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Chaleur de l'hiver, et candeur de l'automne [Solo]

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Forsaken
Emo des bois
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Métier Protecteur des commerçants
Avatar Aphelios de LoL
Forsaken
Forsaken
Mer 24 Nov - 18:49
Chaleur de l'hiver, et candeur de l'automne
Forsaken avait les yeux rivés sur sa casserole.

Assis sous son abri, il était en train de réchauffer un reste de soupe. Le dos courbé, un genou replié vers sa poitrine, et l'autre jambe étendue devant lui, il s'enfonçait dans ses pensées. Il écoutait d'une oreille distraite la pluie, qui s'écoulait au-dessus de sa tête, ou le vrombissement du vent dans la clairière. Certains oiseaux roucoulaient au loin, et le bruissement lointain lui indiqua que l'un d'entre eux s'envolait. Devant lui, on pouvait apercevoir les traces de ses semelles dans la boue. Ses chaussures en étaient incrustées, et la crasse avait envahi ses chaussettes.

Forsaken passa la main dans ses cheveux, il tira sur la mèche tombant en travers son oeil. Cela faisait un moment qu'il ne les avait pas coupé, mais tant que cela ne le handicapait pas, il n'y toucherait pas. Non, il avait l'esprit ailleurs. Un regard sur la droite, un autre sur la gauche, s'assurer une énième fois qu'il était bien seul.

Forsaken releva le col de son pull, et il y plongea sa grande main abîmée. Il en sortit un genre de fiole qu'il portait autour du cou. Elle était maintenue par un mélange de fil de fer et de corde. Quand il l'ouvrit, il se rendit compte qu'elle avait gardé sa chaleur — là, juste au niveau du coeur. Délicatement, il en sortit la fleur rose qu'il gardait jalousement. Et là, Forsaken ferma les yeux. Il accepta le souvenir, avec autant de fermeté que les fois précédentes. Il accepta ce fragment d'émotions, et de revivre des bouts de sa vie.






Maintenant qu'il dépassait son père, Tyler avait arrêté d'en avoir peur (mensonge).
Oh. Ce n'était pas grand-chose, un ou deux centimètres. Mais assez pour qu'il puisse l'observer de haut, juger ses actions et sa façon de s'exprimer sans avoir à se terrer dans son ombre. Pourtant, lorsque tous les deux marchaient, il était toujours à trois pas derrière lui. Qu'ils rentrent dans leur vieille maison, ou qu'ils se dirigent vers la voiture.

Le froid mordait les joues de l'adolescent, il faisait attention où il posait les pieds ; le sol était glissant. La neige avait envahi le jardin en couches épaisses, et ils avaient passé une partie de la matinée à dégager le chemin. C'était un drôle d'endroit, son chez lui.

Une maison isolée du reste, coincée entre les arbres. Elle se dressait en haut d'une pente, avec un perron troué à certains endroits. Son père n'entretenait plus la demeure depuis longtemps, et c'était Tyler qui essayait de s'en occuper autant qu'il le pouvait. D'ailleurs, il avait le pouce violet d'un coup de marteau donné par maladresse, alors qu'il était en train de clouer une planche.
Les affaires de son père pesaient lourd sur ses épaules, mais Tyler ne se plaignait pas. Il ne se plaignait jamais. Il était concentré à descendre la pente, chercher un appui stable. La neige, c'était traître. Des rochers se trouvaient en travers de son chemin, de tailles différentes. Il avait beau connaître cette pente par cœur, il se méfiait de la neige.

Quand Tyler releva la tête, il remarqua que son père était en train de le regarder. Il avait ouvert le coffre, le visage caché dans un épais manteau. Il l'attendait dans son silence, et Tyler comprit qu'il devait accélérer le pas. Il fixa un point sur le côté, il se dépêcha. Sa descente aurait pu se passer sans encombre, s'il n'avait pas marché sur un cailloux ; il roula sous sa semelle. Il manqua de perdre l'équilibre, et au dernier moment, il se rétablit de justesse.

« Fais attention ! »

Lui aboya son père, et Tyler rentra la tête dans les épaules. Il se dirigea vers la voiture, et agacé, son père attrapa le sac qu'il lui tendit. Il soupira, puis il claqua brutalement le coffre. Tyler serra la mâchoire, et de nouveau, il fixa un point dans le décor pour ne pas avoir à croiser ses yeux.

« Deux semaines, annonça son père.
— Deux semaines, répéta Tyler. »

Son père était un homme large d'épaules, les cheveux bruns et la barbe hirsute. Il avait deux pupilles noires, enfoncées sous d'imposantes arcades sourcilières. Son père le jaugeait, alors Tyler s'écarta pour le laisser passer.

Ce fut quand il l'entendit ouvrir la portière qu'il osa lui accorder un coup d'oeil. Ils se fixaient, alors, dans un silence. Son père ouvrit la bouche, puis il se ravisa. Il monta dans la voiture, il enclencha le moteur. Tyler recula de nouveau. Il fixa son père s'en aller fêter Noël dans sa famille.






« Qu'est-ce que tu veux l'esquimau ? »

Tyler plissa les yeux sur Allan. Il ne répondit pas ; il se contentait d'un mutisme pesant, alors qu'il refermait son casier. Il n'avait pas peur de lui. Et surtout, Tyler savait que si tous les deux venaient à se battre, il pourrait lui (re)péter le nez. Qu'il soit seul ou avec ses amis, ça n'avait aucune importance. Et Allan en avait bien conscience, puisqu'il se contenta d'un :

« Il fait chier l'autre, là. »

Avant de se détourner avec ses sbires. Tyler les écouta dire à quel point il était moche, et qu'il finirait alcoolique dans une réserve. Ses doigts se crispèrent sur son cadenas, mais il se contenta de les détester en silence. La tension nouait ses muscles.


Réplique.
La prochaine fois.
Et je te défonce.


Et dans son dos, Tyler sentit une présence se rapprocher. Avant même qu'il ne se tourne, deux mains l'agrippèrent aux épaules. Ce fut comme appuyer sur une détonation ; il réagit si vite qu'il se retourna. Réflexe. Hypervigilance.


(Si tu ne veux pas que je te frappe, apprends à esquiver.)


Sa main attrapa avec violence la gorge de son meilleur ami, et il le plaqua aussitôt contre le casier. Il entendit son crâne claquer contre le métal, puis quand il se rendit compte de ce qu'il venait de faire, il le délivra aussitôt. L'autre toussa en massant son cou, plié sur lui-même. Tyler avait les yeux écarquillés. Stupéfait par sa propre violence.


« P'tain... t'y vas pas de main morte ! »

Se plaignit l'autre, alors que Tyler se décomposait. Son visage solaire était empourpré, les mèches blondes dansaient devant son front.

« Je... je... »


Bredouilla Tyler, en se rapprochant, les mains en l'air.


« Je... voul... pas... »


Sa voix était à peine perceptible.

Le jeune homme face à lui se radoucit, quoiqu'il gardait les doigts sur son cou. Tyler remarqua qu'il se détendait. Lui, il restait la tête rentrée dans les épaules, et les yeux rivés au sol.


« C'est bon... t'en fais pas. »


Le rassura son meilleur ami, en tentant de reprendre son souffle. Pourtant, Tyler avait la sensation de ne pas y être allé si fort. Il serra la mâchoire, il fit grincer ses dents les unes contre les autres, tout en l'examinant.


« John... je suis désolé... déso...
— Ça va, je suis entier, okay ? »


Tyler haussa les épaules, et John se rapprocha. Il était plus petit que lui, mais sa présence impactait davantage son environnement que la sienne. Si Thompson était une ombre, lugubre, John était un bout de soleil perdu en Alaska. Il avança la main vers l'Inuit, il hésita.


« C'est ma faute, je sais que je n'aurais pas dû arriver par-derrière. »


Tyler était bouleversé. Que se serait-il passé ? S'il avait confondu John avec Allan ? Est-ce qu'il aurait pu...


Le ?


Le.

John rapprocha ses doigts du sommet de son crâne, il devait se lever sur la pointe des pieds pour arriver à sa hauteur. Oh... de pas beaucoup. Finalement, il se ravisa, et il se contenta d'une tape sur l'épaule.


« Je vais bien. »


Reprit son ami, d'une voix douce et grave. Tyler se referma un peu plus, il croisa les bras, et il se recula. Il était en train de se détourner quand John lui parla :


« Hé, Tyl' ? »


Tyler lui jeta un coup d'oeil. John ramassait son sac, et il le jetait sur son épaule. Tyler détailla les traits de son visage, la ligne de sa mâchoire dessinée comme dans du marbre. Un genre d'Appollon, blond, avec la peau blanche. Tyler avait honte d'être ce qu'il était à côté. Honte d'imposer son horrible présence.


« T'es tout seul, encore, à Noël ? »


L'adolescent hocha la tête. John était le seul à s'inquiéter pour lui. Souvent, il fixait les blessures, les bleus, les coupures sur son visage ou ses mains. Tyler savait qu'il gardait les questions pour lui, parce qu'il n'y répondait simplement pas. Mais quand John décidait de l'interroger, c'était toujours avec pertinence. Tyler continuait de l'examiner ; son ami tirait sur la manche de son pull — un rouge brun, chaleureux. Puis, il lui proposa en se grattant les trois poils qui se battaient pour vivre sur son menton :

« Mh... est-ce que ça te dirait qu'on fasse un truc ensemble ? Genre pas au réveillon, je pourrais pas, mais... avant ? On pourrait partir en voyage ? Je sais... p...
Les aurores...
— Hein ? »


Tyler plaquait les bras sur sa poitrine, il haussa les épaules, puis il tourna la tête dans la direction opposée.


« Les aurores boréales. »


John fronça les sourcils, puis son visage s'illumina quand il comprit :


« Ah oui ! J'en ai jamais vu... on peut... aller les voir ensemble ? »


Tyler acquiesça, avant de continuer à marcher. Pourquoi ne lui en voulait-il pas ? Pourquoi faisait-il comme si ça ne s'était jamais passé ? Son cœur battait vite, et il gronda devant une telle explosion de chaleur dans sa poitrine.


« Il faut prendre le train, et aller à l'hôtel pour se lever tôt, maugréa-t-il.
—Bah je me charge de ça.
—Hein ? Mais non... fit l'Inuit en fixant meilleur ami, farouche.
— Allez, considère que c'est mon cadeau de Noël. »


John lui donna une tape amicale dans le dos. Tyler soupira.
Mais il était heureux.


C’était lui, son cadeau de Noël.





Même quand Tyler était avec John, il restait derrière lui. Il fermait la marche d'un regard protecteur. Il se perdait dans la contemplation de son dos, ou dans la façon dont ses cheveux dépassaient depuis son bonnet. Ils avaient tendance à se retrousser, ou à s'échapper en épis.
John se déplaçait tant bien que mal dans le wagon, en traînant sa valise — quand bien même, tous les deux ne partaient que pour deux jours. En comparaison, Tyler avait une allure misérable. Vêtements usés, un vieux sac à dos ayant appartenu à son père. Les traits durs, coupés à la hache. Les filles les observaient souvent, et Tyler entachait le tableau ; il était une anomalie, une fausse note. Une erreur.

John tenait les billets d'une main, souvent il se retournait pour s'assurer qu'il le suivait.


« Là ! »


S'exclama-t-il avec entrain, et les gens présents dans le wagon le dévisagèrent. Pourtant, il ne s'en soucia pas. Tyler s'arrêta derrière lui, il recula d'un pas pour le laisser prendre sa valise. John se pencha, il grimaça et il tenta de la porter à bout de bras. Tyler soupira, puis plutôt que de le voir galérer, il la rattrapa. Il la hissa tout en haut, pendant que John maugréait :


« J'aurais pu y arriver tout seul, je ne suis pas une mademoiselle détresse... »


Tyler poussa la valise au fond, il s'assura qu'elle était bien coincée dans le porte-bagage.


« On dirait pas que t'as autant de muscle, la brindille. »


Tyler releva le menton, il jaugea John, et d'une voix douce, il lâcha :


« C'est parce que je ne passe pas mon temps à inviter ma copine au macdo.
— Rooh... ! »


John était imperméable au ton grinçant et sec de Tyler ; souvent, il se contentait d'en rire. Il enleva sa veste, avant de s'asseoir près de la fenêtre.


« On est plus ensemble de toute façon.
—Ah. »


John posa le coude contre le rebord, il y enfonça son poing, soudain triste. Tyler resta immobile, il détailla le profil de son meilleur ami, découpé dans le contre-jour du train. Il se défit à son tour de son manteau, en disant :

« C'est dommage. »

Tyler ne le pensait pas. Mais il était censé être son ami, et le soutenir. Il prit place à côté, et John fit la moue :

« Non, ça va. »

Toutes les copines qu'il avait eues à présent n'avaient jamais aimé leur duo. Et il pouvait comprendre pourquoi. Souvent, Tyler se demandait ce qu'il lui trouvait, et pourquoi il traînait autant avec lui. Il était un solitaire. Pourtant, sans qu'il ne le remarque, il avait laissé John entré dans son coeur. Une porte entrebâillée qu'il n'avait pas refermée, et c'était suffisant pour laisser passer ce courant d'air chaud qu'il était.





Tyler se tourna dans le lit, un coude sous l'oreiller et les genoux ramenés près de sa poitrine.
En face, Tyler pouvait voir John en train de dormir. Une partie de la couette entre les jambes, les bras étalés en étoile de mer. Il avait vraiment l'air con.

Tyler n'arrivait pas à fermer l'oeil. Son coeur battait à la chamade, et il était pressé que le réveil sonne pour le sortir de son lit, et l'emmener voir les aurores boréales. De plus, il n'avait pas l'habitude d'un tel confort. Son dos était usé depuis toujours à la dureté du plancher, et c'était à peine s'il parvenait à se réchauffer au cours de la nuit. Là, il avait trop chaud, et il sentait ses vêtements râper contre ses omoplates.

Mais dans l'obscurité, il pouvait le détailler autant qu'il le voulait, lui.
Que penserait son père, s'il apprenait qu'il dormait au chaud ? Dans un lit ?

Son père savait que John était son meilleur ami, et son père ne le lui avait jamais reproché. Il avait trouvé de quoi râler sur son sujet - il est un peu gros, non ? Il n'a jamais tenu une arme, ça se voit -, mais il ne lui avait jamais interdit de le voir.

Peut-être que son père le comprenait davantage que lui-même.
Et dans les ténèbres, Tyler était un lynx, fixant sa proie. Il fronçait légèrement les sourcils, lorsque John remuait. Et il se laissait aller, un peu, à la douceur de cette nuit chaude. Le corps caché sous la couette, à rêver du moment où il lui montrerait les aurores boréales.
Tyler se détendit.
Il avait hâte.




John faisait un peu la tête, et il peinait à suivre Tyler dans la neige. Le voyage l'avait épuisé, et il plissait les yeux. Là, sans être là. Il bâillait en fixant le dos de son ami, tandis qu'il avançait. Souplement, dans son élément, Tyler semblait connaître le chemin par coeur. Il y avait peut-être un peu de ça, mais surtout : le froid de l'hiver, couplé au ciel nocturne éclairci par la neige lui donnait une rare sensation de liberté. Et s'il y avait bien quelque chose à laquelle Tyler se soumettait, c'était ça. Ses joues étaient gelées et rigides, ses cheveux étaient recouverts d'une légère pellicule de sueur sous ses vêtements. Pourtant, ses yeux se perdaient dans la nature. Il exaltait.
Malgré tout, le garçon restait attentif ; il savait que si tous les deux se faisaient prendre par les gardes-chasses, ils passeraient un mauvais moment.

Au fond de lui, Tyler se rassurait : son père comprendrait. Il l'avait lui-même déjà emmené là auparavant. Néanmoins, Thompson-fils n'était pas censé savoir qu'il avait dormi à l'hôtel, ou qu'il entraînait un civil dans cette folle et douce aventure.

Les arbres étaient dépouillés de leurs feuilles, ensevelis sous des couches et des couches de neige. Ils masquaient une partie du ciel, et leurs branches ressemblaient à des bras décharnés, tordus sous un manteau immaculé. Il appréciait sentir ses chaussures s'enfoncer dans le froid, et y observer ses traces.

Pour la première fois, Tyler était devant ; il n'était pas passif ni caché dans l'ombre de son père, ou de John. Il avait pris naturellement le rôle de guide, et il était dans son élément. Sa saison préférée était là, baignée de souvenirs d'enfance et d'un rappel qui resterait en sa mémoire des années. Alors Tyner progressait, énergisé et quand il se retourna, ce fut pour tendre la main à John.
Son meilleur ami leva un oeil blasé et fatigué sur lui. Pourtant, il accepta et Tyler le tira à lui pour terminer de remonter la pente. John était essoufflé, il boudait, et Tyler avait le regard rempli d'étoiles et de joie. Alors John fronça les sourcils, tandis que Tyler se détournait en posant la main sur un vieux cyprès. Enfin, il s'arrêta.

À quelques mètres, au bord de la falaise, l'on pouvait apercevoir la ville. Elle était entourée d'une chaîne de montagnes, mais ce n'était pas le plus intéressant. John maugréa, il avança jusqu'à sa hauteur.

Elles étaient là, juste au-dessus d'eux, à scinder le ciel de leurs couleurs. Elles se fichaient des limites, elles passaient par-dessus la cuvette de montagnes blanches. Tyler redressa la tête vers elles, le goût de la nostalgie et d'une enfance perdue au fond de la poitrine. Il perçut John soupirer un « ouah » qui semblait venir depuis le fond de la gorge. Mais ses yeux étaient occupés à contempler le spectacle formidable des aurores boréales. Des flammes vertes dans le ciel, des étoiles dans une toile. Des fantômes drapés de voiles, qui se défaisaient au fur et à mesure.

« C'est magnifique. »

Lâcha John, puis Tyler marcha vers la falaise. Il s'assit au bord, sans se soucier de son ami qui inquiet le grondait :

« Gaffe à pas tomber !
— Je sais ce que je fais. »
Tyler était sûr de lui.


Tyler n'avait jamais eu peur de vide. Comment en être terrifié ? Lorsque le vrai, il l'apercevait en levant le nez vers le ciel ? Un abîme ouvert dans la Voie lactée, un stigmate fluorescent. Il avait beau chercher les mots pour décrire ce qu'il voyait, il n'était pas assez poète et assez érudit pour les trouver.


Ah.
Il aimerait devenir astronaute.
Toucher cette lueur du bout des doigts.


John s'assit, mal assuré, près de lui. Tyler le fixa, mais il le vit changer d'avis à la dernière seconde. Alors que John allait le rejoindre au bord du gouffre, il recula de quelques pas.

« Est-ce qu'il y a un truc dans ce monde dont tu as peur ? »

Tyler haussa les épaules.
Il songea : mon père.


En tailleurs, John resta silencieux un long moment. Et pour Tyler, c'était une autre forme de délivrance ; il n'y avait pas toujours besoin de mots entre eux. Il croyait comprendre John, et John savait désaturer son mutisme pour en découvrir les vraies nuances. Il savait, à cet instant qu'il devait le laisser.

Tyler parlerait quand il le pourrait. Quand il en aurait besoin.


« On... commença alors l'Inuit, en baissant ses pupilles sombres sur la ville, en bas. On... on venait souvent, avec ma mère, et mon père. »


John tendit l'oreille. Les murmures de la nature, même sous le vent rugissant de l'hiver, il savait les entendre.


Tyler n'en dit pas plus, il se referma après cette courte ouverture.
Alors John rapprocha sa main vers la sienne.


Au même moment, Tyler la leva et lui montra le scintillement de l'aurore boréale dans la nuit. John fit la moue, mais il acquiesça et il regarda.

« Tu... t'as des histoires à me raconter ? proposa John, en remarquant que Tyler était tellement mauvais en communication qu'il n'avait pas remarqué son geste. Tu sais, genre, sur les Dena'Ina. »

Erreur.
Tyler se referma encore plus.

« Non... j'ai jamais eu d'attrait pour leur culture. »

Leur.

John retint un soupir. Tyler vit le vit dans la tension qui dressa ses épaules. John tourna la tête dans la direction opposée, lui aussi, il s'était trouvé un bout du monde à contempler, là où il pourrait laisser ses pensées s'enfoncer. Tyler admira les petits cheveux qui dépassaient encore sous le bonnet.


« Hey... Tyl', enchaîna son meilleur. C'est quand que tu te décides à couper cette satanée mèche ?
— Quoi ? »

John se tourna vers lui, un sourire amusé aux lèvres. Il désigna son propre oeil, moqueur.


« Je suis sûr que ta cicatrice, ça doit plaire de ouf aux meufs ! Ça donne un style, genre, voyou... ça casse ton côté coincé !
— Je suis pas coincé ! »


John répondit dans un rire.

Et Tyler eut envie de lui répliquer qu'il s'en fichait des filles.
Des garçons.

(Il s'en fichait moins, quand John s'amourachait de greluches.)


Tyler se renfrogna, il plaça une jambe contre sa poitrine, et il l'entoura de ses bras. John bailla, il le laissa bouder pour la forme. Le silence revint, mais il n'était pas plein de malaise. Non. Il était rempli de douceur, dans le froid hivernale de l'Alaska, il avait sa place. Non.

Ce silence était plein de chuchotements, de ceux qui grésillent à l'oreille, et qu'on garde en secrets.

« On reviendra l'année prochaine, hein ? »


Tyler releva le menton vers John.
Ses yeux brillaient, l'on aurait presque dit que les aurores boréales s'y eflétaient.

Tyler sourit.


« Oui. »

John le dévisagea, il se racla la gorge, et il ricana :

« C'est moi ou tu souris ?
— Hein ? Non ! »
Le rire de John s'amplifia, un ricochet dans son crâne. Tyler fronça les sourcils.
« Te fous pas de moi !
— Mais c'est toi là, c'est presque mignon...
— Ta gueule.
—Non.
—Si.
— Ja-MAIS !
— Je ne souriais pas, je baillais !
— Mais oui, mais oui... »



Oui.
Ce jour-là,

Tyler avait sourit.



Et plus que tout, il se rappelait de la malice de John, et des fossettes qui étaient apparues.
Tyler posa la main sur le vieux cyprès, il y laissa son empreinte, tandis qu'il se redressait.

Là, il contempla une dernière fois les aurores boréales de l'Alaska. Bientôt, il partirait. Il avait alors ressenti le besoin de se recueillir une dernière fois. Encore aujourd'hui, il se souvenait de cette conversation, et de cette promesse que son meilleur ami lui avait faite :

On reviendra l'année prochaine, hein ?

Mais pour John, il n'y avait pas eu d'année prochaine.

Tyler soupira profondément. Il était dressé en plein coeur de la forêt enneigée, sa silhouette lugubre ressemblait à celle d'un lynx. Longiligne et musclée, souple et forte ; Thompson partait en chasse. La carabine dans son dos était une présence rassurante, son poids était plus doux que celle d'une main sur son épaule.

Allait-il revenir, l'année prochaine ?
Ça... Tyler ne le savait pas encore.



« Tu étais où ? »

Son père était adossé contre la porte d'entrée de leur maison. Il avait mis à la hâte ses vêtements, quand il avait vu son fils revenir chercher ses affaires. Hormis les papiers administratifs, il s'en allait qu'avec un sac-à-dos et son Sig Sauer. Il passa devant son père sans répondre, et il mit un pied dehors. Le plancher se plaignit sous son poids.


Son père qui était blanc, avec le visage marqué par les années et le froid.
Est-ce qu'il y avait des aurores boréales, en Oregon ? Non. Bien sûr que non.


Tyler fit un pas, il descendit le petit escalier du perron, et il avisa la pente pleine de rochers et ensevelie sous la neige. Il l'entendit soupirer, son géniteur. Tyler rentra la tête dans les épaules, il remit son sac correctement en place. John aurait compris : quand Tyler faisait cela, c'était lorsqu'il n'était pas à l'aise.


Et le jour de son départ, il était loin de l'être.
Il avait un poids dans l'estomac, dont il voulait se défaire.
Son père se racla la gorge, puis il fit :


« Tyler ? Tu sais... que tu peux... revenir, hein ? L'année prochaine. »


Tyler releva légèrement la tête, il fixa la cabane à oiseau qu'ils avaient un jour montée ensemble. Puis, il détailla ses pieds. Il entendit son père bouger, mais vraisemblablement, il ne marcha pas vers lui.

Son père lui avait appris à faire attention à tous les détails.


« Peut-être pas cette année-là, déclara-t-il enfin. Après... quand j'aurais... bien pris... mes dispositions, et que je serais... »

Tu sais,
Accepté.
Sans être traité d'alcoolique ou de paresseux.

Son père se redressa, et là, il l'entendit marcher ; le plancher grinçait. Tyler sentait, les battements lourds de son coeur, tomber peu à peu comme un glas dans sa poitrine.

« Pour Noël, proposa le jeune homme. On pourra peut-être... enfin... monter voir ta famille, et leur... »

Son père s'arrêta, il leva la main vers lui.
Tyler vit son ombre parler à sa place.

« Leur montrer combien je suis fier de toi ? »

Tyler écarquilla les yeux, mais il resta immobile. Et l'ombre de son père sur le sol dévoila ce qu'il n'osa pas faire. Sa main avança vers son épaule, mais au dernier moment, elle retomba le long de sa cuisse.

Silence.
Tyler ne savait pas quoi répondre.
Alors Tyler se contenta d'un :


« À bientôt, Greg. »


Cela faisait longtemps qu'il ne l'appelait plus « papa ». Ce mot, il sonnait étranger dans sa bouche. C'était un mot-anomalie, barbare.

Et avant même que son père ne rajoute quelque chose, Tyler s'en alla descendre la pente.
Pas de voiture pour aller à la gare.

Tyler avait besoin de marcher.





Tyler tenait fermement ses billets de train d'une main, et de l'autre, il serrait la sangle de son sac à dos. Il avait encore l'esprit fatigué de la longue conversation qu'il avait eu avec les autorités, quand il était entré en gare avec ses permis d'armes, et sa lettre d'admission pour l'Oregon. Il était habitué aux questions intrusives, d'autant plus que les cicatrices ne jouaient pas en sa faveur — c'est à cause de l'alcool ou du crack ? Tu as fait de la détention pour mineur ? Ou t'es du genre à chasser du phoque ? Il parait que vous baisez vos mères. Ces situations l'usaient, malgré les habitudes.

Tyler était tendu, et quand il vit une jeune femme à la chevelure blonde se battre avec sa valise, il la jugea du regard. Les passagers la zieutaient en train d'essayer de soulever son lourd fardeau, mais ils n'intervenaient pas — ils n'intervenaient jamais. Alors Tyler se dirigea vers elle, et au moment elle manqua de tomber avec sa valise, il se contenta de la rattraper. Sans un mot, il souleva son bagage qu'il coinça tout en haut, entre des sacs pleins à craquer de mangas et de bouteilles d'eau.

« Ah... euh... merci. »

Tyler baissa les yeux sur elle.
Ah.

Un regard brun, avec des cheveux blonds qui bifurquaient dans tous les sens. Des fossettes étaient apparus à chaque recoin de son sourire.

C'était terrible, comment elle lui ressemblait.

Et pendant plusieurs secondes, Tyler la dévisagea, un sourcil haussé et le coeur qui battait vite.


« Euuuh... merci ? »


Quelqu'un dans son dos râla, et sans un bruit, il se dirigea vers sa place.
Tyler se cala contre la fenêtre, son sac entre ses jambes, et un coude posé sur la table. Il n'avait même pas pris la peine de se défaire de son manteau.

« Un souci ?
— Euuuh... »

La jeune femme aux cheveux blonds était accompagnée d'une autre jeune femme, mais celle-ci était brune. Elles le regardèrent, chacune leur tour, en commentant. Tyler croisa les bras, il cacha son nez dans son écharpe, et il décida de faire comme s'il n'entendait pas.

Pourquoi les filles étaient persuadées qu'un seul regard de sa part signifiait qu'il voulait coucher avec elles ?


« T'es pas courageuse....
— Mais c'est pas ça... !
— Après j'avoue, avec la gueule qu'il se paye, il fait peur, non ? »

Tyler plissa les yeux, il remua la tête, et laissa sa mèche retomber en plein milieu de sa cicatrice.
Le train s'arrêta plusieurs heures plus tard. Fatigué, le jeune homme se redressa tant bien que mal. Les deux filles avaient arrêté de l'épier, et désormais, elles tentaient de tirer la valise hors de l'étagère. Tyler passa devant elle, puis il entendit la brune se plaindre haut et fort que personne ne les aidait. Il serra la mâchoire, il se plaqua contre un siège, et il laissa plusieurs personnes passer devant lui. Là, il fit le chemin inverse pour se diriger vers elles.

Alors que la jeune femme aux cheveux blonds levait les pieds, sans parvenir à atteindre son bagage, il l'attrapa. Elle recula aussitôt en le percutant, et elle lui envoya un regard gêné en rougissant. Elle tendit les mains vers lui, mais le futur garde-chasse se contenta de déposer délicatement la valise au sol.


« Merci ! »


Sans répondre au sourire, sans parler ou demander son reste. Ce fut quand il fit plusieurs pas qu'elle s'élança :


« Mon... Monsieur ! »


Tyler se retourna, froid et impassible. Silence. Son amie lui donna un coup de coude, et elle baragouina :

« Merci..! »


Tyler lui lança un dernier regard, puis il se détourna.


« T'aurais dû lui demander son numéro... roh. ! »




Forsaken retira les doigts de sa fleur, et il l'observa retomber au fond de la fiole. Il gonfla la poitrine, il se frotta le nez avec les phalanges. La pluie continuait de tomber, et pourtant, il avait encore dans les oreilles le vent de l'hiver.

On reviendra l'année prochaine, hein ?

Il s'extirpait d'un doux rêve qu'il aurait aimé poursuivre un peu plus longtemps. Ah. Non. Non. Plus jamais.

Les rêveurs étaient faibles, et il ne l'était pas.

Forsaken avait fait en sorte de tuer Tyler. Non. Ce n'était pas tout à fait ça. Tyler était mort ce jour-là.


Il se souvenait encore, de ses paupières qui se levaient péniblement sur son père en train de pleurer. Et lui, qui se demande : viendra-t-il me voir ?

Et John n'était pas venu.


Forsaken soupira, profondément. Il se pencha vers les restes de sa soupe, et il se rendit compte qu'il en restait un fond un peu cramé. L'odeur lui piquait légèrement le nez. Il accepta son erreur, et d'en payer le prix ; il se rationnait, alors tant pis pour aujourd'hui. La fiole s'était rafraichi, ses doigts aussi, alors il la rangea sous son pull.

Là, l'homme contempla le ciel obscure de l'automne. Si parmi toutes les fleurs noires, celle-ci n'avait pas été parée d'aussi jolies couleurs, il ne lui aurait accordé aucune attention.

Ah. Oui. En effet.

Il n'y avait pas d'aurores boréales en Oregon.
Et ça faisait bien quatre ans qu'il n'avait pas vu son père.

Le temps passe vite.


Codage par Libella sur Graphiorum



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Chaleur de l'hiver, et candeur de l'automne [Solo]
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