1Tu habites à Arcadia Bay ou tu étais juste de passage ? De passage. Arcadia Bay était l’un des points tracé dans son itinéraire au travers des États-Unis. Kieran avait ajouté ce point d’arrêt pour se familiariser avec la ville dans laquelle sa cadette comptait aller réaliser ses études dès l’année suivante.
2Tu faisais quoi avant la tempête ? Chasseurs de rêve, grand-frère modèle, fils pour lequel on s’inquiète, Kieran filait comme l’air au travers des intempéries de la vie. Professeur de piano qui s’envisageait rockstar et qui imaginait ses méandres se faire réelles lorsqu’il les chantait dans les bars Torontois, il était le genre de bougre trop tendre, trop dans les nuages. Sa vie était une fête foraine qu’il parait de couleurs pour éblouir ses êtres chers. Comme les choses ont changées.
3Quels dégâts a-t-elle fait dans ta vie ? Kieran n'a perdu personne. C’est lui qui, sans doute, a été perdu, qui s’est égaré, du jour au lendemain, coincé dans un phénomène de cirque qui ne fait qu’enchaîner les actes. Kieran n’a retrouvé le cadavre d’aucun être cher, n’a pas ratissé les rues à la recherche de sa famille, de ses ami.e.s d’une vie. Non, Kieran a simplement perdu, comme tout le reste d’Arcadia, la totalité de ses rêves et de son avenir. Il a perdu sa vie.
Ça et un peu de mobilité. Son genou garde le souvenir de la morsure du métal et lui confère une démarche clopinante qu'il est trop prompt à minimiser, à nier. Après tout, un genou mal foutu est peu cher payé considérant que le frigo qui l'a écrasé a aussi servi à le protéger du désastre.
4Que faisais-tu lorsque la Tempête a frappé ? Il touillait la glace qui flottait dans le latté qu’il venait de commander en regardant par la fenêtre. Il a vu les nuages s'assombrir et s'est imaginé danser dans l'orage à venir, s'est imaginé braver le danger en courant pieds nus sous la pluie en riant, en criant aux éclairs de l'attraper. Il s'imaginait faire le con lorsque la tempête a frappé.
5Tu quitterais tout pour retrouver ta vie d'avant ? [ X ] OUI [ ] NON
6Exerces-tu un métier ou des activités particulières dans ce nouveau monde ? Bien connu des commerçants pour les services qu'il rend, Kieran donne de son temps et de ses aptitudes en échange de denrées. Il aide à la reconstruction de certains édifices, à la solidification des structures déjà en place et se veut réparateur de meubles et objets en tout genre. Depuis quelques mois, il apprend doucement à dompter la plomberie dans l'intention d'améliorer la distribution de l'eau à Arcadia.
7Pourquoi n'as-tu pas rejoint une communauté de survivants ? Au début, c’était probablement par déni, par refus d’accepter la réalité et de s’y confronter. Kieran s’est emmuré, s’est enfermé, dans sa grande maison rapiécée, dans ses souvenirs, dans lui-même. Maintenant, c’est probablement par habitude, par confort, pour n’avoir de comptes à rendre à personne d’autre que lui-même.
8Que penses-tu des groupes qui s'organisent ? Il entretient des rapports neutres avec les Knights et les Greens, bien que, depuis les remontées des derniers mois, il se sent peu enclin à baisser sa garde ou à offrir des services à prix modiques. Les vagabonds, quant à eux, sont trop dispersés pour qu’il puisse leur attribuer des affects communs. Il entretient des relations positives avec plusieurs commerçants et continue de régulièrement leur offrir ses services.
Tous se voient traités cordialement, à l’exception des Pirates qu'il ne peut voir en peinture. Après tout, qui voudrait faire preuve de bienséance à l’égard d’individus susceptibles de répondre avec un couteau dès que votre dos sera tourné ?
Petit, il lui semblait que la cabane que son père avait construite dans l’arbre trônant sur la droite de leur jardin était la plus belle merveille du monde. Il s’agissait de son palace, de l’endroit où il terrait ses secrets, du lieu où il cachait ses larmes. Cette cabane a vu son premier baiser, sa première cigarette et son premier cœur brisé. A vu un bon nombre de ses succès –
comme la fois où son groupe (nommé Crazy Cactuses à l’époque) a appris avoir gagné un concours – et de ses erreurs –
comme la fois où Joseph a leak ses photos pseudo-érotique à la prof de mathématique et qu’il s’est terré dans sa cabane pour ne pas avoir à parler aux policiers qui voulaient lui expliquer les dangers de s’exposer en ligne –.
Cette cabane lui a appartenu une décennie durant et il l’a légué, adolescent désireux de faire le bon choix, de montrer à ses parents qu’il était grand, à sa cadette dès qu’elle fut en âge d’en gravir l’échelle. Il a retiré ses affaires, ses drapeaux, ses posters et s’est jeté, irréfléchi jusque dans la moelle, du haut de l’arbre duquel présidait son palace.
La chute l’a rattrapé et sa jambe a cassé. Sa sœur, avec deux dents de lait en moins, a dessiné des grenouilles globuleuses le long de son plâtre pour le consoler.
–
Du verre partout; les fenêtres ont explosé, le toit s’est barré dans la volé et l’esprit de Kieran vibre, vrille. Son latté s’est renversé et il n’arrive pas –
n’arrivera jamais – à intelliger le carnage qui terrasse l’univers l’entourant. Une cacophonie assourdissante qui le laisse figé, choqué, alors que les autres convives du café s’empressent de rejoindre la rue. Un cri se démarque et il contourne le comptoir du café pour atteindre les cuisines, barbouillé d’une impulsivité automatique qui embrume les instincts qui devraient motiver sa survie.
Les morceaux du toit qui ne se sont pas envolés se sont écrasés sur le cuistot de garde pour la journée et il geint, pathétiquement, sous la douleur, un amas de chairs froissées, déchirées. Le sang descend le long des tuile et lorsqu’il vient épouser la forme de ses semelles;
Kieran se sent mourir avec lui.
Puis, le frigo tombe.
Et Kieran survit.
–
Maintenant, il n’y a personne pour dessiner des grenouilles sur ses blessures, alors, dans les moments où son cœur lui fait trop mal pour qu’il parvienne à tout contenir, il laisse aller son imaginaire et raconte la couleur de ses rêves aux âmes qui visitent sa maison.
Il dit aux visages passagers qu’ils sont jolis avec leurs doigts trempés du noir qui infecte et leur parle de la grenouille sur son genou. Parfois, ça les fait sourire et ils s’endorment, barbouillés par la fatigue qui suit le passage de la marque, du surnaturel, et Wind abaisse sa garde, leur brosse les cheveux dans le noir. Parfois, ça les fait secouer la tête, rire coincé entre les dents, ça leur fait dire que le bordel qu’est son genou ne ressemble en rien à une grenouille.
Il ne les revoit pas souvent, parce qu’être vulnérable fait trop mal.
Il n’a besoin d’eux que lorsque son cœur hurle.
–
Après l’attaque du Happy Hour, après le discours de Phaner, les jours s’amoncellent, s’enchaînent sans que les âmes disparues ne se manifestent. Wind compte les têtes absentes, desquelles il ne connait pas toujours les noms, et enfonce le souvenir de leurs traits dans les entrailles brûlantes de sa colère.
Les Greens sont omniprésents et là où certains des autres vagabonds apprécient la sensation de sécurité que cela confère, Wind se retrouve aux prises avec la l’impression d’être constamment observé, testé. Même lorsqu’enroulé dans ses couvertures à pois verts, la nuit, alors que les rideaux sont tirés, la sensation d’être regardé, considéré, ne le lâche pas.
Il se dit, terré chez lui, que la tempête n’a jamais pris fin, qu’elle ne fait que gagner en ampleur avec Arcadia Bay en son centre pour servir de catalyseur. Il se dit, alors qu’il ratisse les rues en regardant trop souvent par-dessus son épaule, que la tempête ne prendra jamais fin, qu’ils sont damnés, prisonniers, que quelque chose, quelqu’un s’amuse à leurs dépens à tous.
Il blâme l’inconnu, l’incompréhensible. Encore et encore.
Et il rage, il peste, tape si fort dans les débris que ses jointures se déchirent, que son genou flanche.
Ça reste moins douloureux que tout le reste.