Bring me a dream • Pillow

Paumé.
Lorsque l’on regarde Wilfried, la première chose à laquelle on pense, c’est paumé. Wilfried est paumé, paumé dans sa vie, paumé dans sa tête, paumé dans son corps. Wilfried se paume aussi, un peu partout. En ville, dans les rues, dans la forêt. Chez-lui parfois également. Wilfried, il a des trous de mémoire assez fréquents, il paume ses clefs, il paume ses affaires, il paume ses mots, il paume les prénoms des gens qu’il rencontre. Alors paumé, c’est un adjectif qui lui correspond plutôt bien.

Wilfried, il peut sembler réservé, antipathique. Parce que Wilfried, il parle très peu, à très peu de personnes. Wilfried, il évite les rires, les surprises, les frayeurs, les colères, les émotions trop fortes, trop intenses, trop soudaines. Ses yeux ont appris à parler pour le reste de son corps, c’est au fond de ses regards que l’on peut lire colère, tristesse, hilarité, émerveillement, panel infini qu’un être humain peut ressentir. Et ce n’est que lorsque l’on apprend à le connaître, que l’on finit par comprendre toutes les nuances de ses yeux. Wilfried, il vit dans une anticipation permanente du lendemain, ou de l’heure qui vient. Il vit en anticipant les crises, les chutes, les matins où sa tête se réveille mais où son corps reste, endormi encore quelques instants supplémentaires. Il anticipe les hallucinations qui s’en suivent, visions d’un monde dont il peine parfois à sortir, il anticipe les terreurs nocturnes, les cauchemars à répétition, les crises de somnambulisme. Les insomnies également, ironiques les insomnies. Wilfried, il a appris excessivement tard le nom exact de ce qui lui bouffe la vie et le corps, et jamais il ne l’a parfaitement compris. Jamais il ne l’a parfaitement accepté également, toujours il l’a détesté.

Parce que Wilfried, il doit supporter, le regard et les mots des autres, et les siens également. Les autres qui le disent fainéant ou bon à rien, les autres qui le pensent saoul tant son air est ailleurs, son visage fatigué et ses yeux éteints, les autres qui le pensent menteur ou en train de débloquer. Wilfried, les gens le prennent pour un con, un idiot parce qu’il parle mal, parce qu’il comprend mal, parce qu’il zappe, parce qu’il oublie, parce qu’il n’est pas très cultivé, pas très instruit. Wilfried, il a fini par se dire que probablement c’était vrai, après tout si tout le monde le lui dit.

Oh Wilfried, il est bien des choses, mais pas ce que l’on peut penser de lui. Wilfried, il est excessivement minutieux et perfectionniste, il aime le travail bien fait, il aime sa petite boutique, son petit atelier. Selon lui, il n’a jamais su faire autre chose de sa vie. Wilfried, il essaye de devenir invisible, il souhaite que jamais l’on ne s’intéresse à lui, il est lâche et froussard, il a peur de l’inconnu, il stresse bien trop facilement, il craint les confrontations physiques ou orales. Wilfried, il ne comprend pas, le monde et les gens vont trop vite pour lui, parfois il voudrait s’enfermer dans sa tête pour ne plus rien ressentir. Wilfried, il n’aime pas les bruits et les sons, il peut paraître brut mais c’est juste parce qu’il ne sait pas comment parler aux gens. Wilfried, il est bon-vivant, il aime la bonne bouffe même s’il est lui-même un manche derrière les fourneaux, il aime les bons alcools même s’il est par terre après un unique verre.

Wilfried, au fond, il aimerait juste être comme tout le monde.


Il parle un anglais très sommaire, parfois même un peu enfantin, teinté d’un très fort accent allemand // Veillez à vous exprimer de manière simple et lente pour qu’il vous comprenne // En vérité, vous l’aurez compris : il n’a jamais appris à parler l’anglais et l’apprend difficilement sur le tas // C’est régulièrement qu’il perd ses mots // Il s’exprime souvent par des gestes hasardeux pour se faire comprendre // Très grossier et familier mais bon, eh qui comprend l’allemand ici ?

Cordonnier pour l’association des commerçants // Il répare vos groles, vos ceintures, vos sacs, vos gants, etc. // En gros, tout le petit matériel que vous défoncez en allant explorer les immeubles en ruine // Revenez-le voir pour une réparation qu'il a déjà faite par le passé, et je vous promets qu'il va mal le vivre // Vous êtes pas assez soigneux, d'façon // Il a toujours les mains grasses quand il travaille // Et de la cire un peu partout sur les fringues // Selon lui, ce métier est la seule chose qu’il sait faire correctement // Très bien dans son petit atelier, il n’est pas du genre à aller explorer les alentours de lui-même // Trop dangereux à ses yeux, que les autres y aillent à sa place // Payez-le en lait en poudre et en couches-culottes, svp

Heureux papa d’une fillette de cinq mois // On lui demande souvent quelle mouche l’a piqué pour que ça arrive // Franchement, lui-même ne sait pas // Mais il s’en fout // Sa fille, c’est tout ce qui compte // Ils vivent à l’hôtel, avec sa compagne // Il nourrit les chats qui passent devant, ou dans la rue, ou dans son atelier // Protestant pratiquant, sans vraiment savoir pour quelle raison si ce n’est la tradition // Probablement pour ça qu’il ne comprend pas le fanatisme des Greens // Il n’a jamais rien compris à la religion, d’façon // En tout cas, vous le croiserez souvent au temple ou à l’église les dimanches

Habitué des chutes en tout genre et des crises de sommeil aussi soudaines que brutales // Il s’est déjà planté une fourchette dans la joue // Et pas qu'une fois, en plus // Il a une petite carte autour du cou pour que l’on ne s’inquiète pas s’il décide de faire une crise en plein milieu de la rue // Sens de l’orientation plus bas que terre // Il a tendance à oublier son chemin, ou ses clefs, ou ses mots, ou tout un tas de petites choses // En vérité, il semble toujours plus ou moins paumé // Il fait des terreurs nocturnes, de la paralysie du sommeil et est somnambule // Très sympa de dormir avec lui, vous aurez compris // Il est atteint de la maladie de Gélineau, autrement appelée narcolepsie-cataplexie

C’est de là que vient son surnom // Il le déteste par ailleurs // Même s’il a mis plusieurs mois à le comprendre // Si vous voulez l’énerver, appelez-le comme ça devant lui // Sinon, il insiste pour qu’on utilise son prénom, tout simplement

1Arcadia Bay, c’était un passage, étape d’un voyage ou plutôt d’une fuite vers l’avant, réapprendre à se connaître, réapprendre à s’aimer. En vérité, il passait le plus clair de son temps à dormir sur la banquette arrière de la voiture qui le conduisait. Il n’était pas seul, on était deux déjà cette époque. Comme avant, comme après, comme maintenant.

2Avant la tempête, il voyageait. Avant cela encore, il travaillait, dans l’atelier familial de Dortmund. Encore chez ses parents, il n’arrivait pas à être assez stable pour espérer une quelconque forme d’indépendance.

3Des dégâts, il n’en pas tant eu si ce n’est la fin brutale d’un traitement qui commençait à se stabiliser, qui commençait à lui faire entrapercevoir un retour à la banalité, après des années d’ajustement et de tâtonnement. Il n’a pas eu de pertes, il n’a pas eu de blessure, il a juste eu beaucoup de chance. Et une famille, un frère une sœur un père et une mère, bloquée à l’extérieur comme si c’était elle qui n’avait pas la chance d’être ici. Mais cette famille, voilà déjà bien longtemps qu’il la regardait de loin, comme si elle n’existait pas vraiment. Alors il s’en est construit une nouvelle.

4Pendant la tempête, il était là à l’hôtel. Tout juste arrivé, et jamais reparti.

5Sa vie d’avant, désormais elle est bien trop floue et lointaine, elle se superpose à celle qui est là, maintenant et aujourd’hui. Au fond, rien a changé ou tout s’est modifié, il ne sait pas vraiment. Et puis sa vie d’avant, elle n’existe plus vraiment, bien trop lointaine, bien trop abstraite. Une autre a pris sa place, plus présente, plus concrète.

6Désormais, il a rouvert un atelier de cordonnerie, c’est tout ce qu’il n’a jamais su faire. Quelques outils trouvés dans les ruines du centre commercial, une bâtisse pas trop effondrée, c’est bien suffisant maintenant. Et puis il y a, depuis quelques mois, un nouveau rôle qu’il a endossé. Essentiel, et important. Bien plus important que tout le reste. Alors ne lui retirez pas, pas maintenant, plus jamais. Parce que probablement qu’il n’y survivrait pas.

7Seul, seul, mais il n’est pas seul, sa famille, c’est son unique point d’ancrage. Vous autres êtes loin, trop loin pour qu’il vous voit, trop loin pour qu’il vous comprenne.

8Les autres, ce sont des entités floues et vaporeuses. Il se souvient avoir aidé les Knights lorsque vous aviez perdu certains des vôtres dans les ruines. Il se souvient avoir pleuré la perte de cette enfant Green après l’agression des Ombres. Il se souvient avoir eu vent de l’état du chef Pirate, il y a peu, bien peu de temps. Il a connu, tous ces phénomènes qui arrivent ici. Spectateur, à demi-acteur.


Souvenir ((Marlène))

Wilfried, il se souvient.
Il se souvient de ce jour d’avril où se sont allumés les radios et les haut-parleurs. Et devant lui, il n’y avait qu’elle. Elle n’était ni une ombre ni une chimère, bien présente et réelle. Catapultée dans sa vie, on a cherché à s’enfuir, loin bien loin de cette Europe. On était fait l’un pour l’autre, mais ce n’était pas l’avis de tous.




Souvenir ((Ethérée))

Wilfried, il se souvient.
Il se souvient des ruines et murs encore à demi écroulés, qui coulent encore sous son regard lorsqu’est annoncée l’inévidence. La destruction a quelque chose de beau, lorsqu’on sait que l’on peut se reconstruire par-dessus les décombres.




Souvenir ((Blanche))

Wilfried, il se souvient.
Il se souvient du 18 mars, de la nouvelle vie qui arrive, chamboule tout le reste sans distinction. Des yeux fermés, des cris stridents, une touffe de roux. Elle porte un nom comme sa mère, l’un de ceux qu’il n’arrive pas à prononcer correctement. C’est si petit et si fragile, un nourrisson.

Bjr, c'est encore moi