Afternoon Tea Ϟ Bobtail

je suis bête et j'ai fait n'importe quoi sur ce post
Je vais essayer de régler ça après

Il me sort une vieille boîte d’un jeu de société dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’à maintenant. Rien de bien extravagant, une simple boîte en carton avec en gros THE GAME écrit dessus. La boîte est abîmée mais l’intérieur semble en bon état.
Je lui souris et réponds :

— C’est parfait. Je vous apporte votre thé tout de suite…

Je marque une pause. J’hésite à lui proposer de m’apprendre à y jouer… mais bon, nous sommes qu’à deux et ça serait sûrement moins gênant si je lui parlais au lieu de m’installer au bar pour l’observer boire son thé.

— ... et vous pourriez m’apprendre à y jouer. Si je veux le proposer à mes clients, je dois bien connaître les règles.

Je retourne alors vers la pièce qui me sert de chambre/entrepôt pour attraper un sachet de thé blanc avant de verser de l’eau dans une tasse. Je plonge le sachet dans l’eau et retourne dans la salle.

— Et voilà pour vous. Je vous conseille d’attendre un petit peu, le temps que le thé s’infuse bien.

Je tire une chaise et m’installe face au géant dont je ne connais toujours pas le nom. On doit faire à peu près la même taille mais il est bien plus imposant que moi et pourtant, il ne m'inspire aucune crainte. Il parait même étrangement bienveillant pour quelqu’un avec cette carrure. Comme quoi, il ne faut effectivement pas juger un livre sur sa couverture.

— Au fait, tu t’appelles comment ? Moi c’est Rafaël.

Si je commence à faire les présentations, autant le tutoyer désormais.

Il parle vite et longtemps. Peut-être que j’aurais dû lui préciser que ma langue maternelle était l’allemand. Je n'ai pas un fort accent quand je parle anglais et il est rare que je ne trouve pas mes mots mais la compréhension est encore à travailler.
Je le laisse finir, je n’ose pas le couper dans son explication. Je n’ai pas mieux compris à la fin de son monologue qu’au début et je rigole malgré moi.

— Désolé, je ne me moque pas, promis. Je n’ai juste pas compris.

Je prends le temps de me calmer, histoire de ne pas éclater de rire pour aucune raison et je reprends :

— Tu pourrais parler un tout petit plus lentement ? Je suis allemand et je n’ai jamais joué à ce jeu.

J’espère que ça ne sonne pas comme un reproche. Bobtail a l’air d’être du genre à éclater en sanglots pour pas grand chose et je n’ai vraiment pas envie d’assister à ça. J’essaie de me rattraper immédiatement :

— Mais ce n’est pas grave. On peut commencer une partie et j’apprendrai au fur et à mesure. Ok ?

Je le laisse alors étaler les différentes cartes. Une pioche au milieu, quatre colonnes et j’ai cinq cartes en main. Je le laisse commencer.
Je décide de faire la conversation, histoire de ne pas laisser un blanc gênant entre deux explications.

— Tu es chez les Greens non ? Je pense t'avoir déjà vu quand je viens pour les herbes.

Je ne mets pas très longtemps à comprendre le principe. C’est assez simple en fait et drôle. Je dépose un quatre-vingt-huit sur une pile descendante et un treize sur une pile montante et pioche.
Quand il me répond, je retiens un sourire en l’entendant parler très lentement. Ce qui est sûr c’est que je l’ai bien compris cette fois. Il doit se rendre compte que me parler normalement suffisait car les phrases qui suivent, sortent naturellement de sa bouche. Je décide de ne pas faire de remarque, je ne veux pas l’embarrasser.

— Non, j’échange des plantes contre des plantes, j’ai mon propre petit jardin dans la cours arrière. Je vais garder précieusement le jeu, ne t’inquiète pas.

Je le regarde jouer et pose à mon tour deux cartes.

— J’échange avec l’hôpital aussi, pour ma crème. Il faut que je garde ma cicatrice hydratée.

Je ne sais pas pourquoi je commence à lui raconter ma vie comme ça, mais il y a quelque chose chez lui qui donne envie de se confier. Je ne vais pas commencer à lui raconter les moments gênants de mon enfance mais c’est toujours sympa de décompresser quand le monde qui t’entoure n’est que chaos.

— Tu t’occupes de quoi chez les Greens ?

Je suis bien content qu’aucun autre client n’est pointé le bout de son nez. Je n’ai pas envie d’être obligé de m’arrêter en pleine partie et j'aime discuter avec Bobtail. C'est reposant.

Je sais bien que je ne suis pas le seul à prendre des médicaments ou d’autres substances. C’est ce qui fait tenir ici. Mais je m’en tiens à la crème, c’est déjà bien, elle me donne une peau douce. Je n’insiste pas, on a tous nos blessures, pas besoin de s'apitoyer sur notre sort, ça ne fera avancer personne.
Je fronce les sourcils quand il me dit qu’il est policier. Maintenant que j’y pense, ça semble logique, il est grand et a une carrure impressionnante. Mais, ça ne colle pas avec sa personnalité. Mais une fois de plus, je n'insiste pas.

— J’ai encore une bonne réserve de thé oui.

Il m’explique une nouvelle règle, je hoche de la tête et la partie continue.
On arrête de parler pendant quelques minutes, trop concentrés sur le jeu mais cette histoire de policier ne veut pas quitter mon esprit. Je n’ai pas envie de m’inquiéter pour lui mais c’est plus fort que moi.

— Et tu t’en sors comme policier ? C’est pas trop compliqué ?

Je n'ose pas le regarder, je n'ai pas envie de lire de la souffrance dans son regard. Je n'ai pas envie d'avoir pitié et je n'ai pas envie de jouer les protecteurs. Et pourtant, je lève la tête. Je déteste les personnes trop gentilles, elles me font penser à mon frère.

J'écoute sa réponse en silence, hoche la tête et pose une carte.

— Si ça se passe bien, c’est le principal.

Je me retiens de rajouter un fais attention à toi mais l’intention y est. Je grimace en voyant qu’il nous reste que trois colonnes de jouables et que mes cartes semblent être de pires en pires.

— Décidément, ce jeu n’est pas si simple que ça finalement, je marmonne plus à moi même qu’à mon binôme.

J’essaie d’ignorer la question qu’il me pose mais je me dis que finalement, je ne suis pas obligé de donner de détails. Et puis, j’ai moi-même était assez intrusif, il ne fait que me rendre la monnaie de sa pièce.

— Je suis très bien seul. J’ai l’impression que je serai obligé de me comporter d’une certaine manière si je rejoins un groupe.

J’abats deux autres cartes et bloque une colonne descendante.

— Eh merde.

Je pioche, le regard toujours rivé sur le jeu.

— Et si j’ai repris ce salon de thé, c’est parce-que j’étais dedans quand la Tempête est arrivée… et que l’hôtel dans lequel je restais a été entièrement détruit. Je n’avais pas beaucoup d’options si je voulais survivre.

Ce n'était pas un mensonge, il avait juste pas envie de dire que il avait déjà une certaine expérience avec le thé grâce à sa mère. Il n'était pas là pour parler de sa famille.

— Je ne sais pas toi mais je n'ai pas l'impression que l'on va la gagner cette partie.

Avec deux colonnes de bloquées et les deux dernières qui ne sont pas en si bonnes formes, je n’ai pas l’impression que l’on va la gagner cette partie. Je ne sais pas si c’est à cause de la concentration ou parce-que nous avons épuisé nos derniers sujets de discussion mais la pièce se fait bien silencieuse. Bobtail m’a remercié pour le thé et j’ai simplement hoché de la tête, c’est mon métier après tout.

Je ne sais pas trop depuis combien de temps il est là mais les clients ont arrêté de venir depuis un moment. Un petit coup d’oeil dehors par la porte qui est restée ouverte suffit pour voir que le jour commence à doucement tomber. Je me lève alors et je m’étire, faisant craquer quelques os au passage. Les sièges de l’Hibiscus ne sont pas connus pour leur grand confort. Mon regard se pose sur l’horloge qui indique pratiquement dix-neuf heures, il est l’heure de fermer.

— Je n’avais pas vu qu’il était aussi tard. Je propose qu’on s’arrête ici, lui dis-je en posant les quelques cartes qui me restaient, de toute façon, je pense qu’on a perdu.

J’ai étrangement envie de lui proposer une deuxième partie. L’espace d’un instant, il a réussi à me faire oublier la réalité dans laquelle nous vivons désormais, tout ça grâce à un simple jeu de carte. J’attrape la tasse désormais vide et je vais la poser sur le comptoir sur lequel traînent d’autres tasses. Je soupire, j’ai toujours détesté faire la vaisselle.

J’entends le vent souffler et pars fermer la porte histoire qu’elle ne claque pas. Puis, je traîne des pieds jusqu’au comptoir et attrape une bassine que je vais remplir d’eau. Si je ne m’y mets pas, ces tasses ne seront jamais lavées.

— Tu veux reboire quelque chose ? Je te l’offre, en échange de la partie. C’est juste pour qu’on soit quitte. Ou si tu préfères partir, je peux te raccompagner.

J'ai prononcé ma dernière phrase tellement bas que je croise les doigts pour qu'il ne me demande pas de répéter. Je fais ça pour être gentil, je n’ai pas envie que l’on m’accuse de quoique ce soit si il lui arrive quelque chose sur le chemin du retour. Et puis, il n'est même pas obligé de partir maintenant.

— C’est comme tu préfères, dis-je en haussant les épaules, les yeux rivés sur la porcelaine abîmée.

Je plonge une tasse dans la bassine quand je le vois s’approcher. Il est prudent dans ses déplacements et fait attention à ne rien renverser. Le voir faire autant attention me conforte dans l’idée qu’il n’est pas fait pour être policier mais je ne suis personne pour lui dire quoi faire, alors je le laisse se mettre à côté de moi et accepte son aide en silence.
Sa proposition me fait sourire et heureusement pour lui, j’ai quelques bouteilles en réserve. Ce sont des offres de quelques clients en échange de thé mais je ne les ai jamais ouvertes. Je lui passe la dernière tasse avant de me tourner vers lui et de m’accouder contre le comptoir.

— J’ai bien quelques bières mais je n’ai jamais bu.

Avant la Tempête, j’avais bien quelques amis qui aimaient faire la fête mais moi, je n’avais jamais été du genre à les suivre. On ne m’avait jamais proposé de bière lors d’un repas de famille non plus et je n’avais jamais eu envie d’en demander. L’alcool ne m’a jamais attiré plus que ça. Je ne sais pas si c’est bizarre pour un garçon de dix neuf ans mais on ne m’a jamais fait de remarque et en vérité, je me fiche bien de ce qu’on peut penser de moi.
Mais là, tout de suite, je suis persuadé que le moment est parfait pour enfin essayer. Je n’ai rien à perdre de toute façon, au pire des cas, je déteste le goût et refile les bouteilles à Bobtail pour ne pas qu’elles prennent la poussière au fond d’un placard.
Je me redresse et lui dis :

— Bouge pas, je vais les chercher.

Je ne m’absente que quelques minutes avant de revenir, deux bouteilles dans les bras : une Bud et une Coors Light. Je n’ai aucune idée de ce qui peut bien les différencier et je me demande si Bobtail s’y connait un peu.
J’attrape deux tasses tout juste lavées et en pose une devant le Greens et une devant moi.

— Est-ce que c’est bizarre de boire une bière dans une tasse ? Tiens, maintenant que j’y pense, je ne pense pas avoir de… comment on dit déjà… Flaschenöffner ? Un truc pour ouvrir les bouteilles.

J’ai déjà vu des gens les ouvrir sans décapsuleur — et c’était assez impressionnant — mais je n’ai aucune idée de comment faire et je n’ai pas spécialement envie de m’ouvrir la main. Je lance un regard à Bobtail qui veut dire “ qu’est-ce qu’on fait maintenant ? “.

Pendant quelques minutes je pense qu’il se met aussi à la recherche d’un décapsuleur, malgré le fait que je lui ai dis ne pas en avoir mais non. Je le vois sortir d’un tiroir une cuillère qu’il brandit fièrement avant de l'insérer sous la capsule. Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce qu’il veut faire avant de le voir à l’oeuvre.
Quand la capsule part je me recule mais pas à temps, le rond de métal se dirige droit sur mon visage. Je ferme alors vite les yeux — histoire de ne pas finir vraiment aveugle — mais ne sent qu’un petit coup sur le côté droit de mon front qui me fait quand même sursauter.
Je rouvre alors les yeux, pose mes doigts sur mon front et en décolle la capsule.

Sans réellement savoir pourquoi je suis pris d’un fou rire. Il y a cinq minutes j’étais entrain de jouer à un jeu de société et me voilà derrière le comptoir, une capsule collée sur le front et de la bière absolument partout.  

— Je vais bien, lui dis-je entre deux gloussements, bouge pas, je reviens.

Je me dépêche de récupérer deux torchons et j'en lance un à Bobtail avant de mettre la bouteille dans l'évier et de m'occuper du sol. La situation est si drôle à mes yeux que je ne peux m'empêcher de recommencer à glousser en épongeant tout ce bordel.

— Si tu veux mon avis, tu devrais ouvrir la deuxième bouteille directement dans l’évier.

Et voilà que mon fou rire reprend. Bobtail doit sûrement penser que j'ai perdu la tête ou que j'ai bu en cachette.

— Je suis désolé, c'est juste que tout ça est si drôle.

Quand je me relève enfin, je jette un coup d’œil à la bouteille et l'attrape. Je lève le reste de bière à hauteur de mes yeux.

— Bon, il en reste toujours assez pour qu’on s’en serve un fond.

J’en sers alors une tasse à Bobtail, puis je me verse le reste. Je lève ma tasse, un sourire aux lèvres et lui dis :

— Comme on dit chez moi, Prost.

J'en avale une gorgée et grimace. C'est juste amer et un peu décevant à vrai dire, je ne comprends pas pourquoi tout le monde aime en boire. Pourtant je finis quand même ma tasse parce-qu'il ne faut pas gâcher.

— Franchement, je suis pas convaincu. Tu veux essayer la deuxième ?

C'est surtout la curiosité qui parle maintenant, tant pis si je me retrouve de nouveau avec de la bière partout sur le sol.

A peine nos tasses terminées que Bobtail attrape la seconde et l’ouvre. Cette fois, le liquide n’essaie pas de s’échapper et je regarde le Greens remplir ma tasse. Je la lève, trinque et répète après lui :

— Cheers !

Le goût est différent, c’est beaucoup moins amer et presque sucré. Je ne sais pas si j’aime mais je ne dirais pas non à une deuxième tasse.

Je peux déjà sentir mes joues chauffer et un gloussement s’échappe de mes lèvres. Est-ce c’est ça être bourré ? La sensation n’est pas désagréable, pendant quelques instants j’oublie mes problèmes et j’ai qu’une envie : continuer de boire, parler et rigoler. Si j’avais sû que l’alcool rendait autant joyeux, je m’y serais mis bien plus tôt.
Je laisse Bobtail me resservir une tasse que je sirote tranquillement. Je souris en l'entendant complimenter mon salon de thé et je me sens fier d'avoir créer cet endroit où les gens peuvent y trouver du calme et du bon thé.

— Les Pirates ne viennent pas trop ici ou alors je m’en rends pas compte. Je me fiche un peu de qui vient, je veux juste que l’endroit reste calme pour que tout le monde profite.

Je ne demande jamais de quel groupe mes clients font partie. Déjà parce-que ce n'est pas mes affaires mais surtout parce-que j’ai envie que mon salon de thé soit un endroit neutre où tout le monde peut venir, peu importe qui tu es et d’où tu viens. Je sais que les Pirates n’ont pas une bonne réputation et savoir que quelqu’un comme Bobtail semble en avoir peur me fait moyennement plaisir mais ils ne m’ont jamais rien fait à moi.
Pourtant, je finis d'une gorgée ma tasse et lui demande, une pointe d'inquiétude dans la voix :

— Tu as déjà eu des problèmes avec les Pirates ?

Malgré le sujet sensible que semble être les Pirates, Bobtail ne se laisse pas abattre et me sort un monumentale rot qui me fait hurler de rire…

… ou du moins, c’est ce que je croyais car à peine ma question posée, sa crise de rire se transforme en crise de larme. Moi qui avait du mal à me calmer, j’ai l’impression de décuver presque aussitôt pour redevenir le plus sérieux possible.
Je ne suis pas sûr de quoi faire, jamais personne n’est venu pour pleurer au comptoir et de manière générale, je ne suis pas très doué pour consoler les gens.
Pourtant, je pose ma tasse dans l’évier, pose ma main sur son dos et le tapote gentiment.

— Hey, ça va aller. Tu veux en parler ?

Je me mets soudainement à profondément détester les Pirates. Si Bobtail pleure ainsi, c’est que la situation doit être plus grave que je l’imagine. Et je suis aussi en colère contre les Greens. Est-ce qu’ils font quelque chose pour l’aider ?

— Tu en as parlé aux autres Greens ?

Si il me dit qu’ils ne font rien, je serai obligé de leur en parler la prochaine que je passerai chez eux, je refuse d’être au courant de la situation et de ne rien faire. Si faire partie d’un groupe c’est ça, alors je n’en veux pas et je suis bien mieux seul.

— Je ne sais pas si je peux t’aider mais en tout cas, tu peux passer ici quand tu veux. Je te promets que tu seras en sécurité.

C’est une promesse que je peux tenir. Ce n'est pas une bande de gens qui se prennent pour le Capitaine Crochet qui va me faire peur et de toute façon, il est hors de question que la violence passe les portes de mon salon de thé.