j'tombe amoureuse tous les mardis (et malheureuse le mercredi) ☵ Quilt (end)

j'tombe amoureuse tous les mardis, et malheureuse le mercredi.

Lorsque ses yeux s’étaient posés sur toi, Blessing, au milieu des autres visages, c’est comme si elle te voyait pour la toute première fois. Comme si elle redécouvrait toutes ses lignes, toutes tes couleurs.
Lorsque ses yeux s’étaient posés sur toi, Blessing, c’est son cœur qui s’est affolé, si vite, comme si elle tombait amoureuse pour la première fois. Comme si elle redécouvrait les émois qui l’avaient pourtant tant animées autrefois.
Lorsque ses yeux s’étaient posés sur toi, Blessing, c’est comme si elle t’avait oublié depuis tout ce temps, depuis novembre, c’est comme si elle venait seulement de se souvenir de ton visage si joli et de ta silhouette qu’elle a tant épié lorsque tu avais le dos tourné.

Elle est désolée, Blessing, de t’avoir un peu oublié. De ne pas avoir pensé à toi un peu plus tôt. De ne pas avoir cherché après toi. Tu sais, sa mémoire ne veut plus rien dire ; elle se souvient des détails insignifiants mais elle a oublié tout ce qu’il y avait d’important. On a découpé dans la pellicule, on l’a brûlé comme elle a brûlé et maintenant elle doit combler les trous.
Elle se souvenait d’Eight – non, de Alan – mais elle n’arrivait pas à se souvenir du mal qu’elle aurait pu lui faire, de l’étendue des dégâts.
Elle se souvenait d’Ellie mais uniquement dans les détails, uniquement dans des mots qui n’ont maintenant plus de sens hors du contexte, uniquement des petits bouts de quelques secondes sans qu’on arrive à en définir le sens.
Elle se souvenait de Noah. Mais pas de la bonne façon. Mais elle a oublié toutes les bonnes choses qu’ils ont partagé.

Et toi, elle t’avait complètement oublié. Jusqu’à revoir tes yeux, revoir ton visage devant lequel elle a tant soupiré.

Alors, elle se demande, Janvi, ce qu’elle a oublié de toi aussi.
Elle se souvient des détails, aussi, des détails qu’elle a elle-même cherché pour tenter d’en savoir un peu plus sur toi (pourquoi les a-t-elle cherché au lieu de te demander directement ?). Elle se souvient que tu n’étais pas présente à tous les cours, elle se souvient que tu étais si douce avec tout le monde.
Elle se souvent de ta voix si belle et de tes manières qui la faisaient encore plus chavirer.
(Elle se souvient qu’elle ne pensait pas te mériter.)


Mais tu sais, au milieu de toutes ses ruines, a-t-on encore le temps de se poser tant de questions ?


Alors, Janvi s’est rapprochée de toi, si vite, tellement vite qu’elle a eu mal aux pieds. Qu’elle s’est essoufflée. Son sourire qui grand au fur et à mesure que tu es plus proche encore. Puis, sans un mot, elle attrape tes épaules, et dans un rire, elle te serre toute contre elle, fort, jusqu’à faire mal peut-être.
Blessing, si tu savais, comme elle est heureuse de te retrouver.
Si tu savais comme la tempête aura beau avoir tout balayé, elle n’aura pas touché à ses sentiments qui l’animent encore.

Et lorsqu’elle se détache enfin, garde ses mains sur tes épaules, c’est son sourire qui se fait si grand, si grand qu’il fait mal aux joues.

« Blessing, tu es vivante, tu es vivante, si tu savais comme je suis heureuse de te voir ! »

Elle épie ta peau, un instant.

« Tu n’as rien ? Tu n’as pas été blessée ? »

(Il est peut-être un peu tard pour demander ça. Même pour la date à laquelle Janvi s’est accordée.)

Et tu sais, dans ses mots, dans ses gestes, ça se voit.
Ça se voit, tellement, que Janvi a totalement oublié.
Elle a totalement.
Oublié.
Qu’elle ne t’avait.
Jamais.
Jamais.
Jamais.
Jamais.
Adressé la parole avant aujourd’hui.

Résumé:

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Il y a.
Un sentiment.
Étrange mais Janvi n’a pas le temps de s’en occuper.
Tout va trop vite dans sa tête et elle est juste si heureuse de voir que tu vas bien, que tu n’as rien, que tu es vivante et oh—
Tu es peut-être la seule personne de son passé qu’elle accepte de retrouver.
Qu’elle n’a pas envie de ne plus jamais recroiser.
Qu’elle n’a pas envie de pleurer dès qu’elle retrouve son visage.

Blessing.
Blessing.
Blessing.
Si tu savais.
Combien son coeur a déjà tambouriné dans sa poitrine lorsqu’elle te voyait.
(Lorsqu’elle te parlait ?
Lorsqu’elle marchait à tes côtés ?
Janvi en est persuadée.
Pourtant, les souvenirs sont beaucoup trop flous pour réellement s’en assurer. Les souvenirs sont beaucoup trop chaotiques, bancals, tordus, qu’on dirait simplement que ce ne sont que des rêves qu’on oublie un peu plus chaque jour…)

Les pensées vont si vite, sautent, ne savent pas se poser qu’elle ne prend même pas le temps de répondre à ta question— et puis, on s’en fiche, si elle, elle va bien ou non. Ce qui compte, c’est toi, Blessing, tout le reste n’a plus aucune importance à l’instant présent.
Et lorsque toi, tu sembles avoir oublié aussi, Janvi ne peut pas t’en vouloir. Elle ne peut s’y résoudre – après tout, elle, elle a déjà tant oublié. Elle a tout oublié, sauf ton prénom, sauf ton visage, sauf les sentiments. (Elle a si bien oublié qu’elle ne se rend pas compte que ses mots qu’elle t’adresse aujourd’hui sont les tous premiers.)
Elle serait capable de tout te pardonner, elle en est sûre.

Alors, son sourire ne s’efface pas. « Moi c’est Janvi, tu sais ? J’t’en veux pas, il s’est passé tant de choses, moi aussi j’ai oublié pleins de trucs. »

Oublié que vous n’étiez pas amies.
Oublié qu’elle ne t’a jamais parlé.
Oublié qu’elle ne faisait que te regarder de loin.

« Ça me fait vraiment plaisir de te voir, tu sais. »

Tellement, tellement, tellement plaisir.
(Dommage que ça ne puisse pas être partagé.)

« T'as quelque part où dormir ? Tu manges à ta faim ? Il n'y a personne qui te fait chier ? »

Elle a tant de questions à te poser.
Des milliers.
Ça se bouscule dans sa tête et elle n’a pas le temps de réfléchir. Pas le temps de les comprendre, ses questions. Pas le temps de les formuler. Trop de bruit dans sa tête.

Et si ignorante.
De la vérité.
Que ça pourrait lui faire mal.
Si elle s’en rendait compte.

Résumé:

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Il y a tout en morceaux.
Dans sa tête.
Des morceaux d’elle-même, certains qui n’ont plus de sens, d’autres qui sont trop sombres pour les distinguer, beaucoup trop de morceaux qu’elle ne trouve pas très beaux.
Des morceaux qu’elle n’arrive pas à relier, des morceaux qui s’isolent sans qu’elle n’arrive à les placer correctement, et Janvi se sent si bête.

Et il y a ses autres morceaux, Blessing.
Ceux que Janvi a inventés, ceux qu’elle a fondés en étant persuadée qu’ils étaient vrais.
Tu sais, comme pour la date à laquelle elle s’est accordée, quatre mois en arrière sans qu’elle ne s’en rende compte, et même sans aucune preuve Janvi pense pourtant que c’est la vérité.
Il y a les tiens, de morceaux, ceux qu’elle invente encore en pensant que vous étiez si proches, Blessing.

Mais finalement.
Finalement…
Janvi ne vit-elle pas dans le mensonge depuis si longtemps ?
Même avant la tempête, même avec ses filles qu’elle considérait comme ses amies, en ce temps ?
Ses mêmes filles qu’elle déteste tant ?
Et si Janvi s’était tant investie dans ses mensonges que c’est toujours la même histoire maintenant ?
(Sans même qu’elle ne s’en rende compte, cette fois-ci, sans même ouvrir les yeux sur les histoires qu’elle façonne en se protégeant.)

(Le cœur qui s’emballe un peu et qui chavire quand tu dis ça me fait plaisir de te voir aussi.
Et sans même savoir se retenir, Janvi rit.)

« Ah c’est super, j’suis rassurée ! Y’a tant de gens qui galèrent maintenant que j’avais peur que ce soit le cas pour toi aussi, tu vois. Mais ça va, c’est cool, en plus t’as un lit double, c’est tout bénef’ ! »

Tu sais Janvi n’est pas vraiment de ceux un peu trop empathiques.
Peu importe les sentiments à ton égard—
Surtout lorsqu’on parle de famille et si tu sous-entends dans tes mots que tu aurais pu perdre ta famille, tu sais, Janvi a perdu la sienne aussi et pourtant ça lui a fait ni chaud ni froid, elle était même soulagée de perdre sa mère stupide et son beau-père pathétique.
Alors elle est plutôt heureuse pour toi, sans remarquer que derrière cet endroit où tu dors se cache peut-être une plus grande tristesse, elle n’y fait pas attention, trop concentrée sur tes yeux dans lesquels elle s’égare.

Elle lâche tes épaules, finalement. « Ouais j’suis restée chez moi mais la maison s’est effondrée du coup je vis dans mon jardin, la cabane dans les arbres a survécu. Il fait un peu froid la nuit mais c’est viable ! »

(Peut-être que.
Janvi, elle dit ça.
Parce que.
Elle n’a toujours pas vécu ses soirs d’hiver froids.
Ses nuits où on pourrait croire mourir.
Ses nuits où l’air est si glacé qu’on ne pourrait pourrir.)

« Mais sinon j’m’en sors plutôt bien, genre, je traîne un peu à l’hôpital du coup je crèche là-bas parfois, » même si là, l’hôpital, elle l’évite un peu trop. Parce qu’il rajoute un peu trop de doutes et que Janvi flippe. « ’Fin forcément c’est un peu la galère parfois mais vraiment c’est calme. »

C’est calme.
Si calme.
Elle espère que c’est aussi calme pour toi.
Tu sais, Blessing, si tu en as besoin, elle serait prête à t’offrir son propre toit.

« T’as, genre, une occupation ? Ou tu traînes juste ici tranquille ? »

Est-ce que tu cherches à te rendre utile, toi aussi ?
C’est ce qu’elle cherche, Janvi.
Elle le cherche, inlassablement.
Dans cette ville où elle a déjà fait trop de mal auparavant.

(Et, une seconde, elle se demande.
Si, à toi, elle n’a pas déjà fait de mal, aussi.
Après tout, elle a tant oublié que c’est peut-être possible, dans cette ancienne vie.
Mais si c’était réellement le cas, tu ne l’aurais pas accueillie de cette manière, sans aucune réprimande.
N’est-ce pas ?)

Résumé:

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Il y a tant de détails qu’elle aimerait connaître de toi, Blessing, tu sais.
Il y en a tant qu’elle connaît déjà. Qu’elle pense avoir appris de ta propre bouche mais la réalité n’est pas exactement ça.
Elle s’imagine tant de choses, Janvi, à votre propos, sans savoir qu’elle s’enfonce d’avantage dans ses mensonges qu’elle créée de toutes pièces pour combler les vides dans ses pensées. Les vides dans les souvenirs. Sans savoir que c’est elle-même qu’elle est en train de meurtrir.

Il y a tant qu’elle connaît déjà mais Janvi est curieuse.
Fouineuse.
Un peu trop, bien souvent. Alors tu sais, il se peut que cette question, elle l’a posé dans l’unique but de savoir dans quels coins d’Arcadia tu traînes pour espérer se croiser d’avantage, tout en faisant semblant.
Semblant qu’elle ne savait pas que tu traînais là.
Semblant que vous vous êtes trouvées par le pur hasard d’Arcadia.
Semblant que Janvi, avant, elle ne récoltait pas des informations dans ton dos.
(Elle a un peu honte, en vérité, d’avoir tapé ton nom dans un moteur de recherche, de t’avoir regardé au travers des rideaux. Janvi elle n’arrive pas à se souvenir pourquoi ces détails-là, ce n’est pas toi qui les lui as donnés dans tes mots…)

« Wow, c’est super cool ! Et super utile aussi ! »

Les étoiles qui s’allument dans les yeux.
Elle parle plus fort, Janvi, plus fort alors que vous n’êtes toujours que deux.

(Comme souvent lorsqu’un sujet l’intéresse soudainement.) « J’ai une couverture de survie que l’hôpital m’a filé du coup ça fait l’affaire mais je dirai pas non à une bonne couverture toute moelleuse… »

Elle se rend compte, Janvi, à quel point le confort lui manque, depuis tout ce temps.
Parfois, elle se demande si elle a fait les bons choix, au fond. Si elle ne devrait pas passer le pas pour se présenter chez les Greens pour avoir plus qu’une cabane au bois qui craque et grince et ne semble pas si sécurisé que ça comme maison.

(Mais Janvi ne sait pas y penser honnêtement.)

« En vrai ouais j’dois avoir du tissu, genre des vieux habits trop abîmés pour que je puisse les porter ou qui sont trop moches, » tu sais Blessing, malgré la fin du monde, Janvi elle pourrait te parler de mode d’une manière si nonchalante, les mains dans les poches. « Enfin je sais pas si ça pourrait te servir ? J’veux dire, ce sont juste des vêtements, je m’y connais pas en couture donc je sais pas si c’est utile… en fait je peux même essayer de récupérer les draps et les couvertures de chez moi si je prends le temps de dégager les gravats… »

Oh, Blessing, si tu savais.
Comme Janvi veut se rendre utile et toi tu lui mets en main les clés.
Les clés pour t’être si utile, si utile, si utile.

C’est avec un sourire qui étire les lèvres qu’elle reprend. « Et t’inquiète, moi ça me dérange pas que ce soit gratuit ! C’est un prix d’ami, allez. »

Prix d’ami.
Prix d’ami.
Prix d’ami.
Mais Janvi.
Janvi, Janvi, Janvi.
Il y a ce détail qu’elle oublie.
Vous n’êtes pas amies.

Résumé:

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Pourtant, il y a comme cette odeur dans l’air stagnant.
L’odeur des mauvais pressentiments.
Comme un changement soudain dans l’atmosphère, comme l’impression que tout va basculer.

Janvi le ressent à la seconde où tu te confonds en excuses, de cet air si gêné. Elle ne comprend pas, Janvi, pourquoi d’un coup tu as ressenti le besoin de t’excuser— comme si tu avais quoi que ce soit à te reprocher. (Mais dans tes mots, dans tes gestes, dans cette gentillesse qui te fait respirer, Blessing, elle peut t’assurer que tu n’as commis aucune faute, qu’il n’y a pas besoin de t’excuser.)
Mais Janvi ne comprend pas vraiment.
Non, en fait, elle comprend très bien.
Elle fait juste semblant.
C’est toujours la même histoire, c’est toujours les mêmes déceptions, c’est toujours sa confiance en soi qui rase encore le zéro et bientôt il n’en restera plus rien—

J’avais une mauvaise image de toi

te juger sans te connaître

des impressions
et

des rumeurs

Mon Dieu.

« Quoi… ? »

Oh mon Dieu, pourquoi ?

Je suis contente d’être ton amie maintenant,
maintenant
maintenant
maintenant
maintenant

maintenant
maintenant.

Elles n’étaient pas amies, avant.
Elles ne l’ont jamais été.
Janvi n’arrive pas  à comprendre comment elle ne s’en est pas rendue compte plus tôt et maintenant elle passe encore pour une personne qu’elle n’est pas (ou une personne qu’elle est en réalité).

« Hein… mais quoi ? »

Mais, Blessing, ce n’est pas possible.
Janvi connaît tant de détails sur toi, ce n’est pas possible qu’elle les ait appris sans que ça ne vienne de toi, ces détails n’auraient pas dû être accessibles… (Mais elle se souvient, Janvi— elle se souvient de ses moments passés derrière l’écran à récolter les informations et oh mon Dieu c’est moi qui ai tout trouvé toute seule, je ne lui ai jamais demandé)

(Elle a perdu son sourire, Janvi.) « Attends mais tu veux dire… »

Janvi, pourquoi continuer à faire semblant ?
Elle a déjà tout compris, vraisemblablement.

« Tu veux dire qu’on était pas amies, avant ? »

Bien sûr que non.
Comment cela aurait été possible ? Comment cela aurait-il pu fonctionner ?
Il n’y avait même aucun moyen que Janvi sache prononcer ton prénom.
Et elle se perd dans ses souvenirs intangibles. Ses souvenirs faux, menteurs, incorrects, ses souvenirs qui ne sont que des rêves enfermés, ses souvenirs qui ne sont que des imposteurs face à la vérité.

(Elle a les mains qui tremblent, Janvi. La gorge sèche, tout à coup. Le souffle qui manque un peu et la gêne et l’angoisse et et et—
et si à toi aussi j’avais fait du mal ?)

Elle tente de reprendre ses esprits— « Euh… enfin, je… je crois que c’est moi qui dois m’excuser ? » elle ne sait plus quoi dire, ni quoi faire, ni comment s’exprimer, après tout tu es une inconnue, c’est bien ça ? « J’ai la mémoire un peu en vrac alors j’ai du mal à me souvenir de certains trucs… » au point d’en inventer une pseudo-amitié.

Blessing.
⠀⠀Blessing.
⠀⠀⠀⠀Blessing.
Qu’est-ce que je t’ai fait, exactement ?
Est-ce que je t’ai blessé comme tous les autres ?
Ou y as-tu échappé ?

Blessing.
Blessing.⠀⠀
Blessing.⠀⠀⠀⠀
Pourquoi ai-je pensé qu’on était amies ?
Pourquoi ne m’en suis-je pas rendue compte plus tôt ?
Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

Et la brûlure derrière les paupières, l’étouffement dans la gorge—

Résumé:

Résumé:

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Froncements de sourcils et les lèvres qui se pincent.
Quand elle y pense, Janvi, finalement c’est logique – la chance d’avoir pu être amie avec toi n’était que très mince. Même impossible, improbable, une idée trop vite oubliée.
Elle ne t’a jamais parlé.
Avec toi, elle n’a jamais discuté.
Elle ne faisait que t’observer, de loin, toujours de si loin, soupirant lorsque tu passais près d’elle, les battements de ce cœur qu’elle a presque oublié lorsqu’à retrouver tes yeux aujourd’hui.

Elle ne faisait que t’observer comme, de peur d’être mouillée, on n’ose toucher la pluie.

Mais les doutes restent là.
Oh Blessing, tu es si douce, si gentille, il n’y a aucune méchanceté dans ta voix, elle l’a très vite compris, Janvi, à la façon dont tu te comportes, jamais tu ne la blesseras, n’est-ce pas ?
Les doutes restent là.
Alors, tu vois, Janvi elle se demande, si par le passé, toi aussi tu as été victime de ses brimades, si elle a été la raison de tes potentielles larmes ou de ton possible mal-être, si toi aussi tu aurais pu la détester, si toi aussi tu fais partie des prénoms dont elle ferait tout tout tout pour se faire pardonner, autant de fois qu’il le faudra.

Mais si c’était le cas—

Si c’était vraiment le cas…
aujourd’hui, avec ce sourire, tu ne lui parlerais pas.

Mais les doutes restent là.

Les pensées vrillent, sautent, déraillent et le cœur tressaute lorsque tu attrapes ses mains—
On peut être amies, depuis ce matin.
On peut être amies, comme si le passé n’était rien.
On peut

être amies

et espérer tout oublier.

Janvi ne veut plus de ce passé.
Et avec toi, Blessing, y a-t-il besoin de se faire pardonner ?

Le sourire, il revient. « Oui… d’accord ! » la voix un peu tremblante, faussée, la joie qui vibrait dans la gorge s’est ternie. « Non, il faut pas t’en vouloir, c’est pas grave… »

(Tu lâches ses mains bien trop vite, tu sais—
D’un coup, Janvi ne sait plus où placer les siennes, trop lourdes, les doigts qui ne cessent de trembler.)

« C’est moi qui ai assumé des trucs pas vrais, ‘fin je pensais qu’on se connaissait déjà bien mais en fait pas trop, j’étais pourtant sûre qu’on… » qu’on s’était déjà tant tant tant parlé par le passé mais ce ne sont que des songes jamais réalisés— « enfin bref ! Rien ne nous empêche de rattraper le temps perdu maintenant ! »

Mais Blessing, l’image que tu avais d’elle—
ça aussi, c’est la vérité, ça aussi, c’est réel.
Janvi n’était pas quelqu’un de bien, s’il te plaît, n’essaie pas de lui faire croire le contraire, elle se déteste tant pour tout ce qu’elle a fait, si tu savais comme elle se haït, ne lui fais pas croire le contraire car si elle finit par s’en convaincre, alors elle redeviendra comme avant.
Et Janvi ne veut pas de cet avant si moche, si laid, imparfait, bancal, tremblant.

Mais c’est drôle Blessing comme l’image que, elle, elle avait de toi est si parfaite, tu es exactement comme elle t’a imaginé (rêvé)—

« Mais on s’est genre, vraiment jamais parlé avant ou on se connaissait quand même un peu ? »

Parce que les doutes restent là.
Et Janvi, peut-être qu’elle cherche après une autre excuse pour se détester encore plus, si jamais elle apprend qu’elle t’a fait tant de mal, à toi.

Résumé:

Résumé:

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C’est la mémoire bousillée.
Les fragments éclatés.
On se demande, sans cesse, tout ce qu’on a oublié. Et pour combler les trous, tout ce qu’on a inventé. Qu’est-ce qui lui prouve, à Janvi, que son passé est comme ce qu’elle a imaginé ? Qu’est-ce qui prouve, qu’elle ne faisait que suivre ses amies et qu’elle n’a jamais été à la tête de ses filles mal éduquées ? Qu’est-ce qui prouve, au fond, que celle qu’elle imagine comme étant elle-même est vraiment la réalité ?

Qu’est-ce qu’elle a oublié ?
Qu’est-ce qu’elle a oublié ?
Qu’est-ce qu’elle a oublié ?
Qu’est-ce qu’elle a oublié ?

Ça lui fait peur, tu sais.
Parce qu’il y a déjà tant à se faire pardonner. Parce qu’il y a les détails importants qu’elle est incapable de se remémorer. Il y a des morceaux entiers, d’elle, de sa famille, de ses amis et ses ennemis qu’elle ne saurait redessiner.

Alors comment faire, pour exister ?

Est-elle toujours elle-même, a-t-elle déjà trop changé ; ou bien, toute cette personnalité, elle se l’est inventé ? Mais quand tu as parlé d’elle, Blessing, tu as bien dit qu’il y avait les rumeurs. Que, d’elle, tu avais peur. Alors, juste ce point-là, c’est la vérité… mais quand est-il du reste, de ce qu’elle n’arrive pas à recoller ?

(Elle est trop fière pour avouer à quel point ça l’effraie.)

« Ok, d’accord… je vois. »

(Non, elle ne voit pas du tout, elle est en incapable, tu sais.)

Elle réfléchit, une seconde, comme si ça pouvait l’aider. « Bah, en vrai, je sais pas trop… ? J’me souviens plus trop du jour de la tempête, je sais pas ce qui m’est arrivé. Tout ce que j’me souviens, c’est que quand je me suis réveillée, j’avais des cicatrices pleins les mains, » elle te les montre, comme pour le prouver. « Et ailleurs aussi. »

Janvi, elle passe les mains dans ses cheveux, un peu mal à l’aise, comme toujours quand elle tente de se souvenir de ses jours lointains, ses jours confus, ses jours où, depuis, elle goûte à la liberté.

« Mais je pense que ouais, j’ai dû me cogner la tête un peu fort… y’a pleins de trucs que j’ai oublié. Pleins de gens aussi. »

(Tu sais, elle est allée jusqu’à oublier que papa était sourd et muet.
Elle s’en est souvenue uniquement lorsque la musique a chanté dans Arcadia Bay et que face à ses paroles, il n’a rien prononcé. Elle s’en est souvenu uniquement lorsque, de nouveau, il l’a laissée.)

Elle fronce un peu les sourcils, Janvi, paumée. « Enfin, je saurais pas trop te l’expliquer, c’est chelou… »

Et à l’hôpital, elle n’a pas demandé.
Et pour l’instant, vu comment elle le fuit, ignore sa présence, évite les responsabilités (elle n’en avait pas vraiment, là-bas, de toute manière), ce n’est pas aujourd’hui qu’elle ira les questionner. Elle aurait pu, c’est vrai.

Mais elle n’y a juste pas pensé.
Elle a préféré faire semblant d’ignorer qu’elle avait des questions à poser.

Trop effrayée de connaître la vérité.

Résumé:

Résumé:

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Tu sais, Blessing, ça fait peur.
Mais Janvi ne peut faire le choix entre ignorer la vérité ou l’accepter ; elle ne la connaît pas, la vérité. Serait-ce plus simple de vivre avec ses souvenirs ou, au contraire, est-elle privilégiée d’en avoir oublié autant ? Est-ce qu’elle t’aurait abordé avec tant d’insouciance, Janvi, si elle savait que vous ne vous étiez jamais parlées par le passé ?
Et si la réponse est oui, alors, jamais tu n’aurais voulu être son amie.
Jamais tu n’aurais changé d’avis sur elle.

(Peut-être qu’oublier n’est pas si mauvais, après tout.

Mais elle n’arrête pas de penser, Janvi,
qu’elle est peut-être pire que ce qu’elle pense.
Qu’elle a peut-être une véritable raison
de se détester.)⠀⠀⠀

Mais c’est un sourire, un peu incertain, qui se fait.

« Ouais ! Plus le temps passe, plus je me souviens de quelques trucs, » elle hésite un instant, ouvre la bouche, puis se ravise.

Elle était sur le point— de te parler d’Eight ou de papa mais ce ne sont pas des souvenirs qu’elle souhaite partager avec toi. Il y a comme l’appréhension de ruiner tout ce que vous êtes seulement en train de construire en te parlant des conneries qu’elle a faites par le passé, et papa…
En réalité, papa, elle ne s’en souvient pas tant que ça.
Des gestes qu’il a eu quand elle l’a revu, cette langue des signes qu’elle est censée connaître, elle ne sait même plus les déchiffrer. Elle ne sait même pas ce qu’il lui a dit.

(Mais comme si de rien n’était, elle a repris.)

« Genre, pour être franche, j’me souvenais pas de toi, » sans blague, « mais quand je t’ai vue, ça a fait « pouf » dans ma tête ! Parfois, il suffit que je vois les gens pour que je me souvienne mais parfois, on a beau me parler de certains trucs, j’arrive pas à m’en souvenir… »

Comme avec Noah, et le cinéma.
Plus elle y pense, plus elle semble retrouver quelques morceaux de sensations de ce jour-là, celui qu’il lui a raconté— mais le jour où il lui a prononcé les mots, elle était

incapable

de s’en souvenir.

C’était comme un rêve lointain.
Un souvenir qu’on arrive pas à rattacher à soi.
Qu’on a juste en face des yeux mais qui semble irréel détaché loin si loin et on se dit j’ai jamais fait ça mais c’est tout le contraire.

C’est la voix qui se fait un peu tremblante. « Mais avec le temps, oui, ça va mieux… j’espère un jour me souvenir de tout ! Ça évitera les moments un peu gênants comme aujourd’hui… »

Un jour, peut-être, elle se souviendra du jour de la tempête.
De l’origine des cicatrices méchantes qui lui lacèrent le corps.

Elle rit un peu, Janvi.
Toujours un peu embarrassée, toujours un peu fébrile.
D’avoir eu aussi tort.
D’avoir cru que vous étiez amies avant.

Ce n’est pas grave.

Maintenant vous l’êtes, c’est tout ce qui compte.

Résumé:

Résumé:

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Elle se sent soulagée, tu sais.
De retrouver un visage du passé qui, cette fois-ci, ne fait pas partie de ses personnes envers qui elle doit se faire pardonner. Tous ses fantômes qu’elle a tenté d’écraser, de détruire, lorsqu’elle pensait encore avoir le monde entre ses mains.
Tous ses fantômes qui hantent ses souvenirs en pointillés.
Elle se sent soulagée que, toi, au moins, tu ne sois pas une personne de plus qui la fait se sentir honteuse.

Qui la fait se sentir
détestée
d’elle-même.

Mais elle souhaite tout de même se rattraper, Janvi.
Essayer de te prouver qu’elle devient une bonne personne.

Alors, quand tu lui as demandé où elle allait.
Elle n’a même pas réfléchi.

« Ah ! Non, tu m’embêtes pas, j’allais juste à l’hôpital. J’travaille là-bas. »

Un mensonge à moitié.
Oui, elle travaille bien à l’hôpital— enfin, pas totalement, ça dépend des jours. Mais elle n’y allait pas, aujourd’hui. Elle l’évite, comme hier et avant-hier parce que les doutes deviennent si fort et on a l’impression que quelque chose ne va pas ou que tout le monde ment alors l’hôpital, pour l’instant, on oublie.
Elle n’allait nulle part en particulier.
Elle cherchait juste à se rendre utile quelque part.

N’importe où.

N’importe où on voudrait d’elle.

« Tu peux passer me voir là-bas si tu veux ! » elle espère que tu ne viendras pas sinon tu découvriras la supercherie. « Et puis si tu as besoin de quelques trucs, je peux te les passer aussi ! »

Elle te sourit, avant de se sentir un peu gênée.
Pourquoi, Blessing, est-ce toi qui penses que tu l’embêtes alors que c’est elle qui s’est jetée sur toi, alors que c’est elle qui a interrompu ta journée… C’est plutôt l’inverse, tu ne penses pas ?

Elle se sent un peu de trop, d’un coup.
Comme trop souvent depuis novembre.

Alors, d’un coup, elle inverse les rôles, Janvi.

« Enfin c’est plutôt moi qui espère que je ne t’embête pas alors que tu as des choses à faire ! J’voulais pas t’interrompre ou quoi, c’est vrai que ça a été assez soudain… »

C’est vrai qu’elle n’a encore pas réfléchi.
Comme toujours.

Résumé:

Résumé:

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Tu es bien trop gentille, Blessing. Bien trop polie. Bien trop juste.
Janvi n’est qu’un animal blessé qu’on a tenté de dresser de force sa nature sauvage. Tu es si blanche, Blessing, si droite et si disciplinée alors que Janvi est trop chaotique et distraite.
Tu as les pieds sur terre quand Janvi est déjà dans les nuages.
Ça ne devrait pas marcher entre vous.

Alors, Janvi, sa première pensée
c’est de croire que tu fais semblant.

Mais tu n’es pas comme ça, Blessing, pas vrai ?

Pardon, elle a un peu de mal à croire qu’on puisse l’apprécier.
Apprécier les petites discussions avec elle.

Mais elle a tout caché derrière son grand sourire.
Elle en a marre, des doutes.

Et puis tu exprimes ton envie de l’accompagner.
Ah. Oui, mais non.
Tu vas te rendre compte qu’elle ne t’a pas vraiment dit la vérité.
Tu vas te rendre compte qu’elle ne faisait que de se promener.
L’hôpital, elle cherche à l’oublier. Elle ne sait plus depuis combien de temps elle n’y a pas remis les pieds. Ça doit être écrit dans son journal, elle ne fait plus confiance à sa tête— le temps passe trop vite ou trop lentement et Janvi est incapable de s’y retrouver sans regarder les dates qu’elle écrit. (Sans savoir que ces dates sont fausses si fausses.)

« Bah, euh » (elle semble réfléchir à toute vitesse—), « en fait, aujourd’hui je crois que tu pourras pas venir avec moi ! Enfin, je veux dire, ça sera pas intéressant pour toi ! »

Elle parle trop vite, Janvi— comme si elle avait peur que tu la contredises.

« Genre je fais des livraisons de médicaments aujourd’hui, du coup tu vois, le secret médical et tout… puis je resterai pas à l’hôpital, et j’pense que ça sera pas super sympa de ma part de te trimballer partout en ville ! »

Elle s’enfonce dans ses mensonges—
sans même te quitter du regard.
Peut-être même qu’elle te regarde un peu trop.

Après tout, ne dit-on pas que ceux qui mentent sont incapables de regarder dans les yeux ? Tu vois, Blessing, elle te regarde dans les yeux alors elle ne ment pas… vraiment pas…

Elle reprend son sourire, (les mains un peu moites). « Une autre fois, peut-être ? Quand tu auras le temps ? »

Et quand elle ne sera pas en livraison.
(Elle n’a jamais livré de médicaments pour l’hôpital. Pour être totalement honnête, elle ne sait même pas si l’hôpital fait des livraisons…
Ça ne l’importe pas vraiment.
Ça ne l’importe plus.)

Résumé:

Résumé:

j'tombe amoureuse tous les mardis, et malheureuse le mercredi.

Il y a un peu de panique dissimulée sous les paupières.
De la honte, aussi.
Honteuse de te mentir alors que tu sembles si sincère, Blessing, alors que tu sembles même lui faire confiance… Janvi aurait préféré que tu ne la crois pas, que tu vois au travers de ses mensonges peu crédibles.

Mais c’est le contraire.

Ou bien, tu caches assez ton jeu pour que Janvi n’y voit que du feu.
Non, tu n’es pas comme ça, Blessing, pas vrai ? Tu es bien trop gentille pour la manipuler comme elle est en train de le faire— tu n’es pas comme elle, c’est certain.

Alors Janvi souhaite se faire

petite
toute petite

si petite car d’un coup la culpabilité est trop grande.
Regarde, tu souris si sincèrement, alors que dans les mots de Janvi, il n’y a que des mensonges des mensonges des mensonges à peine crédibles. Tu ne trouves pas ça injuste, toi ?

Janvi s’énerverait si elle se rendait compte qu’on lui mentait depuis le début. Alors pourquoi est-ce qu’elle s’entête à te mentir autant, alors qu’elle n’apprécierait pas qu’on lui fasse la même chose ?

Peut-être est-elle trop égoïste.

Peut-être cherche-t-elle juste à se faire bien voir.
Ou bien à te montrer qu’elle est devenue une gentille fille et qu’elle n’a plus rien de la Janvi d’avant.

Elle sait très bien, Janvi, que ça aussi,
c’est un mensonge.

(Elle a changé, c’est vrai.
En bien ? En mal ? Aucune idée.

Tout est devenu si chaotique qu’elle— ne sait même plus qui elle est.)

Son sourire se fait désolé. « Je veux pas te déranger plus longtemps ! » (mais pourtant, tu as bien dit qu’elle ne te dérangeait pas, non ? Pardon, Janvi ne peut s’enlever cette idée de la tête.) « J’vais y aller seule t’inquiète. »

En réalité, elle aurait bien aimé que tu l’accompagnes. Que vous parliez encore un peu, qu’elle en apprenne plus sur toi, qu’elle efface ses songes qu’elle pensait être réalité— mais si tu viens avec elle, alors tu verras qu’elle t’a menti encore plus.

Qu’est-ce qui n’est pas un mensonge, dans ses paroles ?
Ne t’a-t-elle pas menti, tout du long ?

Même cette Janvi en face de toi est

fausse fausse fausse si fausse.

« J’suis contente d’avoir pu discuter avec toi en tout cas, je passerai te voir un de ses jours si tu veux bien ! J’vais te laisser du coup. »

(Elle baisse les yeux une seconde.
Juste une seconde.)

Puis il y a un grand sourire et finalement, les jambes s’animent, commencent à s’éloigner de toi. La gorge serrée, un peu. Le ventre qui se tord, légèrement. Elle t’adresse un dernier geste de la main avant de te tourner le dos.

Janvi ne s’est retournée qu’une fois assez loin, qu'elle ne reconnaissait plus ta silhouette.
Elle s’assure que tu ne la vois plus. Puis, elle prend un autre chemin, pour s’éloigner de l’hôpital.

La tête baissée.

Résumé:

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