on aurait dit la fin d'un film ⊚ Almace & Cursed (end)

Tout se passe un peu trop vite devant ses yeux.
Mum dira que c’est l’alcool qui tape un peu trop fort. Il sait que c’est un autre problème. Il sait que même sans être intoxiqué, tout défile si vite sous ses yeux qu’il n’a pas le temps de voir.

Mais les mains effleurent les habits trop tard. Trop tard. Trop tard. Toujours trop tard.
(Tout va trop vite et lui il est toujours trop tard. Il sait qu’il n’arrivera jamais à vous rattraper. Trop coincé dans ses souvenirs qu’il ne souhaite même pas affronter.)

Il t’a rejoint au sol, pour s’assurer que tout va bien.
Ses mains tremblent, il ne sait pas si c’est le froid ou l’alcool ou bien cette soudaine angoisse de te voir tomber. Almace, ne reste pas là, le sol est glacé.
Il entend Cursed mais les informations ne montent pas tout de suite. Pas encore.
Les réflexes reviennent un peu tardivement.
Le pouls.
Les respirations.
Vérifier compulsivement que tu n’es pas mort.

Tout va bien.
Mum ne sait pas. Tu es vivant c’est tout ce qui compte à l’instant.
Alors, les mains sur tes épaules, il tente de te bouger pour que ce soit plus confortable, peut-être. (Trop habitué à dormir à même le sol pour le savoir.)

Et c’est finalement un peu tard (toujours trop tard), qu’il se souvient que Cursed avait parlé. « Hein ? Les skates des enfants ? Mais il faut retourner au château pour ça, » il fronce les sourcils, Mum, avant de sourire finalement. « Et tu te débrouilles pour la table. Je veux pas être associé à ça, moi. »

L’angoisse se tait un peu— pour laisser place à un rire.
Si petit d’abord mais les éclats prennent de l’ampleur lorsqu’ils ne sont plus coincés dans la gorge. Pardon, il ne se moque pas de toi, Almace, en fait il n’est même pas sûr de savoir pourquoi il rit. Est-ce toute la situation qui, d’un coup, lui semble si ridicule ou bien les paroles de celui qui t’a fait tomber ?
Il ne sait pas et peut-être qu’il ne veut pas savoir.
Peut-être qu’il veut juste rire un peu sans penser aux pourquoi.
N’est-ce pas mieux ainsi ?

« Non mais on va trouver une solution, » qu’il marmonne en jetant un regard au-dessus de la table. « Sinon on dort ici, c’est une solution aussi. »

(Almace semble bien parti pour.)

« Pourquoi c’est moi qui m’en occupe alors que c’est toi qui l’as fait tomber… » (il n’y a pourtant aucun reproche dans le ton. Un peu de plaisanterie, un peu d’angoisse, un peu de tout et de rien mais— il ne sait même pas s’il t’en veut.)

Il y a ses mains qui secouent doucement les épaules.

« Ne t’endors pas ici, Almace. Tu veux pas t’asseoir un peu ? »

On doit partir. Il faut se lever, allez.
L’alcool ne te va pas très bien. Il aurait dû le remarquer plus tôt. Il aurait dû. Il faut qu’on trouve un moyen pour rentrer et tout ira mieux— sans doute. Il ne sait pas.
Il veut juste que tout se calme. Il veut juste dormir un peu.

Restons un peu par terre, finalement. Peut-être que ce sera mieux pour toi, Almace. Laisser l’alcool retomber un peu avant de tenter à nouveau de se lever. Fermons simplement les yeux.
Acceptons les chutes, l'espace d'un instant.

« Ne le refais pas tomber. »

Qu’il marmonne simplement, Mum, lorsque tu relèves notre cuisiner pour le rasseoir à notre table ronde improvisée. D’un ton qu’il tente de garder neutre mais c’est prononcé plus angoissé qu’il ne le pensait et, cette fois-ci, il a les mains sur son bras, prêt à le rattraper, si une nouvelle chute se profile.
Moins rassuré quand il remarque qu’Almace ne réagit pas vraiment.

Tu le laisses seul avec lui un instant et Mum
Les mots ne viennent pas. Les pensées sont trop confuses et trop silencieuses à la fois— c’est étrange. Les gestes ne s’amorcent pas très bien et Mum est juste un peu trop perdu ce soir. Un peu trop d’alcool dans le sang. Un peu trop d’émotions en une seule soirée.

Ne sait pas quoi dire. Ne sait pas quoi dire. Ne sait pas quoi dire.

« Euh, Almace ? »

Tu reviens bien rapidement avec de l’eau. Mum ne sait plus si les verres étaient vides mais il n’y pense pas lorsqu’il prend une bonne gorgée. Retirer les goûts sur la langue et la boule dans sa gorge.
(S’inquiéter encore quand Almace ne fait que regarder son verre.) (Essayer de ne pas y penser, après tout, il a beaucoup bu.) (C’est normal.) (Mais il s’inquiète tout de même.) (Ce n’est peut-être pas si normal que ça.)

Il sursaute, Mum— ton geste le prend par surprise et il
recule, se prend les pieds dans la chaise derrière lui et il manque de basculer en arrière aussi,
Te cherche du regard et tu es tombé aussi et c’est— quoi votre problème à tomber, ce soir ? Il a la tête qui tourne d’un coup et les mains accrochées au dossier de la chaise, il prend un temps pour respirer, pour pouffer un peu, pour essayer d’oublier toutes ses pensées angoissées qui n’ont rien à faire là.

Il se rapproche de toi pour t’aider à te relever.

« Tu tiens même pas debout et tu veux faire du skate ? » il a un rire, Mum, devant ses idées absurdes. « En plus ça glisse dehors. Et je ne sais pas si tu te souviens, mais j’ai dit tout à l’heure, que la seule fois où j’ai fait du skate, je me suis cassé le poignet. Et j’ai pas vraiment envie de me le casser à nouveau. »

Alors qu’il t’aide à te remettre debout, le sang qui bat un peu dans les tempes, il te fait te rasseoir toi aussi sur ta chaise et il pose ton verre d’eau sous tes yeux.

« Toi aussi, tu bois de l’eau maintenant. »


« Almace, tu bois. Allez, » il rapproche encore son verre vers lui. Au cas-où.

Il se rassied aussi, Mum, comme si rien de tout cela n’était arrivé. Reprend une gorgée d’eau fraîche, passe une main sur son visage aux joues un peu rouges et colorés de couleurs à moitié effacées.

Un petit rire étranglé, encore. « Je crois qu’on va rester là un petit moment. »

Au moins le temps que l’alcool retombe un peu. Qu’on tienne debout sans trop tanguer.
Qu’on oublie les angoisses qui restent là, dans un coin de la tête.

Les coudes sur la table et les pensées un peu ailleurs,

Pourquoi est-ce tu parles de ça.

Le sourire s’efface un peu alors qu’on comprend. Bien sûr qu’on comprend. Comment
Penses-tu que tu aurais changé quelque chose ? En mieux ? Malgré tout, on te connaît. Au fond, on pense savoir, de quoi tu aurais pu être capable.
Peut-être est-ce mieux que tu ne sois pas là, tu sais.

C’est juste— qu’il———
Le regard dévie vers sa main gauche où il n’y a toujours pas de bague. Où il y a cette absence qui a pesé si fort. Où parfois, il a l’impression, que cette main ne lui appartient pas.
Perdu l’alliance comme il a perdu celle à qui elle était destinée, cette bague.
(Il garde l’autre, bien cachée, autour de la chaîne du collier qui semble peser lourd, d’un coup.)

« Tu ne pouvais pas savoir, » aucun de nous ne pouvais savoir, Cursed. Nous nous sommes tous déjà assez voulus pour tout cela, lui aussi, lui surtout. Peut-être— peut-être serait-il temps d’arrêter de s’étouffer avec toute cette culpabilité.


Il fronce les sourcils, un instant. « Ben, ce n’est pas une raison, » ce n’est pas parce que tu as vécu pire, Cursed, que tu dois obligatoirement risquer ta vie une nouvelle fois. Que ce soit avec des skates dans la neige ou bien avec une arme pointée sur ta tempe. « On va marcher, tranquillement, comme des adultes tout à fait responsables et fonctionnels. »

Pourtant, il voit Almace, qui bouge enfin,
⠀⠀⠀(Mum devrait en être rassuré mais étrangement, il ne l’est pas vraiment.) (Plus rien ne va, ici.) (Il a cette boule dans sa gorge et l’impression que juste rien ne va.),
Et c’est un sourire, sur ses lèvres, qu’il ne peut retenir et ah— il ne veut pas vraiment se moquer mais il vaut mieux sourire ce soir plutôt que l’inverse.

« À moitié fonctionnels, pardon. »

Peu importe à quel point l’alcool nous empêche de fonctionner correctement, peu importe ce qu’il s’est passé ce soir et nos pensées alcoolisées,
Soyons juste nous-même.

Les coudes glissent un peu, les mains retiennent la tête. Un peu trop de fatigue dans la nuque et les épaules. Dans un rire, Mum a un murmure.

« Et moi, je peux faire l’ours qui hiberne ? »

Il est juste fatigué, au fond.

C’est toujours les mêmes pensées.
Toujours la même culpabilité.

Mum s’en veut tant de s’enfuir autant, si vite, chaque soir, chaque matin, dès qu’il a un peu de temps libre. Il ferme les yeux et il s’enfuit. La vérité, c’est que ça fait longtemps qu’il ne dort plus vraiment de la même manière que les autres.
C’est pire.
C’est le plus proche de la mort qu’il s'autorise à être.
C’est maladif.
⠀⠀⠀C’en est à un point où il gratte même les secondes de rêve en plus. Ce sont des secondes en moins à être éveillé, voilà tout.

Il faut qu’il arrête.
Il le sait. C’est ce qu’il se répète en boucle alors qu’il recommence encore et encore.

Et qui sait quand il faudra vraiment se réveiller, pour de bon ? (Il ne sait pas s’il en sera capable.)

Mum sait qu’il aurait dormi encore et encore si tu ne l’avais pas forcé à venir ici, Cursed. Il sait qu’il aurait passé la soirée seul ou au pied des lits des enfants, à confondre un peu plus la réalité avec ses rêves qui ne font aucun sens.

Il est fatigué.
Pas parce que la journée a été longue ou parce qu’il a trop bu ou parce qu’il pense trop ou parce qu’il n’a plus l’habitude de parler autant ou n’importe quoi d’autre. Juste, parce que.
⠀⠀⠀Parce que.
Il n’y a pas de raison. Ou il y en a de trop.
Il ne sait plus ne pas être fatigué. Il ne sait plus ce que ça fait.

« Bonne année. »

Qu’il murmure, finalement, les bras croisés sur la table et la tête posée sur le tissu du manteau.
⠀⠀⠀Bonne année et meilleurs vœux et qu’elle soit bonne, cette année (il n’y croit pas).

« Réveille-moi s’il y a un problème, » il ne sait même pas à qui il adresse ses mots.

(La vérité, c’est qu’il n’a pas envie qu’on le réveille s’il y a un problème.)

Et Mum,
a l’impression de ne pas vraiment dormir. De rester dans ce moment étrange où l’on sent que l’on s’endort mais tout autour nous garde à moitié éveillé, ce moment où on essaie de garder un fil de pensées qui s’effiloche et qui se mélange avec des débuts de rêves, ce moment où tout est flou, où tout est si doux, où tout est si confortable.
Et si Mum était assez honnête, il avouerait