson atroce qui lui retourne la peau et les entrailles ; ce n'est plus tant la voix que le ton employé, qu'il croyait avoir oublié. Et juste comme ça, il est rassuré ; c'est puéril, et peut-être un peu cruel mais il trouve du réconfort dans l'agacement de Eight, et son sarcasme naturel.  

C'est un peu idiot, qu'il songe. Alors les bras croisés sur le comptoir, il se penche pour y réfugier la moitié de son visage en écoutant son ami terminer de se plaindre. Il oublie ses craintes l'espace d'un instant, contemple l'ironie débordante avec une certaine réserve. Il n'est jamais trop sûr avec Eight, il a toujours eu du mal à discerner ses dérisions joueuses de la vraie amertume.

Dans le doute, il laisse planer un silence l'espace d'un instant, rassemble ses idées.

– Qu'est-ce tu racontes... qu'il marmonne finalement.

C'est dit d'une voix éteinte, dépourvue d'aigreur ; simplement profondément fatiguée, d'un air de vouloir dire "j'ai pas signé pour ça, moi". D'un ton très calme, un peu raque, il poursuit :

– J'suis littéralement la personne la mieux informée sur ton cas, ça fait longtemps que j'ai fini mon enquête sur les bugs de la matrice. J'ai pas attendu les Greens pour ça.

Il n'a jamais caché ses questions, ni ses théories sur ces portes qui mènent au mauvais étage, à la mauvaise salle ; il n'a jamais hésité à lui exposer son hypothèse sur la simulation géante, et le hacking, et les bugs, et les aliens, quand bien même ça pouvait sonner farfelu. Il n'a pas fallut longtemps pour qu'il réalise que ces événements n'arrivait que quand il était avec Eight, quand bien même il ne lui a jamais vraiment ouvertement avoué. Aujourd'hui, il sait, juste comme ça.
(Il avait les yeux sur lui
avant tous les autres)

S'il trouve ça ridicule de devoir se justifier pour si peu, il n'en montre rien, ne se vexe pas. Imperturbable MacGyver que rien n'ébranle ;
(qui n'a passé qu'un mois
à s'étriper de remords)

– Vraiment, j'voulais juste savoir comment tu vas toi. Mais bon, content de voir que y'a des choses qui changent pas, t'es toujours aussi aimable.

Il a un soufflement de nez et, dégageant un peu son visage de ses bras,
l'ombre d'un sourire qui se dessine au bord des lèvres.
De la tendresse au coin des yeux.

Un peu heureux, au fond,
d'avoir retrouvé Eight.

Dans l'animosité de Eight, Mac ne se formalise pas des reproches implicites, du mordant de ses phrases ou de son langage un peu fulminant ; principalement car il ne saisit pas encore très bien. Et, accessoirement, car il ne retient qu'une chose au milieu de tout ça.

– Tu penses que je suis le meilleur enquêteur de la ville ? il demande d'un ton très sérieux, un peu flatté.

Il a son premier sourire depuis des semaines, il semblerait. C'est léger, presque une ombre sur son visage, à peine perceptible ; mais Mac le sent, dans l'étirement léger de ses joues, il les sentirait presque craquer sous l'effort.

Partir, après tout ce chemin long d'un mois ? Il n'est pas prêt de céder, pas encore. Il veut savourer, quelques minutes ; oublier la douleur qu'il traîne dans son sillage et rend chaque pas un peu plus lourd. Là, il se sent un peu plus léger, et même si ça ne doit durer que quelques secondes à encaisser la distance entre lui et Eight, il ne veut pas laisser passer ce moment.
(il ne sait pas combien de temps
il peut encore le faire durer)

Alors quand la perche est tendue, il la saisit vite avec le désespoir d'un noyé.

– Bon, puisque c'est ça que tu veux...

Le sac à dos posé à ses pieds, il sort son célèbre carnet dans des gestes lents et calculé, l'ouvre paisiblement devant lui et se penche par-dessus le comptoir pour voler un stylo. Pendant quelques secondes, il fait mine de prendre quelques notes (mais ne dessine en réalité qu'un bonhomme bâton). Enfin, il extirpe son téléphone éteint de sa poche, et le porte au niveau de ses lèvres.

Le visage fermé et très sérieux, il lève finalement son visage vers son ami.

– Monsieur Eight, il débute d'un ton très solennel, tenant son téléphone comme un micro. Vos fans brûlent d'envie de savoir.

Pendant quelques secondes, il laisse planer un suspense qui dure trop longtemps, mais c'est juste ce qu'il lui faut pour rassembler un peu de courage, et
(regarder son grain de beauté,
juste sous son œil)

– Quel est votre plat préféré ? Votre couleur préférée ?

Et tend finalement le bras pour lui mettre le faux micro sous le nez
(avec un sourire joueur
et toujours tellement tendre)

Il redoute le moment ou il traversera les portes pour rejoindre la réalité froide et abominable ; le vide glacial de sa maison et le silence fracassant, la solitude dans sa forme la plus pure, étourdissante. Il croyait pouvoir s'y conforter, il croyait ne connaître que ça, n'avoir que ça pour lui mais,
il y a un cocon de chaleur qui s'est formé au creux de sa main et l'a fait frémir quelques secondes, rien à voir avec la brasier habituel qu'on lui inflige au moindre contact.
(non, ici, il jurerait
que ses doigts en redemandent)

Et quand Eight sourit enfin
il y a un bruit de choc, un peu soudain ;

c'est son cœur qui trébuche un peu brusquement dans sa poitrine, il lui faut un moment pour se relever, reprendre un rythme normal comme s'il devait tout réapprendre ; réapprendre à battre normalement, après des semaines à vivre au ralenti, à se laisser crever dans un coin de la maison parfois, à ne se lever que parce  qu'E.T.  avait besoin de lui.
(ça lui parait encore être le seul ;
il ne sait pas vraiment ou il serait sans ça)
((n'y pense pas))

– Non et toi ? qu'il répond simplement d'une voix un peu moins morte.

Il y a quelque chose d'inexplicable dans la manière dont cette journée se profile, un phénomène étrange ; revoir Eight semble avoir relancé la machine, mis de l'huile dans les joints, insufflé les restes de vie manquant à son corps pour qu'il se redresse, et ça n'effacera pas les marques de souffrance dans le creux de ses joues, ni au fond de ses yeux, ni sur sa peau brûlée,
mais
c'est peut-être un début.
Le début de quelque chose.

Alors le jeu reprend, il ne faut pas s'arrêter en si bon chemin ; innocemment, il vient griffonner "jaune" et "barre de céréales" sur sa page, comme un vrai journaliste, ou du moins l'image qu'il s'en fait. Et bien sûr qu'il détenait déjà ces infos, pour qui il le prend ; Ashton ne trouve jamais Eight plus lumineux que lorsqu'il s'habille de jaune, il irradie.

– Je la connaissais, mais c'est un interview, je me dois de quand même demander. Questions suivantes : plutôt sucré ou salé ? Chien ou chat ? Une saison préférée ? La plus grande qualité de MacGyver ?

À nouveau, il tend le micro, ne s'arrête pas devant un rejet (et ses doigts picotent, capricieux et affamés). De sa main libre, il est prêt à noter chaque réponse, et il dessine un deuxième bonhomme bâton, avec un bonnet cette fois-ci.

Au bout d'un moment, il décide de continuer son manège, encore rien qu'un peu, le temps de tourner son carnet et de lui mettre sous le nez en lui tendant son stylo.

– Dites... vous me signez un autographe monsieur Eight ? J'suis votre plus grand fan.

Il sourit avec calme et légèreté, mais ne plaisante plus vraiment ; quand il relève la tête, il a enfin plongé ses yeux dans les siens, la respiration coupée.

Accoudé sur le comptoir un peu penché pour bien voir, il tente de camoufler son visage dans sa main, et le sourire qui s'étire et s'étale un peu sur ses joues et le rebord de ses yeux. Ca ne sert plus à rien d'essayer de le cacher, ça a commencé à déborder par tous les côtés quand Eight s'est enfin prêté au jeu, qu'il a pris le stylo et commencé à signer. Il a vite compris, Mac, quand il a vu le cône se former ; et il a levé les yeux au ciel d'un air trop amusé pour que ça ait l'air crédible.

Quand il récupère enfin son carnet, il le contemple quelques secondes avec l'attention d'un critique d'art face à une toile de renom. Il a un soufflement de nez bref, son sourire ne veut plus le quitter.

– Et c'est moi que tu traites de loser... Merci monsieur Eight, je ferai en sorte de pas l'accrocher dans ma chambre.

L'insulte n'en est plus vraiment une à ce stade pour Mac, c'est une simple formalité, un semblant de surnom qu'il a fini par accepter et qui, aujourd'hui,
le réconforterait presque.
(certains choses ne changent
vraiment pas)

Et il pose le carnet un instant, car le jeu ne lui parait plus si important maintenant qu'il a eu ses réponses, avec un autographe et un sourire en prime. Il recroise les bras et pose son menton dessus, comme si la fatigue couplée à la bonne humeur commençait à rendre sa tête trop lourde à porter ;
(c'est peut-être un peu le cas)

Et ça pique naturellement sa curiosité à Mac, la vraie de vraie, pas celle du faux journaliste. De là haut, il détaille brièvement Eight maintenant qu'il n'a plus peur, maintenant qu'il se sent bien, tente d'ignorer la chaleur qui monte dans ses entrailles (ses mains brûlantes, ses côtes incendiées, il en oublierait presque qu'ils sont encore en Janvier) et demande d'une voix un peu plus endormie :

– Je savais pas que t'avais un chat. Il s'appelait comment ? 

Ce sont les petits détails comme ça qu'il recherche, ces infos qu'on ne connaitra jamais si on ne prend pas le temps de s'installer, de se regarder dans les yeux et de se poser les bonnes questions. Il ne demande que ça Mac, là, maintenant ; de trouver les bonnes questions, pour tout savoir de Eight, le connaitre comme il ne l'a jamais connu.
(mais il est un peu trop lâche, il semblerait,
il a préféré disparaitre, pour oublier et qu'on l'oublie aussi)

La discussion fait dériver son esprit sur autre chose, et il récupère son téléphone pour l'allumer enfin.

– Faut que je te montre des photos d'E.T. Il a un peu grandi, mais il est toujours aussi peureux et collé à moi.

Et je sais pas où je serais sans lui. Il repense aux nuits passées à rester dans le noir sans jamais trouver le sommeil, à ne trouver comme unique source de chaleur que le petit corps de l'animal allongé sur lui, à ne rien faire d'autre que passer ses doigts dans son poil pendant des heures, à se demander de quoi le lendemain serait fait, et si la lumière du jour serait moins fade.

À se demander combien de lendemains il resterait.

On tente de ravaler la boule gonflant dans la gorge comme une tumeur, et le chagrin envahissant chaque pore de sa peau lorsque sur son écran, l'album "Maddie" s'affiche brièvement dans sa galerie. Il appuie vite sur celui d'E.T., tente de ne pas y penser trop fort, ou au moins pas aujourd'hui. Pas maintenant.

Et juste comme ça, la visage un peu plus fermé, un peu moins vivant (mais ça n'est que Mac, il est toujours comme ça pas vrai ?), il tend son téléphone pour le mettre dans les mains de son ami, affichant les nombreuses photos du chien face aux mêmes paysages ; la mer, la plage, la forêt. Parfois, une photo dans un hamac, sur le canapé, allongé sur le parquet, ou debout en train de regarder par la fenêtre. Il y a une vidéo aussi, du chiot qui couine et court d'un pas terrifié lorsqu'une vague s'approche de lui, se réfugiant dans les jambes de son maître dont la main réconfortante apparait à l'écran pour le caresser.

Mais aucun selfie. Il n'en a pas pris, en janvier.

– Je l'ai laissé tout seul pour aujourd'hui, pour qu'il s'habitue à être un peu sans moi, mais j'ai peur de l'état dans laquelle je vais retrouver la maison...  

Il a le regard un peu vague, un peu figé lorsqu'il réalise que c'est la première fois qu'il mentionne la maison.

Quelque chose à changé, il ne sait pas trop quoi. Il n'a plus vraiment le cœur à rire Mac, ni à sourire, ni à relever les yeux vers Eight ; ça y est, il a sifflé tout son carburant pour la journée. Qu'est-ce qu'il croyait, après un mois d'isolement ? Il faut remettre la machine en marche sans trop forcer, sans trop la brusquer ; c'est un grand pas qu'il a fait aujourd'hui, sortir de sa léthargie pour marcher et voir un autre visage que le sien.

Songer à vivre, plutôt que survivre. Même pour une petite heure, c'est un grand pas.

Mais il s'essouffle maintenant, son cœur courbaturé a du mal à suivre la course. Il ne sait pas si ça aurait été différent, s'il avait vu quelqu'un d'autre. Il préfère ne pas y penser.

Il ne capte pas le malaise de son ami, car au fond, Mac a toujours été profondément égoïste ; il ne voit que sa douleur, ne panse que ses propre plaies, incapable de concevoir celles autres, même  de ceux qu'il aime. Aussi rejette-t-il l'ambiance soudainement lugubre et alourdie sur lui même ; tu détruis tout, Ash.

Il tente de s'occuper l'esprit avec autre chose ; il aurait aimé un sujet de conversation différent. C'est de sa faute, c'est lui qui a parlé de la maison en premier.

– Ah, euh, ouais... Elle est genre... En face de la mer. Enfin, c'est compliqué de la trouver. J'avais besoin d'une maison pour... Enfin... C'était plus pratique, pour E.T. il ment enfin.

Plus pratique pour E.T., plus pratique pour trouver un semblant de chaleur, tout mais plus le bitume froid ; plus pratique pour s'occuper les mains et l'esprit, car à quoi ça sert de parcourir la ville aujourd'hui, à quoi ça sert de sauter de toit en toit alors qu'il n'a plus rien à chercher.

(à pars un cadavre,
mais c'est au-delà de ses forces)

Mal à l'aise, il triture les pansements improvisés sur sa peau, décolle et recolle les bouts de scotch. Malgré lui, il instaure une nouvelle distance, le visage fermé, réduit ses efforts de la journée à néant. Il sent la situation qui lui échappe petit à petit entre les doigts, alors il tente avec désespoir :

– Mais, si jamais, enfin... Si tu voulais... J'veux dire...

Oui, tiens, qu'est-ce qu'il veut dire ? Qu'est-ce qu'il bafouille ?

Tu pourrais venir visiter, si tu veux.

Ca sonne ridiculement faux, il n'est juste pas capable de sortir ça, pas maintenant, là tout de suite. Il y a encore tellement à faire, et il ne sait pas encore s'il est capable d'imaginer quelqu'un d'autre entre ces murs qui l'ont vu crever de chagrins pendant des nuits, et des nuits, et des nuits.

C'est trop tôt.

– Laisse tomber, t'as raison, il capitule enfin, en rangeant ses affaires, et remettant son sac à dos correctement sur ses épaules. Je devrais y aller.

Ce n'est pas médisant, pas virulent, loin de là ; il est calme Mac, malgré son estomac retourné par la douleur et l'angoisse, son cœur essoufflé par l'effort, sa tête embrouillée d'idées noires qui se chevauchent. Il voudrait rester encore un peu, mais là, il ne peut plus. Et il n'est pas sûr qu'Eight le veuille non plus.

Ce n'est pas un adieu. Pas un au revoir de deux, trois, quatre mois.

– Mais je repasse bientôt, j'te promets, il ne sait pas pourquoi il s'efforce à dire ça avec autant d'ardeur. Pas demain, j'dois passer déposer des trucs à la fête foraine, donc... Après-demain, je reviens te voir. J'amène même une surprise.

Ce n'est pas grand chose, mais c'est un début.
Cette fois, il a promis, les yeux dans les yeux ;
même si ça lui fait mal et lui coupe le souffle.