Shattering // Nemo

résumé de la mort qui tue:

« C’est pas lui. »

Le carrelage froid de la morgue commençait presque à te réconforter. Encore une fois, tu avais perdu ton temps. Il fallait dire que ton géniteur était un homme tout ce qu’il y a de plus basique. La petite cinquantaine, des cheveux grisonnants, probablement des rides en plus depuis votre dernière rencontre, bien avant la tempête. Il n’était pas particulièrement beau, mais il n’était pas laid non plus. Qu’est-ce que tu aimais chez Papa ? Que tu avais demandé, un soir où les grésillements de la télévision ne suffisaient plus à faire taire le silence. Tes yeux se sont accrochés aux siens fuyants, tu cherchais une réponse au fond de ses prunelles mais tu étais incapable de capter ses iris. C’est un sourire qui a retroussé la commissure de ses lèvres, elle a répondu presque en fredonnant. Je ne me souviens plus.

Tu n’as jamais été un enfant curieux de la vie amoureuse de tes parents. Cela t’a toujours désintéressé, tu te fichais de savoir si c’était l’amour fou ou la guerre froide. Ce que tu ne comprenais pas, en revanche, c’était les choix de ta mère. Ta mère, elle était belle. Si belle, que les hommes n’avaient jamais cessé de lui offrir des bouquets de roses comme on s’arrache le cœur. Elle avait de longs cheveux noirs qui ne semblaient jamais trouver de fin, des yeux aussi clairs que l’eau d’un ruisseau et son sourire aurait pu rendre aveugle la planète entière. Ta mère, elle était si belle et tu as souvent eu la prétention de dire que tu lui ressemblait. Ton père, lui, était d’une beauté banale. Ses cheveux bruns tombaient platement sur son front plissé, ses yeux noirs semblaient éteints depuis longtemps. Il n’était pas bien grand, pas bien fort non plus, on pouvait presque entendre son dos se tordre sur lui-même. Ton père, il n’avait rien de particulier et tu as toujours peur qu’au fond, tu lui ressembles aussi.

Chaque fois que tu te rends à la morgue, tu te poses la même question : Pourquoi continues-tu de venir ? Après tout, ton père et toi, vous n’étiez pas proches. Il t’appelait deux fois par an, pour ton anniversaire et pour noël. Vos conversations ne duraient jamais plus de dix minutes, c’est à peine si tu te souviens de la tonalité de sa voix. Pourtant, tu avais besoin de savoir. Besoin de savoir si la seule famille qu’il te reste est morte ou non. Tu avais besoin qu’au moins une chose dans ta nouvelle vie soit ordonnée. Et il a fallu que ça tombe sur ton père. Mort ou Vif, peu importe. ((Tu as besoin de savoir.))

Les terres sécurisantes des Greens s’accrochent finalement à tes pas, ta tête est encore entre les néons de l’hôpital. Au fond, tu étais en colère. En colère contre ton père, en colère contre toi-même. Tu aurais voulu qu’il ne reste pas à Arcadia après la mort de ta mère. Tu aurais voulu qu’il disparaisse, comme vous avez disparu, ta mère et toi, quand tu étais enfant. Tu aurais voulu qu’il continue cette mascarade du fantôme, loin des yeux, loin du cœur mais surtout de ta tête. Peut-être même que tu aurais voulu qu’il meurt devant tes yeux plutôt que de laisser planer le doute. Parce que tu as horreur de l’incertain.

« Où étais-tu, Nemo ? Je te cherchais. »

La voix de Calico perce l’atmosphère et disperse le brouillard de tes pensées, tes yeux s’accrochent aux siens comme à une bouée de sauvetage. Cela ne dure qu’un dixième de seconde mais tu aurais presque envie de te laisser aller dans les bras de la féline. Juste pour un peu de réconfort. ((Juste parce qu’elle te manque.)). A la place, tu te contentes de sourire, sourire hypocrite fait de plastique et d’artifices, ta voix faussement chaleureuse résonne entre vos silhouettes. « Je te manquais ? ». Ton âme d’enfant égaré ne cesse de murmurer. ((Dis Oui, je t’en pris.))

Recap:

résumé de la mort qui tue:

Tu manquais au groupe. Ça t'arrache un gloussement amer. Avec les Greens, tu n’étais plus tout seul mais tu n’étais plus le seul et ça, ça te rendait dingue. Tu t’accrochais désespérément à leur stabilité, à la sécurité qu’ils t’offraient gracieusement. Mais dès qu’il ne s’agissait plus de toi, tu serrais les dents. Chez les Greens, on mange, on boit, on dort, on réfléchit, on vit à l’unisson. Le collectif passait en premier, vous étiez tous une composante d’une même entité. Mais toi, tu voulais autre chose. ((Tu voulais qu’on pense à toi.))

Calico, tu la regardes, tu l’écoutes, et tu ne peux pas t’empêcher de te dire qu’elle aurait pu tourner sa phrase autrement. Ce n’est pas pareil sans toi. On a besoin de toi. J’ai besoin de toi. Quelque part, même si tu la sais plus mordante et froide, t’as l’impression qu’elle veut te faire souffrir. Et toi, tu en redemandes. Parce qu’au final, c’est la seule attention que tu peux te permettre d’accepter.

Les mots de Poe raisonnent encore dans ta tête, tu hausses les épaules en ricanant légèrement. « Tu parles de Clown-Fish le médecin ou Nemo le jeune homme ? ». ((Précieux.)). « Ok, ok, j’arrête de plaisanter, cette fois, haha ! ». Tu connais la réponse, de toute façon. ((Ce n’est jamais celle que tu veux.)). « On ne peut pas simplement sortir comme ça, tu le sais, c'est dangereux. ». Elle a raison, Calico. ((C’est dangereux.)). Tu aurais pu te faire piller, poignarder, écraser. Tu aurais pu te blesser, te retrouver coincé des décombres, de la ferraille ou peu importe. Tu aurais pu te faire kidnapper, te faire agresser, mourir peut-être. Mais voilà, rien ne se passe. Tu es toujours là.

Calico, tu la regardes toujours mais tu ne dis plus rien. Tu te contentes de sourire, le sourire plat, qui creuse tes joues et qui forme une courbe lisse, parfaite. Le sourire que tu sers à toutes les sauces, le sourire en plastique, le sourire qui sonne creux quand on tape dessus. Tu avais encore l’odeur des cadavres de la morgue qui collait à tes cheveux et le grésillement des néons qui occupait tes oreilles. Calico, tu auras beau lui rendre ses regards, elle va finir par s’en apercevoir. Ton corps est devant elle, mais ta tête est restée là-bas.
Avec les morts.

Tu as un mouvement parasite, ta main qui se glisse dans ta poche pour récupérer un paquet de cigarettes qui n’existe plus. Ça fait des mois que tu ne fumes plus et pourtant, chaque fois que t’es anxieux, ça revient. La nicotine, c’est une histoire qui a commencé peu de temps après le décès de ta mère. Tu enchaînais les soirées étudiantes, la musique qui couvrait à peine tes murmures, les mégots qui passaient d’une bouche à une autre. C’était une fois pour essayer. Deux fois, pour aborder une demoiselle. Trois fois, parce que le frottement au fond de ta gorge te manquait. La fumée piquait les yeux, piquait le nez et te donnait parfois une bonne excuse pour expliquer tes larmes.

« Et tu n'as pas répondu à ma question : où étais-tu à une heure pareille ? »

Calico, elle ne dit pas ce qu’elle pense. Tu le sais parce que toi aussi, tu es de ce genre-là. Tu dis ce que les autres veulent entendre, vérité ou mensonge, au final, tant que ça fait pas mal, c’est que c’est bien. Ton sourire se crispe, tu pourrais presque croire que les muscles de ta mâchoire sont aussi rigides que ceux des macchabés cachés sous les décombres. « A l’hôpital mais c’est pas important. Tu vois, je suis là, en un seul morceau. ». Tous les poissons sont dans l’aquarium. ((Même si tu as coincé ta nageoire dans les fissures du verre.))

Recap:

résumé de la mort qui tue:

Calico et toi, vous êtes pareils, tu en es intimement convaincu. Cette distance qu’elle applique religieusement entre les autres et elle, entre toi et elle, tu la connais. Cette ligne imaginaire qui n’existe que dans vos têtes, le mur de briques invisible que vous avez construit chacun de votre côté avec un joli dessin sur le devant pour que les gens ne cherchent pas à aller plus loin. Vous n’avez pas choisi les mêmes couleurs mais le résultat reste le même. Personne ne cherche à défoncer la bâtisse. C’est le plus important. ((Sauver les apparences.))

Calico, elle se rapproche et tu sens ta gorge se resserrer. Tu te sentais comme un enfant qu’on gronde sans même savoir de quoi il s’agit. Et même si tu fais cinq bon centimètres de plus qu’elle, tu peux pas t’empêcher de te sentir tout petit. ((Quelle horreur.)). Ton masque d’arrogance est fissuré depuis ton retour de l’hôpital mais tu continues de maintenir les morceaux ensemble. Tant bien que mal.  «  Marche un peu avec moi, tu veux bien ? ». Il semblerait tout de même que le pire soit à venir.

Tes pas suivent les siens en silence. Tu te contentes d’arborer ce sourire sans saveur, comme une sécurité qu’on aurait du mal à désactiver. Tu n’es pas stupide. Tu sais ce qu’implique les “balades” avec Calico. Tu connais l’emprise qu’elle peut avoir sur toi, que les femmes avec son assurance peuvent avoir sur toi. Tu t’accroches, trop vite, trop tôt, tu t’accroches et tu ne peux plus lâcher car le vide s’est déjà creusé sous tes pieds. Tu es suspendu au milieu du vide et ton seul repli est l’attention fragile qu’elles accepteront de t’accorder. Alors tu fermes les yeux, tu fais ce qu’on te dit et peut être qu’un jour, ta loyauté sera récompensée.

Calico et toi, vous êtes pareils, tu le sais, c’est tout. Quand elle te demande, « Tu t'y rends souvent, à l'hôpital. Tu es encore en un seul morceau, mais tu es sûr que tu vas bien ? », tu ne vois pas d’inquiétude réservée à ta personne. Tu vois son intérêt. Ce besoin que les choses restent à leurs places, sous son contrôle, que rien ne dépasse, que tout soit parfait. Ça t'arracherait presque un rire mesquin mais tu te retiens, te contentant d’un énième sourire en carton. « Je vais bien. ». ((Merde.)). La tonalité de ta voix vacille, Calico l’aura probablement remarqué puisqu’elle insiste. « Tu sais que tu peux me parler, n'est-ce pas Nemo ? ».

Tu peux me parler, Nemo. ((Je ne sais pas.)). Tu peux me parler, Nemo. ((Je ne sais pas ?)). Tu peux me parler, Nemo. ((Je ne sais plus ?)). Tu peux me parler, Nemo. ((Je ne sais plus.)). P a r l e - m o i.

Ça résonne dans ta tête, les fissures du masque s’élargissent et finalement, ton soupir balaie la façade d’argile imaginaire. « Je vais juste à la morgue de temps en temps pour vérifier si un corps correspond à celui de mon père. Voilà tout. ». Tu la regardes, ses griffes enfoncées dans tes écailles. Ce que tu pouvais être faible, Berlioz.

Recap:

résumé de la mort qui tue:

Les mots t’ont échappé délicatement mais ta frustration est brutale. Tu le sens dans ta mâchoire crispée, dans le rythme de ton pouls qui s’est accéléré, dans les morceaux de masque qui sont tombés. Quand ton nouveau monde a bâti ses fondations sur les apparences, c’est tout un univers qui tremble à chaque parcelle de sincérité. Tu ne peux pas être franc, c’est interdit. Car tes pensées peuvent blesser, peuvent gêner, peuvent rendre confus par toutes les vérités qui grouillent derrière tes lèvres scellées. Alors tu ne dis rien, seulement ce qui est nécessaire, seulement ce qui fait plaisir, ce qui est charmant et agréable à entendre.

Avec Calico, tu sais que la confession est toujours préférable au mensonge. Tu es trop faible face à son regard sévère, face à ses attentions rares et désirées. Tu es faible alors tu cèdes, tu laisses tomber et tu pries pour être récompensé. Mais Calico ne semble pas satisfaite, pas autant que tu l’aurais désiré. Elle soupire, ta bouche s’assèche, elle ralentit, tes palpitations s’accélèrent.

« Nemo ... »

Ton surnom s’enroule autour de ta gorge comme une corde usée. Tu sentirais presque la friction de la matière contre ta peau délicate, le souffle qui te manque, tu n’oses même plus la regarder dans les yeux. Calico, tu la connais. Tu sais comment elle résonne, tu sais d’avance ce qu’elle va te dire. Mais tu n’as pas envie de l’entendre. ((Pitié, ne dis rien.)). Mais elle ne peut pas capter tes pensées, Calico. Alors le coup de grâce tombe sans ménagement.

« Ça fait un an. »

((Ça fait un an.)) Ça résonne. ((Ça fait un an.)) Tu le sais, ça. Tu comptes les jours, tu barres les semaines, tu empiles les mois et parfois, tu reviens à observer les heures, les minutes qui passent. Tu sais que le temps ne cesse de s’écouler sans que les résultats que tu attends ne daignent se montrer. Mais tu n’es pas habitué à l’échec, alors tu t’entêtes et Calico aussi. « Combien de corps non-identifiés font vraiment encore surface ? ». C’est un faux sourire immense qui ravage ta face, tes yeux s’égarent partout sauf dans les siens. C’est trop dur. La défaite.

« J’ai besoin de le voir pour être sûre. ». Ton visage est toujours aussi figé dans cette expression de plastique que tu affiches au Monde. C’est difficile de t’en détacher, mais quelque chose n’est pas pareil. Il y a une tonalité dans ta voix, à peine perceptible, Calico s’en sera probablement rendu compte. Le ton mielleux qui anime habituellement ta langue s’est perdu au fond de ta gorge. Tu as le timbre plat, fade, tu n’essaies plus de plaire. Tu es juste là. « Je me fiche qu’il soit mort ou non. J’ai juste besoin d’en être sûre. »


TW MENTION SUICIDE/MORT


Allo, vous êtes bien Berlioz Hargreeves, le fils d'Adélaïde Hargreeves ? ((Oui, c’est moi.)). Nous avons retrouvé votre mère dans votre salon, c’est votre voisine qui a appelé les secours- ((Elle va bien ? Que s’est-il passé ?)) Je suis au regret de vous annoncer qu’elle est décédée. Toutes mes condoléances. (( … Hein ? ))
Tu n’y croyais pas.
C’était une erreur.
Une farce.
Tu n’y croyais pas.

« J’ai besoin de voir un corps. ». Les sirènes des ambulances. Les couloirs infinis de l’hôpital. Le drap blanc. « Tant que je n’aurais pas vu de corps ... ». L’explication creuse du médecin, la tonalité du téléphone. ((Allo, Papa ?)). « … je ne pourrais pas y croire. ». ((Maman est morte.))

Recap:

résumé de la mort qui tue:

Mon fils, c’est le meilleur.

Quand bien même certain.e.s parvenaient à lire entre les lignes de ton hypocrisie cordiale, tu n’éprouvais aucune honte à affirmer que tu détestais le mensonge. Que ce soit toi ou les autres, même si la vérité n’était pas belle à entendre, il était plus judicieux de ne rien dire plutôt que de se confondre en fausses paroles. Alors quand ta mère te disait “Mon Berlioz, tu es le plus beau”, “Mon Berlioz, tu es le plus intelligent”, “Mon Berlioz, tu es le meilleur”, tu faisais tout pour que ses mots ne soient jamais faux.

A sa mort, tu fus bien obligé de mettre de l’eau dans ton vin. Tout n’était pas blanc ou noir mais les apparences préservaient cet aspect binaire. La vérité a mille visages mais qu’un seul n’est acceptable et c’est bien souvent le moins représentatif. Tu l’as compris et tout ton comportement s’est articulé autour de cette révélation. La vérité ne prend le visage que de celle que les autres désirent, qu’il en soit ainsi.

Pourtant, là, avec Calico, tu n’y arrives pas. Te voilà partagé entre ton envie d’être la vérité qu’elle désire et ton besoin d’être ta propre vérité. Le fait que tu as besoin de savoir. Tu as besoin de connaître la vérité. Elle voudrait que tu la construises, que tu la façonne à l’image qui serait la plus avantageuse au nom du groupe, au nom de Greens. Le fait est que, même en vivant à travers le regard des autres, tu gardes en tête que la priorité. ((C’est toi.))


« C’est à moi que tu dis ça ? »


Ca t’échappe dans un sourire, pas moqueur, pas arrogant, juste amer. Le fait est que tu ne connais pas vraiment la vie de Calico. Tu ne peux pas juger, tu ne te le permettrais pas. Mais il persiste cet accord secret, silencieux, le pacte imaginaire que vous avez signé avec vos yeux, vos regards se croisant alors que ta voix fragile tranchait l’ombre de ton père, dans les recoins de cette église. Et c’est comme si la colère de ce jour remontait par picotement au bout de ta langue de serpent.

« On est pas tous capable de vivre la frustration de ne jamais pouvoir connaître la réconciliation. ». A qui tu t’adresses, Nemo ? ((A toi ou à elle ?)). Tu pousses un bref soupir, étouffé entre tes lèvres qui s’étirent de nouveau en un rictus fatigué. « Je ne suis pas qu’un poisson. Je suis un humain avec des sentiments avant tout. »

Le regard fuyant de ton père. Les costumes noirs. Le cercueil ouvert. Les fleurs. Tellement de fleurs. Trop de fleurs. ((Ca te gratte la gorge)). T’es même pas foutu d’être là. Il ne te regarde pas. Tu l’as laissé seule. Tu le fusilles du regard. C’est de ta faute si elle est morte, Papa. Il ne te voit plus mais elle, oui. ((Calico)).


« Je me souviens de toi, avant tout ça. Et je sais que tu t’en souviens aussi. De cette dispute que j’ai eue avec lui. Je t’ai vu. »


T’as besoin d’une cigarette.


« Je n’irais plus à la morgue si c’est ce que tu veux. Mais ne me dis pas quoi ressentir. Ne m’impose ce que toi, tu t’imposes. »


L’odeur de la mort occupe trop l'atmosphère pour l’oublier.

Recap:

résumé de la mort qui tue:

Ce que tu pouvais être cruelle, Calico.

Tu la regardes et tu en perds presque ta voix. Sa gestuelle, son timbre de voix, la formulation de ses phrases. Chacun de ses mots t’enfonce sous terre, des coups de massue qui t’écrase, qui t’écrabouille, tu pourrais presque croire que ton corps est réduit en charpie. Et comme c’est Calico, tu n’arrives plus à garder la tête haute. Ton regard se perd au bout de tes chaussures, les épaules frêles qui menacent de se briser toutes les secondes sous le poids des représailles.

Tu continues de lutter, tant bien que mal, ta voix s’extirpe de ta gorge en pointillé, tes iris se cachent derrière tes paupières alors que tu tentes de répondre sans perdre ton aplomb déjà dégonflé.

« … Pourquoi pas ? Pourquoi la réconciliation ne serait-elle pas possible ? Après tout, il y a un an, personne n’aurait prédit qu’on en serait là aujourd’hui, non ? ». Surtout ne la regarde pas dans les yeux, Nemo. ((Tu risques de te transformer en statue de pierre)). « Alors pourquoi ce serait si invraisemblable de retrouver mon père ? ».

Ton père n’était pas comme toi. Tu le sais, c’est ta mère qui te l’a dit. Elle le savait très bien, elle aussi. Elle te l’a suffisamment répété. Il a peur du conflit, alors il se cache. Il a peur des représailles, alors il se tait. Il a peur de ta haine, alors il t’a fui. Ton père avait peur de me perdre, alors je suis partie avant qu’il ait peur de m’abandonner. Les mots de ta mère, murmurés dans l’obscurité de sa chambre lugubre, ils te reviennent parfois en tête. Et encore aujourd’hui, tu n’es pas entièrement sûre de ce qu’elle a voulu dire.

« Je le sais ! ». Ton éclat de voix t’a surpris, tu as instantanément calmé ton timbre. « Bien sûr que je le sais ... ». Tes lèvres se pincent entre elles, tu pourrais presque sentir ses griffes se planter dans ton cerveau. « Mais on parle de mon père, on parle de vraies personnes, là … Pas d’un portable ou d’une jolie robe qu’on aimait bien. Pour avoir un nouveau monde, faut bien avoir des gens pour l’alimenter, je sais pas ... ».

C’est foutu, elle t’a eu.
((T’es prisonnier, Nemo)).

Recap:

résumé de la mort qui tue:

Tu ne t’aimais pas quand tu réagissais comme ça. Calico avait ce pouvoir, cette capacité à te faire douter, à te faire tourner en rond, tu étais un chaton et elle agitait mollement un fil de laine pour t’exciter. Mais tout ça, c’est dans ta tête, Nemo. Calico ne se soucie pas suffisamment de toi pour se fatiguer à rentrer dans ton jeu. Tu es tout seul et tu n’arrives plus à bouger parce que tu t’es emmêlé dans tes propres mailles. Tu t’embrouilles, tu bafouilles, tu perds toute la contenance, toute l’assurance, tu retombes en enfance.

Ce pauvre
Petit
Berlioz.
((Pathétique))

Tu ne sais plus, tu n’avais jamais su. Calico est-elle une main tendue ou un couteau pointu ? Et voilà que sa question te transperce le cœur, tu sentirais presque le sang inonder ta bouche et remplir tes poumons. C’est comme ça, quand elle te parle de cette façon, quand elle te regarde avec cette expression, t’es faible. Tu fermes les yeux, persuadé qu’avec un peu de chance, tu arriverais à disparaître sans laisser de traces. Ta voix tente pourtant de répondre, les mots peinent à sortir.

« C’est … C’est pas ce que j’ai dit. »

C’est foutu, tu n’arrives plus à la regarder dans les yeux, le bout de tes chaussures semble être devenu un point de repère dans la tempête de ses regards. Même dans la nuit, même dans l’obscurité, tu peux les sentir, froids, blessés, accusateurs presque. Toi qui t’efforce de prouver ta valeur, de prouver que tu n’es pas qu’un simple infirmier de lycée, tu te retrouves à baisser la tête devant la première femme assez autoritaire pour être ta mère.

« Je ne sais pas … Je ... ». C’est de la transpiration que tu sens perler sur le coin de ton front, Nemo ? Il manquait plus que ça. « C’est juste que … ». Tu n’arrives plus à terminer tes phrases, tu te noies dans l’océan de ses reproches. « … J’ai besoin de … Je veux … Je dois savoir. ». Mais tu n’y arrives pas, ça ne sort pas comme tu le veux, et ta voix se retrouve étouffée par la pression sur ta gorge. Savant mélange de frustration, de tristesse, de peur, de colère, tu ne sais plus quoi dire, quoi faire. ((Ta tête va exploser))

« Justement. Justement ! ». Tu redresses finalement la tête, essayant de reprendre un peu de contenance malgré la pression qui pèse sur tes épaules, le regard de la doyenne qui fait trembler tes os. « Tu arrives peut-être à considérer les disparus comme morts mais pas moi. Il me faut un corps, des cendre, même des os, je m’en fous. J’ai BESOIN de preuves, j’ai besoin de pouvoir me dire “Ton père est mort, passe à autre chose”. ».

Tu pousses un soupire, la fatigue tire même sur un rire nerveux coincé au fond de ta gorge. « D’ailleurs, rappelle-moi quelque chose, tu veux bien ? ». T’as les nerfs qui lâchent, la langue qui se délie, la patience qui s’effrite. « En quoi ça te dérange que je fasse ça, hein ? En quoi ça dérange mon boulot, ici ? Je le fais sur mon temps libre, pour moi, je suis prudent. En quoi ça te REGARDE ce que je fais en dehors des Greens ? C’est quoi le problème ? ». Nemo, surveille ton langage. Tu vas le regretter. « C’est pas parce que t’as abandonné que je vais faire pareil. Je suis assez grand pour faire mes propres choix. ». Tu en es sûre, Nemo ?

Recap:

résumé de la mort qui tue:

Tu étais un enfant gâté, Berlioz. Peut être pas autant que ces sales gosses aux mains grasses qui chouinaient dans les magasins, la bouche pleine de gélatine sucrée et les bras débordant de jouets. Peut être pas autant que ces adolescents condescendants qui narguent leurs parents du haut de leur quatorze ans. Mais y’a restait un enfant gâté. Un enfant trop souvent complimenté, trop souvent acclamé. Tu es le plus beau, Berlioz. Tu es le plus intelligent, Berlioz. Qu’est-ce que je ferais sans toi, Berlioz. Tu es important ((Nemo)).

Important

Important
Tu es important.
L’es-tu vraiment ?

Il ne s’agit pas de toi, Berlioz.
Il s’agit de Nemo.
Berlioz est inutile.
Nemo est important.

Tes doigts se perdent entre tes mèches obscures, celles-ci se perdent dans la nuit nouvelle, l’obscurité ronge ta silhouette et tu pourrais disparaître. Mais Calico tire sur ta laisse, te traine, tu es l’ombre enchainée sur laquelle elle se déchaine. Tes mots sont des couteaux qui te crèvent le coeur. Tu es égoïste. Comme tout être humain ? Elle aussi, elle est égoïste, à vouloir t’enfermer dans sa cage dorée, dans son aquarium argenté.

Ta colère s’en est allée, elle ne reste jamais bien longtemps. Elle s’est évanouie avec tous tes sentiments, elle a emporté avec elle le drap qui couvrait ta véritable forme. Une coquille vide, une jolie carapace nacrée et creuse. Tu la regardes avec tes grands yeux, le silence t’a coupé la langue, t’a lissé le visage. Le masque est bien à sa place.

« Tu as raison Calico. Excuse moi. Je ne voulais pas t’inquiéter. Je ne ferais rien qui pourra nuire à l’image des Greens. Je limiterais mes visites à l’hôpital aux livraisons de médicaments, rien de plus. »

Tu courbes l’échine, tu étires les lèvres, rassurant, malléable, tu te perds dans ce qu’on veut que tu sois et ça s’arrête là. Il n’y a plus de Berlioz, il n’y a que Nemo, le gentil et fidèle médecin des Greens. Tu es ce qu’on veut que tu sois et ça s’arrête là.

« Je suis désolé de m’être emporté, c’était déplacé. Si tu veux bien m’excuser, j’ai une garde à l’infirmerie. Bonne soirée. »

La voix constante, sans une note plus haute que l’autre.
Tu n’es plus Berlioz, tu n’es plus que Nemo.

Recap: