CHAPITRE 1 — LES AUTRES.
Ces mots sont toujours accompagnés d’une consonance négative, comme s’il est impossible de les prononcer sans ce goût amer qui paralyse la langue, la pousse à s’aplatir au fond de la bouche pour ne plus en bouger. Et les sourcils se froncent, écrasés par la pression de la présence de ces êtres. Les Autres.
On colle la semelle d’un fer à repasser contre les tissus pour en retirer tout pli, tout ça pour ces Autres, qui n’ont d’yeux que pour le pan froissé d’une chemise, mais pas pour les jolis motifs colorés qu’on a associé au tissu doux du vêtement. Il est plus aisé d’écrabouiller ce pli jusqu’à ce qu’il disparaisse, plutôt que de se laisser ratatiner sous les regards médisants des Autres.
Lucjusz, ou Lucius pour les Américains qui n’ont pas eu la bonne idée de choisir le polonais dans leur cursus scolaire, fait partie de ces personnes qui repassent jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul pli : sa personnalité lisse ne fait de remous que pour s’accomoder aux reliefs des Autres. Toute son enfance, il dit oui lorsqu’on attend qu’il disse oui, non quand le regard pressant de quelqu’un semble lui indiquer qu’il ne faut pas. Il choisit ses vêtements en fonction des dernières tendances, de ce qui plaira au regard extérieur;
à l’Autre.
L’Autre, c’est Corvin.
CHAPITRE 2 — CORVIN.
Des pommettes saillantes, des yeux rieurs ; il suffisait que Corvin lui offre un de ces sourires espiègles pour que Lucjusz s’oublie. Planter sur son skateboard, le garçon représentait tout ce que Lucjusz aimait. Un charme nonchalant, une franchise audacieuse. Il semblait que rien ni personne ne pût faire plier Corvin, et c’était, aux yeux du blond qui avait passé sa vie à se tordre pour les autres, un intouchable rêve. Il ne voulait pas être le garçon aux cheveux corbeau. Il n’aurait pas pu, même s’il l’avait voulu. Mais à chaque fois que le regard de Corvin se posait sur lui, à chaque mot élogieux de sa part, l’estomac de Lucjusz s’emplissait d’une chaleur si rassurante qu’il ne voulut plus jamais la quitter. Il lui suffisait d’observer Corvin évoluer au sein de leurs camarades, centre de l’attention éclatant, pour avoir l’impression de vivre.
Il s’oubliait, s’effaçait comme les vagues effacent des dessins tracés dans le sable. Et tous les jours, il pensait à Corvin. À quinze ans, il n’avait plus qu’un objectif : être aimé de Corvin. Il adopta son style vestimentaire, se fit percer l’arcade sourcillère après que Corvin lui conseilla de le faire, se mit au skateboard, écouta du rock alternatif jusqu’à en faire trembler les murs de sa chambre lorsque ses parents étaient de sortie —il n’était pas question de le faire quand ils étaient là, Lucjusz ne souhaitait déranger personne. Il n’était pas Corvin, mais il était mieux : le meilleur ami de Corvin qui pouvait l’observer rayonner.
L’idyllisme de leur relation —du point de vue de Lucjusz— dura. Même lorsque le blond se rendit compte que ce qu’il ressentait pour Corvin ne s’apparentait pas qu’à de l’amitié. Il balaya l’idée de l’obsession, qui paraissait trop effrayante, et ne garda qu’un seul mot : l’amour. C’était l’Amour, celui qu’on attendait toute sa vie. Lucjusz l’avait trouvé en Corvin. Il s’accomoda de la chaleur qui bercait son coeur à chaque fois qu’il rencontrait son meilleur ami. S’il n’essaya pas d’exprimer son affection particulière pour son ami, il y avait une part en lui qui le persuadait que ses sentiments étaient réciproques. Aussi, bien que silencieux et introverti, il rassemblait tout son courage pour froncer les sourcils face aux personnes qui s’approchaient de Corvin.
Les deux garçons, à l’âge de dix-sept ans, furent tout deux sélectionnés pour les championnats nationaux de skateboard. Ce qui devait être un lien qui se resserre entre eux deux fut une cassure.
Quelque chose changea en Corvin. Les entraînements répétés, la pression des études supérieures approchant. L’infléchissable Corvin se tordit si silencieusement que Lucjusz ne remarqua rien les premiers temps, jusqu’à ce que les mots fusent, agressifs et prétentieux. L’attitude du garçon aux cheveux corbeau acheva d’ancrer dans son esprit l’impression qu’il devait quelque chose à son
ami. Il lui devait tout : c’était grâce à lui s’il avait rencontré ses amis actuels, grâce à lui s’il avait pu brandir la médaille de bronze des championnats nationaux de skateboard. Il lui devenait difficile de passer plus de quelques minutes sans penser à Corvin, ses doigts pianotaient nerveusement sur les touches de son téléphone portable sans arrêt à la recherche d’un nouveau sujet de conversation : même lorsqu’ils étaient physiquement séparés, il fallait que leurs psychiques soient reliés par quelques lettres derrière un écran.
Rien ne changea en Lucjusz. Pas même le soir où il attendit trois heures sous la neige que son
ami le rejoigne, pour que celui-ci ne vienne finalement pas, trop occupé à poster des vidéos de lui en soirée entouré de deux filles. Il était fermement persuadé que Corvin l’aimait tout autant que lui. Il écoutait Corvin lui répéter que « t’es rien sans moi » ; « c’est grâce à moi que t’en es là, tu sais ? » et acquiesçait docilement. Pas même la douleur provoquée par des chutes répétées lors de ses entraînements ne réussit à le sortir de ce tourbillon malsain, parce que Corvin le regardait, et c’était suffisant. Le corbeau avait voilé ses pensées. Il avait arrêté d’aider ses parents à l’écurie familiale, avait laissé tomber ses bonnes notes et son amour du travail bien fait.
Rien ne se cassa en Lucjusz. Pas même la soirée qu’il passa à pleurer après avoir appris que Corvin quitterait la Pologne à la fin de l’année scolaire pour suivre ses études aux Etats-Unis, en Oregon.
CHAPITRE 3 — LUCJUSZ.
Le prénom de Corvin se fit rare sur l’écran du téléphone portable du blond. Les réponses plus courtes, moins denses, désintéréssées. Les vaines tentatives de capter l’attention du garçon aux cheveux corbeau résonnèrent en silence dans la chambre d’étudiant aux meubles dépareillés. Et rien ne parvint à combler le vide. Pas même ses études de commerce qu’il avait choisi tout à fait au hasard, pas même les compétitions de skateboard dont les encouragements des spectateurs paraissaient bien moins galvanisants, et pas non plus les journées passées à l’écurie familiale dans l’espoir que les claquements des fers à cheval contre le bitume lui fasse oublier la voix de Corvin, errant comme un fantôme dans ses pensées.
Âgé de vingt-deux ans, Lucjusz ne put se rendre compte que d’une chose : il n’était plus personne. Il ne savait plus ce qu’il aimait, ni qui il était. Il avait passé son adolescence à aduler celui qu’il considérait comme l’amour de sa vie, et ce dernier l’avait quitté. Il n’était pas en colère. Il espérait seulement recevoir un message bientôt, une explication, un
« désolé, j’ai été pris dans une faille spatio-temporelle qui m’a empêché de quitter ma ville et qui brouillait tout contact vers l’extérieur, j’ai tellement pensé à toi, tu m’as manqué. »Mais rien ne vint. La solitude lui fit retrouver un certain bon sens. Il avait été abandonné. Il connaissait par coeur le plafond blanc de sa chambre universitaire, les impuretés le parsemant. Ce plafond, c’était lui, à présent. Blanc, vide. Un canvas, prêt à être rempli, si on écoutait certains optimistes. Pour Lucjusz, c’était un blanc qu’on ne remplit pas. Un blanc qui aborsberait n’importe quelle autre couleur si on essayait de le recouvrir. Il avait essayé d’écrire, mettre ses émotions et son histoire sur du papier comme le lui avait conseillé une psychologue aux intentions louables. Mais aucun mot n’avait paru assez beau pour décrire Corvin, et aucune lettre n’avait su tisser une vérité peignant le vide qui composait sa vie actuellement. Rien ne paraissait assez bien, les pages du cahier finirent arrachées, gisant au fond d’une corbeille en osier.
Son parcours professionnel laissa deviner l’instabilité du polonais, qui débutait des licences universitaires sans jamais les finir. Il se laissa séduire par une formation de boulanger —à la plus grande surprise de ses proches, qui semblaient penser qu’il n’y a qu’un chemin dans une vie et qu’on ne peut jamais s’en éloigner— et contre toute attente, alla jusqu’au bout. Il profita de son nouveau travail pour mettre de l’argent de côté, avec l’idée de rejoindre les Etats-Unis, tout en se persuadant que ça n’avait aucun lien avec la possible présence d’un certain Corvin là-bas. Après tout, il avait du rentrer en Pologne depuis longtemps.
INFP ▬ obsessif ▬ capacités de concentration extrême ▬
people pleaser : il a tendance à faire ce qu’on attend de lui, et aime faire plaisir aux autres, il essaie de changer ça depuis que sa solitude l’a invitée à l’introspection ▬ déteste parler de lui ▬ introverti ▬ très bonne mémoire ▬ fait de la dépendance affective et à tendance à se chercher une personne à ne pas lâcher ▬ trop empathique ▬ très curieux ▬ s’intéresse à beaucoup de choses et se cultive beaucoup ▬ malgré sa taille relativement moindre, les traits de son visage lui donnent un air dur, voire intimidant, le charme est néanmoins rompu dès qu’on l’entend trébucher sur ses mots alors qu’il tente de trouver les bons mots pour plaire aux autres ▬ probablement asexuel même si ce n’est pas forcément quelque chose qu’on cherche à savoir chez lui vu son manque visible de charme romantique ▬ plus casse-cou que ce qu’on pourrait penser, une fois qu’il est à l’aise ou quand il cherche à impressionner ▬ étonnamment habile ▬ accent polonais assez lourd bien qu’il soit aux états-unis depuis deux ans ▬ travaillait dans une pâtisserie polonaise ▬ serait probablement une toute autre personne s’il arrêtait de vouloir plaire aux autres ▬ à tendance à faire de longues phrases ▬ panique dès qu’il doit parler de lui ▬ aime beaucoup les chevaux, et est un très bon cavalier ▬ voit toujours les bons côtés chez les autres ▬ essaie toujours d’avoir le bon rôle ▬ honnête dans l’ensemble, menteur quand il sent que la vérité pourrait ne pas plaire à ses interlocuteurs ▬ n’entend rien quand il est plongé dans ses pensées ▬ très sérieux lorsqu’il travaille ▬ oreille attentive ▬ est en général très apprécié ou oublié
▬ a commencé à suivre une thérapie pour son comportement obsessionnel et sa dépendance affective mais a décidé d’arrêter de venir en se rendant compte qu’il essayait sans arrêt de répondre de manière à faire plaisir à sa psychologue
▬ a probablement plus de choses à raconter à propos de Corvin qu’à propos de lui-même
▬ sait probablement plus de choses à propos de Corvin qu’à propos de lui-même
▬ non, il n’est pas devenu explorateur en espérant tomber sur Corvin dans un autre groupe (si.)
▬ non, il n'a pas choisi le surnom Spiza en rapport au nom latin de l'oiseau préféré de Corvin, le Dickcissel d'Amérique, ou le Spiza Americana (si.)
▬ a une tendance malsaine à s’oublier et à balayer ce qu’il est, ce qu’il ressent
▬ soleil vierge, lune capricorne, ascendant balance, mars cancer et mercure balance, d’après ce qu’il se souvient d’une conversation portée sur l’astrologie il y a quelques années. peu importe ce que ça peut signifier
▬ a retiré son piercing à l'arcade sourcillère quand Corvin a retiré son piercing au nez en affirmant que les piercings envoient des ondes aux extra-terrestre pour qu'ils viennent les kidnapper. (les sources de cette afirmation sont peu fiables)
Ce que tu veux le plus au monde, consciemment ou non, c'est quoi ? Avec la malhonnêteté d’une personne fière : oublier Corvin. Avec l’honnêteté de celui qui a renoncé à oublier : le retrouver.
Et avant la tempête, c'était quoi, ton vœux le plus cher ? Avant, après, c’est toujours la même chose. Toujours le même point de départ. Retrouver Corvin, lui plaire, ne pas l’oublier, ne pas se faire oublier.
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