Embrasser la Forêt || Ft. Merlin

Le soleil était déjà haut lorsque Mylendra esquissa ses premiers pas au dehors, ce jour-là. Le ciel, arborant une douce teinte azur, se perlait doucement de tâches blanches translucides, sans que l'on puisse pour autant y discerner une quelconque idée de mauvais temps approchant. Le silence, brisé par quelques voix perdues dans le le lointain de la ville calme, était reposant et la brise légère caressait corps et visages d'une main maternelle et rassurante.

Savourant l'atmosphère accueillante de l'après-midi printanier, la jeune femme pris lentement la direction de la forêt. Ses pieds nus et délicats s'enfonçaient parmi les brins d'herbe folle et les fleurs colorées, tandis que le large drapé d'un blanc pur dont elle était vêtue se mit à traîner derrière ses pas dansants. Elle le saisit d'une main et le ramena contre sa taille pour l’attacher à sa sacoche de cuir brun. Celle-ci, contenant ses maintes plantes aromatiques et médicinales, artefacts de sorcellerie et grimoires dans lesquels se tenaient secrètement de longues formules et paragraphes observateurs de la nature et du monde éblouissant qui nous entoure, la suivait partout où elle se rendait. Elle porta à ses lèvres rosées le cigarette verte qu'elle avait soigneusement roulée avant de sortir, et fit jaillir une petite flamme bleue orangée du briquet argenté qui reposait jusque là dans sa main droite pour l'allumer, tirant une bouffée pour laisser ensuite s'échapper une épaisse fumée blanche de ses poumons, et repris finalement sa marche.

Lorsqu'elle pu apercevoir, une dizaine de minutes plus tard, l'orée de la forêt des murmures, son cœur battant doucement dans sa poitrine s'affola quelques secondes. Peut importaient les conseils avisés de ses confrères, elle aimait cet endroit. Elle savait qu'aussitôt après y être entrée, elle y serait à l'abri des regards et des oreilles humaines, seule sans jamais vraiment l'être. Les murmures des arbres ne l'effrayaient pas. Sans jamais l'avoir avoué à quiconque, elle aimait même à leur répondre. Elle leur confiait ses pensées les plus profondes, ses sentiments les plus secrets, car elle savait qu'ils resteraient prisonniers des bois et ne franchiraient jamais le seuil des esprits humains qu'elle côtoyait.

C'est donc dans une sérénité sans égal qu'elle esquissa ses premiers pas dans la forêt profonde, saluant les plantes colorées et dansant avec les feuilles volantes autour d'elle. D'aucuns, la suivant, auraient pu assurer sans grande certitude que les arbres s'efforçaient de lui répondre, et elle les entendait, les écoutait d'une oreille attentive.
Lorsqu'elle eu parcouru quelques dizaines de mètres, tourné à gauche, puis à droite au détour de buissons touffus et de fourrés joliment décorés de fleurs par Mère Nature, elle parvint à une petite clairière, dissimulée par la végétation. Elle s'y installa, laissant son corps se reposer quelques minutes dans l'herbe grasse et ouvra sa sacoche, en sortant les uns après les autres ses précieux artefacts. Elle se saisit de son atamé de quartz rose et traça sur le sol humide un cercle de deux mètres de diamètre autour d'elle. Elle versa le long de cette ligne imaginaire de gros grains de sel blanc qu'elle conservait dans un petit bocal de verre, et sorti d'un morceau de tissu blanc quatre diamants d'Herkiner bruts, qu'elle disposa aux quatre points cardinaux du cercle. Saisissant sa baguette, une branche de noisetier de vingt centimètres qu'elle avait chargé de ses émotions et intentions, elle se positionna de nouveau au centre du cercle pour s'y agenouiller, face au nord, ferma les yeux et salua à tour de rôle la Déesse, puis le Dieu. Autour d'elle, les arbres s'étaient tus, comme pour assister au spectacle qui se déroulait sous leurs branches attentive. La forêt tout entière s'efforçait lentement de de se rendre entièrement aphone.

Bientôt, seule la voix du petit colibri continuait de briser le silence apaisant, alors qu'elle répétait à voix haute les formules écrites à la plume sur les pages jaunies du grimoire brun posé devant elle. Il s'agissait là d'un rituel de connexion au monde et à ses secrets, indispensable à la jeune femme pour trouver les réponses dont elle avait besoin en ce jour. Déjà, elle parvenait à sentir autour de son corps léger les énergies volants dans les airs, le cycle de la lune déjà haut dans le ciel bleu mais invisible aux yeux ébahis des humains, celui du soleil qui chauffait sa peau avec douceur, et celui de la vie qui tournait autour d'elle.
Voici ce qui façonnait son monde, son univers unique, auquel elle était la seule à pouvoir accéder. Voici ce que signifiait réellement ouvrir son esprit au Cosmos majestueux, à la voix lactée de flux dansants qui nous entourent.

Voici ce que, loin des regards humains et incompréhensifs, elle s'autorisait réellement d'être. Une servante de la Terre, une demoiselle de la Vie.

Lentement, les mots se succédaient d'une voix douce. Les gestes aussi, comme partisans d'une danse, à l'ombre des pensées flottantes dans l'air parfumé de la forêt. Il n'y avait guère là de chorégraphie préalablement décidée ou de plan préliminairement dessiné, mais l'oiseau de joie savait sans y penser où chacune de ses caresses la mènerait si elle l'effectuait. Comme si elle avait fait cela toute sa vie. Car elle l'avait fait durant une grande partie de celle-ci, peut-être, mais surtout car il s'agissait là pour elle d'un naturel aussi évident que celui qu'est la respiration. Elle s'y adonnait avec moins d'effort encore que pour mettre un pied devant l'autre.

Puis, soudainement, un craquement retentit. Faible et imperceptible pour tout être ne sachant écouter la nature, mais présent tout de même. D'aucun auraient pu supposer qu'il s'agissait là d'un petit animal, ou même d'un esprit de la forêt se promenant nonchalamment  entre les arbres, mais Myllie comprit bien vite qu'elle n'était plus la seule humaine venant prendre repos pour son âme dans ces bois mystiques. Une fraction de seconde lui suffit pour percevoir la présence d'une personne se tenant devant elle, cachée quelque part dans les broussailles vertes, son regard braqué sur le tableau que dessinait la sorcière à l'aide de ses artefacts.
Bien que perturbée dans son rituel, elle décida de le poursuivre en façade afin de ne pas laisser paraitre sa clairvoyance à l'inconnu qui se dressait non loin de là. Elle garda les yeux clos et se tût cependant, contentant d'esquisser d'autres mouvements lents dans les airs afin de mieux écouter, jusqu'à que le son parvenant à ses oreilles lui permette de s'assurer qu'elle ne craignait rien de la personne dissimulée entre les troncs garnis de lierre grimpant sans parade. L'observateur semblait être un homme, probablement jeune au ton de sa voix irrégulier. Un adolescent, peut-être, mais qui ne lui voulait point grand mal. Celui-ci semblait même être fasciné par ce qu'il voyait, et remarquait à haute voix tout ce qui traversait son esprit. Avait-il conscience qu'elle l'entendait ? Que ses mots qui s'envolaient dans l'air doux jusqu'aux oreilles de la jeune femme trahissaient sans grande difficulté ses intentions ? Il paraissait d'une naïveté enfantine et déconcertante, qui déroba un léger sourire amusé à la jeune femme. Un moldu, n'est-ce pas ? Elle eu brève pensée nostalgique pour ce livre qui avait bercé son enfance avant de revenir à la réalité.
Autour d'elle, les murmures de la forêt semblaient vouloir confirmer ses pensées, lui assurant qu'elle ne devait en rien craindre ce qui proviendrait de ce jeune inconnu. Elle se décida donc à étudier un peu plus le personnage et à abandonner pour ceci son rituel, saluant de nouveau la Déesse, puis le Dieu, puis l'Univers, commençant à ranger un par un ses artefacts. Les cristaux tout d'abord, qu'elle prit soin d'enfermer dans leur enveloppe de tissu blanchi avant de nouer le tout d'un fil de cuir beige. Puis suivirent son atamé, sa baguette et son grimoire, ainsi que la photo de Sam qu'elle avait utilisé durant le processus. Elle prit grand soin d'enfermer le tout dans sa besace brune et monta celle-ci sur son épaule gauche, se relevant dans le même temps. D'un pas léger, elle fit le tour du cercle qu'elle avait tracé là une vingtaine de minutes plus tôt, et laissa ses pieds danser dessus afin d'éparpiller le sel et de briser la roue d'enchantement, puis se mit en quête de quitter la clairière. Elle se voulait savoir si le jeune homme qui l'observait daignerait la suivre ou s'il lui fausserait déjà compagnie, et pour cela elle progressait d'un pas fin et lent, écoutant avec attention tout ce qui l'entourait mais faisant mine de ne rien savoir de cette présence constante. Elle échangeait parfois quelques mots avec les feuilles d'arbres, chantait en chœur avec les branches une phrase dans une langue difficilement compréhensible, ou saluait une fleur sur son passage.

Ce ne fut que quelques minutes plus tard, après avoir parcouru une centaine de mètre entre les arbres, suivie de près par les pas étonnement irréguliers de l'inconnu, qu'elle s'arrêta, se plantant  sur ses pieds et cherchant quelques secondes dans sa sacoche. Elle en sortit sa baguette de noisetier et la brandit en l'air, un air amusé, presque malicieux, collé aux lèvres et dans les yeux.

"Sors donc de ta cachette, jeune moldu! Toi qui m'as surprise lors de mon rituel, interrompant ma connexion au monde magique des sorciers, ne prends donc la peine de dissimuler plus longtemps ta présence. Je viens en paix."

Elle avait énoncé ses mots distinctement et d'une voix portante, de façon à ce que l'homme l'entende, sans pour autant se retourner vers lui. Elle se sentait d'humeur amusée, et la forêt lui murmurait de faire connaissance avec cet être curieux qui se tenait derrière elle. Elle patienta quelques secondes de plus, jusqu'à entendre les pas irréguliers se rapprocher d'elle, puis se décida finalement à faire volte-face.

Lorsque le regard de la jeune femme se posa finalement sur celui qui la suivait, il s'y perdit quelques secondes durant les lesquelles le temps sembla s'étirer doucement. Face à elle, un jeune homme, les deux mains en l'air, une canne dans l'une d'elles. Sa chevelure raide et blonde tombait gentiment pour dissimuler ses oreilles ainsi qu'une partie de son visage fin, tandis que les deux billes qui la fixaient reflétaient les rayons légers du soleil d'un bleu ciel et perçant. Sa silhouette élancée et instable semblait redoubler d'efforts pour se tenir tant bien que mal devant elle et l'oiseau rose se sentit soudainement comme assaillie par un sentiment qu'elle ne pensait plus être capable d'expériencer depuis que la tempête avait frappé. L'être qui se trouvait là était d'une beauté poétique, fragile et bancale qui lui rappela l'une de celles de son passé, et elle du réprimer une boule d'émotion qui commençait à se prendre forme dans sa gorge pour réussir à prendre la parole. Elle abaissa sa baguette, l'air de rien, et adressa un sourire amusé au jeune homme qui tentait de justifier son comportement.

"Mettons que je sois une sorcière. Penses-tu que je prendrais le risque de révéler l'existence du monde des sorciers en affirmant à un moldu que j'en suis une ?"

Elle rangea sa baguette dans sa sacoche de cuir et releva la tête vers son interlocuteur:

"Comment t'appelles-tu ?"

Peter était un joli nom. Simple, mais très joli. Myllie n'en connaissait pas les origines mais supposait qu'il pouvait être venu d'un conte pour enfants. Tandis qu'elle fixait le jeune blond de ses yeux clairs et de son sourire apaisant, son esprit se mit à divaguer. Que pouvait-elle bien faire, à présent? Devait-elle lui déjà lui révéler qu'elle n'était pas une sorcière à proprement parlé, comme celles que Rowling dépeignait dans ses livres fantaisistes et teintés de magie impressionnante et foudroyante? Il perdrait peut-être tout intérêt en sa personne et passerait son chemin comme s'il ne l'avait jamais rencontrée. Pour autant, pouvait-elle affirmer qu'elle en était une ? Jusqu'à présent, la situation avait relevé d'un jeu pour la jeune femme, mais elle se refusait à mentir délibérément et ouvertement à une personne, aussi naïve que le semblait Peter qui plus est.
Alors qu'elle commençait doucement à se perdre dans son dilemme, elle fut tirée de ses pensées élusives par la brise qu'elle sentit s'intensifier ainsi que par un doux piaillement qui semblait l'appeler d'en haut. Elle leva la tête pour découvrir quelques oiseaux posés tout autour d'elle, sur diverses branches d'arbres bavards. Ceux-ci semblaient l'observer, et elle sourit, reprenant finalement ses esprits.

"Mon nom est Mylendra. D'où viens-tu, Peter? Il est rare de voir des humains s'aventurer dans cette forêt. Elle a plutôt tendance à effrayer, n'es-tu pas d'accord?"

Et elle caressa d'une main douce et maternelle une branche feuillue de vert qui se trouvait à quelques centimètres d'elle.
Autour de ces deux êtres faisant connaissance, les oiseaux continuaient de venir se poser en rond sur les arbres et les buissons qui murmuraient. Pour autant, Myllie ne prit pas peur ; elle souriait de plus belle encore. Jamais elle n'avait vu pareil évènement auparavant mais elle n'en était pas surprise. En son sens, le phénomène s'apparentait plus à un nouveau signe de l'Univers veillant sur elle, comme si celui-ci voulait lui faire comprendre quelque chose. Comme si cette rencontre avait quelque chose de grand, quelque chose du destin, et que les esprits mêmes de la Forêt s'étaient réunis pour y assister, spectateurs d'une nouvelle histoire sur laquelle ils tenaient à veiller.

Le tableau émouvant était apprécié de la jeune femme et elle tenait à le préserver, aussi elle prenait soin de ne pas révéler sa véritable nature pour le moment.

"Veux-tu marcher un peu avec moi ? Voilà longtemps que je n'avais pas rencontré un être qui t'étais semblable, faisons connaissance."

Et malgré son ton et ses tournures de phrase théâtrales, elle était sincère. De Peter se dégageait quelque chose d'inhabituel, une aura qu'elle n'avait pas pu sentir depuis un long moment. Des années, peut-être ? Elle ne parvenait à se rappeler à quand remontait la dernière fois qu'elle avait rencontré quelqu'un  dont émanaient les mêmes flux énergétiques. Apprendre à connaitre le jeune homme l'aiderait peut-être même à recouvrir certains de ses souvenirs disparus depuis la tempête ?

Tout autour, la forêt semblait doucement agitée. Les feuilles dansaient, les arbres riaient et Mylendra esquissa un sourire avec eux, comme pour leur éprouver sa reconnaissance alors qu'ils lui montraient le chemin. Elle esquissa un sourire doux à Peter lorsqu'il s'approcha un peu plus d'elle, sans pour autant remarquer que les branches les entourant l'y avaient poussé. La jeune femme se trouvait paisible et adoucie, comme chaque fois lorsqu'elle pénétrait en ce endroit mystique et magique, mais elle pouvait sentir autour d'elle une atmosphère différant légèrement de celle qu'elle avait pu connaître lors de ses autres promenades en ces lieux. C'était insignifiant, presque imperceptible, mais assez important à ses yeux et à son âme pour que ses sens s'en retrouvent inconsciemment aux aguets.
Lorsque les deux inconnus se mirent à esquisser leurs premiers pas, un oiseau vint se poser face à eux, comme pour les empêcher de poursuivre leur progression. Cela ne dura que quelques secondes, mais la sorcière pu tout de même admirer son plumage gris et brun.

"Un Mérion Elegant..."

Elle le reconnut à sa tête bleue et iridescente. Ces couleurs particulières étaient typiques des mâles de cette espèce, qui s'en revêtaient durant les périodes de reproduction. Cependant, les Mérions Elegants ne peuplaient originellement pas cette partie du globe et ne se reproduisaient pas non plus en cette période, ce qui ne manqua pas d'intriguer l'esprit curieux de la jeune femme, qui vit là encore une preuve de plus que l'Univers souhaitait lui démontrer que cette rencontre était des plus inhabituelles. L'oiseau, comme mué par la vocation de celui-ci, avait laissé un petit objet brillant tomber sur le sol avant de reprendre son envol. Myllie dû se pencher sur le sol et le ramasser pour comprendre qu'il s'agissait d'une pierre précieuse. Pourtant, elle fut incapable de déterminer le nom de ce petit caillou, de part ses couleurs étranges et inhabituelles. Elle le porta au dessus de sa tête, dans un rayon de soleil, comme pour tenter de voir à travers, mais ne s'en trouva que plus perdue lorsque les nombreuses teintes du minéral se mirent à changer pour refléter la lumière qui le traverser. Il émanait de ce morceau de Terre une énergie particulière, et la jeune femme refermait sa main autour pour mieux la ressentir lorsqu'elle fut interrompue par un nouveau murmure à son oreille, plus distinct et plus fort que les autres.

"Fait attention, fait attention aux lois. A ceux qui les dictent."

Un frisson inexplicable parcouru son échine. Elle répéta à voix basse :

"Les lois ?"

Pour la première fois depuis le début de sa nouvelle vie, la Forêt souhaitait l'avertir et non simplement la conseiller. Elle chercha encore des yeux ce murmure, comme pour lui demander se répéter, mais il semblait s'être évanoui dans la nature. Et elle s'en trouvait plus perturbée encore. Son cœur se mit à frapper un peu plus vite dans sa poitrine. De quelles lois parlait-on ? Celles que dictait l'Univers ? Devait-elle être plus attentive encore à ses signes si elle voulait porter à bien sa rencontre avec Peter ? Celles de la ville ? Peut-être faisait-il partie d'un autre groupe de survivants que le sien ? Etait-il seulement interdit de rencontrer des personnes appartenant à d'autres groupes ? Celles de la sorcellerie, peut-être ? Devait-elle garder secrète ses pratiques, Peter pouvait-il finir par les utiliser contre elle, ou contre sa religion elle-même ? Pouvait-elle finir par détruire quelque chose de bien plus grand qu'elle, en le partageant avec des inconnus ? Ou bien s'agissait-il d'une tout autre chose, qu'elle était simplement incapable de comprendre et d'imaginer pour le moment ?
Elle du se forcer à réduire la vitesse des battements de son cœur pour parvenir à se calmer, et ce ne fut que lorsqu'elle finit par retrouver un état plus ou moins apaisé qu'elle invita le blond à reprendre la marche.

Ainsi, tous deux se remirent en route, suivant un rythme lent. Les pas de Mylendra étaient dansants entre les pierres, ceux de Peter trébuchaient presque sur les irrégularités du chemin. Le corps de la jeune femme se fondait dans le décor de verdure naturelle et mystique, celui du jeune homme peinait à s'y frayer une place. Pourtant, tous deux progressaient au même rythme, et l'oiseau de joie prenait même un plaisir naïf à l'attendre gentiment lorsqu'il menaçait de prendre du retard, butant sur une racine ou une plante un peu trop grosse dans le travers de la route imaginaire que les deux inconnus se traçaient.
Lorsque, au bout de quelques minutes, le blond revint à la charge avec une nouvelle question concernant sa nature, le cœur de Myllie se serra encore légèrement. Elle ne savait que répondre. Pourtant, il ne voulait savoir. Il en avait même besoin, elle pouvait le sentir. Se tournant vers lui, elle se décida à ouvrir les lèvres sans réfléchir à ce qui en sortirait. Car après tout, si le destin la guidait, elle ne pouvait pas faire d'erreur en improvisant.

"C'est effectivement l'une des appellations que l'ont m'attribue, mais pas celle que j'utilise personnellement. Je préfère le terme de Wiccan, ou celui de Guérisseuse, car il s'agit là de ma spécialité."

Elle n'avait pas totalement réalisé ce qu'elle disait avant de terminer sa phrase, et remarqua seulement après coup que les mots qu'elle avait employé allaient certainement l'envelopper d'un voile plus mystique encore. Après tout, rare étaient ceux qui connaissaient les véritables définitions des termes Wiccan et Guérisseur. Mais cela l'arrangeait, en un sens. Elle avait une fois de plus répondu à sa question sans véritablement se trahir. Aussi, elle ajouta dans un sourire amusé :

"Mais je ne peux te montrer mes pouvoirs, ou je serais contrainte d'employer sur toi un sort d'amnésie. Et tu m'accordera que ce n'est pas le meilleur moyen de faire connaissance."

Et alors qu'ils poursuivaient leur marche lente, elle observa encore la pierre qu'elle tenait entre ses doigts, pensive.

"La magie est chose commune, coutume même, d'où je viens. Pourquoi t'intéresses-tu tant à la sorcellerie ? Fait-elle partie de tes croyances ?"

Sa mère lui avait appris que la grande majorité des humains associaient ces pratiques aux contes, et ne s'y intéressaient pas particulièrement, autrement qu'en rêve. Elle était aussi intriguée que le blond, de rencontrer quelqu'un semblant accorder tant d'importance à un rituel croisé dans une forêt. La plupart des gens l'auraient juste pensé illuminée, mais lui semblait aussi étrangement que naturellement passer outre cet aspect.

Peter semblait mal à l'aise. Comme hésitant, perdu dans des pensées inspirées de dilemmes philosophiques. Peut-être même tiraillé par une gêne fendue d'une pointe de honte, Mylendra pouvait aisément le ressentir. Aussi, elle lui adressa son regard le plus doux pour le rassurer lorsqu'il se racla la gorge, se décidant à plonger avec attention dans le récit offert par la voix et les mains dansantes du jeune homme.
La science était une croyance qu'elle ne chérissait pas au plus profond d'elle-même. Elle s'était toujours efforcée de l'accepter et de la respecter, mais n'était jamais parvenue à la comprendre. Aux yeux de l'oiseau rose, la science de l'invention que décrivait Peter signifiait technologie, et la technologie n'avait jamais été son fort. Pourtant, elle se surprit à sourire aux propos du blondinet. La passion était audible dans sa voix, perceptible dans ses gestes et ses yeux clairs. Ses mots, captivants de par leur ton. Et si la jeune femme ne pu s'empêcher de remarquer intérieurement le talent oratoire qui venait de s'éveiller chez son compagnon de route, force eut été d'admettre que le raisonnement énoncé évoquait même en elle une curiosité d'un nouveau genre ; la vision de Peter ne lui avait jamais été exposée par le passé et sa tendance à comparer les inventeurs aux sorciers lui décocha un sourire conquis. Elle s'amusa de le voir absorbé par la contemplation d'un papillon aux larges ailes roses et bleues quelques secondes ; elle-même aurait sans doute crié à la sorcellerie en rencontrant l'un de ces hommes de génie - si bien sûr elle n'avait pas été en connaissance de la véritable identité de la magie.

"Ainsi, tu es de ceux qui refusent de renier ce qu'on ne peut pas expliquer..."

Myllie aimait les idées qui semblaient s'échapper de cette tête blonde rencontrée entre deux arbres ; il y avait dans son visage expressif cette ardeur qui brûlait lentement, dans sa voix cette curiosité à en retourner les océans et dans ses poumons cette agitation qui ne demandait que plus de liberté. Elle esquissa un sourire lorsque qu'elle entendit le jeune homme faire référence à la catastrophe qui s'était abattue sur eux et laissa même un rire doux fendre son visage lorsqu'il lui confia son surnom.

"Merlin ? C'est un beau nom pour un inventeur !"

Elle lui adressa un regard joyeux:

"Oui, après tout, Merlin était selon la légende un grand sorcier, en avance sur son temps de par ses connaissances et ses pratiques. Comme les sont les scientifiques !"

Et elle rigola de plus belle. Jamais par le passé elle n'avait pu faire tel rapprochement entre science et occulte. Pourtant, maintenant qu'elle y pensait, cela paraissait si évident qu'elle peinait à comprendre comment elle avait pu passer à côté aussi longtemps. Il lui fallut quelques dizaines de secondes pour faire définitivement taire son rire, et elle s'empressa de s'excuser en posant une main légère sur l'épaule du Magicien:

"Pardon, loin de moi l'idée de me moquer ! Je trouve sincèrement que c'est un joli surnom. C'est simplement que- Attention !"

Elle pointa du doigt une racine un peu plus haute que les autres qu'il ne semblait pas avoir vu, pour lui permettre de l'éviter de justesse.

"... Simplement que tu viens de bousculer mon horizon sur la science en quelques phrases."

Elle laissa échapper un rire gêné avant de poursuivre.

"Ton point de vue m'était totalement inconnu et me rend curieuse. Comme tu l'as dit, par les temps qui courent, beaucoup de choses nous échappent. Et... Je ne pense pas me tromper en disant que tu les étudies, tout comme moi."

Seulement, leurs recherches et leurs opinions sur ces événements devaient drastiquement différer. Elle voyait en ces bouleversements des signes envoyés par l'Univers qui ne demandaient qu'à être déchiffrés, mais ne serait-il pas enclin à y décoder des données scientifiques et réparables, lui ?
Pourtant, son envie de découvrir réciproque, son évidente ouverture d'esprit face à l'inconnu la poussaient à s'intéresser à son avis sur leur histoire.
La curiosité brûlait les lèvres roses de la jeune femme. Elle y porta sa cigarette verte toujours dans sa main pour la rallumer et prendre une bouffée de fumée compacte.

"Est-ce que tu fumes ?"

De toute évidence, cet homme faisait partie intégrante des survivants de la ville. Elle n'avait cependant jamais reconnu son visage chez l'un de ses camarades Greens, et ne connaissait pas assez les autres groupes organisés pour déterminer où quelqu'un avait décidé de reconstruire sa vie à leur première rencontre.
Lentement, les mots glissaient le long de ses cordes vocales, poussés par une curiosité débordante. Ils se frayaient chemin jusqu'entre ses lèvres, pour prendre un malin plaisir à brûler sa langue à chaque pensée, et la jeune femme retint finalement sa respiration pendant quelques secondes pour réussir à se tirer hors son esprit adresser un regard doux au magicien.

"J'ai l'habitude de faire des expéditions, pour essayer d'en découvrir plus sur tout ça et... Ton avis m'intéresse. Peut-être que nous pourrions essayer d'explorer ensemble un jour, si ça te dit ?"

Ou peut-être était-ce trop, de proposer cela lors d'une première rencontre ? Elle s'empressa de développer son idée:

"Nos spécialités de connaissances ont l'air d'être très différentes. Je pense qu'on pourrait apprendre beaucoup, en essayant s'allier pour faire nos recherches."

Elle lança un nouveau regard à la pierre brillante qui logeait toujours au creux de sa paume de main, avant de la tendre à Peter.

"Qu'est-ce que tu penses de ce qu'il vient de se passer, par exemple ? Je veux dire, tous ces oiseaux, sur ces branches qui dansent, et puis ce Mérion Élégant qui vient offrir cet pierre avant de disparaître entre les arbres ? C'est... inhabituel, n'est-ce pas ?"

Petit à petit, le jeu d'acteur sorcier si théâtral jusqu'alors tombait pour laisser place à l'authenticité. Les expressions de l'oiseau de joie ne s'en trouvèrent alors que décuplées. L'intérêt pouvait se lire sur son visage, au travers de ses yeux attentifs à la réponse de l'inventeur, et les connections que faisait son esprit suivaient naturellement d'un air dansant. L'univers l'entendait.
Mettait les bonnes personnes sur son chemin.
Il était alors de son ressort d'en tirer humainement le meilleur pour faire le bien à son échelle, pour parvenir à comprendre le monde, à se comprendre elle-même.

Incapable de défaire le sourire accroché à ses pommettes, l'oiseau écoutait attentivement. Lorsque Peter la remerciait de comprendre, d'accepter ; elle hochait la tête avec douceur. La fierté ne s'était jamais véritablement manifestée chez elle, de toute son existence. Elle se trouvait curieuse, en recherche de savoir ; et un savant se devait d'être prêt à voir sa perception du monde basculer d'un instant à l'autre, au gré de ses connaissances grandissantes. Il était alors tout naturel de ne jamais refuser d'accepter une éventualité innatendue.
Elle pouvait sentir l'esprit tendu du jeune inventeur s'apaiser lentement à mesure de leur discussion ; elle pouvait sentir le sien s'élever légèrement à mesure de leurs pas.
Et lorsque le visage du blond s'illumina au son de la proposition qu'elle venait de lui faire, celui de Mylendra se colora de joie. Et lorsqu'il s'aventura à théoriser pour lui répondre, elle ne pu qu'acquiescer, attentive à ses mots.

"Je me demande bien ce qu'elle signifie, cette pierre. Je n'ai rien qui y ressemble, dans mon répertoire... Et ton reflet, tu dis..."

Elle cherchait dans son sac tout en parlant pour en sortir un carnet à la couverture de cuir abimée. S'il s'agissait bien d'un message, les significations et attributions du joyau pouvaient pourtant être un bon début de recherches. Mais l'apocalypse aidant, il était devenu bien difficile de se procurer des informations théoriques sur ce qu'on ne connaissait pas encore. Alors qu'elle parcourait les pages de son livre, a la recherche d'éléments intéressants à la réflexion, Peter poursuivait d'un air incertain. Il mentionna une silhouette entre les arbres, il aborda les murmures qui soufflaient comme la brise, et Mylendra sourit sans relever la tête de ses lignes d'encre. Mais alors qu'elle s'apprêtait à lui répondre, elle l'entendit accélerer le pas pour la doubler. Elle leva la tête pour découvrir une sortie gentiment dessinée par les feuillages touffus des arbes à quelques mètres de là.
Étrange.
Elle était pourtant convaincue qu'en marchant dans cette direction, ils pourraient profiter d'une ballade bien plus longue.
Marquant sa page, elle ferma le livre pour rejoindre son compagnon de route dans la lumière aveuglante du jour ensoleillé, donna quelques secondes à ses yeux pour s'habituer au teint de l'atmosphère et comprit finalement où ils se trouvaient lorsque Merlin se tourna vers elle dans un sourire solaire.

"...Mais! Ce sont...!-"

Ses yeux pétillants et son ton excité se firent nettement arrêter par un incident aussu facheux qu'inattendu. Peter, genou à terre, semblait suffoquer après avoir tenté de fumer. Immédiatement affolée, l'oiseau le rejoint à genoux et enchaina d'une voix inquiète:

"Ohlala, Peter, est-ce que tout va bien ?!" elle saisit son visage de ses doigts délicats pour s'assurer qu'il n'avait rien "Je ne savais pas que tu- Enfin je...- Pardon !!"

Elle chercha de nouveau dans sa sacoche pour en sortir une petit gourde à moitié remplie d'eau claire et la lui tendre.

"Tiens, l'eau devrait soulager ta gorge. Tu peux boire autant que nécessaire !"

La culpabilité grignotait le bout de ses doigts. Aurait-elle dû s'abstenir de le lui proposer ? Aurait-elle dû comprendre qu'il n'avait jamais - ou très peu fumé avant cette fois ? Que devait-elle lui dire, pour ne pas le blesser ?
Quelle imbécile...
Elle se contenta de se taire et d'attendre qu'il aille mieux en le couvrant d'un regard aussi concerné que désolé, tandis que tout autour d'eux, les rochers flottaient à plusieurs mètres au dessus du sol.
La situation était d'une douce ironie ; ils étaient une sorcière, un sorcier, à genoux sur la Terre et surplombés par la magie de ce Monde.

La situation était des plus farfelues.
Merlin se tenait devant elle, toujours à genoux et les larmes aux bords des yeux. Il accepta sa gourde en blâmant son égo et l'exploratrice secoua la tête en souriant. Pendant un instant, il lui rappela son adolescence et les premières bouffées de fumée opaque tintées de curiosité et de fierté mal placée.
Fort heureusement, il ne fallut pas bien longtemps au scientifique pour se remettre de son mal. Quelques quintes de toux plus tard, il était de nouveau sur pieds et souriait. À ses côtés, Mylendra avança lentement sous les rochers flottants, laissa son regard admiratif caresser la pierre mousseuse.

"Incroyable... Je n'étais encore jamais parvenue à arriver jusqu'ici. J'en rêve depuis... longtemps !"

Elle en perdait ses mots, mais pas son sourire. Elle fit un bond en avant et tourna sur elle-même, le regard plongé dans le plafond de roche volante orangée qui dépassait l'entendement. Ses yeux brillaient d'excitation.

"C'est si joli !"

Si elle avait pu le faire, la sorcière aurait adoré fixer cet instant dans une image ; le figer dans le temps et à jamais. Elle s'efforçait de le photographier avec son esprit, de mémoriser chaque rayon de soleil rougeoyant, chaque reflet coloré sur la pierre, chaque flottement apaisant dans l'air, chaque brise délicate caressant les visages.

Elle aurait aimé que ce moment perdure indéfiniment.

Mais comme toujours, la réalité parvint à rattraper les deux aventuriers ; et la prise de conscience du temps qui passe s'en suivit fatalement, s'abattant sur la sorcière comme un rocher qui aurait perdu sa capacité à planer dans les airs. Peter se devait déjà de mettre fin à leur rencontre. Il mentionna une émission et lui tendit rapidement un morceau de papier qui semblait s'apparenter à une carte de visite. En la lisant, la jeune femme ouvrit des yeux surpris.

"Ah, mais c'est toi qui anime la radio ! C'est super, j'aime beaucoup ton émission !" un rire gêné fendit son visage "Je t'avoue me sentir un peu idiote de ne pas avoir reconnue ta voix."

Elle sorti un petit carnet abîmé de sa sacoche pour y ranger soigneusement le morceau de papier.

"Je te rendrai visite avec grand plaisir ! Je n'ai jamais assisté à la réalisation d'une émission de radio, ça m'intrigue beaucoup."

Son carnet rangé, elle replaça sa sacoche sur sa hanche et adressa un sourire doux à l'inventeur.

"Je pense rester un peu plus longtemps ici." un air concerné gagna ses yeux pendant une seconde "Si tu pense savoir retrouver ton chemin dans les bois !"

Ils avaient dû traverser toute la forêt pour arriver ici, et effectuer le chemin inverse allait lui prendre un certain temps. Néanmoins, le blond affirma pouvoir s'en sortir seul et elle acquiesça, pour finalement le laisser partir dans un au revoir chaleureux.
Une fois seule, elle s'étendit dans l'herbe pour laisser son regard se perdre encore dans la contemplation des roches flottantes.
Doucement, les images de cet après-midi aux teintes mystiques défilaient de nouveau dans son esprit.
Calmement, son tintement résonnait entre les pierres pour se perdre en écho dans ses pensées.
Elle laissa ses paupières s'abaisser, la couper de la réalité,
et figer le temps,
juste pour un instant.