On rêve bien de ce dont on est privé. Elle le voyait bien Light, à ton regard perdu, lorsqu’il n’était pas plongé dans le viseur de ton appareil, que tu étais ici sans toutefois être là. Tu t’imaginais avec eux, n’est-ce pas ? Elle le savait et pas seulement parce qu’elle avait mis le nez dans ton cahier. Elle le savait car Light était ton opposé. Si la mélancolie est le lot de ceux qui vivent dans le passée - et tu semblais bien en être prisonnier - l’anxiété est le lot de ceux qui vivent dans le futur. Et dans l’attente toujours de ses parents, elle craignait pour eux le pire. Un crash d’avion était souvent ce qui lui venait en tête de ses quelques tendances de « drama queen », mais le pire, Léon, était l’abandon. Tu l’as déjà senti, toi aussi, n’est-pas ? Car le scénario tant redouté et qu’on n’ose s’avouer n’est-il pas celui d’imaginer la vie continuer sans nous en dehors de cette cage qui semble faite d’éternité ?

Tu lui avais bien confirmé ce qu’elle avait pu observer de ces oiseaux. Ils ne se posaient jamais. Cela semblait impossible. Peut-être n’étiez vous jamais présent lorsque cela se produisait. Et pour Light, ce n'était pas faute d’avoir essayé! Disons qu'elle avait vite perdu patience et décidée de placer son attention ailleurs. Sur les baleines par exemple. Mais de ces oiseaux qui volaient sans interruption, sans cesse, n’y avait-il pas là plutôt une erreur dans la matrice ?

De ta seconde énoncé cependant, l’esprit de Light avait fait un trait sur cette affirmation qui supposait cette prison invisible dans laquelle vous vous trouviez. Elle s’était retournée vers toi et sceptique, avait froncé les sourcils, comme si tu avais dis là une absurdité. Comme si tu étais celui à nier la réalité. Elle avait haussé les épaules, comme pour faire fît de l’explication saugrenue qui tu lui avais servi. Elle le comprit plutôt tel une façon pour toi de dire qu’il se trouvait un manque de volonté de la part de chacun pour sortir d’ici. Probablement en raison de toutes ces choses étranges qui s' étaient produites à Acardia Bay et qui avaient aussi changé irréversiblement certains d’entre vous. Et d’expérience, Light savait pertinemment que ces gens-là payaient le prix fort de leur différence. Light était bien placé pour le savoir.

ーBien alors, je vais te dire moi ce que je pense. » Elle s’était retournée sur le côté pour te faire face et te regardait bien droit dans les yeux, avec un petit air d’institutrice. Elle semblait un peu trop joyeuse de te partager son opinion sur la chose. « Ma théorie, c’est qu’ils craignent. Il craignent de ne pas se faire accepter par les autres oiseaux s’ils traversent… ce point là. » elle avait de nouveau accompagné ses propos d’un doigt pointant le ciel. « Eux aussi ils ont changé tu sais. Ils ne sont plus les mêmes qu’avant. Peut-être que leur espèce ne les reconnaîtrait même pas de l’autre côté et les rejetterait même violemment…

Light sentait que tu étais comme elle. Un peu a part, un peu fait d’étrange. Un goéland qui volait là s’était posé sans que vous ne l’ayez remarqué sur l’un des rochers du côté de Light. Il t’observait d’un œil attentif. Aussi bruyant que pouvait être son espèce, celui-là ne laissait échapper aucun cri de son bec. Il avait simplement étiré ses ailes, comme si cherchant à se faire menaçant, il t’envoyait là un avertissement. Light ne semblait pas s’en soucier, ou peut-être l’ignorait-elle foncièrement.

ーTu crois vraiment toi ? Tu penses que ça changerait quelque chose, de savoir pourquoi ?

Voilà que ce que tu lui disais était bien humain. L’homme cherche bien sa vie durant à trouver un sens, une explication à sa propre existence. Malheureusement pour lui, son destin ne semble jamais orienté vers ce but. Light ne rejetait pas l’évolution dont certains étaient touchés dans la ville, dont elle était touchée elle-même. Mais d’en savoir la raison était le dernier de ses soucis. Elle, ce qu’elle voulait, c’était revoir ses parents. Revoir son père. Et si cela impliquait le retrouver sous l’aspect d’un lion, elle ne serait pas celle à gaspiller le temps de leurs retrouvailles en tentant vainement d'y trouver un sens. Car l’instant d’après, le voilà qu’il disparaîtrait de nouveau.

La mouette avait secoué son plumage, puis pris son envol sans prévenir, sans un cri. Quant à Light, elle avait relevé la fermeture éclair de la veste en cuir de son père qui, bien que pesait lourdement sur ses épaules, ne la quittait jamais, été comme hiver. Le vent fouettait son visage, mais elle n’était pas du genre à se plaindre. Si tu pouvais encaisser, elle le ferait tout autant. La seule chose réellement capable de la faire décamper était la déclinaison de la lumière du jour. En cela, Light pouvait se faire une idée de l’heure de la journée en se fiant à la position du soleil. Elle savait donc que dans moins de deux heures, elle devrait te fausser compagnie si elle comptait rentrer à Blackwell avant la tombée de la nuit. De plus, elle savait qu'il lui fallait impérativement retrouver la photo qui manquait à ton cahier avant de pouvoir te le rendre.

ーBien sûr que j’ai raison! » avait répondu Light accompagné d’un petit rire malicieux. Comme si c’était là une évidence. À défaut de ne pouvoir détenir la vérité, il fallait bien s’en créer une. Comment avancer sinon ? Alors voici qu’elle t’offrait une idée à laquelle t’accrocher, la sienne, même si en son fond intérieur elle savait pertinemment que ce ne devait pas être là toute la réalité du phénomène.

ーBien. Alors, si c’est vraiment ce que tu veux, je t’aiderai à comprendre. Je te partagerai mes découvertes sur tous ces phénomènes étranges et toi les tiennes! T’en dis quoi ?

D’un geste soudain, elle te tendait sa main à serrer, comme s’il se passait là un quelconque contrat, sans possibilité de t’en dérober. Décoiffée, la moue espiègle et le sourire fière, elle était parvenue à entrer dans ta bulle et voulait s'assurer d'y rester.

Puis de tes dernières paroles, Light ne pouvait qu’approuver. Sans y répondre, elle hocha toutefois de la tête. Pensive du temps où les gens autour d’elle sans cesse projetaient leur craintes, leurs insécurités et leurs propres démons sur elle. Là encore, elle encaissait sans dire un mot.

ー Au fait, moi c’est Light! Dis, tu me montres comment tu t’y prends pour prendre tes clichés ? » et comme une girouette, elle passait de l’Est à l’Ouest. « Je t’ai vue faire et ça n’a pas l’air évident. Pourquoi tu attends si longtemps avant de prendre une photo ? C’est pour prendre LA photo parfaite ?

Elle venait de se griller en sous-entendant que ce n’était pas la première fois qu’elle te suivait à la trace, mais ne s’en était pas rendu compte et continuait plutôt de déblatérer sur le sujet. La photographie semblait réellement l'intéresser tout du moins. Son obsession pour toi avait fini par être substituée d’une curiosité poussé à l’extrême pour ce passe-temps qu’elle découvrait pourtant tout juste et seulement au travers de ton talent.

Light était bien heureuse de votre petite entente. Celle-ci devrait lui suffire d’excuse pour traîner dans tes pattes quand l’envie lui prendrait, comme maintenant par exemple. Elle avait reposé son attention devant elle, la tête levée vers les oiseaux agités qui semblaient être le sujet du jour. Elle observait aussi de temps à autre autour d’elle le décor, la luminosité, à la recherche d’un angle qui pourrait permettre de prendre quelques photos prometteuses et surtout qui attirerait ton attention et ton œil d’expert. Peut-être ces rochers là-bas permettraient un cadre intéressant ?

Et puis dès que tu lui avait donné ton prénom, de nouveau son regard semblait s'être illuminé d’une excitation décontenancée.

ーLeon tu dis ?! Moi c’est Leonie! » s’était écrié Light avec un peu trop d’enthousiasme en tournant la tête vers toi, les cheveux tout en désordre et qui lui cachait une partie du visage à cause d'une bourrasque. « Enfin, bon. Light aussi oui, mais, Leonie en dehors de tout ces jeux, c’est mon vrai prénom…»

Était-ce un signe ? Vos prénoms avaient une similitude qui suffisait tout du moins à laisser sur son visage une joie pure et simple. À ses yeux désormais, votre amitié était prédestinée. Ah oui! La photo. C’était donc bien cela, comme elle s’en était douté. Un cliché et un seul parmi une centaine d'autres constituait cet art. Autrement, ce n’était qu’une reproduction documentaire de la réalité, sans valeur artistique. Du moins, c’est ce qu’elle déduisait de tes explications.

ーLes animaux ? Je pourrais leur demander de poser pour toi si tu veux. Parfois, ils m’écoutent. Enfin, quand ils le veulent bien… » T’avais dis Light, sans double sens, aucun.

Puis remplaçant ses yeux dans les tiens, les lèvres étirées d’un sourire espiègle, elle pointait du doigt ton appareil.

ーDis, tu crois que je pourrais essayer Leon ? Je ferais très attention! Promis!

Voilà que de nouveau ton regard s’était assombri et Light n’avait pu s’empêcher de s’en sentir en partie coupable. Il lui semblait alors le poids de ton carnet être d’autant plus pesant dans le fond de sa poche. Elle était tiraillée entre l’idée de te le redonner à l'instant et celle de te le rendre par l’entremise de George. Seulement, elle ne voulait pas prendre le risque de réduire à néant ses espoirs d'amitié, votre histoire semblait si bien commencer.

ーÇa ne me dérange pas du tout! Appelle-moi comme tu préfères! »
avait répondu la gamine, toujours munie de son éternel sourire solaire.

Tu ne semblais cependant pas très friand quant à son idée de faire intervenir son pouvoir dans la partie, mais elle souhaitait respecter ton art et si tu ne souhaitais pas qu’elle intervienne, elle n’interviendrait pas. Du moins, volontairement. Elle n’était pas encore assurée du fonctionnement de celui-ci, les animaux semblaient davantage réagir à ses émotions. Alors encore, aller jusqu’à les contrôler ? Elle n’en était pas certaine. Peut-être, pensait-elle alors, que cela passait par le contrôle de ses émotions ? Dès lors que tu avais accepté de lui tendre ton appareil, Light n’avait pu retenir un sourire émerveillé.

ーT’inquiètes! Je gère! » Avait dit la môme avec assurance.

Cependant, dès que Light avait pris l’appareil dans ses mains, elle s’était retrouvée bien surprise de son poids qui l’avait fait reculer de quelques pas. Elle s’était néanmoins stabilisée bien vite, te glissant un petit sourire gêné (voila qui commençait bien!) et s’était étendue sur le sable avec l’appareil, afin que s’il advenait à tomber, celui-ci ne tomberait pas de haut. Puis Light avait placé un œil dans le viseur. Elle ajustait par moment les anneaux, sans véritablement connaître leur utilité, mais ajustait tout du moins à l'instinct le point focal. Et lorsque la scène et le cadre lui avait paru suffisamment à son goût… « Click! »  

ーVoilà Leon! Je crois que c’est dans la boîte! » qu’elle avait dit à la rigolade. « Qu’est-ce que t’en dis ?

Elle t’avait tendu l’appareil, toute excitée que tu découvres là, son premier cliché.

Light observait en alternance l’appareil entre tes mains, les traits froncés de ton visage concentré et son cliché sur lequel tu étais penché. Elle tentait d’y lire une quelconque approbation positive à travers l’analyse de l’expression faciale que tu lui présentait qui semblait mitigée avant que le verdict ne tombe.  Et ton petit sourire faux n’avait pas échappé à Light qui s’était figée sur place, quelque peu dépitée de comprendre qu’elle n’avait pas quelconque talent pour compenser le manque de pratique. Néanmoins, tu lui avais assuré que tu t’attendais à quelque chose de moins réussi. Mais Light n’était pas dupe. Sa photo était sans intérêt, elle l’avait bien compris, elle pour qui les non-dits lui était davantage explicites que la parole, elle t’observait à la manière d’une élève studieuse, ajuster quelques réglages sur ton appareil.

ー Ok ! J’ai compris. » avait dit Light à la suite de tes conseils, impatiente de retenter le coup.

Elle avait repris l’appareil de tes mains, arborant de nouveau cet air sûr d’elle. En présence d’adultes, Light s’était toujours senti à l’aise. C’était le genre d’enfant plus jeune qui allait plutôt taper la conversation avec le surveillant dans la cour d’école plutôt que d’aller jouer avec ses semblables. Il était difficile de voir que Light pouvait se montrer aussi coincé que pleine d’entrain selon l’âge de la personne avec laquelle elle se tenait. Et toi Leon, en plus d’avoir passé le critère de l’âge, tu incarnais son idéal en termes d’amitié éternelle à laquelle croyait tout jeune de son âge et à laquelle Light rêvait depuis longtemps déjà. Car Light n’avait jamais eu de meilleur ami. D’ami non plus d’ailleurs. Du moins, de son âge. La dernière amitié réelle qu’elle pouvait véritablement compter était celle de la voisine à chats de l’immeuble en face de celui de ses parents (du temps d’avant Arcadia Bay) avec laquelle elle avait développé un fort attachement. Les autres adultes dont elle avait croisé le chemin étaient quant à eux toujours trop pris par le train-train quotidien de leur vie. Alors voici qu’elle tentait le coup avec toi cette fois-ci. Et elle n’était pas prête de te lâcher de sitôt.

Elle s’était concentrée les premières secondes sur le paysage devant ses yeux où y voltigeait toujours les oiseaux. Et croyant prendre là quelques photos seulement d’un simple clic, s’en était pourtant une cinquantaine qui était partie toute seule! Le mécanisme l’avait quelque peu surprise et elle avait reculé d'un pas. Avec toutes ces tentatives, elle était toutefois certaine d’en avoir au moins une de bonne dans le tas. Mais d’ensuite voir là plutôt une cinquantaine de photos identiques et ratées défiler sur l’écran de ton appareil, Light avait soupiré bruyamment en secouant sa tête décoiffée, toute dépitée. Quoique… la dernière photo avait de nouveau fait étirer ses lèvres d’un large sourire duquel s'était échappé un petit rire de grelot étouffé. Un tout autre spécimen avait remplacé les oiseaux sur cette dernière. Elle t'avait tendu l’appareil afin que tu puisses constater par toi-même.

ー Regarde Leon ! » gloussait Light sans retenue, aucune. « Tu es sur ma photo !

Il y avait en effet là, un Leon sauvage coincé dans un cadrage bancal et banal. Light avait dû oublier de relâcher la gâchette après s’être détourné de la scène de son art… approximatif. Cette photo-ci était de loin sa préféré.