[Groupe 5] C'est pas Jojo

Lucjusz était de mauvaise humeur. C'était devenu une occurence trop régulière à son goût. Les derniers mois avaient été décisifs pour Spiza, ils avaient achevé de former un nouveau quelque chose en lui ; un quelque chose qui fatiguait des règles, de la politesse apparente que tout le monde attendait de lui mais que personne ne semblait vouloir appliquer envers lui. Pour la première fois, il répugna quelque chose chez les Autres. L'habituelle unilatéralité de ses interactions l'avait fatigué et, pour une fois, il songeait qu'il n'avait plus à donner quoi que ce soit aux autres qu'on ne le lui aurait pas donné. Au diable les attentes des autres, eux-mêmes n'y répondait pas.
C'était, néanmoins, plus facile à dire qu'à faire, et à l'instant où Spiza entendit les paroles de Bones, il se demanda où est-ce qu'on l'attendait. Qu'est-ce qu'on aimerait qu'il fasse à ce moment-là ? Le néant qui suivit ces questions ne lui apporta aucune réponse. L'idée qu'il dut prendre position l'effleura un instant mais le souvenir de Silverfish lui revint en mémoire et il se refusa à prendre une décision ; si c'était pour être aussi abruti que le colosse, il préférait encore ne pas avoir d'avis.

Aussi, l'explorateur des greens décida de s'éloigner physiquement du problème. Il les laissait se battre, avec des mots ou des poings, en ville. L'éloignement provoqua une sorte de soulagement en lui — c'était plutôt agréable, l'impression de ne pas faire partie d'un tout duquel il se sentait constamment étranger. Cependant, le vent et la poussière ne l'accueillèrent pas avec le même enthousiasme et il glissa son sac à dos contre son torse pour l'ouvrir et en sortir un carré de tissu qu'il entreprit d'attacher autour du bas de son visage. Occupé à nouer le tissu — la tâche était plus ardue qu'il n'y paraissait — il ne remarqua pas la jeune fille qui s'approcha de lui et lui rentra dedans de plein fouet. La seule fois où il aspirait à une solitude temporaire se solda par des mots violents qui cognèrent contre ses tempes. La fille brune, qu'il ne connaissait pas, venait de tomber au sol tandis que lui avait reculé de quelques pas suite à l'impact. Il s'entendit dire :
— Tu pouvais faire attention aussi. Mais sa voix faible, écrasée par la bourrasque, ne sonna pas aussi convaincante qu'il l'avait espéré. Optimiste, il compta comme une victoire sa propre absence de réaction face à la chute de la fille, l'orgeuil et l'égo gonflé à bloc : il n'aiderait pas quelqu'un qui lui parlait de cette façon. L'espoir qu'elle regretta ses mots et se sentit idiote ne dura pas longtemps, bien vite remplacée par cette habituelle impression d'inexistence qui l'habitait — il n'y avait aucune chance que ses mots ou l'absence d'un geste généreux lui donne cet air confiant qu'il enviait aux indépendants.

résumé:

Spiza s'était éloigné de la ville avec l'espoir d'échapper aux conflits et d'en apprendre plus sans être au coeur des tensions. Ce mouvement l'avait pourtant jeté en pleine gueule d'un loup affamé de conflits et il se retrouvait à ne pas savoir quoi faire. Tout d'abord, Bobtail était arrivé, officier fier de son parti, qui tentait d'apaiser les dissenssions et la panique grandissante. Spiza le trouva plutôt impressionnant, presque charismatique, et il se fit la remarque qu'il méritait tout autant que les autres d'être respecté en tant que policier — il savait, néanmoins, que c'était loin d'être le cas au sein des Greens.
Puis, une autre voix s'éleva dans les airs. C'était une personne qui avait tout l'air d'un pirate, à en juger par son apparence bien que difficile à voir à travers la poussière et son appel à l'anarchisme (pour peu qu'on puisse parler d'anarchie dans un lieu où les autorités étaient multiples et se faisaient face dans une friction électrique). Le discours du probable pirate toucha quelque chose en Spiza. S'il n'avait pas pensé écouter Bobtail et rentrer chez lui — avait-il un chez lui ? —, les mots du blond ancrèrent ses pieds dans le sol. Le mot « liberté » s'insinua dans ses oreilles, dans ses veines et réveilla une envie profondément enfouie dans son esprit : celle de se sentir libre et de ne plus avoir à dépendre de qui que ce soit. Alors, il leva le poing en l'air timidement, comme s'il avait peur que son geste attire l'attention sur lui, le feu de la révolte dans le regard. Puis, ce fut la femme qui l'avait bousculé qui éleva la voix. Son discours parut moins convaincant. En réalité, même elle ne paraissait pas convaincue. Son visage était traversée d'une espèce d'irritation qui contrastait avec ses paroles positives. Spiza manqua de lever son autre poing, pour la supporter dans son discours, mais le garda finalement fermé contre son corps. Peut-être que Silverfish avait raison ; peut-être qu'il fallait prendre parti. Il prenait parti pour lui-même.

Mais ses pensées furent dérangées par une sensation déroutante. L'heure n'était plus à la politique ; quelque chose ne tournait pas rond. S'il n'avait jamais marché dans du sable mouvant, il pensa que la sensation d'enfoncement devait être la même. Un cri, qui ressemblait plus à celui d'un écureuil qu'on égorgait qu'à celui d'un humain, passa la barrière de ses lèvres alors qu'il s'agrippa à un tas de gravats constitué de grands morceaux de ce qui semblaient être des murs, comme l'agrippait la peur de se faire avaler par le sol.
— Le sol est bizarre, non ? s'étranga-t-il, bien qu'il ne parlait à personne en particulier.

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L'envie de partir en courant était plus forte que tout, mais ses jambes ne semblaient pas répondre et il ne parvenait pas à savoir s'il s'enfonçait trop dans le sol, ou si c'est la peur qui absorbait toute tentative de bouger. La voix de Bobtail lui parvint néanmoins, et il savait que ce n'étaient pas des mots que Bobtail aurait pu dire dans son état normal. Bien loin de se douter de la vérité, il se demanda si des substances illicites ne tournaient pas dans Arcadia Bay. La réaction de celui qui semblait être un pirate pour Spiza le conforta dans son idée qu'il n'avait pas succombé à la folie ; il aurait pu opiner du chef s'il n'avait pas été trop paniqué à l'idée de s'enfoncer dans le sol.

Mais Bobtail avait visiblement gardé un peu de sa sanité et entreprit d'aider Spiza. Le polonais, dont les doigts avaient été fait prisonniers par la main du policier et il resserra leur étreinte autant que possible, bien que ses yeux s'écarquillèrent suite aux mots de son camarade. Même l'habituelle tolérance de Spiza ne pouvait expliquer des paroles aussi méchantes et contradictoires, surtout venant de la part de Bobtail. Leurs mains ne se lâchèrent pourtant pas, et les pieds du polonais se libérèrent du sol, lui laissant prendre un appui plus solide sur le sol. C'était une bonne nouvelle puisque Bobtail s'enfonçait à son tour.
— T'inquiètes pas, je te lâ- hein ? Les propos confiants de Spiza s'étaient transformés en un silence paniqué. S'il avait voulu resserrer sa prise sur la main de Bobtail pour tenter de le tirer du sol à son tour, ses doigts cherchaient à présent à détacher les doigts de Bobtail de sa main. Non, non c'est pas ce que je veux faire ! Pourquoi je fais ça ? la voix à nouveau étranglée par la panique, il tenta autre chose en plantant fermement ses pieds dans le sol pour tirer Bobtail hors du sol aussi rapidement que possible. Au lieu d'étirer son corps dans le sens opposé pour attirer Bobtail à lui, Spiza acheva le contraire en se projetant contre le policier, le bousculant au passage.
« Pardon, pardon Bobtail, je t'assure c'est pas ce que je voulais faire, je voulais te tirer hors du sol ! Sa voix s'éleva dans les aiguës. Son instinct le poussait à regarder autour de lui mais son regard ne bougea pas, sa tête resta fixée, les pupilles rivées sur le visage du policier. Il ne remarqua même pas que l'expression de son visage qui se voulait un sourire rassurant et amical se transforma en un rictus machiavélique.

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Tout s'écroulait. Les oreilles de Spiza bourdonnaient. Lui qui s'était éloigné de la ville dans l'espoir d'éviter toute sorte de conflits avait fini par s'enliser dans son inutilité. Pire encore, il avait fâché son ami. Leur courte histoire d'amitié n'avait jamais été tâchée, et savoir Bobtail le maudire, les sourcils si froncés, le visage défiguré par la colère brisa le coeur de Lucjusz. Son corps, tendu, pressé comme une éponge que l'on essorre par la panique lui parut soudainement étranger à lui-même. Ses membres se mouvaient sans son autorisation et il attrapa Bobtail par le col pour le tirer vers lui. Un sanglot le secoua alors que, dans la périphérie de sa vision, il observa les deux autres personnes s'enfoncer dans le sol.
— Bouge ! Dans les sables mouvants, on dit qu'il faut bouger... Oui. Oui, c'est ce que je voulais di- Non. Oh...? Non. Non, bouge pas. Bouge pas. Ses paroles inintelligibles paraissaient être celui d'une personne qui avait totalement perdu contact avec la réalité ; mais il venait en réalité de comprendre quelque chose. La force du savoir le galvanisa, bien que son visage, trempé de larmes, lui donnait l'air du contraire.
— Tu vas finir comme.. non, tu vas pas finir comme eux. Mais l'assurance de ses paroles n'étaient soutenues que par l'instabilité de son incertitude. Désespérés, ses doigts s'étaient refermés sur le poignet de Bobtail. Le regard frénétique, il entreprit de retirer ses chaussures pour se servir de celles-ci comme d'un support et tenter de poser le pied sur le tas de gravats auquel il s'était accroché plus tôt. Le sol n'était probablement pas le réel problème ; il était passé ici des tas de fois lors de ses explorations et jamais il n'avait eu l'impression de s'enfoncer, aussi l'idée de marcher sur les gravats n'était pas l'idée la plus brillante qu'il puisse avoir, mais c'était la seule qu'il avait trouvé. À genoux sur les gravats, dans une position plus qu'instable, il lança un nouveau regard à son ami, n'osant pas parler de peur de perdre à nouveau le contrôle de ses mots.

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Il tomba. Cette chute n'avait rien à voir avec celles dont il avait l'habitude durant ses explorations; glissantes, un peu effrayantes, mais on s'en remettait vite. Celle-ci l'avait paralysé, avait écrasé ses mots et il n'avait pas même réussi à élevé sa voix dans une exclamation de surprise. C'était une main, il en était certain, qui était venu le chercher, l'avait attiré avec elle dans les profondeurs de la terre. L'idée de peut-être rejoindre les autres n'était pourtant pas si mauvaise ; l'espace d'un moment il avait eu la plus grande impression de solitude de sa vie, une fois que Bobtail avait disparu dans le sol.

Atterrissage.

Spiza mit quelques secondes à ouvrir les yeux, la main sur sa cheville. Si la chute n'avait pas été si haute, la position dans laquelle il avait atterrit fut tout sauf agréable. Néanmoins, la douleur était moindre, et il ne la sentit qu'à peine. Tous ses sens, ses pensées étaient tournés vers le lieu dans lequel ils étaient alors qu'il toussa pour dégager un peu de sable qui lui était rentré dans la gorge — le goût était mauvais, cette journée aussi avait mauvais goût.
La bonne nouvelle était que personne n'avait succombé (son regard se posa sur chacun de ses camarades, comme pour s'assurer qu'ils étaient bien là), la mauvaise nouvelle était qu'il n'avait aucune idée du lieu, et à en juger par l'expression de Jupiter, il n'était pas le seul. Alors, lentement, ses pieds s'ancrèrent dans le sol et il se leva. Son portable était resté chez lui, c'était une source de lumière en moins qui aurait pourtant été la bienvenue ici.
Aucun mot ne passa la barrière de ses lèvres, il se contenta d'observer, d'absorber la réalité qui était la leur à présent.

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