Se faire la Belle || Ft. Bloody Mary [terminé]

Les pas s'enchaînant sur le sol humide, l'esprit enchaîné à l'amertume du vide sentimental.
L'orage avait disparu avec le jour, les sanglots avaient cessé avec la pluie, et le cœur de la jeune femme, pourtant noyé par sa culpabilité, ne s'en trouvait alors que plus desséché. Il n'avait suffit que d'un doux rêve pour la réveiller en sursaut et la replonger dans son cauchemar de solitude, qui l'avait alors poursuivie sans relâche toute la journée durant.
Il était pourtant rare de voir l'oiseau de joie troquer son plumage coloré contre le manteau bleu des jours tristes. Mais au fil du temps qui continuait de s'écouler au compte-goutte apocalyptique, telle une pierre précieuse trop polie par la vie martelant de désordre, elle semblait perdre lentement de son éclat. Et plus les images de son amante perdue défilaient devant ses yeux, moins elle se sentait capable de leur tenir tête. Les souvenirs qu'elles ravivaient brûlaient d'une flamme noire à dans sa poitrine, l'étouffant de l'intérieur. Plus elles se mêlaient au présent, plus la sorcière se perdait entre ses sentiments.
L'avoir abandonnée, avoir été incapable de la protéger.
S'en être voulue.
Avoir souhaité mourir pour la retrouver.
S'en être voulue.
Avoir tenté de se relever, avoir redécouvert l'amour.
S'en être voulue.
S'en vouloir toujours autant.
La culpabilité n'était rien de plus qu'un marécage vicieux et addictif. Vouée à évincer toute autre émotion pour rester la seule et dernière en lice. Et Mylendra n'était pas assez forte pour lui tenir tête. Elle ne l'était plus. Elle qui avait jusqu'alors toujours été l'ange gardien des âmes perdues se réfugiant dans les substances abasourdissantes, elle se trouvait pour la première fois de sa vie à la place de celles et ceux qu'elle avait tant souhaité accompagner. Et pour la première fois de sa vie, elle expérimentait pleinement l'usage de la drogue comme moyen de ne pas s'effondrer, comme façon de s'échapper du monde engloutissant, pour oublier ses erreurs, ne serait-ce qu'un instant.

Alors elle poursuivait son chemin, les semelles finalement plus humides que les yeux, auxquels on semblait avoir volé toutes les larmes. D'aucuns, la voyant dans cet état d'errance psychologique, auraient pu la croire perdue dans les ruelles sombres de la petite ville délabrée. Pourtant, elle savait pertinemment où ses pas la conduisaient. Et lorsqu'elle eut parcouru les quelques dernières centaines de mètres qui la séparaient encore de sa destination, elle poussa la porte de l'entre dans un soulagement presque palpable.
Elle n'avait jamais connu Les Nébuleuses pour y faire autre chose que rejoindre ses vendeurs d'herbe attitrés, et il s'agissait à la tombée de la nuit du dernier endroit de la ville assez sûr pour y effectuer les trocs qu'elle chérissait tant.

Elle entra dans un soupir épuisé et s'attela rapidement au bar pour tenter de repérer une tête familière parmi les quelques clients qui se laissaient aller dans la semi-pénombre. Ses yeux rougis sautaient de table en table, courraient le long des murs, mais en vain. Pas un seul visage aux traits connus pour soutenir la jeune femme encordée à sa solitude.
Elle laissa ses dents pincer sa lèvre inférieure, de détresse. Il ne lui restait presque plus rien à fumer dans les poches, et son esprit n'allait sans doute pas tarder à divaguer de nouveau vers des horizons plus sombres que le charbon.
Impuissance.
Appréhension.
Elle devait trouver une solution.
Elle se laissa glisser sur le bar pour loger sa tête dans ses bras.
S'endormir ici, ne plus jamais se réveiller.
Voilà une idée qui aurait pu l'enchanter.
Mais la nuit en décida finalement autrement.
Le gérant du petit bar, de l'autre côté du comptoir, la tira de son gouffre lorsqu'il l'approcha dans un sourire pour lui demander ce qu'elle souhaitait consommer. Elle ne le connaissait que très mal, ne savait même pas son prénom, mais l'avait toujours bien apprécié. Aussi, elle s'efforça de lui rendre son sourire, dans une moue tordue par l'émotion.
Elle ne voulait pas partir.
Elle ne voulait pas rentrer, s'enfermer dans sa petite chambre et continuer de broyer du noir, la solitude pour toute compagnie pédante. Alors, sans prendre le temps de se poser plus de questions – réfléchir plus longtemps, c'était donner plus de temps à la peur pour grandir – elle extirpa de vieilles piles de sa sacoche de cuir brun et les tendit à l'homme au rictus chaleureux.

"Je sais pas... Donne-moi quelque chose de fort. Je veux juste arrêter de penser. S'il te plait."

C'était une autre Myllie qui se trouvait assise là. Le ton épuisé de sa phrase la surprit elle-même, et elle manqua presque de se raviser en s'entendant parler. Mais elle n'en fit rien. Elle avait besoin de s'envoler. D'échapper à tout ce qui lui collait à la peau. De fuir la réalité. Alors tant pis pour la réflexion.
Éteindre son esprit, le temps d'une nuit.
Voilà la seule façon qu'elle avait finalement trouvé pour rester en vie.

Il n'était de variations de l'esprit que Mylendra n'eut connu ou expériencé. Au travers de ses airs de bourgeon printanier s'ouvrant au contact de la rosée du matin de sa vie, la jeune femme avait su goûter assez tôt aux vices de l'amusement humain pour ne pas être perdue dans l'arêne chaotique de l'apocalypse. Pourtant, l'alcool était des luxures qu'elle avait le moins cotoyé, pour la simple et bonne raison qu'elle ne l'avait jamais particulièrement affectionné. Elle n'appréciait pas les nausées du lendemain, ni l'idée de tout oublier. Ironique fatalité alors que de la trouver en cette soirée d'été assise à ce comptoir, de l'entendre commander quelque chose de fort car elle souhaite oublier.
Faire disparaître les souvenirs.
Disparaitre.
L'inconnu.e qui vint s'adosser au bar l'avait peut-être compris, et lorsqu'iel décida de prendre la même chose qu'elle, la sorcière lui lança un regard intrigué. De grande taille mais d'un corps frêle, la personne la surplombait de plusieurs dizaines de centimètres même assise. Mylendra éprouvait des difficultés à identifier le genre de ce personnage émergeant de l'ombre du dehors. De traits maculins mais d'un style efféminé.
Et d'une originalité si étincellante qu'elle en faisait plisser les yeux.
Comme il était devenu rare de rencontrer des personnes affichant un goût pour la mode aussi luxeux après la fin du monde – car la petite baie était alors pour les survivants ce qu'il restait de leur monde ; cage invisible aux barreaux forgés dans le cœur de l'Univers, fragments éparpillés d'une civilisation bâtie de rêves et de chimères, maison de poupée détruite par les jeux dévastateurs des enfants de la Destinée.
Pourtant, il demeurait dans son allure si particulière quelque beauté,
Un peu mystérieuse.
Un peu sombre, aussi.
Mylendra se laissa quelques secondes pour le.a dévisager puis se tourna vers iel dans un sourire compatissant.

"On dirait bien que je ne suis pas la seule à avoir eu une dure journée."

Et quand les verres remplis de liquide sombre passèrent finalement des mains fines du barman au plateau de bois du comptoir, elle piocha quelques artefacts de l'ancienne civilisation de plus dans son sac et les tendit au patron dans un sourire.

"Je vais prendre le tout"

Elle adressa un regard amical à l'inconnu.e et leva son verre de quelques centimètres au dessus du bar. Il ne s'agissait pas là d'une quelconque tentative de séduction comme il aurait pu être monnaie courante dans l'ancien monde, mais bien d'un innocent cadeau de rencontre. Dans un monde où l'argent n'avait plus sa place, où chacun avait tout perdu, il était devenu au aux de la sorcière encore plus futile de se montrer avare que par le passé. Elle n'hésitait alors jamais plus à offrir ce qu'elle avait pour elle.

"À des jours meilleurs !"

Elle avait vainement tenté de parler avec enthousiasme, mais sa voix se brisant à la fin de sa phrase l'avait assommée de désarroi.
Cordes cassées, regard desséché.
Cœur pulvérisé.
Elle se racla la gorge et prit une gorgée amère de sa boisson. Au moins, le goût avait réussit à épouser l'humeur de la soirée. Impossible d'en dire autant de la mariée.

"Moi, c'est Myllie. Enchantée."

Les verres tintèrent imaginairement dans l'esprit de la jeune femme quand l'inconnu.e leva sa boisson dans sa direction, la tirant vers des souvenirs sortis d'une autre vie.
La musique qui résonne,
Les voix qui sonnent,
Rire aux éclats. Jusqu'à se briser la voix.
Et les verres qui s'entrechoquent, aux gourmandises, au bon temps et à la vie.
Voilà bien longtemps qu'elle n'avait plus connu de tels moments. Ironique tourmant que de penser alors à sa voix qui continuait de se briser à la moindre seconde.
A la moindre émotion.
Sarcastique déluge de pensées que de remarquer cette fois que son interlocuteurice semblait vouloir la suivre dans la cassure. Car c'était toute sa phrase qui était tombée en morceaux lorsqu'ielle avait tenté de se présenter. Mylendra avait eu le temps de remarquer et de se questionner brièvement sur cette interruption,

"Ravie de te rencontr-..."

mais la réponse ne lui parvint que lorsqu'elle amorça à son tour une phrase difficile à terminer pour lui répondre. Sa voix n'était plus exactement la même. Son accent n'était plus le sien.
Elle porta une main, aux ongles vernis de noir – ou bien était-ce de rouge ? – à ses cordes vocales. Mais sa peau n'était pas la sienne. Sa main ne lui appartenait pas, elle pouvait seulement le sentir.
De noir.
De rouge.
Il y avait quelque chose d'étrange. Pendant quelques secondes, la jeune femme s'en trouva déboussolée. Il y avait un air de souvenirs dans les airs. Et cet accent, ces ongles...
Qui lui remémoraient ceux qu'avait pû avoir Sam lorsqu'elle s'étaient rencontrées.
Au tout début.
Quand rien de tout cela n'existait, que la brunette arrivait tout juste à Sacramento, prête à chambouler l'existance de Myllie pour le reste de ses jours.
Le reste de ses jours.
De quels jours ?
Impossible.
Elle avait tant cherché à la retrouver. Cela avait toujours été son vœu le plus cher, depuis le premier jour. Qu'est-ce qui avait changé ? S'était-elle résignée ?
Jamais.
Pourquoi revenait-elle alors la hanter, comme si elle n'avait jamais quitté la vie ?
Les rôles semblaient s'échanger.

Des chopes tintèrent en écho dans la pièce, quelque part derrière elle, la tirant de son tourmant. Elle attrapa machinalement son verre d'une main tremblante et le porta à ses lèvres pour en prendre une gorgée réchauffante. Et l'instant d'après, tout avait disparu.
Volatilisés, les ongles rouges – s'ils n'eut était noirs – et les sensations accordées. Mylendra hésita tout de même à prendre de nouveau la parole, effrayée par les sons qui pourraient sortir de ses lèvres entrouvertes.

"E-Est-ce que... Tu..."

Mais la normalité – ou du moins ce qu'il en restait – semblait avoir repris le dessus. Elle abandonna sa phrase une autre fois pour se laisser tenter par une nouvelle gorgée de boisson sombre,

"Excuse-moi... Je divague."

et délaissa sa moue amère d'alcool pour lui adresser un autre sourire décrépi. Ce qu'il se passait dans cette ville était incompréhensible. Elle se sentait comme épiée, et chacun de ses tourments semblaient alimenter les différents faits étrange qui se déroulaient tout autour d'elle. Jamais auparavant elle ne s'était trouvée aussi affectée par son environnement.
Aussi vulnérable, sans aucun doute.

Il n'avait suffit que d'un instant à cette nouvelle connaissance pour reprendre ses esprits, pour retrouver une expression des plus neutres face à la sorcière. L'aisance avec laquelle Terrence été parvenu.e à faire barrière au dysfonctionnement émotionnel dont tous deux venaient d'être victimes avait impressionné Mylendra, tant et si bien qu'elle décida de se laisser entraîner par ce mouvement d'esquive quand iel reprit la parole.
Elle esquissa un rire aux joues rosées en jetant ses yeux sur ellui. C'était une phrase d'accroche classique, mais toujours efficace ; en un regard, elle reprit une gorgée d'alcool sombre et en un instant, l'atmosphère semblait s'être allégée.
Elle buvait vite.
Elle n'avait jamais vraiment su comment boire.
Elle s'était toujours cachée dans son verre, dissimulant ses émotions derrière les gorgées de poison, jusqu'à rapetisser
Jusqu'à devenir minuscule.
Si petite qu'elle pouvait s'y laisser tomber.
S'y noyer.
Mais combien de temps fallait-il pour se laisser engloutir ?
Une heure ?
Une nuit ?
Le présent semblait s'étirer, les minutes s'accélérer et les secondes ralentir.
Au rythme des verres tintant tour autour d'eux, les deux inconnus défiaient ensemble le court du temps, jusqu'à presque l'arrêter.
Suspendu au bout des lèvres.
Les verres se succédaient, déliant les langues sur leur passage et l'exploratrice abandonnait doucement ses âpres pensées pour se laisser porter par le flot charmeur de la soirée. Plusieurs fois, ses joues chauffaient sans qu'elle puisse affirmer si l'alcool ou les paroles du serpent en étaient la cause. Elle plongeait alors de nouveau dans son verre, bifurquait vers un nouveau sujet de conversation et le jeu recommençait de la même façon. C'était agréable, en un sens, de simplement éteindre son esprit sans se poser plus de questions.
Juste le temps d'un instant.
Et un instant plus tard, le bar de fortune fermait ses portes, laissant les deux étourdis sur un trottoir encore humide de pénombre nocturne et venteuse. Une demie bouteille échangée au patron sous le bras, l'oiseau entreprit de rouler la dernière cigarette d'herbe magique qu'elle avait en réserve en frissonnant.

"Je n'sais pas quelle heure il est mais... mais il fait froid, pour un mois de juillet."

Dans des gestes qui lui semblaient flous, elle renversa le contenu de son grinder de bois gravé sur une feuille à rouler de fortune, avant de relever la tête vers sa nouvelle connaissance

"Il va nous falloir un endroit à l'abri du vent pour finir ça." elle désigna la bouteille du regard avant de replonger ses yeux dans ceux de Terrence "À moins que tu ne préfères rentrer chez toi ?"

Elle souriait. D'un sourire qu'elle n'avait pas eu l'occasion de retrouver depuis la tempête.
Qui réchauffait son corps.
Ou peut-être était-ce l'alcool ?
Ne pas se poser de questions.
Et tandis que les deux inconnus, qui semblaient alors ne plus en être, emboitaient un pas dansant - tanguant ? - le temps continuait de se défiler au rythme des bâtiments écrasés le long de la route.
La jeune femme prenait quelques bouffées de fumée dense entre quelques rires alcoolisés, proposait le calumet à son interlocuteurice, bifurquait sur une nouvelle pensée et la transformait en nouveau sujet de conversation.
Ne pas se poser de questions.

Il y a des dangers contre lesquels on ne peut lutter ; il y en a contre lesquels on ne souhaite simplement pas le faire.
Terrence se trouvait entre les deux. Oiseau malin aux paroles de velours, iel savait lire au creu du cœur de Mylendra, y déceller sa détresse et sa sa peur de l'abandon. La sorcière buvait ses mots entre deux gorgées alcoolisées et s'engluait doucement dans sa toile. À l'abri du vent, les deux inconnus réchauffaient leurs corps - écorchaient leurs âmes - et partageaient leur solitude.
Était-ce un mal ?
Pouvait-il autant s'agir d'un bien ?
Qu'allait-elle en penser au petit matin ?
La culpabilité de trahir la mort n'allait-elle pas l'engloutir un peu plus, jusqu'à la noyer dès lors qu'elle serait de nouveau seule et sobre ?
Autant de questions qu'elle était incapable de se poser - qu'elle refusait de se poser - en l'instant.
Anesthésier le temps, et les esprits avec.[i]
Car si l'on parvenait à figer le temps, juste pour une seconde, plus aucun tourment n'était alors à craindre.
Les minutes - les heures ? - se succédaient et le jeu perdurait, Mylendra riant, Terrence charmant. Lorsqu'iel chantait, le colibri prenait en chœur une phrase sur deux, d'une voix douce et alcoolisée. Et naturellement, les corps s'alignaient, les deux intimités se brisaient lentement pour n'en faire plus qu'une.
[i]Suspendu au bout des lèvres,
Entre les souffles entremêlés,
Sous les carresses alcoolisés,
Dans les baisers abandonnés.
La douceur raisonnait dans les gestes du serpent charmeur, la douleur s'évaporait en écho dans l'esprit de sa proie. Comme une danse avec le diable, un drame joué avec ses démons, dans lequel la sorcière plongeait corps et âme.
Elle avait peur.
Si peur que si elle ne tentait pas d'ignorer ses tourments, elle finirait par les laisser l'écraser. N'était-il pas trop tôt pour disparaitre ? Avait-elle seulement assez souffert pour oser prétendre vouloir déjà mettre fin au grand jeu ?
Elle ne savait plus si elle devait se laisser guider par son désespoir ou par son vide intérieur. Mais par chance, aucun des deux ne semblait vouloir entrer en corrélation avec l'ivresse ou la situation. Et bientôt, on prit les dernières bouffées de fumée, bu les dernières gorgée d'alcool. Et bientôt, la brume envahit entièrement l'esprit, les sensations, chassant définitivement les derniers tourments. Impossible alors, de déterminer sa position dans l'espace, ou bien dans le temps.
Que s'était-il passé dix minutes plus tôt ?
Mais quans était-ce, dix minutes plus tôt ?
Et que se passait-il en l'instant ?
Tout cela avait-il seulement de l'importance ?
Plus une once, à présent que tout se perdait dans la brume. C'était agréable, confortant, de se fondre dans le néant. Ça l'était car tant que le temps disparaissait dans le brouillard, elle avait une ancre à laquelle s'accrocher. Alors quand bien même cette ancre l'entrainerait dans des abysses aussi menaçantes que méconnues, le colibri ne pouvait plus se résoudre à la lâcher.
Plus jamais.
Jusqu'au petit matin.

Si l'alcool n'avait jamais été le fort de Mylendra, son intuition et son discernement étaient habituellement sensés faire la balance pour lui permettre de ne pas se laisser avoir par les belles paroles du premier venu.
Tragique ironie que de constater alors que cette fois, l'oiseau avait préféré le piège gluant de la vipère qui lui tenait compagnie à sa propre solitude.
Elle avait tenté de fuir un passé qui, une fois de plus, l'avait bien trop vite rattrapée, agrippée à la cheville et tirée en arrière.
Entraînée dans les tréfonds de son esprit.
Jusqu'à ne plus se reconnaître.
Et elle s'y était perdue. Elle ne s'était plus sentie assez forte pour se sauver. Elle avait eu besoin de quelqu'un pour le faire à sa place. N'importe qui,
n'importe qui,
aurait fait l'affaire.
Était-ce Terrence qui lui avait mis un grappin dans le dos ? Ou bien était-ce elle qui avait pris la main du serpent pour lui demander de la serrer autour de son cou ?
Elle n'avait pas pris le temps de se poser les bonnes questions, pas pris la peine de s'observer dans un miroir, pour voir qu'elle n'était pas qui elle croyait être et qu'elle ne prenait pas la direction qu'elle souhaitait prendre. Elle s'était perdue entre les bras assassins du renard plus vite que l'on s'égare dans la forêt des Murmures et avait préféré les laisser la noyer, lasse d'espérer revoir le jour se lever sur un monde meilleur.
Elle dormait finalement.
Apaisée ?
Alourdie.
Toujours au creux de ce cou, à sa merci vicieuse et à son désir malsain. Elle n'était plus consciente de ce qui l'entourait, ces quelques heures de sommeil partaient en fumée pour s'échapper de son esprit trouble, et ne repointeraient jamais plus le bout de leur nez.

Lorsqu'elle se réveillerait, quelques heures plus tard, les yeux dans le vague, le crâne douloureux et les souvenirs embrumés, elle tenterait en vain de retracer sa soirée.
De comprendre comment elle avait pu en arriver là.
Et où Diable avaient pu finir ses chaussures.
Mais à part le visage flou de l'inconnu.e et l'écho du nom Terrence, les premiers mots échangés et leur surprise paranormale au bar, rien ne lui reviendrait concrètement.
Rien ?
Rien sauf une phrase.
Une toute petite phrase, échappée d'un coma mémoriel et vouée à résonner parmi les pensées jusqu'à la fin des temps.
Et malgré l'absence de souvenir d'un quelconque partage charnel, la sorcière se laisserait malmener par cette nouvelle, trop crédule pour y déceler le mensonge, trop incertaine pour faire confiance à son propre esprit.
Juste une phrase,
la première dans le bar
la dernière dans la rue,
Et tout était foutu.