Storm of feeling [rp solo, Myllie + Samia]

Un pas devant l'autre, une paume ouverte qui se tend, une autre qui la saisit. Des doigts fins qui entrelacent des phalanges fragiles et abîmées. D'autres mains auraient pu craindre de les briser à la première étreinte, mais la douceur de l'oiseau de plumes roses est telle qu'elle pourrait tenir une libellule dans son poing sans lui causer le moindre mal. D'un regard amoureux, les deux jeunes femmes progressent calmement le long de la rue aux bâtiments gris se teintant parfois d'orange pastel sous les quelques rayons de soleil hivernal parvenant à passer au travers des nuages enneigés. Le froid mord leurs visages et attaque leur peau découverte sans leur laisser de répit, comme si une inébranlable détermination animait son esprit de glace, mais c'est le sourire au coin des lèvres qu'elle arpentent la ville, inséparables. Mylendra esquisse un regard doux vers le ciel blanc :

"J'aimerais bien qu'il neige. Ça fait des années qu'on a pas vu ça, à Sacramento il fait trop chaud.
- Mouais... S'il neige, on pourra pas repartir ce soir. La moitié du temps qu'on s'est données pour ce voyage est déjà écoulée et il nous reste trop de choses à voir.
- C'est vrai... Mais la neige, tout de même ! On pourrait pas rester juste quelques jours de plus ? S'il te plait... Je suis sûre qu'on pourra s'organiser autrement et visiter toutes les villes qu'il nous manque si on repart plutôt dans deux, ou trois jours ! Le temps de souffler un peu entre deux batailles de boules de neige, hihi.

La jeune femme redresse le coin de ses lèvres bleuies pour amorcer une moue doucereuse et suppliante. Sa bien-aimée lui lance un regard empli de reproches amusés puis hoche finalement la tête, lui concédant sa demande; elle le sait, elle ne peut rien refuser à ce sourire. Pour tout remerciement, Myllie resserre son étreinte autour de ses doigts déjà teintés de violet et les porte à ses lèvres pour y déposer un baiser sucré.
Les deux femmes, côte à côte, dessinent un tableau pour le moins étonnant et contrasté ; l'une aime à être vêtue de couleurs et embaume le gris de l'hiver de sa tenue ample, expressive et nuancée. L'on peut y voir tant de couleurs différentes que personne avant elle n'aurait jamais pu imaginer que pareille combinaison puisse exister. Mais porté par l'oiseau de joie, elle est d'une douceur sans égal qui apaiserait le plus tourmenté des esprits. L'autre quant à elle arborerait du noir même à son propre mariage. La lumière n'a jamais été à l'avantage de Samia, qui a toujours pris soin de se tapir dans l'ombre et d'accorder son habillement à ses pensées. Son allure fine affiche des vêtements sombres et serrés au corps, comme si la faiblesse de ses membres frêles et maladifs se voulait pleinement assumée, et la seule éclaircie jamais visible se manifestera uniquement par à-coups de violets anxieux ou de roses dramatiques, comme si elle tentait discrètement de s’immiscer dans un espace qui lui était interdit. Pourtant, malgré une telle discordance, ces deux âmes jouent dans une parfaite harmonie, construite de rires et de peurs, taillée dans une pierre précieuse de confiance et d'amitié, inébranlable et qui pourrait durer jusqu'à qu'à la fin des temps.

Au bout de la rue, elles amorcent une pause sur un banc à la peinture bleue écaillée et à l'air vieilli. La brunette s'installe, croisant ses jambes en collants troués devant elle, et Mylendra l'accompagne d'un mouvement accordé dans le temps avant de se saisir de sa sacoche de cuir noisette pour en sortir un petit sachet transparent et un paquet de longues feuilles carmélites. Tendant d'une main un morceau de carton à sa petite-amie, elle cherche de l'autre le grinder d’aluminium cylindrique qui parvient toujours à se loger dans les recoins inatteignables de sa sacoche déjà trop pleine pour qu'on puisse facilement y retrouver son chemin. Lorsqu'elle le trouve et l'en fait sortir, elle prend quelques dizaines de secondes, semblant lui paraître une éternité, pour le contempler.

"Math me manque, un peu. Trois mois sans lui parler ou le voir, ça commence à être difficile..."

Samia esquisse un rire compatissant :

"Tu sais qu'il te suffit d'appuyer sur trois touches et de mettre mon téléphone à ton oreille pour pouvoir lui parler, mh ?
- Ugh, non, merci. Ça me fait mal à la tête toutes ces ondes bizarres, tu le sais."

Tout en parlant, elle réduit l'herbe euphorique en miette, la dépose sur la feuille translucide et y ajoute le morceau de carton roulé, avant de faire glisser le tout entre ses doigts pour former un joli cône. Son amie lui tend un briquet argenté aux airs rétro.

"Oublie pas encore de m'le rendre, mh ?"

Les deux rient doucement en chœur, et Myllie allume la cigarette verte d'une bouffée ample et nourrissante. La fumée qui s'échappe de ses lèvres entrouvertes quelques secondes plus tard est dense et épaisse. Elle arbore un blanc cassé qui se fondra rapidement dans le décor de l'hiver, et laisse flotter dans l'air cette douce odeur familière, que les deux femmes chérissent tant.

"Ça te dit qu'on aille au phare ?
- C'est pas à l'autre bout de la ville ?
- Si, un peu... Mais j'aimerais vraiment le voir."

Au yeux de sa bien-aimée, il s'agit probablement d'un simple et énième caprice superstitieux. Mais lorsqu'elle dit vouloir se rendre au phare, Mylendra a une idée bien précise en tête. Dans la poche de son manteau rembourré vert pomme, un petit écrin de velours noir attend sagement son heure. La bague argentée surmontée d'un diamant, synonyme de l'amour éternel, qui trône en son intérieur, représente beaucoup pour la jeune femme. Voilà plusieurs mois qu'elle attend patiemment de l'offrir à Samia, comme si une telle demande nécessitait l'alignement des planètes flottant dans l'immensité de l'espace. Comme si la seule volonté d'unir son âme à celle de sa moitié ne pourrait pas être suffisante sans un brin d'aide du destin. Quelque part en elle, une petite perle d'anxiété qu'elle tente d'empêcher de grandir se cache, et la tiraille dès lors qu'elle pose ses doigts fins sur la boite fragile et légère. La peur du rejet qui se cache en elle est difficile à chasser, et Myllie a beau rejouer la scène encore et toujours dans son esprit pour trouver la phrase parfaite, elle ne parvient pas à s'en débarrasser. Elle se continue de se demander ce qu'il adviendra d'elles, puis d'elle, si la brunette aux yeux d'anges refuse sa proposition.
Mais elle sait, elle sent, qu'elle ne pourra se refuser définitivement à s'y essayer. Car malgré tout ce qu'il pourrait advenir, Samia est l'amour de sa vie. Et elle le restera, elle en est certaine.

Elle prend une autre bouffée sur le cône fumant au goût légèrement sucré et le tend à son amie, se levant pour l'inciter à reprendre la marche en direction du phare. Cette nuit, elle a rêvé durant une éternité. Et les seules choses dont elle parvient à se souvenir, ce sont cette bague et le sourire aux lèvres maquillées de noir de sa bien-aimée. Au réveil, elle l'a ressentit ; c'est le jour. Elle a toujours été très croyante envers ses rêves, accordant à leurs messages cachés autant d'importance qu'à ceux de son instinct. Elle s'est réveillée avec cette sensation étrange, pourtant bien connue de son corps ; celle qui laisse trotter dans ses pensées évasives le sentiment que son rêve était bien réel, celle qui s'installe dans ses entrailles pour la convaincre que ce ces scènes qu'elle a vécu dans son sommeil sont sur le point de se réaliser. Alors, dans son élan de foi en elle-même et en son destin, elle se décide finalement à se faire confiance. Ou du moins, à faire confiance aux bribes de rêve dont elle se souvient.

"End ? Ohé, tu m'écoutes?"

Arrachée à ses pensées, Mylendra ramène son esprit sur Terre pour éviter de fausser compagnie à celle qui marche à ses côtés, mais se perd de nouveau, cette fois dans la beauté bancale du visage de la brunette. Samia a toujours été la seule personne de ce monde à la surnommer End. Elle lui répète souvent qu'elle est celle qui met fin aux douleurs du corps, aux maux du l'esprit et aux tourments de l'âme, et que c'est ce qui lui vaut ce surnom si particulier.
Les paupières ombrées de noir de la jeune femme battent aux ralenti dans l'esprit de l'oiseau rose. Ses cils, naturellement longs et épais, sont encore accentués par la large couche de mascara qu'elle arbore presque chaque jour. Doucement, les yeux du colibri glissent le long du visage de sa moitié, comme si son petit nez retroussé, ses joues rosies par le froid et ses douces lèvres noires étaient les seules choses qui continuaient d'exister durant ces quelques secondes de bonheur hivernal. Puis, finalement, elle ramène sa pleine attention aux paroles de Samia :

"Excuse-moi, j'étais perdue. Tu disais ?
- J'ai bien vu ouais, t'étais loin, non ? elle esquisse un doux rire fluet. Je te tendais le joint. Et aussi, tu veux pas qu'on s'arrête sur le chemin pour prendre un truc à manger ? J'crois que c'est paumé le phare, et j'aurai forcément faim d'ici là.
- Si tu veux ! Quelque chose en particulier te fait envie ?
- Mh... Une glace.

Myllie acquiesce en riant. Sa petite-amie a toujours aimé les choses contradictoires, comme se baigner les jours de pluie ou manger de la glace pendant les grands froids. Elle prend une nouvelle bouffée de fumée dense et soudainement, son regard élusif se brouille. Elle perd l'équilibre et s'accroche au premier mur de crépit rude venu, laissant son esprit se remplir d'images troublantes parmi lesquelles la bague, et le sourire aux lèvres noircies. Bien vite, elle saisit l'origine de ces illustrations comme semblant être son rêve oublié de la nuit passée. Pour autant, la présence d'autres images défilantes paraît déroutante aux yeux de la jeune femme : elle se voit, sous le toit d'un bâtiment menaçant de s'écrouler. Le vent souffle malgré les issues toutes fermées, et Samia serre sa main pour ne pas être emportée.
Lorsqu'elle revient à la réalité, son amie se tient à côté d'elle, pour l'aider à se relever.

"Qu'est-ce que c'était ? Ça va ?"

Elle lui tend le cône encore chaud qu'elle a laissé tomber sur le sol, mais Mylendra le refuse de la tête :

"Finis-le. Je viens d'avoir une sorte... d'hallucination. Je crois que j'ai assez fumé pour l'instant."