Remains of Nothing [PV : Mac - Date du calendrier : 1/11]

Du vrai chocolat qu'il dit, et le visage de Maddie semble s'illuminer immédiatement, tandis que celui d'Ashton reste aussi impassible que d'ordinaire. Il a un coup d'œil hésitant vers l'enthousiasme de Liam, pas vraiment communicatif. Il ne sait pas trop ce que ça implique, du vrai chocolat ; à la maison, ils réchauffent le lait au micro-onde et mettent du chocolat en poudre bon marché, et ça leur paraît assez vrai comme ça.

Alors il est hésitant Ashton, les mains moites serrées dans ses poches, il ne regarde pas trop Marshall, il ne sait pas quoi faire de sa douceur, ni comment la prendre ni comment la renvoyer. Méfiant comme un animal sauvage qu'il faut apprivoiser, il est distant dans son attitude, comme dans ses mots lorsqu'il dit enfin :

– Ah, je sais pas, c'est que...

C'est qu'il y a un père probablement un peu alcoolisé qui les attend à la maison, tous les jours depuis qu'il a arrêté d'aller travailler, et peut-être qu'il s'est déjà endormi devant la télé à cette heure-ci, peut-être qu'il ne remarquera pas leur absence avant que leur mère ne rentre dans la soirée après avoir débauché, ou bien les attend-t-il déjà dans l'entrée car ils sont restés trop longtemps dehors, et peut-être qu'il échangera quelques cris avec Ashton pendant que Maddie se réfugiera dans sa chambre en silence pour faire ses devoirs, faire comme si elle n'entendait rien, ou bien-...

C'est la main de Maddie qui le sort de ses réflexions, il est resté muet quelques secondes, et quand il baisse la tête, il la voit lui faire ses gros yeux de chiots en tirant sur son bras. "Dis oui, s'teuplait s'teuplait s'teuplait" qu'il peut lire dans ses iris.

N'importe où, c'est toujours mieux que la maison. S'il peut l'épargner de cet enfer pendant ne serait-ce qu'une soirée, alors soit ; c'est lui qui prendra la plus grosse partie des engueulades de toute façon.

– Bon, ok.

Il cède, comme il cède toujours lorsque Maddie l'impératrice rentre dans l'équation, et son cri de joie suivi de ses bonds lui soufflent que c'est sûrement mieux comme ça.
(qu'ils puissent souffler, tous les deux,
au moins pour ce soir)

Ashton se sent à l'étroit dans la voiture : elle est trop spacieuse et ça l'angoisse. Trop propre, aussi. Trop silencieuse, le genre de voiture qui n'a aucun soucis sous le capot, qui démarre au premier coup de clé.  Il y a Maddie au milieu qui répond avec entrain à toutes les questions, parfois à la place d'Ashton quand elle sent qu'il est pris de court. Son esprit est occupé à divaguer aujourd'hui, plus que d'ordinaire ; dans son angoisse, il remarque à peine la main de Maddie dans la sienne. Il ne sait plus si c'est lui qui l'a prise, ou si c'est elle.

Lorsqu'ils arrivent, il est le premier hors du véhicule, mais il se sent toujours minuscule. Leur maison fait rêver : pas de bouteilles vides sous le porche, pas de morceaux de verre dans l'allée, d'herbe jamais tondue, de vieux jouets cassés ou délavés gisant ici et là. Pas l'ombre d'une enfance éventrée, à priori.

Il a les bras balants, debout là, quand Liam et son père prennent des sacs et se dirigent vers l'entrée : sur le chemin, Maddie sautille autour d'eux et leur propose de porter un sac, elle aussi.

Être un adolescent en 2019 ? La question suscite un malaise de plus en lui qu'il ne s'explique pas vraiment, il ne connait pas la réponse, ou du moins, il ne la connait plus. Ravalant son angoisse, Ashton répond avec beaucoup d'éloquence :

– Bah, j'sais pas. Normal.

Il n'y a rien de normal dans sa vie, mais c'est plus facile de sortir une réponse toute faite ; il n'attend probablement pas une vraie réponse, pas un ''c'est un enfer'' honnête et fataliste. Et puis, il ne répondrait jamais ça devant Maddie.

À l'intérieur, il prend un temps infini à essuyer ses baskets dans l'entrée, il ne veut pas souiller leur maison, ramener la crasse qu'il traîne avec lui à l'intérieur de ces murs. Ce n'est pas ce genre d'endroit.

La seule chose qui le réconforte, c'est Maddie : elle semble savourer le moment. Elle a abandonné ses chaussures sur le paillasson sans demander l'avis de personne ; elle vivrait sa vie pieds nus si elle le pouvait. Ashton aussi voudrait pouvoir profiter du moment, de l'accalmie, mais il a oublié comment faire ; alors il reste assis là, à côté de Liam, hésitant et les bras croisés sur la table.

Il prend du temps pour répondre à chaque question que Marshall lui pose, aussi banales soient-elles, et chaque réponse est distante, évasive, ça manque d'entrain. Maddie compense avec son enthousiasme : elle suit chaque mouvement de Marshall avec curiosité, s'improvise assistante de la cuisson du chocolat, mais également gouteuse attitrée.

La question la fait alors rugir de bonheur et de famine, quand bien même elle a englouti une gaufre il n'y a même pas une heure :

- Oh oui oui oui ! On pourra les tremper dans le chocolat chaud !

Ashton se retient bien d'avouer qu'il avalera tout ce qu'on lui tend, et se contente de hocher distraitement la tête. Sur la table, il ramasse un samouraï et le tourne lentement pour l'admirer sous tous les angles.

– Il est cool, qu'il lâche simplement à l'attention de Liam, avec beaucoup de sincérité néanmoins.

Intriguée, Maddie abandonne les fourneaux pour venir voir elle aussi ; lorsqu'elle comprend de quoi il s'agit, elle s'exclame avec beaucoup plus de passion que son frère :

- C'est toi qui a fait ça Liam ? C'est trooop cool ! Comment tu fais ?

Elle tourne vers l'adolescent deux grands yeux bleus ébahis, alimentée par son appétit naturel pour les choses qu'elle ne comprend pas.
En ça, Ashton et elle n'ont jamais paru plus similaires.