sois plus puissant que les ouragans ☆ cursed

Comme tous les matins, il s'est levé tôt pour devenir le petit héros qui sauvera tout le monde. Il s'accroche à cette routine qui le sauve les jours où ça ne va pas. Sortir du lit, fuir les cauchemars, les rêves, les pensées, les regrets et ces visages si précieux qu'il ne voit plus. Il respire dans les couloirs, tout doucement, pour ne réveiller personne. Il écoute le silence laissé par la tempête. Il n'a pas guéri, ne guérira sans doute jamais. Ça lui colle à la peau mais lui se hâte pour échapper à tout ça. Il poursuit cette habitude précieuse qui lui donne un repère pour commencer la journée. Personne ne sait ce qu'il peut bien faire si tôt le matin et c'est très bien comme ça. Personne ne sait que c'est pour avoir les épaules nécessaires pour porter son fardeau qu'il s'entraîne. Il court, il fait des pompes, des abdos. Comme ça, il oublie. Comme ça, c'est plus simple.

Le gymnase est grand et froid. Emmitouflé dans un sweat, il commence son entraînement. Au bout d'un certain temps, il n'aura plus froid. Au bout d'un certain temps, il ne pensera plus. Il a beau ne pas être doué et sans doute faire mal les exercices, il trouve un peu de paix comme ça, seul le matin dans le gymnase, à faire des pompes, des abdos et des tours de terrain. Il n'écoute plus, n'entend plus. Le monde n'existe plus. Il n'y a que lui et son frêle petit corps qui luttent désespérément pour acquérir la force d'aider ceux qu'il aime.

Il sursaute, s’arrête. Son cerveau ne fonctionnait plus, il ne sait pas ce qu’il se passe. Il était parti loin, très loin de ce monde où les gens qu’on aime sont morts et voilà qu’une voix - la voix de qui ? - l’a fracassé contre la réalité froide. Ses yeux interrogateurs se posent sur celui qui a interrompu sa transe matinale. Pas très grand, le crâne rasé, bien musclé… Oui, Cursed. C’est ça. Ça y est, il revient là, dans l’univers tangible.

«  Hein ? »

Ses oreilles ont bien entendu les sons, oui, mais quelle phrase formaient-ils ? C’est compliqué. La voix venait de si loin, il n’aurait même pas su dire s’ils existaient sur le même plan de l’existence. Comme à chaque fois que ça arrive, il répète silencieusement les phonèmes insensés et ils deviennent mots. Il fait ça pour éviter aux gens de répéter tout le temps les questions qu’ils posent alors qu’il divague. Il ne voudrait pas être pénible et que son entourage pense qu’il n’écoute jamais.

«  Ah. Euh. Je sais pas. J’ai fait comme on faisait à l’école. Un tour de terrain en courant normalement, un en montant bien les genoux, un en touchant les fesses avec les talons. Et puis des étirements euh… »

Comment on explique un étirement ?

« Comme ça. »  

Tourné, de sorte à lui faire face, il lève les mains vers le ciel, joint les mains, paumes vers le ciel, et se penche vers la droite. Il fait bien attention à ne pas se courber vers l’avant ni vers l’arrière et descend doucement. Il reste en position pendant dix secondes qu’il compte avec les lèvres, revient et fait la même chose en se penchant de l’autre côté. Quand il termine, l’inquiétude le prend. Il n’a jamais fait ça devant quelqu’un qui le regardait comme ça. Personne n’a jamais fait attention à lui en cours de sport parce qu’il n’était pas particulièrement doué ni motivé. Il se tasse un peu, commence déjà à joindre nerveusement ses mains pour les occuper.

«  Est-ce que je le fais bien ? »

Son sourire bienveillant de Cursed lui réchauffe le coeur. Sa voix douce et calme apaise son inquiétude. Le calme reprend place peu à peu en lui. Il peut faire confiance à l'ancien militaire. Il ne sera pas moqué ni jugé, plutôt guidé et conseillé. Quand il réalise tout ça, il lâche un soupir de soulagement et cesse de gigoter nerveusement.

« S’échauffer, ça permet de préparer le corps à faire des efforts, pour éviter de se faire mal. »

Sa définition de l'utilité de l'échauffement est bonne, quoiqu'incomplète. En bon professeur, Cursed lui indique les éléments manquants mais ça ne lui paraît pas limpide. À quoi ça sert que le coeur batte plus vite ? La question lui traverse l'esprit mais il ne la pose pas. Il n'a jamais trop osé poser des questions. En tout cas, même sans comprendre ce détail, il a déjà une très bonne raison d'accorder à l'échauffement toute l'importance qu'il devrait avoir.

Devenu apprenti du grand maître Cursed, il fait de son mieux pour imiter ses mouvements. L'échauffement des bras lui paraît complexe au premier abord mais une fois le mouvement acquis, il le reproduit bien. Il prend l'échauffement très au sérieux et garde un oeil attentif, soucieux de bien faire, sur son modèle. Ça lui va tellement bien de s'occuper d'enfants. Il semble dans son élément. Marcabru ne se sent pas à la hauteur de la joie qu'il semble inspirer à son entraîneur. Il n'est clairement pas le garçon le plus agité, ni le plus affectueux, ni le plus bavard. Il ne pose pas de questions, ne rigole pas, n'a rien à dire. En somme, ce doit être un enfant bien décevant par rapport aux autres. Et malgré tout ça, Cursed a l'air d'être pleinement lui-même, parce qu'il s'occupe de lui, lui qui fait partie des précieux enfants chevaliers.

« Non. J’ai jamais été bon et ça m’a toujours ennuyé. »

C'est sûr que son mentor n'attendait pas une réponse aussi négative. Il a détourné le regard, honteux de ne pas être à la hauteur de sa joie. Désolé Cursed, tu ne pourras pas demander son sport préféré ou partager avec lui de jolis souvenirs liés au sport. C'est dommage, ça aurait sans doute fait de jolies histoires. Marcabru aurait pu sourire pendant que tu lui racontes les histoires de ton passé. Lui aurait peut-être trouvé quelques jeux de balles qu'il avait faits avec Ruth, avant. Il s'est mis à fouiller dans ses souvenirs mais plus rien n'est joyeux depuis ce qu'il s'est passé. Les rires, les jeux, les chansons, tout est triste. Mais tout ça, il ne faut pas y penser maintenant. Maintenant, il faut « s’allonger comme un chat, regarde ».

Il ne l'écoute plus que d'une oreille distraite. La tempête lui colle encore à la peau. Le vent menace de tout emporter sur son passage et il s’accroche à un poteau électrique. Il tient bon. Il a été bien assez triste. Il est hors de question qu ces émotions entravent sa volonté de s’améliorer et de devenir fort, pour mieux affronter le monde. Quand il remet les pieds sur terre, ses doigts touchent ses chaussures. Ça ne lui demande pas grand effort, il a la chance d’être plutôt souple naturellement. Si ses muscles ne travaillent pas un minimum, ça ne servira à rien. Il se penche un peu plus, pose les paumes sur ses pieds. C’est difficile mais il a décidé de se donner à fond. Il reste comme ça, à respirer et reprendre conscience de la réalité, pendant quelques instants. Il se redresse enfin, déterminé à en découdre.

« C’est bon, tu penses que je suis bien échauffé ? Tu peux me montrer, maintenant, quels exercices il faut faire pour être fort comme toi ? »